MANUEL DE FORMATION SUR LA SURVEILLANCE DES DROITS HUMAINS

CHAPITRE IX: LES VISITES AUX PERSONNES DETENTUS


MATIÈRES

A. Introductions et Définitions

B. Normes Internationales Relatives à la Détention et au Traitement des Détenus

1. Normes Générales

a. La Non-Discrimination

b. La Prohibition de la Torture et des Peines ou Traitements Cruels, Inhumains ou Dégradants

c. Les Conditions Matérielles de Détention

d. Religion, Culture, Éducation

e. La Surveillance des Lieux de Détention

2. Normes Spécifiques à la Détention Provisoire

a. La Présomption d'Innocence

b. La Séparation des Catégories

c. La Prohibition de l'Arrestation Arbitraire

d. La Notification des Motifs de l'Arrestation et de l'Accusation

e. L'Accès Judiciaire

f. Les Lieux de Détention

g. L'Accès à un Conseil

h. L'Accès au Monde Extérieur

i. Le Droit à ne pas Être Obligé de Témoigner Contre Soi-Même

j. Le Droit à un Procès Équitable

3. Normes Spécifiques à la Détention Administrative

4. Normes Applicables aux Femmes

5. Normes Applicables aux Mineurs

C. Les Visites Globales aux Lieux de Détention

1. Définir les Préalables et les Objectifs

2. Choisir les HRO Visitant les Lieux de Détention

3. Pénétrer dans l'Établissement de Détention et Annoncer sa Visite à l'Avance

4. Rencontrer le Directeur d'Établissement pour un Premier Entretien

5. S'Entretenir avec d'Autres Responsables

6. La Liste des Détenus et leur Fichier

7. Visiter l'Ensemble de l'Établissement

8. Interroger les Détenus

9. La Réunion Finale avec le Directeur

10. Suivi et Rapports

11. Les Visites de Suivi

D. Les Visites Ciblées aux Établissements de Détention

1. Définir les Objectifs

2. Les Écarts par Rapport à la Visite Globale

E. La Coordination avec le CICR

F. Autres Références

 

A. INTRODUCTION ET DÉFINITIONS

 

1. Ce chapitre traite des normes internationales relatives à la détention et au traitement des détenus. Il fournit en outre des directives pour procéder à la fois de manière globale et ciblée à des visites aux lieux de détention.

 

2. Les définitions qui suivent sont adaptées de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement (1).

 

3. Le terme "arrestation" désigne l'acte qui consiste à appréhender une personne du chef d'une prétendue infraction ou par le fait d'une autorité quelconque.

 

4. Le terme "personne détenue" désigne toute personne privée de la liberté individuelle à la suite d'une détention administrative, d'une détention provisoire ou d'une condamnation pour infraction; les prisonniers de guerre; les personnes détenues dans des établissement psychiatriques (voir la définition du "prisonnier" ci-dessous). Il existe une certaine diversité dans la manière dont le terme de "détenu" est employé dans les différents pays. Par exemple, au sens de l'Ensemble de principes, un "détenu" se réfère principalement à la détention provisoire, et ne comprend pas les personnes détenues à la suite d'une condamnation, qui, elles, sont des prisonniers. Dans certains pays, "détenu" peut ne renvoyer qu'aux personnes en détention administrative ou au titre de la législation sur la sécurité, et non aux individus impliqués dans une procédure pénale. Quoi qu'il en soit, ce chapitre envisage le terme de "détenu" dans son acception la plus large, recouvrant toutes les personnes privées de leur liberté ou maintenues de toute autre manière à la garde du gouvernement. Par conséquent, est "détenue" toute personne maintenues dans les prisons, les postes de police, les établissements psychiatriques, les centres pour demandeurs d'asile, les institutions pour mineurs, les prisons militaires, etc. En revanche, il est conseillé aux HRO, dans leurs communications avec les autorités locales et nationales, de comprendre et d'employer la terminologie la plus appropriée.

 

5. La "détention" comprend la privation de liberté, provisoire, administrative ou à la suite d'une condamnation, ou toute autre situation dans laquelle un "détenu" est privé de liberté.

 

6. Un "prisonnier" est toute personne privée de liberté à la suite d'une condamnation pour infraction.

 

7. L'"emprisonnement" désigne la condition ci-dessus.

 

8. Les "visites globales" sont celles faites à la prison ou autre établissement dans son entier.

 

9. Les "visites ciblées" concernent des détenus particuliers ou un problème spécifique dans une prison ou autre établissement.

 

B. NORMES INTERNATIONALES RELATIVES À LA DÉTENTION ET AU TRAITEMENT DES DÉTENUS

 

1. Normes générales

 

10. Les normes de traitement des personnes détenues ou emprisonnées font l'objet de divers traités internationaux relatifs aux droits de l'homme. On proposera un bref exposé de ces normes, adapté de Les droits de l'homme et la détention provisoire : Manuel de normes internationales en matière de détention provisoire (2) . Tandis que ce Manuel présente les principes de base, l'information résumée ne peut se substituer aux normes détaillées. Le HRO trouvera des références détaillées dans la dernière partie de ce chapitre, à la Section F : "Autres références", qui fournit une liste complète des documents.

 

11. Si ces normes sont présentées ici, c'est pour informer le HRO rendant visite aux lieux de détention et travaillant à améliorer les conditions dans lesquelles les détenus sont placés. Ainsi, les normes peuvent aider le HRO à savoir que demander et à quoi s'attendre de la part des responsables d'établissements de détention. Les HRO devront toutefois faire preuve de la plus grande prudence en se référant à des normes ou instruments spécifiques : il est indispensable que les fonctionnaires concernés comprennent bien que les normes internationales assurent aux détenus une protection minimale. Les fonctionnaires gouvernementaux seront encouragés à dépasser ces normes minimales. On peut en effet concevoir que des responsables qui dépassent déjà les normes internationales à certains égards, et à qui on fournit certains instruments, puissent être tentés de réduire la qualité des traitements réservés aux détenus. Par conséquent, il est conseillé aux HRO de faire preuve de jugement lorsqu'ils se servent de normes spécifiques pour chercher à améliorer des conditions de détention.

 

a. La non-discrimination

 

12. Le premier principe relatif à la détention et à d'autres aspects de la politique gouvernementale est celui de non-discrimination. Lorsqu'ils appliquent des droits, les États doivent assurer ces droits à toutes les personnes dépendant de leur juridiction (voir la Déclaration universelle des droits de l'homme, article 2; le Pacte relatif aux droits civils et politiques, articles 2(1) et 26). Aux termes de la règle 6(2) des Règles minima, les mesures visant à respecter les croyances religieuses et les préceptes moraux ne constituent pas une discrimination en violation des normes ci-dessus. Les mesures destinées à protéger les droits et la condition particulière des femmes, des mineurs, des personnes âgées, malades ou handicapées, ne sont pas discriminatoires (Principes sur la détention, principe 5(2)).

 

b. La prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

 

13. Un deuxième principe fondamental se trouve à l'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et à l'article 7 du Pacte relatif aux droits civils et politiques : "Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants."

 

14. L'article 2 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dit : "Tout État partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction." En outre, l'article 16 exige de l'État partie qu'il "s'engage à interdire dans tout territoire sous sa juridiction d'autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [...] lorsque de tels actes sont commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite". Ces principes se retrouvent également aux articles 3 et 4 de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

 

15. Les peines corporelles, la mise au cachot obscur ainsi que toute sanction cruelle, inhumaine ou dégradante comme sanctions disciplinaires sont entièrement prohibées par la règle 31 de l'Ensemble de règles minima. La prohibition de la torture et des traitements cruels a été interprétée de source autorisée comme interdisant l'isolement cellulaire prolongé pour tous les détenus. En outre, les détenus seront informés des infractions et sanctions disciplinaires, aussi bien que de leurs droits (Ensemble de règles minima, règle 35; Principes sur la détention, principe 30).

 

16. Les responsables de l'application des lois, dans leurs relations avec les prévenus ou condamnés incarcérés, ne doivent pas avoir recours à la force (Principes sur le recours à la force, principe 15) ni aux armes à feu (Principes sur le recours à la force, principe 16), sauf dans des circonstances très limitées comme la légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace grave et immédiate. En outre, la règle 33 de l'Ensemble de règles minima déclare : "Les instruments de contrainte tels que menottes, chaînes, fers et camisoles de force ne doivent jamais être appliqués en tant que sanctions."

 

c. Les conditions matérielles de détention

 

17. Les autorités ont l'obligation de traiter les personnes privées de leur liberté avec la dignité et l'humanité requises par l'article 10(1) du Pacte relatif aux droits civils et politiques. Ce principe garantit un niveau minimal de conditions matérielles de détention. Tout local destiné à l'usage des détenus doit répondre à des exigences minimales d'hygiène (règles 10 et 19 de l'Ensemble de règles minima). Les détenus doivent observer la propreté personnelle (règle 15 de l'Ensemble de règles minima) et doit avoir chaque jour de l'exercice en plein air (règle 21 de l'Ensemble de règles minima). De plus, les détenus doivent recevoir une alimentation de bonne qualité, bien préparée, et de l'eau potable en application de la règle 20 de l'Ensemble de règles minima. Les détenus doivent également pouvoir porter des vêtements appropriés et propres (règle 17 de l'Ensemble de règles minima).

 

18. Enfin, les détenus et prisonniers ont droit à des soins médicaux, psychologiques et dentaires adéquats (voir règles 22, 24 et 25 de l'Ensemble de règles minima; principes 24, 25 et 26 des Principes sur la détention).

 

d. Religion, culture, éducation

 

19. Les détenus doivent être autorisés à satisfaire aux exigences de leur vie religieuse (article 18(1) du Pacte relatif aux droits civils et politiques; règle 42 de l'Ensemble de règles minima). Les détenus et prisonniers doivent pouvoir obtenir, en quantité raisonnable, du matériel éducatif, culturel et d'information (voir Principes sur la détention, principe 28; Ensemble de règles minima, règles 39 et 40; Principes fondamentaux sur les détenus, principe 6). En outre, les possibilités d'un emploi significatif en cours de détention, prévues au principe 8 des Principes fondamentaux sur les détenus, sont de nature à promouvoir la dignité et les droits humains des détenus.

 

e. La surveillance des lieux de détention

 

20. Une surveillance efficace des lieux de détention par des autorités impartiales intéressées à maintenir des conditions humaines est vital pour la protection des droits humains du détenu. Conformément à la règle 36 de l'Ensemble de règles minima et au principe 33 des Principes sur la détention, les personnes détenues ou emprisonnées devrait pouvoir présenter une requête ou une plainte au sujet de la façon dont elle est traitée. Dans l'éventualité de la mort d'un détenu, des mesures spéciales doivent être prises pour en déterminer les causes et poursuivre toute personne s'en étant rendue responsable, notamment dans les cas de tortures ou de sévices (voir Principes sur la prévention des exécutions, principes 9, 12 et 13). De plus, en vue de surveiller la stricte observation des lois et règlements concernés, les lieux de détention seront visités régulièrement par des personnes qualifiées et expérimentées, extérieures à l'administration pénitentiaire (voir Principes sur la détention, principe 29). Les personnes détenues ou emprisonnées ont le droit de communiquer librement et en toute confidence avec les personnes qui lui rendent visite, conformément au principe 29 des Principes sur la détention.

 

21. Les espèces, objets de valeur, vêtements et autres effets appartenant à un détenu qu'il n'est pas autorisé à conserver après son admission doivent être placés en lieu sûr jusqu'à sa libération (règle 43 de l'Ensemble de règles minima).

 

2. Normes spécifiques à la détention provisoire

 

22. Selon l'article 9 du Pacte relatif aux droits civils et politiques, la détention provisoire doit être l'exception et non la règle. Divers aspects sont à considérer pour évaluer si la détention provisoire s'impose dans une affaire donnée, parmi lesquels :

 

 

23. Les instruments internationaux des droits de l'homme comportent des normes spécifiques s'appliquant aux personnes en détention provisoire. Ces normes apportent des garanties et des protections supplémentaires en fonction de la situation particulière des prévenus, en tant qu'individus privés d'un de leurs droits fondamentaux (le droit à la liberté), sans encore avoir été condamnés pour une infraction.

 

a. La présomption d'innocence

 

24. L'une des distinctions entre prévenus et condamnés réside en ce que "Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie" (Déclaration universelle des droits de l'homme, article 11(1); Pacte relatif aux droits civils et politiques, article 14(2)). Par ailleurs, aux termes de l'article 10(2)(a) du Pacte relatif aux droits civils et politiques, et à la règle 84(2) de l'Ensemble de règles minima, les prévenus ont un droit garanti à un traitement séparé adapté à leur situation.

 

25. La présomption d'innocence veut que les personnes non encore détenues au titre d'une condamnation reçoivent un meilleur traitement (voir règles 86, 87, 88 et 91 de l'Ensemble de règles minima). Tous les détenus, qu'ils soient prévenus ou condamnés, ont droit à un traitement humain, mais les pratiques disciplinaires et les contraintes sont également gouvernées par le respect de l'innocence présumée du prévenu.

 

b. La séparation des catégories

 

26. Les différentes catégories de détenus doivent être séparées, conformément à l'article 10(2) du Pacte relatif aux droits civils et politiques et à la règle 8 de l'Ensemble de règles minima. Les détenus en prévention doivent être séparés des condamnés, et les jeunes doivent être séparés des adultes. Les hommes et les femmes doivent être détenus dans des établissements différents. Dans bien des pays, les prévenus sont soumis aux pires conditions de détention. Les établissements qui leur sont réservés sont souvent surpeuplés, vétustes, malsains, et inadaptés à une occupation humaine. Les détenus y sont enfermés pendant des mois, voire des années, pendant que leur affaire fait l'objet des enquêtes et procédures du système judiciaire (3).

 

c. La prohibition de l'arrestation arbitraire

 

27. C'est par l'arrestation que débute le processus de détention. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation arbitraire (Déclaration universelle des droits de l'homme, articles 3 et 9; Pacte relatif aux droits civils et politiques, article 9(1); Charte africaine, article 6; Convention américaine, article 7; Convention européenne, article 5(1)). Par ailleurs, aux termes du principe 11(3) des Principes sur la détention et de l'article 9(4) du Pacte relatif aux droits civils et politiques, l'arrestation doit toujours être sujette au contrôle ou à la supervision judiciaires de façon à en assurer la légalité. Comme le dit le principe 12 des Principes sur la détention, on consignera dûment les indications précises relatives à l'arrestation, de manière à garantir une tutelle judiciaire effective et à prévenir les disparitions.

 

d. La notification des motifs de l'arrestation et de l'accusation

 

28. L'article 9(2) du Pacte relatif aux droits civils et politiques prévoit un processus de notification en deux étapes : au moment de l'arrestation, la personne doit être informée des raisons de cette arrestation; dans le plus court délai, elle recevra notification de toute accusation portée contre elle. Le principe 13 des Principes sur la détention étend l'obligation de notification à celle des droits de la personne détenue, notamment le droit à un avocat.

 

e. L'accès judiciaire

 

29. Le droit à être entendu rapidement par une autorité judiciaire, dont la fonction est d'établir s'il existe une base légale à l'arrestation et si la détention provisoire est nécessaire, est garanti par l'article 9(3) du Pacte relatif aux droits civils et politiques (voir aussi les Principes sur la détention, principes 11 et 37). L'article 9(3) du Pacte relatif aux droits civils et politiques garantit également le droit à être jugé dans un délai raisonnable ou libéré dans l'attente du jugement (voir aussi Principes sur la détention, principe 38).

 

30. Le droit à contester sa détention auprès d'une autorité judiciaire est garanti à toute personne privée de sa liberté, mais concerne particulièrement les prévenus (voir Déclaration universelle des droits de l'homme, article 8; Pacte relatif aux droits civils et politiques, article 9(4); Principes sur la détention, principe 32).

 

f. Les lieux de détention

 

31. En outre, les autorités ne peuvent détenir des personnes que dans des lieux de détention officiellement reconnus (article 10 de la Déclaration sur les disparitions) et doivent tenir un registre de tous les détenus (règle 7 de l'Ensemble de règles minima). Ces mesures sont essentielles à l'exercice de la tutelle judiciaire effective prescrite par le principe 4 des Principes sur la détention.

 

g. L'accès à un conseil

 

32. Le droit de disposer d'un défenseur résulte du droit à un procès équitable pour juger de toute accusation dirigée contre une personne (voir Pacte relatif aux droits civils et politiques, article 14(3); Ensemble de règles minima, règle 93; Principes sur la détention, principe 17). L'accès à un conseil constitue un moyen important d'assurer le respect des droits du détenu.

 

h. L'accès au monde extérieur

 

33. Outre le droit à communiquer avec son conseil, le détenu a le droit de communiquer avec le monde extérieur, notamment avec sa famille et ses amis (voir principe 15 des Principes sur la détention, et règle 92 de l'Ensemble de règles minima). De plus, la règle 44(1) de l'Ensemble de règles minima oblige les autorités, en cas de décès du détenu, à en informer ses parents.

 

i. Le droit à ne pas être obligé de témoigner contre soi-même

 

34. La torture et les sévices sont parfois utilisés pour forcer un prévenu à avouer ou à fournir des renseignements. Le principe 21 des Principes sur la détention interdit la torture et les sévices destinés à obtenir des aveux ou témoignages forcés. En outre, aux termes de l'article 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, tout État partie veille à ce qu'aucune déclaration obtenue sous la torture ne puisse être invoquée comme preuve à l'encontre de quiconque, si ce n'est contre le tortionnaire lui-même.

 

j. Le droit à un procès équitable

 

35. L'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et l'article 14 du Pacte relatif aux droits civils et politiques ont des conséquences sur le traitement des détenus. Ils assurent à toute personne détenue sur des accusations pénales un procès équitable et public devant un tribunal indépendant et impartial, tout en apportant un minimum de garanties nécessaires à la défense, dont l'accès effectif à un avocat.

 

3. Normes spécifiques à la détention administrative

 

36. On appelle détention administrative la situation dans laquelle une personne est privée de liberté sur décision gouvernementale, mais hors du processus d'arrestation policière de suspects et de comparution devant le système de la justice pénale. Par exemple, les étrangers qui entrent dans un pays, mais n'y sont pas immédiatement admissibles, peuvent être placés en détention administrative. Dans certains pays, les gouvernements se servent de la détention administrative à l'encontre de leurs oppositions politiques. Puisque dans certains pays la détention administrative n'est pas placée sous la tutelle d'autorités judiciaires indépendantes, il est facile pour ces États d'en abuser. L'article 9 du Pacte relatif aux droits civils et politiques dispose que "Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraires". Le gouvernement peut déroger à ses obligations au titre de l'article 9 en cas de danger public exceptionnel, mais toute dérogation de cette nature est sujette aux limitations énoncées à l'article 4 du Pacte. Toute personne arrêtée ou détenue du chef d'une infraction pénale a droit à être jugée dans un délai raisonnable (article 9(3) du Pacte relatif aux droits civils et politiques; principe 38 des Principes sur la détention). Selon la règle 95 de l'Ensemble de règles minima, les droits sus-mentionnés s'appliquent à toutes les personnes, y compris celles arrêtées ou incarcérées sans avoir été inculpées.

 

37. Le droit à une réparation effective est prévu pour les actes constituant des violations des droits ou libertés du détenu (voir Déclaration universelle des droits de l'homme, article 8; Pacte relatif aux droits civils et politiques, articles 2 et 9; Principes sur la détention, principe 35).

 

38. Par ailleurs, les clauses de sauvegarde figurant à l'article 5 du Pacte relatif aux droits civils et politiques et au principe 3 des Principes sur la détention établissent que les normes y figurant ne peuvent servir de prétexte pour réduire l'application des droits de l'homme fondamentaux qui sont reconnus par ou applicables dans l'État en question.

 

4. Normes applicables aux femmes

 

39. Les femmes détenues sont particulièrement vulnérables au viol, à d'autres violences sexuelles, et à l'exploitation sexuelle. Ces violations commises à l'encontre des femmes et de leurs droits passent souvent inaperçues et ne sont pas rapportées. L'une des raisons de l'"invisibilité" de cette violence contre les femmes réside bien entendu dans la composition à peu près exclusivement masculine des forces de police et de l'administration de la justice, dans bien des pays. Les violences sexuelles commises contre les femmes, par l'État ou ses représentants, ont été reconnues comme constituant des tortures. Les dispositions figurant à cet égard dans le Pacte relatif aux droits civils et politiques, et dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, sont donc pleinement applicables à de telles situations.

 

40. Il est important que la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes (4) demande aux États d'"agir avec la diligence voulue pour prévenir les actes de violence à l'égard des femmes, enquêter sur ces actes et les punir conformément à la législation nationale, qu'ils soient perpétrés par l'État ou par des personnes privées".

 

41. Les mesures destinées exclusivement à protéger les droits et la condition particulière des femmes, surtout des femmes enceintes et des mères d'enfants en bas âge, ne sont pas réputées discriminatoires (voir Principes sur la détention, principe 5(2)).

 

42. La règle 53 de l'Ensemble de règles minima établit que seuls des responsables et fonctionnaires féminins doivent s'occuper des femmes détenues et les surveiller.

 

43. Conformément à la règle 23(1) de l'Ensemble de règles minima, des installations spéciales doivent être prévues pour le traitement des femmes enceintes, relevant de couches et convalescentes. S'il est permis aux mères détenues de conserver leurs nourrissons, "des dispositions doivent être prises pour organiser une crèche, où les nourrissons seront placés durant les moments où ils ne sont pas laissés aux soins de leurs mères" (règle 23(2) de l'Ensemble de règles minima).

 

5. Normes applicables aux mineurs

 

44. En raison de leur jeune âge, les mineurs bénéficient d'un traitement particulier dans les instruments internationaux des droits de l'homme. Ces normes sont à mettre en œuvre en gardant à l'esprit un but de réinsertion.

 

45. La Convention relative aux droits de l'enfant, l'Ensemble de règles minima concernant l'administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté, établissent des normes minimales pour la protection des mineurs privés de leur liberté. Par "mineur", on tend toute personne âgée de moins de dix-huit ans. Les mineurs sont présumés innocents et ont droit à un avocat.

 

46. Les mineurs privés de leur liberté ont le droit d'accéder à des installations et services qui remplissent toutes les conditions de l'hygiène et de la dignité humaine. Ils seront séparés des adultes et recevront un traitement individualisé visant à leur réinsertion. Chaque fois que possible, les poursuites exercées envers des mineurs seront remplacées par des mesures alternatives. En outre, les mineurs auront accès à l'éducation, à la formation professionnelle et à l'emploi ( voir Chapitre 4-E-9 "L'administration de la justice pour mineurs", pour des renseignements plus détaillés).

 

C. LES VISITES GLOBALES AUX LIEUX DE DÉTENTION

 

1. Définir les préalables et les objectifs

 

47. Les visites globales, c'est-à-dire les visites aux établissements pénitentiaires ou autres dans leur entier, constituent l'une des tâches du monitoring les plus difficiles et les plus sensibles. Les détenus ont fréquemment été les victimes de violations des droits de l'homme, arrestation arbitraire, sévices ou autres. Parmi les membres de la société, ils font partie des plus exposés à de nouveaux abus. Il semblerait en découler que visiter les établissements de détention serait une priorité évidente pour toute mission de droits de l'homme. Pourtant, celle-ci ne doit entreprendre de telles visites qu'après les avoir soigneusement réfléchies et planifiées. La première question que la mission doit se poser est : quels sont nos objectifs en visitant cet établissement ? Ensuite : cette mission est-elle réellement en mesure d'atteindre ces objectifs ? Les visites globales peuvent prendre énormément de temps. En fonction du nombre des détenus, une visite globale peut exiger les efforts de plusieurs HRO pendant plusieurs semaines. Par ailleurs, si elle est mal préparée ou si elle est conduite sans se conformer à des normes méthodologiques rigoureuses (comme celles indiquées plus bas), la visite peut finalement faire plus de mal que de bien. Elle peut éveiller chez les détenus des espoirs injustifiés de libération de leurs souffrances. Si elle ne parvient pas à progresser vers des buts concrets comme prévenir les tortures, améliorer quelque peu les conditions régnant dans l'établissement, ou éventuellement identifier les détenus arrêtés de façon arbitraire, alors il est possible que de fait les détenus endurent une souffrance encore accrue par l'annihilation de leurs espoirs, et qu'il eût mieux valu pour eux que la visite n'ait jamais eu lieu.

 

48. Par ailleurs, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est celui qui possède la plus grande expérience en matière de visites aux personnes détenues, et la mission de l'ONU devra savoir si le CICR visite déjà des personnes détenues dans le pays de la mission. Si c'est le cas, la mission sur les droits de l'homme peut-elle prêter assistance ou apporter un progrès dans des domaines échappant au mandat du CICR ? La mission peut-elle établir avec le CICR une division des tâches dans laquelle chacun apporterait sa contribution ? On rencontre par exemple un tel accord avec celui établi entre la mission de droits de l'homme au Rwanda et le CICR : le texte de cet accord figure en Annexe 3 et il en est question ci-dessous dans la section E : "La coordination avec le CICR". Estimer la portée de la complémentarité entre les actions du CICR et de la mission de l'ONU dans un pays donné, et décider de la juste division des tâches, est du ressort de la direction de la mission et non pas du HRO à titre individuel.

 

49. Une fois que la mission de droits de l'homme de l'ONU a pris la décision mûrement pesée d'effectuer des visites dans des lieux de détention, elle doit s'informer des méthodes de travail et de la considérable expérience du CICR, à partir desquelles on dériver certains principes de base relatifs à ces visites. Également utiles, les principes issus de l'expérience de missions antérieures de droits de l'homme de l'ONU et des travaux du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants (CPT). Ces principes prévoient que les HRO doivent effectuer des visites régulières et répétées dans tous les centres de détention et établissements pénitentiaires; les fonctionnaires devront pouvoir prendre note de l'identité des personnes détenues, de façon à être en mesure de les revoir; ils doivent avoir accès à tous les détenus; ils pourront parler avec les détenus librement et sans témoins; les HRO doivent pouvoir visiter tous les lieux de détention du pays.

 

50. Les visites globales sur les lieux de détention peuvent avoir pour but le monitoring de la situation générale des droits de l'homme et l'élaboration de recommandations sur le fonctionnement et la réforme du système de détention. Plus précisément, parmi les principaux objectifs d'une visite globale, la mission pourra faire figurer les éléments suivants :

 

(a) mettre fin à la torture et autres sévices, comprenant par exemple la pratique systématique des coups;

(b) assurer la libération de personnes détenues arbitrairement pour des raisons politiques;

(c) obtenir pour les détenus l'accès à la justice, conformément aux procédures et aux délais prévus par la loi;

(d) intervenir ou faire en sorte que les victimes de violations des droits de l'homme, et notamment les victimes de coups, sévices ou tortures, reçoivent les soins médicaux requis par leur état;

(e) s'assurer que les autorités responsables des centres de détention tiennent un registre des détenus, que celui-ci soit à jour et indique la situation du détenu à l'égard de la loi;

(f) favoriser, avec les autorités compétentes et les organisations spécialisées, l'amélioration des conditions matérielles et psychologiques de détention des personnes privées de liberté.

 

2. Choisir les HRO visitant les lieux de détention

 

51. Toute visite globale sera préparée par l'ensemble de l'équipe. Le rôle de chacun et de chacune sera exactement défini. Les HRO devront avoir conscience qu'une visite globale bien menée va durer longtemps. Elle pourra prendre plusieurs semaines pour être complète, et notamment lors de la première visite. Pour la préparer, les HRO étudieront la première partie de ce chapitre, consacrée aux normes internationales relatives à la détention et au traitement des détenus, de même que l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus ainsi que l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement.

 

52. La délégation de visiteurs comprendra normalement un médecin et plusieurs HRO. La participation du médecin à la délégation sera particulièrement précieuse si l'on découvre des cas de tortures ou de sévices; par conséquent, cette présence d'un médecin est indispensable lors de la première visite. Si aucun cas de torture n'est rencontré, les visites suivantes pourront faire intervenir une infirmière, un spécialiste de santé publique, ou un autre membre d'une profession médicale. L'expérience montre qu'il est souvent plus facile d'obtenir des informations de la part des détenus lorsque le médecin ou l'un des HRO est une femme. Par conséquent, il sera utile que l'un ou même l'ensemble des membres de la délégation soit de sexe féminin, et ce notamment sur un lieu de détention réservé aux femmes.

 

53. Disposer de deux personnes ou davantage présente l'avantage qu'elles peuvent comparer leurs observations et se consulter au cours de la visite de l'établissement. Elles peuvent également se défendre et se soutenir mutuellement en cas de conflit avec les autorités responsables de l'établissement. En général, elles travailleront par équipes de deux qui resteront ensemble plutôt que de se séparer au cours de la visite de l'établissement.

 

54. Les HRO porteront des vêtements les distinguant clairement des agents de l'établissement de détention. Ils porteront un badge ou un autre signe clair de leur appartenance à l'ONU. En général, les HRO ne doivent pas apporter d'appareils photographiques, de magnétophones ou d'appareils similaires dans l'établissement de détention, car ces machines pourraient poser des problèmes de sécurité aux responsables de l'établissement, et éveiller chez les autorités des soupçons sur un éventuel désir de rendre publiques les informations ainsi rassemblées. D'autre part, ces appareils peuvent inquiéter les détenus quant à la sécurité des renseignements qu'ils vont fournir. Dans certaines circonstances exceptionnelles, le magnétophone pourra être employé pour interroger des détenus (voir Chapitre 8 "L'entretien").

 

3. Pénétrer dans l'établissement de détention et annoncer sa visite à l'avance

 

55. Le CICR a pour pratique d'annoncer à l'avance toute visite dans un centre de détention, pour donner aux autorités la possibilité d'améliorer les conditions autant que possible. Si à première vue on peut penser que cet avertissement donne aux autorités le temps de dissimuler les mauvaises conditions existantes, le CICR estime qu'il s'agit plutôt d'un avantage : toute amélioration apportée par le gouvernement sera bien réelle pour l'établissement de détention.

 

56. Mais on doit aussi envisager des visites-surprises. Elles sont particulièrement efficaces lorsqu'on peut raisonnablement estimer que les visites sont préparées par les autorités de façon à dissimuler des pratiques discutables. Le CPT, notamment, pratique des visites-surprises aux postes de police lorsqu'il visite par ailleurs les prisons d'un pays, parce que d'une part il peut ne pas être possible de visiter la totalité de ces lieux, et que d'autre part des visites imprévues sont susceptibles de fournir une image plus exacte des pratiques policières. En tout état de cause, il n'est pas possible d'effectuer de visite-surprise dans les grands établissements, puisque la plupart des gardiens seront au courant de la visite avant que les HRO aient eu accès à l'essentiel de l'établissement.

 

57. Les HRO seront en permanence sur leurs gardes quant aux "améliorations temporaires". D'où une question à poser aux détenus lors de leurs entretiens : "En quoi cette journée et la manière dont vous avez été traité diffèrent-elles des autres journées dans cet établissement ?" En outre, ces "améliorations temporaires" seront discutées en fin de visite avec le gardien-chef et le directeur d'établissement, afin d'éviter que le problème ne se reproduise lors de visites ultérieures.

 

58. Il sera utile que le HRO se procure et étudie un plan de l'établissement de détention avant d'y pénétrer. Cela permettra aux fonctionnaires d'avoir un accès plus sûr à la totalité des détenus, et leur évitera de se perdre. On pourra demander un tel plan aux autorités de l'établissement; mais on pourra également en établir un, au cours de la visite, ainsi que grâce à de précédents visiteurs (par exemple Médecins sans frontières, Amnesty International, etc.) ou à d'autres sources. Mais il ne faut pas apporter de plans dans l'établissement de détention, dans la mesure où un détenu pourrait l'utiliser pour préparer une évasion. Dans tous les cas, au cours de la visite, un HRO sera chargé de se faire une idée de l'ensemble de l'établissement, pour faire en sorte que les visiteurs ne passeront pas à côté d'une partie de cet établissement.

 

4. Rencontrer le directeur d'établissement pour un premier entretien

 

59. Dès leur entrée dans l'établissement, les HRO vont préparer la visite avec le gouverneur, le directeur ou le gardien-chef. Ils vont expliquer qui ils sont, et décrire brièvement leur mandat et leurs méthodes de travail. Ils devront faire montre de confiance et d'assurance, et chercher à établir une relation avec le directeur, en commençant par des propos anodins avant de passer au but de la visite. En se présentant, il est bon que les HRO présentent leurs cartes de visite. En expliquant leurs méthodes standard de visite des lieux de détention, ils feront mention : de cet entretien initial avec la direction, et éventuellement avec d'autres personnels pénitentiaires, y compris le personnel médical; de la visite de toutes les parties de l'établissement; des entretiens confidentiels individuels avec tous ceux des détenus que les fonctionnaires souhaiteront rencontrer; de l'entretien final avec le directeur, du rapport résumé des principaux points et recommandations issus de la visite, et du rapport définitif au bureau central de la mission de terrain.

 

60. Les HRO doivent être en mesure d'expliquer en termes simples les raisons pour lesquelles il leur est nécessaire de respecter des procédures standard lors de leurs visites sur des lieux de détention; être prêts à en appeler au mandat de la mission ou à tout accord passé par la celle-ci avec le gouvernement. Les HRO doivent également être capables de rappeler au directeur que les modalités de la visite ont été précisées dans cet accord, si c'est le cas, mais on pourra éventuellement lui rappeler aussi que la mission ne sera pas sans bénéfices pour lui, par exemple en lui apportant des renseignements sur l'état de la prison, en l'aidant à obtenir des ressources supplémentaires des autorités centrales grâce aux recommandations émises, etc. Il sera utile, surtout lors des premières visites, de porter une copie du mandat ou de l'accord en langue locale, qui pourra être montré au directeur. Les HRO ne négocieront pas avec le directeur à propos de questions déjà traitées dans l'accord-cadre avec le gouvernement; au contraire, ils feront part avec professionnalisme et clarté de leurs intentions quant à cette visite. Ils indiqueront nettement qu'ils attendent une collaboration, et que la collaboration est la procédure normale.

 

61. Le HRO doit savoir que dans certains établissements, les gardiens se montreront coopératifs; que dans d'autres, ils ne le seront pas, et pourront aller jusqu'à les menacer de leurs armes. Il est souvent utile pour les HRO de porter des lettres d'introduction émanant du gouvernement pour faciliter la coopération. S'ils rencontrent une résistance, les HRO doivent la contester avec courtoisie mais fermeté, en indiquant que ce manque de coopération sera rapporté aux autorités supérieures du gouvernement.

 

62. Il sera dans bien des cas possible d'avoir une discussion raisonnable avec le directeur de l'établissement de détention. Il ou elle pourra voir dans la visite des HRO de l'ONU un moyen de chercher à communiquer à ses supérieurs le besoin de ressources supplémentaires au profit de l'établissement. Certains directeurs auront choisi la voie pénitentiaire comme objectif professionnel : il y a alors des chances pour qu'ils aient une conception ordonnée de l'administration, et qu'ils soient issus des rangs jusqu'à la situation supérieure qu'ils occupent. Pour d'autres, celle-ci aura constitué une sanction; ils risquent alors de ne guère se soucier de bonne gestion.

 

63. En tout état de cause, les HRO auront à poser au gardien-chef, au directeur ou au gouverneur une série de questions standard. Ils auront donc lu soigneusement tout rapport précédent concernant cet établissement de détention, et connaîtront précisément le déroulement des contacts antérieurs, de façon à être en mesure de traiter de questions précédemment évoquées, et à ne pas se laisser tromper par les propos du directeur. En général, au cours du premier entretien, les HRO évoqueront chacun des points mentionnés dans le rapport résumé de la visite précédente, et notamment ceux qui sont susceptibles d'émerger lors des discussions avec les détenus. On peut imaginer d'autres questions à partir du formulaire de rapport (voir Annexes 1 et 2). Les HRO entendront avec soin les réponses du directeur pouvant indiquer une volonté de remédier aux problèmes du passé ou à des problèmes susceptibles de se poser. On posera ensuite les mêmes questions aux détenus, afin de repérer les zones grises et les incohérences.

 

64. Au cours de sa conversation avec la direction, le chef de la délégation de droits de l'homme en visite doit piloter l'entretien, et il doit demander à ses collègues d'intervenir selon ses préférences. Les autres HRO de la délégation ne l'interrompent pas, mais ils lui font connaître leurs vues par des billets ou autres signes discrets. Les HRO doivent savoir gérer les demandes d'assistance de la part du directeur. Quelles sont les sortes de choses que peut ou non accomplir une mission des droits de l'homme ? Les HRO peuvent fort bien accepter une offre de simple hospitalité, par exemple un déjeuner à la cantine de la prison ou un café; mais jamais une offre qui compromettrait les signes d'indépendance et de neutralité de la délégation, comme une invitation à danser le soir pour un délégué de sexe féminin.

 

65. À la fin de cet entretien, les HRO tenteront d'en faire un résumé, puis concluront sur une note amicale en indiquant qu'ils attendent avec plaisir de revoir le directeur au terme de la visite. On trouvera d'autres indications à propos des rencontres avec le directeur et d'autres fonctionnaires au Chapitre 19 "Suivi et action corrective".

 

5. S'entretenir avec d'autres responsables

 

66. Les HRO doivent également rendre visite aux avocats, aux conseillers religieux, aux éducateurs, aux médecins et aux autres personnes apportant des services aux détenus de l'établissement. Ces personnes ont le plus souvent une vision indépendante de l'établissement, à la différence de ceux qui sont responsables de la garde des détenus.

 

67. Par exemple, les relations professionnelles entre le médecin appartenant à la délégation et ses homologues du centre de détention peuvent leur permettre de parler franchement. Si certains médecins affectés à l'établissement de détention peuvent se trouver influencés par son fonctionnement institutionnel, leur sens de la responsabilité professionnelle et des relations peut contribuer à procurer des informations précieuses.

 

6. La liste des détenus et leur fichier

 

68. Avant de se rendre dans un lieu de détention, les HRO trouveront utile de rassembler les noms de certains individus détenus dans l'établissement : de la sorte, ils pourront s'enquérir du sort de personnes bien déterminées.

 

69. Les HRO devront demander aux autorités du centre de détention une liste détaillée de tous les détenus présents dans l'établissement. S'il n'en existe pas, les HRO devront insister pour que les autorités mettent en place un tel registre et le tiennent à jour, avec pour chaque individu : nom, date de naissance, autres données personnelles, accusations pesant sur lui, date d'entrée en détention, date de la prochaine étape judiciaire prévue, problèmes de santé, etc. Ce registre est en effet exigé par la règle 7 de l'Ensemble de règles minima comme par l'article 10 de la Déclaration sur les disparitions. Les HRO aideront les autorités de l'établissement à faire en sorte que cette liste soit établie et tenue régulièrement à jour, mais ils n'ont normalement pas à se substituer à elles dans ce rôle. Pourtant, s'il n'existe pas d'autre moyen d'assurer aux visites ultérieures un déroulement adéquat, si les autorités s'avèrent incapables de maintenir un tel fichier, et si la mission dispose de ressources suffisantes, les HRO pourront envisager d'établir eux-mêmes un registre des détenus.

 

7. Visiter l'ensemble de l'établissement

 

70. Dans leur tournée de l'établissement pénitentiaire, il appartient aux HRO de décider quelles parties visiter et quelles portes doivent s'ouvrir. En principe, les HRO devraient visiter la totalité de l'établissement, ou tout au moins s'assurer qu'ils ont rencontré la totalité des détenus. Ils insisteront pour avoir l'accès le plus large possible. Il arrive que les autorités évoquent des questions de sécurité ou la perte de clefs pour refuser d'ouvrir des portes : la délégation peut avoir à vérifier l'exactitude de ces allégations; le cas échéant, elle pourra protester à travers le bureau central de la mission auprès d'instances gouvernementales supérieures.

 

71. Le HRO doit savoir que certaines cellules peuvent avoir été murées, ou dissimulées de quelque autre façon. L'une des manières de vérifier s'il existe une cellule cachée consiste à suivre les fils électriques au plafond. Il est également utile de consulter les autres détenus ou des personnes ayant précédemment fréquenté l'établissement. Il peut se procurer des renseignements auprès d'autres détenus, ou d'anciens détenus, qui sauront bien où sont dissimulées les personnes en cause.

 

8. Interroger les détenus

 

72. Les HRO seront prêts à conduire des entretiens aussi bien collectifs qu'individuels avec les détenus. Pour gagner du temps à propos de questions générales, le HRO pourra par exemple avoir un entretien avec l'ensemble des détenus d'une cellule ou d'un petit secteur de l'établissement. Ces entretiens de groupe sont utiles pour faire surgir les problèmes d'intérêt commun, repérer les leaders, acquérir une notion de la culture politique de l'établissement, et déterminer les personnes à interroger séparément. Mais le HRO tentera aussi de se faire une idée des groupes à ne pas interroger face à d'autres groupes, par exemple dans le cas de deux groupes ethniques opposés.

 

73. Le HRO désirera sans doute identifier ceux des détenus qui sont devenus les leaders d'organisations de détenus, ou de factions ou bandes habituelles dans les établissements de détention. Il serait préférable de connaître l'identité de ces chefs avant d'arriver sur les lieux, mais si ce n'est pas le cas, on pourra s'en informer lors des entretiens individuels avec les détenus. À partir de leurs discussions avec les détenus et leurs leaders, les HRO sauront comprendre la culture de l'établissement : quels en sont les divers groupes ou clans ? qui sont les infiltrés ? qui dirige tel ou tel groupe ? Les leaders peuvent être ceux au verbe le plus haut dans la dénonciation des problèmes de l'établissement, comme ils peuvent être des informateurs au service des autorités de la prison. Ils peuvent même avoir été infiltrés par les autorités, ou ne pas être les chefs véritables. Dans certaines situations, ce sont les leaders des détenus qui contrôlent de fait l'établissement. Pour cette raison et d'autres, identifier ces leaders peur paraître provoquant aux yeux des autorités. Le HRO, afin d'éviter de mettre des détenus en danger, déterminera quels blocs abritent certains leaders, puis demandera à interroger des détenus de ce secteur. Il pourra alors s'entretenir avec un plus petit groupe, choisi au hasard mais comprenant les leaders en question.

 

74. Tous les entretiens individuels avec des détenus auront lieu sans témoin, dans un lieu dont décidera le HRO. Ce dernier recherchera un emplacement où l'écoute sera la plus difficile. En règle générale, le HRO doit considérer qu'aucun lieu n'est sûr pour conduire un entretien. Souvent, les autorités pénitentiaires auront prévu une pièce à cette fin : en raison du risque d'écoutes, le HRO ne doit pas normalement accepter de telles propositions. Parfois, l'entretien pourra se dérouler dans une cellule inoccupée; dans d'autres cas, il pourra avoir lieu dans une cour ou dans la cellule du détenu lui-même. Mais ces lieux par trop risqués peuvent aussi inquiéter le détenu à l'excès. On trouvera des observations générales sur l'entretien au Chapitre 8 "L'entretien".

 

75. Il importe de gagner la confiance du détenu. Celui-ci estimera sans doute que le HRO n'est qu'une taupe placée là par les autorités. Ce dernier devra donc se présenter, présenter l'objet de sa visite, et faire part de la nature confidentielle de l'entretien. Même si le HRO a déjà expliqué tout cela dans un discours auprès du groupe, du bloc cellulaire ou de la chambre de détention, il peut être nécessaire de le répéter lors de l'entretien individuel. On pourra offrir de l'eau, ou des cigarettes. Le détenu doit être certain de constituer une source anonyme, à moins qu'il ne souhaite lui-même que ses problèmes soient clairement identifiés, et que le HRO considère d'éventuelles représailles comme peu probables.

 

76. En règle générale, le premier entretien avec un détenu va durer au moins vingt à trente minutes sans compter aucun examen médical. La durée de l'entretien dépendra des sujets évoqués. Elle sera plus longue s'il est plus nécessaire d'établir un sentiment de confiance et une relation. Elle sera aussi plus longue si des cas de tortures sont évoqués; ou encore, si un interprète doit intervenir. Les HRO peuvent également réduire la durée des entretiens en faisant savoir au groupe de prisonniers, ou à leurs représentants, s'ils souhaitent ou non obtenir des informations supplémentaires quant aux conditions générales de détention, par exemple l'alimentation, les toilettes, etc.

 

77. Les HRO doivent être prêts à faire preuve de beaucoup de patience dans leurs entretiens avec des détenus. Il est possible que ces derniers n'aient eu aucune autre occasion de dire ce qui leur est arrivé. Lors de ses visites sur des lieux de détention, le HRO entendra bien des fois des récits très semblables de la part des divers détenus. Néanmoins, ceux-ci ont un besoin réel de parler de leur expérience vécue. Il se peut fort bien que le HRO de l'ONU soit la première personne rendant visite au détenu depuis des années. Le HRO n'oubliera jamais qu'à la fin de l'entretien, lui sera libre de quitter l'établissement, tandis que le détenu devra retourner dans sa cellule. Au cours de l'entretien, le HRO demeurera attentif. S'il commence à ressentir les effets de la fatigue, il fera une pause ou trouvera un autre moyen de rester en éveil.

 

78. Certains détenus pourront demander au HRO de transmettre un message à sa famille, ou un membre de celle-ci de lui en remettre un. Le CICR a établi un système bien rodé d'échange de messages écrits entre les détenus et leur famille; ces messages font l'objet d'un examen de routine par les autorités, avant d'être transmis. En règle générale, les fonctionnaires de terrain chargés des droits de l'homme n'accepteront pas de messages écrits, et inciteront les correspondants à utiliser le système du CICR. Si le CICR n'exerce pas d'activités dans le pays ou dans l'établissement en question, la mission sur les droits de l'homme doit être très prudente en évaluant si elle doit reproduire le système de messagerie du CICR. En règle générale, encore une fois, les HRO ne doivent pas accepter à titre individuel de messages écrits de détenus, ou qui leur sont destinés : ils pourraient poser des problèmes de sécurité aux yeux des autorités.

 

79. Lors d'une visite globale, le HRO pourra décider d'insister pour rencontrer chacun des détenus d'un établissement particulier, ou de ne rencontrer que certains détenus choisis au hasard. Il existe autrement un risque de représailles à l'encontre des détenus interrogés à titre individuel. Au cours de la deuxième visite, et des suivantes, le HRO devra revoir la plupart des détenus rencontrés lors des visites précédentes, afin de s'assurer qu'ils n'ont pas subi de représailles.

 

9. La réunion finale avec le directeur

 

80. La visite au centre de détention se termine par une nouvelle réunion avec son directeur. Un grand nombre de considérations s'appliquent aussi bien à la réunion conclusive qu'à la réunion initiale (voir dans ce chapitre la section C 4 "Rencontrer le directeur d'établissement pour un premier entretien"). Les HRO pourront profiter de cette dernière réunion pour demander des éclaircissements à propos des écarts apparus entre les renseignements initialement fournis par le chef d'établissement d'une part, et les informations rassemblées par l'observation et les déclarations des détenus.

 

81. La préparation de l'entretien conclusif requiert de la part de l'équipe en visite de décider quels éléments évoquer, et dans quel ordre. Après quelques propos de circonstance, les HRO diront au directeur quels sont les sujets à aborder. L'équipe souhaitera peut-être débuter sur un thème relativement positif, de manière à établir un rapport amical avec ce dernier, mais elle prendra soin de ne pas garder les sujets les plus importants pour la fin. Il n'est pas nécessaire d'évoquer à chaque visite tous les sujets possibles.

 

82. En fonction de la politique établie par la mission concernant les rapports de visites aux établissements de détention, l'équipe pourra par exemple indiquer qu'un rapport sommaire (voir Annexe 1) sera expédié au directeur de la prison dans de brefs délais, comportant les principales conclusions et recommandations de la visite. La mission demandera sans doute également aux HRO en visite de rédiger un rapport plus complet (voir Annexe 2), destiné au bureau central de la mission. Le bureau central fera éventuellement usage de ces informations dans un rapport aux autorités, mais ce dernier pourra couvrir plusieurs institutions ou des thèmes particuliers. Par conséquent, d'ordinaire, le rapport complet ne sera pas réservé au directeur d'établissement lui-même, mais se reflétera dans les contacts ultérieurs avec les autorités centrales. On doit promettre au directeur un exemplaire du rapport résumé, mais l'équipe de visiteurs n'a pas à entrer dans le détail technique des pratiques internes d'une mission sur les droits de l'homme. Elle peut simplement lui faire part qu'il va recevoir un rapport sommaire, ou un "rapport", concernant cette visite.

 

83. L'équipe en visite fera preuve de pragmatisme en établissant et en présentant ses conclusions au directeur d'établissement. Les HRO, lorsqu'ils élaborent leurs recommandations, doivent avoir conscience des règlements carcéraux et des normes internationales relatives aux droits de l'homme, notamment l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus; mais ils n'ont pas à faire systématiquement référence à ces normes. Ils doivent au contraire se fier avant tout à leur bon sens, selon les circonstances. Le directeur pourra bien être obligé au traitement minimal prévu par le règlement, mais les HRO peuvent aussi lui demander d'améliorer le traitement en vigueur. Sur les sujets majeurs (comme l'absence d'accès à certains détenus), l'équipe consultera la direction de la mission de terrain avant l'entretien conclusif avec l'administration. Si nécessaire, la visite pourra être suspendue afin que le chef de mission puisse évoquer les questions essentielles auprès des autorités supérieures, avant l'entretien conclusif avec le directeur de la prison.

 

84. Lors de cet entretien conclusif, les HRO émettront des suggestions préliminaires d'améliorations et proposeront leur assistance en fonction des besoins (par exemple couvertures, désinfection des cellules, services postaux, ou formation du personnel pénitentiaire - dans la mesure où la mission dispose de ces services). Il peut ou non entrer dans le cadre du mandat de la mission de fournir de tels services, mais la mission pourra chercher à identifier d'autres sources d'assistance. L'objectif de la mission sur les droits de l'homme ne consiste pas à se substituer au système pénitentiaire ou judiciaire, mais à favoriser le bon fonctionnement des structures existantes, et éventuellement à apporter une aide si elle entre dans le cadre du mandat et si elle est possible. Dans les cas où l'équipe aura à donner au directeur des médicaments ou autres fournitures, elle se fera remettre un reçu dont elle fera copie aux autres responsables concernés, par exemple les médecins pour ce qui concerne les médicaments.

 

85. L'équipe en visite donnera au chef d'établissement la possibilité de réagir à ses recommandations, et l'entendra avec soin. À la fin de l'entretien, les HRO vont résumer les dispositions, et promettre au directeur de lui envoyer dans les jours suivants un "rapport" de la visite. L'entretien avec le directeur se conclura sur une note positive.

 

10. Suivi et rapports

 

86. Les HRO de l'ONU auront à rédiger rapidement après toute visite sur un lieu de détention un rapport sommaire faisant état des points essentiels et des accords issus de cette visite, ainsi que de l'entretien conclusif avec le directeur. On verra en Annexe 1 une ébauche de rapport sommaire, à adapter aux conditions locales. Les HRO établiront également un rapport plus complet et plus détaillé, destiné au bureau central de la mission. Une ébauche en est également fournie en Annexe 2.

 

87. En général, le rapport sommaire traitera des principales questions concernant entre autres l'adéquation et les conditions de l'établissement de détention; les registre d'incarcération ou la liste des détenus; l'hygiène personnelle; les soins médicaux et les conditions de santé des détenus; l'eau; l'alimentation et la nutrition; les promenades en plein air ou autres exercices physiques; les cellules disciplinaires et autres sanctions disciplinaires; la violence parmi les détenus; le règlement de la prison et les mécanismes de recours; etc. Le rapport sommaire fera également état de la réaction du directeur d'établissement et de tout accord intervenu quant à ces points litigieux essentiels.

 

88. Le bureau local de la mission devra soumettre le rapport sommaire au directeur de la prison ainsi qu'au bureau central de la mission, dans les jours suivant la visite. Il faut bien comprendre que ce rapport n'est qu'un résumé rapide, confidentiel, informel et provisoire des principaux points et accords dégagés lors de cette visite à une prison ou tout autre lieu où des personnes sont placées sous la garde du gouvernement. Le rapport sommaire n'est pas destiné à décrire l'intégralité de la visite, et ne s'entend pas non plus comme communication officielle de haut niveau émise par la mission de l'ONU. Il doit contribuer à établir une communication et un certain niveau de confiance entre la mission et les responsables d'établissements de détention.

 

89. Les HRO auront aussi à rédiger un rapport plus complet (voir Annexe 2) à l'intention du bureau central de la mission, qui pourra décider alors de la meilleure façon de présenter toute préoccupation plus générale à ceux des ministres du gouvernement responsables d'établissements de détention. Ces rapports pourront servir lors de démarches visant à améliorer les conditions de détention dans l'établissement. Il pourra en outre s'avérer nécessaire de publier les informations pertinentes, au cas où les autorités ne se montreraient pas suffisamment coopératives.

 

11. Les visites de suivi

 

90. Après une première visite globale, les HRO devront procéder à des visites de suivi ciblées visant des questions comme (1) la torture ou les sévices; (2) les problèmes médicaux; (3) la protection de détenus particuliers; ou (4) les conditions de l'emprisonnement. Généralement, on effectuera consécutivement à la première visite une nouvelle visite destinée à compléter les informations disponibles. Après que le rapport sommaire aura été soumis au gouvernement, on laissera aux autorités un délai raisonnable pour répondre aux observations émises et pour se conformer aux recommandations. Puis seront entreprises des visites permettant de vérifier l'évolution de la situation des droits de l'homme dans un établissement de détention déterminé. On s'attachera tout spécialement à toute modification intervenue dans le traitement des détenus par les autorités, et à ses raisons (par exemple un changement de direction, des mutations de personnels, ou l'accélération des procédures de comparution devant la justice). Si nécessaire, on pourra entreprendre des visites de suivi sans avis préalable aux autorités.

 

91. Au cours des visites de suivi, les HRO doivent activement rechercher les personnes interrogées dans les visites précédentes, afin de s'assurer qu'ils n'ont fait l'objet ni de sévices ni de sanctions, et qu'ils n'ont pas été interrogés par l'administration (ou les gardiens) ou par tout autre fonctionnaire du gouvernement sur les déclarations qu'ils ont données aux HRO.

 

92. Les HRO pourront de plus approfondir leurs recherches et le suivi qui en découle, outre les violations des procédures et garanties légales, à propos de toute violation d'un autre droit fondamental : l'intégrité de la personne, le droit à ne pas être arrêté arbitrairement pour avoir exercé sa liberté d'expression ou d'association, etc.

 

D. LES VISITES CIBLÉES AUX ÉTABLISSEMENTS DE DÉTENTION

 

1. Définir les objectifs

 

93. Les visites ciblées aux établissements de détention sont des visites et enquêtes spécifiques, concernant des cas individuels ou des questions préoccupantes. L'une des utilisations des visites ciblées consiste à documenter des cas particuliers qui illustrent la situation générale, avant d'envisager une visite globale dans un centre de détention.

 

94. Deuxième utilité des visites ciblées, elles permettent de s'intéresser à des détenus individuellement. On peut avoir recours à une visite ciblée lorsque des informations sur une détention illégale sont communiquées aux HRO, et que ces informations, s'ajoutant à l'expérience précédemment acquise, donnent des raisons de craindre que la personne détenue soit la victime de violations du droit à la vie, du droit à l'intégrité et à la sécurité physique, ou de celui à la liberté d'expression ou d'association.

 

95. Les HRO se rendront dans le centre de détention pour parler avec la victime aussi bien qu'avec les autorités de l'établissement. Ils doivent agir ainsi tout particulièrement lorsqu'on soupçonne une affaire de sévices, de tortures, ou une menace grave de tortures, même si la victime est un détenu de droit commun. Le but de la visite est de vérifier et de compléter les informations reçues, et de mettre fin à la violation. Cependant, en vue d'éviter de mettre certains détenus en danger, le HRO pourra tenter d'identifier quel bloc cellulaire abrite quels détenus, puis demander à s'entretenir avec les détenus de ce bloc. Le HRO pourra alors parler à plusieurs de ces détenus, choisis au hasard mais incluant la personne dont le sort inspire des inquiétudes.

 

2. Les écarts par rapport à la visite globale

 

96. Les visites ciblées diffèrent des visites globales en ce qu'elles n'impliquent habituellement pas d'avertissement préalable à une autorité quelconque. Si, au cours d'une visite destinée à enquêter sur la situation d'une victime spécifique, les HRO viennent à être informés d'autres violations commises dans le même établissement, ils enregistreront ces renseignements et profiteront de leur présence sur les lieux pour vérifier toutes les informations possibles.

 

97. Si les HRO se voient refuser l'accès au centre de détention, ils ne doivent alors ni s'imposer, ni rester à l'extérieur en attendant qu'on leur permette d'entrer. Les HRO doivent contacter le bureau central de la mission et porter la question de leur admission à de plus hautes instances gouvernementales.

 

98. Après leurs entretiens avec les autorités de l'établissement et avec le ou les détenu(s), les HRO se serviront des renseignements collectés pour compléter les formulaires d'affaires individuelles (voir Chapitre 20, Annexe 1). Tous renseignements supplémentaires et éléments d'information (copies de mandats d'arrêt ou équivalents, dossiers médicaux) seront joints au formulaire sur des feuillets séparés. En dehors de leur utilisation pour gérer un cas individuel, ces informations contribueront par la suite à établir des rapports sur la situation régnant dans un établissement de détention particulier, aussi bien que sur la situation de l'ensemble des établissements.

 

99. Toute communication concernant un cas individuel, ainsi que toute information supplémentaire recueillie à l'occasion d'une visite individuelle, seront transmises à la personne responsable de la mission de terrain, qui en fera parvenir une copie à la personne chargée des lieux de détention au sein de la mission.

 

E. LA COORDINATION AVEC LE CICR

 

100. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a été créé en 1863; il s'agit d'une organisation privée de droit suisse, indépendante et neutre. Son siège de Genève abrite 650 personnes, et le CICR emploie environ 9 000 autres personnes dans quelque cinquante pays, selon les besoins des opérations. Les Conventions de Genève de 1949 et les Protocoles additionnels de 1977 autorisent le CICR à rendre visite aux prisonniers de guerre et à toute autre personne privée de sa liberté en conséquence d'un conflit armé.

 

101. En outre, le CICR passe des accords avec des gouvernements pour rendre visite aux personnes privées de liberté, par exemple celles détenues pour raisons de sécurité, ou en raison de situations de conflit interne ethnique, politique ou autre, dans lesquelles les Conventions et Protocoles de Genève ne s'appliquent pas spécifiquement. Le CICR ne visite pas habituellement les véritables détenus de droit commun, à moins que la société concernée ne connaisse des désordres tels que ces visites soient considérées comme nécessaires pour éviter des tortures, des disparitions, ou des conditions d'emprisonnement délétères. Ce n'est que pour des raisons humanitaires exceptionnelles que le CICR intervient pour obtenir la libération de prisonniers (afin par exemple d'obtenir des soins médicaux pour les malades, ou en faveur de personnes dont la détention provisoire excède la peine à laquelle elles auraient pu être condamnées, ou encore en faveur de prisonniers très âgés). Dans la très grande majorité des cas, il s'intéresse avant tout à prévenir les tortures et disparitions, et à améliorer les conditions de détention pour éviter des souffrances superflues. Quand le CICR demande à voir les prisonniers dans un pays particulier, où se produisent par exemple des mouvements ou troubles intérieurs, il exige le plus souvent un accès complet à tous les prisonniers dans tous les lieux de détention, et de pouvoir s'entretenir avec eux en privé sans aucune limite à la durée de ces entretiens. Le CICR gère un système d'échange de messages écrits entre les détenus et leur famille; ces messages peuvent être contrôlés par les autorités en vue de s'assurer qu'ils ne posent pas de problèmes à l'égard de la sécurité. La pratique classique du CICR est la suivante : sa délégation se compose de plusieurs personnes, et comprend habituellement un médecin ou autre professionnel de la médecine; elle s'entretient normalement avec le chef d'établissement, puis fait le tour de l'établissement tout entier; elle enregistre ou identifie chacun des détenus; elle doit pouvoir rencontrer tout détenu, librement et sans témoin, mais en réalité elle ne parlera le plus souvent qu'avec certains détenus; elle s'entretiendra également avec d'autres responsables de la prison, y compris le personnel médical; a un entretien conclusif avec le directeur; dans les jours qui suivent, rédige à son intention un document de travail confidentiel résumant les conclusions et les accords issus de la visite; rédige un rapport confidentiel destiné au gouvernement, et pouvant couvrir également d'autres établissements; renouvelle sa visite aux prisonniers, et surtout à ceux précédemment rencontrés; doit pouvoir visiter tous les lieux de détention du pays.

 

102. Les HRO de l'ONU chercheront toujours à coordonner leurs visites aux prisons avec celles du CICR. La coordination améliore la complémentarité d'action et prévient des double-emplois inutilement coûteux. Au Rwanda, comme on l'a mentionné plus haut, la délégation du CICR et la mission sur les droits de l'homme de l'ONU se sont entendues sur des Directives pour la coordination de terrain, qui pourraient servir de point de départ à d'autres efforts de coordination similaires (voir Annexe 3). S'il est important que les HRO connaissent les méthodes de travail du CICR, c'est aussi parce que les compromis que peuvent passer les HRO pour visiter des lieux de détention peuvent s'avérer néfastes quant au désir des autorités de collaborer avec le CICR. Ainsi, le HRO qui accepte d'interroger un prisonnier en présence d'un gardien peut non seulement compromettre l'action d'autres HRO qui insistent sur des entretiens en privé, mais aussi avoir un effet sur celle du CICR et des autres organisations rendant visite aux prisonniers.

 

F. AUTRES RÉFÉRENCES

 

103. Pour avoir accès à des références complémentaires, la mission de terrain devra disposer d'un centre de ressources comprenant des documents et instruments particulièrement liés à la détention, tels que ceux figurant sur la liste suivante. Les questions les plus sensibles et les plus pertinentes sont marquées d'une étoile *.

 

Alderson, J, Human Rights and the Police (Council of Europe, Strasbourg, 1984).



Association for the Prevention of Torture, Guidelines for Investigations about the Conditions and the Treatment in Places where People are Detained and Deprived of their Liberty (1994).



Basic Principles on the Role of Lawyers, Eighth United Nations Congress on the Prevention of Crime and the Treatment of Offenders, Havana, 27 August to 7 September 1990, U.N. Doc. A/CONF.144/28/Rev.1 at 118 (1990).



*Basic Principles for the Treatment of Prisoners, G.A. res. 45/111, annex, 45 U.N. GAOR Supp. (No. 49A) at 200, U.N. Doc. A/45/49 (1990).



*Body of Principles for the Protection of All Persons under Any Form of Detention or Imprisonment, G.A. res. 43/173, annex, 43 U.N. GAOR Supp. (No. 49) at 298, U.N. Doc. A/43/49 (1988).



Code of Conduct for Law Enforcement Officials, G.A. res. 34/169, annex, 34 U.N. GAOR (No. 46) at 186, U.N. Doc. A/34/46 (1979).



Compendium of U.N. Standards and Norms in Crime Prevention and Criminal Justice, U.N. Doc. St/CSDHA/16 (1992).



Consolidated List of the Secretary-General of provisions in the various United Nations standards relating to human rights in the administration of justice, U.N. Doc. E/CN.4/Sub.2/1991/26 (1991).



*Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, G.A. res. 39/46, annex, 39 U.N. GAOR Supp. (No. 51) at 197, U.N. Doc. A/39/51 (1984), entered into force June 26, 1987.



Daudin, Pascal & Hernán Reyes, How visits by the ICRC can help prisoners cope with the effects of traumatic stress, in International Responses to Traumatic Stress (1996).



*Declaration on the Protection of All Persons from Enforced Disappearances, G.A. res. 47/133, 47 U.N. GAOR Supp. (No. 49) at 207, U.N. Doc. A/47/49 (1992).



European Committee for Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment (ECPT), Health Care Services in Prisons, extract from ECPT, Third Report (1993).



European Prison Rules, Council of Europe Recommendation No. R (87) 3 (1987).



Guidelines for Coordination in the Field Between International Committee of the Red Cross Delegates and Field Officers of the Human Rights Field Operation in Rwanda with regard to Visits to Persons Deprived of their Freedom in Rwanda (1996).



Human Rights Watch, Global Report on Prisons 291-97 (1993) (Questionnaire for Prison Visits).



Morgan, Rod & Malcolm Evans, Inspecting Prisons, The View from Strasbourg, 34 British J. Criminology 141 (1994).



O'Neill, William G., Monitoring the Administration of Justice, in Hege Araldsen and Øyvind W. Thiis, Manual on Human Rights Monitoring ch. 7 (Norwegian Institute of Human Rights 1997).



Principles on the Effective Prevention and Investigation of Extra-Legal, Arbitrary and Summary Executions, E.S.C. res. 1989/65, annex, 1989 U.N. ESCOR Supp. (No. 1) at 52, U.N. Doc. E/1989/89 (1989).



*Prison Reform International, Making Standards Work, an international handbook on good prison practice (1995).



Reyes, Hernán, ICRC Visits to "political" Prisoners, How they work, What they accomplish (1992).



Reyes, Hernán, Visits to prisoners, 3 Torture 58 (1993).



Reyes, Hernán & Rémi Russbach, Le rôle du médecin dans les visites du CICR aux prisonniers, 284 International Review of the Red Cross 497 (1991).



Rodley, Nigel, The Treatment of Prisoners under International Law (1987).



Rutherford, A., Prisons and the Process of Justice (1984).



Rzeplinski, Andrezej, Monitoring Prison Conditions, in Swennenhuis, Raymond, Handbook for Helsinki Committees, A Guide in Monitoring and Promoting Human Rights, and NGO Management 5.2 (1995).



Sorensen, Bent, Guidelines for visits to prisons (1996).



Standard Minimum Rules for the Administration of Juvenile Justice ("The Beijing Rules"), G.A. res. 40/33, annex, 40 U.N. GAOR Supp. (No. 53) at 207, U.N. Doc. A/40/53 (1985).



*Standard Minimum Rules for the Treatment of Prisoners, adopted Aug. 30, 1955, by the First United Nations Congress on the Prevention of Crime and the Treatment of Offenders, U.N. Doc. A/CONF/611, annex I, E.S.C. res. 663C, 24 U.N. ESCOR Supp. (No. 1) at 11, U.N. Doc. E/3048 (1957), amended E.S.C. res. 2076, 62 U.N. ESCOR Supp. (No. 1) at 35, U.N. Doc. E/5988 (1977).



United Nations, Analysis of the Haitian Justice System with Recommendations to Improve the Administration of Justice in Haiti: A Report by the Working Group on the Haitian Justice System of the OAS/UN International Civilian Mission to Haiti (1994).



*United Nations, Human Rights and Law Enforcement, a Manual on Human Rights for the Police (High Commissioner/Centre for Human Rights Professional Training Series No. 5, 1997).



* United Nations, Human Rights and Prisons, a Manual on Human Rights for Prison Officials, (High Comissioner for Human Rights Professional Training Series No. 8, forthcoming)



*United Nations, Human Rights in the Administration of Justice, a Manual on Human Rights for Judges and Lawyers (High Commissioner/Centre for Human Rights Professional Training Series No. 6, forthcoming 1997).



United Nations, International Human Rights Standards for Law Enforcement, A Pocket Book on Human Rights for the Police (High Commissioner/Centre for Human Rights, 1996).



United Nations Standard Minimum Rules for Non-custodial Measures (The Tokyo Rules), G.A. res. 45/110, annex, 45 U.N. GAOR Supp. (No. 49A) at 197, U.N. Doc. A/45/49 (1990).



United Nations Rules for the Protection of Juveniles Deprived of their Liberty, G.A. res. 45/113, annex, 45 U.N. GAOR Supp. (No. 49A) at 205, U.N. Doc. A/45/49 (1990).



*United Nations Centre for Human Rights, Human Rights and Pre-trial Detention, U.N. Doc. HR/P/PT/3 (1994).

 

 

 

___________________

1. Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, résolution No 43/173 adoptée par l'Assemblée générale le 9 décembre 1988, annexe.

2. UN Doc. HR/P/PT/3 (1994).

3. Les droits de l'homme et la détention provisoire : Manuel de normes internationales en matière de détention provisoire, UN Doc. HR/PT/P/3 (1994) p. 3.

4. Rés. A.G. 48/104, UN GAOR Supp. (No. 49) p. 217, UN Doc. A/48/49 (1993).


Page d'acceuil || Traités || Recherche || Liens