University of Minnesota



M. Assem Kakoun v. Liban, Le Groupe de travail sur la détention arbitraire, Avis No. 17/2008, U.N. Doc. A/HRC/13/30/Add.1 at 4 (2010).


 

 

AVIS n° 17/2008 (LIBAN)

Communication adressée au Gouvernement le 9 octobre 2007.

Concernant M. Assem Kakoun.

L’État est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

1. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a été créé par la résolution 1991/42 de la Commission des droits de l'homme, laquelle a précisé et prolongé son mandat par la résolution 1997/50. Le Conseil des droits de l’homme a assumé le mandat du Groupe de travail par sa décision 2006/102 et l’a renouvelé pour trois ans par sa résolution 6/4 de 28 septembre 2007. Agissant conformément à ses méthodes de travail, le Groupe de travail a transmis au Gouvernement la communication susmentionnée.

2. Le Groupe de travail remercie le Gouvernement de lui avoir communiqué les renseignements demandés.

3. Le Groupe de travail considère comme arbitraire la privation de liberté dans les cas énumérés ci-après :

I. Lorsqu'il est manifestement impossible d'invoquer une base légale quelconque qui la justifie (comme le maintien en détention d'une personne au-delà de l'exécution de la peine ou malgré une loi d'amnistie qui lui serait applicable) (catégorie I);

II. Lorsque la privation de liberté résulte de l'exercice de droits ou de libertés proclamés dans les articles 7, 13, 14, 18, 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et, en outre, en ce qui concerne les États parties, dans les articles 12, 18, 19, 21, 22, 25, 26 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (catégorie II);

III. Lorsque l'inobservation, totale ou partielle, des normes internationales relatives au droit à un procès équitable, établies dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans les instruments internationaux pertinents acceptés par les États concernés, est d’une gravité telle qu'elle confère à la privation de liberté un caractère arbitraire (catégorie III).

4. Selon la communication adressée au Groupe de travail le 31 juillet 2007 et les précisions et informations complémentaires reçues ultérieurement, Assem Kakoun a été arrêté le 6 janvier 1990 à Hammana, au domicile de Rustom Ghazalé, un responsable des services de renseignement syriens au Liban, pour qui il travaillait. L’arrestation a été effectuée par les services de sécurité syriens au Liban, sans présentation d’un mandat d’arrêt. M. Kakoun a été emmené dans l’un des centres de la sécurité syrienne situé à Anjar, dans la Bekaa libanaise, puis transféré deux semaines plus tard à Damas, dans un établissement administré par des services syriens, où il est resté détenu pendant 11 mois, toujours au secret. Il aurait été torturé dans tous les lieux où il a été détenu. Le 20 novembre 1990, les autorités syriennes l’ont remis à la police judiciaire libanaise et c’est seulement le 14 décembre 1990 qu’un mandat de détention a été décerné contre lui. Pendant plus de sept mois, il a été transféré d’un lieu de détention à un autre jusqu’à son arrivée à la prison centrale de Roumieh, où il se trouve, ou du moins où il se trouvait à la date de la communication.

5. M. Kakoun a comparu devant un tribunal libanais de Beyrouth pour un assassinat survenu le 25 novembre 1989, mais ni la source ni le Gouvernement n’indiquent le nom de la victime ni aucune autre circonstance, le Gouvernement se bornant à signaler que les faits se seraient produits à Tabir. Selon la source, M. Kakoun a été accusé du crime présumé en raison d’un conflit entre M. Ghazalé et lui, et il n’a jamais reconnu en être l’auteur, sauf sous la torture.

6. Il est précisé que les tortures infligées ont laissé à M. Kakoun de graves séquelles physiques (incapacité fonctionnelle d’une main et traces sur le corps) et psychologiques. Il aurait été soumis à des tortures dans tous les centres de détention secrets où il a été détenu, tant au Liban (Bekaa) qu’en République arabe syrienne.

7. La source ajoute que le procès de M. Kakoun a été entaché d’irrégularités, comme il est exposé ci-après :

a) M. Kakoun est resté au secret pendant les 15 premiers jours qui ont suivi son arrestation au Liban, durant les 10 mois suivants, où il se trouvait en République arabe syrienne, puis durant 8 mois encore au Liban, jusqu’à l’ouverture de la procédure, le 14 décembre 1990, où sa détention a été reconnue pour la première fois;

b) Lors des interrogatoires extrajudiciaires en République arabe syrienne et de ses interrogatoires devant le juge d’instruction à la prison de Barbar el Khazem (Verdun), au Liban, M. Kakoun a demandé un avocat, refusant de faire des déclarations devant le juge. En conséquence, son audition a été suspendue et il n’a été entendu que le 4 janvier 1991, mais encore sans la présence d’un avocat. Au procès proprement dit, M. Kakoun a déclaré qu’il avait fait ses aveux sous la torture. Selon la source, le tribunal indique dans sa décision qu’il a acquis la conviction de la culpabilité de l’accusé précisément sur la base des aveux. Le tribunal a rejeté l’allégation de torture au motif que son bien-fondé n’avait pas été établi;

c) M. Kakoun n’a pas bénéficié du droit d’appel. Il a certes formé un recours, mais celui-ci n’a pas été examiné par le tribunal, qui l’a déclaré irrecevable, alors que les conditions de recevabilité étaient pourtant remplies, confirmant la peine de réclusion à perpétuité prononcée en première instance.

8. Dans sa réponse, le Gouvernement indique qu’Assem Kakoun a été condamné à mort le 10 février 1993 pour la Cour d’assises de Beyrouth à l’issue du procès engagé contre lui, en vertu de l’article 549 (p) et de l’article 72 (port d’armes) mais que la peine a été commuée en travaux forcés à perpétuité, sur le fondement de la loi d’amnistie nº 84/91.

9. Certes, le Groupe de travail n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé des accusations qui ont motivé la déclaration de culpabilité et la peine de l’intéressé dans l’affaire d’assassinat ou de port d’armes. Il se prononcera donc uniquement sur le caractère arbitraire ou non de la privation de liberté d’Assem Kakoun − laquelle dure déjà depuis 18 ans.

10. Conformément aux articles 8, 9, 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus; a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, et est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie; ne peut être privée de sa liberté, si ce n’est que conformément à la procédure prévue par la loi; doit être traduite dans le plus court délai devant l’autorité judiciaire compétente; doit être jugée dans un délai raisonnable; enfin, la détention provisoire ne doit pas être de règle et ne peut être autorisée que pour assurer la comparution de l’intéressé au procès et l’exécution du jugement.

11. Les faits exposés par la source n’ont pas été contestés par le Gouvernement dans sa réponse, ce qui permet de conclure à leur véracité.

12. Par ailleurs, Assem Kakoun a fait valoir qu’il avait été soumis à la torture dans les lieux où il a été détenu et a ajouté qu’il avait avoué être l’auteur de l’assassinat dont il était accusé sous la torture. S’il a effectivement dénoncé les mauvais traitements, l’État aurait dû procéder à des investigations, conformément à l’article 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans sa réponse, le Gouvernement ne précise pas qu’il a agi conformément à cette disposition et le Groupe de travail doit dès lors présumer qu’il n’a pas ordonné d’enquête ce qui, à tout le moins, autorise raisonnablement à supposer que M. Kakoun a pu subir des actes de torture et que ses aveux ont pu en être la conséquence, auquel cas, en vertu de l’article 15 de la Convention contre la torture, ces aveux ne pouvaient pas être invoqués comme un élément de preuve, alors qu’ils l’ont été.

13. Étant donné que toutes les règles de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des autres instruments cités ont été violées, il est légitime de conclure que la détention de M. Kakoun est arbitraire et relève de la catégorie III des critères applicables à l’examen des cas soumis au Groupe de travail.

14. En conséquence, le Groupe de travail demande au Gouvernement de remédier à la situation d’Assem Kakoun, conformément aux dispositions invoquées dans le présent avis. Le Groupe de travail estime que, dans les circonstances de l’affaire et compte tenu de la durée de la détention, la solution adéquate serait la libération immédiate de l’intéressé.

Adopté le 9 septembre 2008

 



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