MANUEL DE FORMATION SUR LA SURVEILLANCE DES DROITS HUMAINS

CHAPITRE III: DROITS DE L'HOMME ET DROIT HUMANITAIRE INTERNATIONAUX APPLICABLE: LE CADRE


MATIERES

A.) Introduction

B.) Force Légale des Droits de l'Homme et des Instruments du Droit Humanitaire

C.) Pertinence des Normes Internationales

1. Définition du mandat à travers la Charte des Nations Unies, les autres traités, et les normes y relatives

a.) La Charte des Nations Unies

b.) La Charte internationale des droits de l'homme

c.) Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

d.) Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

e.) Les traités spécialisés

f.) Les organes créés en vertu d'instruments internationaux

g.) Les instruments des Nations Unies ne relevant pas des traités

h.) Les autres traités et instruments du système des Nations unies

i.) Les Conventions et Protocoles de Genève

j.) Les limitations des droits

k). État d'urgence et dérogations

l.) Applicabilité du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire

m.) La norme la plus protectrice

n.) La protection régionale des droits de l'homme

2. Pertinence des normes internationales dans l'identité de la mission de droits de l'homme et dans son efficacité

a.) Le caractère international de la mission

b.) L'utilité des normes internationales

 

A. INTRODUCTION

 

1. Chaque HRO doit posséder une connaissance solide des droits garantis internationalement au titre des droits de l'homme et du droit humanitaire, dans toute la mesure où ils relèvent du mandat de la mission. Ce chapitre décrit le cadre des droits de l'homme et du droit humanitaire internationalement reconnus, expose les sources et la force juridique des normes internationales, montre les liens entre droits de l'homme et droit humanitaire, et évoque la pertinence de ce droit avec le travail du HRO.

 

2. Le droit international relatif aux droits de l'homme établit des garanties larges concernant les droits fondamentaux de toute personne humaine. En outre, le droit humanitaire international, tel qu'en disposent les quatre Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977, gouverne le traitement des combattants et des civils en temps de conflit armé international ou intérieur. Le droit international humanitaire réaffirme le principe selon lequel, dans des situations de conflit armé, les personnes ne participant pas directement aux hostilités devront être traitées avec humanité.

 

B. FORCE LÉGALE DES DROITS DE L'HOMME ET DES INSTRUMENTS DU DROIT HUMANITAIRE

 

3. Les HRO noteront sans doute que les traités multilatéraux reçoivent fréquemment des noms différents, par exemple Charte, Pacte, Convention ou Protocole. Tous sont des traités entre États, qui comportent des obligations légalement contraignantes selon leur langue. Exception faite de la Charte des Nations Unies, qui d'après son article 103 prévaut en cas de conflit avec un autre traité, tous les autres traités possèdent la même portée juridique. Le terme de "protocole" s'emploie pour désigner un traité multilatéral qui a pour vocation d'étendre ou de modifier les effets d'une convention, d'un pacte ou d'un autre traité auquel il est associé.

 

4. D'autres textes faisant l'objet d'un accord international sont désignés comme déclarations, accords de principes, directives, etc. La principale différence entre les traités et ce second type de documents réside dans le fait que les traités peuvent être formellement reconnus par les gouvernements (par ratification ou accession) et sont donc considérés comme des accords entre États juridiquement contraignants. En revanche, des textes comme les déclarations, directives, règles minimales, accords de principes, varient dans leur effet obligatoire, selon le degré auquel, par exemple, ils font autorité dans l'interprétation des obligations dérivant des traités, reflètent le droit international coutumier ou les principes généraux du droit, reflètent le droit international coutumier dans son processus de formation, ou sont considérés comme reflétant de bonnes pratiques sans posséder un effet juridique plus contraignant.

 

5. Le terme d'"instrument" s'emploie fréquemment de façon générique pour désigner soit un traité, soit un autre texte normatif, comme une déclaration, un accord de principes, des directives, etc.

 

C. PERTINENCE DES NORMES INTERNATIONALES

 

6. Les HRO doivent être informés des normes internationales des droits de l'homme, car celles-ci définissent leur mandat, fournissent une identité internationale à la mission de l'ONU, établissent les obligations juridiques du gouvernement, et donc constituent la base sur laquelle s'appuyer pour exiger le respect des droits de l'homme par le gouvernement et autres acteurs.

 

7. Les normes internationales des droits de l'homme sont l'élément normatif principal servant de référence aux HRO agissant sous les auspices de l'ONU. Elles ne peuvent être remplacées ou dépassées par les normes ou l'expérience nationale du pays d'origine du HRO, quelle que soit la connaissance qu'en possède le fonctionnaire. Que ce soit en surveillant la conformité des actes gouvernementaux, en rapportant des violations, en intervenant auprès des autorités locales, ou en proposant des conseils, la base légitime de toute actions des HRO est constituée par les normes internationales figurant dans l'ensemble des instruments des Nations Unies et régionaux, concernant les droits de l'homme.

 

1. Définition du mandat à travers la Charte des Nations Unies, les autres traités, et les normes y relatives

 

a. La Charte des Nations Unies

 

8. Quel que soit le mandat précis de la mission dans une situation particulière, il sera en dernière analyse basé sur l'autorité des Nations Unies conformément à la Charte des Nations Unies. Celle-ci est à la fois le plus important des traités entre États, qui en outre contient des dispositions fondamentales en matière de droits de l'homme (voir les articles 1, 55, 56, 103 de la Charte). L'article 55 de la Charte des Nations Unies définit les objectifs fondamentaux des Nations Unies dans le domaine des droits de l'homme, en disposant que les Nations Unies favoriseront :

a. le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l'ordre économique et social;

b. la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l'éducation;

c. le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.

 

9. En ratifiant la Charte des Nations Unies, les États membres, aux termes de l'article 56, "s'engagent, en vue d'atteindre les buts énoncés à l'article 55, à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l'Organisation."

 

10. Les traités, y compris la Charte, constituent les sources premières du droit international, y compris du droit international relatif aux droits de l'homme. Par conséquent, si le mandat indique que la mission pour les droits de l'homme est destinée à surveiller et à promouvoir la protection des droits de l'homme, "droits de l'homme" sera défini selon les termes de la Charte des Nations Unies aussi bien que des autres traités et instruments pertinents promulgués par la communauté internationale. Si le mandat est plus précis (par exemple surveiller le déroulement d'élections libres et honnêtes, le retour de réfugiés, ou des discriminations ethniques), les droits auxquels il se réfère peuvent être identifiés et expliqués au sein des traités relatifs aux droits de l'homme et autres instruments pertinents aussi bien que du droit international coutumier et des principes généraux du droit y relatifs.

 

b. La Charte internationale des droits de l'homme

 

11. L'Assemblée générale de l'ONU a défini les obligations des États membres de l'Organisation dans la Charte internationale des droits de l'homme, qui se compose de :

 

c. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

 

12. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques établit des normes internationales minimales de conduite pour tous les États parties, en assurant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et les droits des personnes : au recours; à l'égalité; à la vie; à la liberté; à la liberté de circulation; à un procès équitable, public et rapide pour toute infraction pénale; à la vie privée; à la liberté d'expression, de pensée, de conscience et de religion; à la réunion pacifique; à la liberté d'association (y compris le droit de constituer des syndicats et partis politiques); à la famille; à la participation à la vie publique; mais en interdisant la torture; les "peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants"; l'esclavage; l'arrestation arbitraire; la double poursuite; l'emprisonnement pour inexécution d'une obligation contractuelle.

 

d. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

 

13. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels établit des normes internationales minimales pour les États ayant ratifié ce texte, les engageant à agir pour respecter, protéger et assurer les droits économiques, sociaux et culturels. Ce Pacte requiert des États parties qu'ils consacrent de la façon la plus efficace et rapide possible le maximum de leurs ressources disponibles à assurer, progressivement dans certains cas, le plein exercice des droits qui y sont reconnus. Ceux-ci comprennent : le droit de gagner sa vie par le travail; de jouir de conditions de travail sûres et hygiéniques; de jouir du droit syndical; le droit à la sécurité sociale; la protection de la famille; le droit au logement et au vêtement; le droit d'être à l'abri de la faim; le droit aux soins de santé; le droit à l'enseignement public gratuit; celui de participer à la vie culturelle, aux activités créatrices, et à la recherche scientifique. Le Pacte interdit par ailleurs strictement toute discrimination à l'égard des droits économiques, sociaux et culturels, et garantit le droit égal de l'homme et de la femme au bénéfice de ces droits.

 

e. Les traités spécialisés

 

14. Les Nations Unies ont précisé la codification et défini plus spécifiquement le droit international relatif aux droits de l'homme dans un certain nombre de traités relatifs à divers sujets initialement identifiés par la Charte internationale des droits de l'homme. Les traités créent des obligations légales pour ceux des pays qui y sont parties, mais ne s'imposent généralement pas à la communauté internationale dans son ensemble. Il arrive cependant que des traités soient générateurs de droit international général - c'est-à-dire s'imposent à tous les États - lorsque ces accords sont prévus pour l'adhésion générale des États, sont de fait largement acceptés, ou reformulent des principes généraux du droit.

 

15. À côté de la Charte des Nations Unies et de la Charte internationale des droits de l'homme, les plus importants des traités adoptés par les Nations Unies qui ont reçu un nombre suffisant de ratifications ou accessions pour entrer en vigueur comprennent (par ordre de date d'entrée en vigueur) :

la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide;

la Convention relative au statut des réfugiés;

le Protocole relatif au statut des réfugiés;

la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale;

la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes;

la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

la Convention relative aux droits de l'enfant; o le Deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort (Deuxième Protocole ICCPR).

 

16. Pour qu'un traité s'applique à un pays donné, l'État (c'est-à-dire le pays) doit avoir ratifié le traité, ou y avoir adhéré formellement par un autre moyen. Il est donc important pour le HRO de vérifier si l'État où la mission de terrain de l'ONU se déroule a ratifié ce traité. Certains États ajoutent des réserves ou limites à leur ratification. Aussi importe-t-il également de vérifier si une telle réserve ou limite a été émise par l'État quant aux droits sur lesquels porte le travail du HRO. Il convient de noter que même si une réserve a été émise, cette réserve peut être invalide si elle viole l'objet et le but du traité.

 

f. Les organes créés en vertu d'instruments internationaux

 

17. Dans le cadre de six des principaux traités relatifs aux droits de l'homme, des comités ont été établis afin de veiller à leur exécution. Ces six organes créés en vertu d'instruments internationaux (treaty bodies), ou organes conventionnels, sont le Comité des droits de l'homme (au titre du Pacte relatif aux droits civils et politiques); le Comité des droits économiques, sociaux et culturels; le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale; le Comité pour l'élimination des discriminations à l'égard des femmes; le Comité contre la torture; le Comité des droits de l'enfant. Les six organes conventionnels examinent régulièrement des rapports soumis par les États parties concernant leur respect des traités respectifs. La plupart de ces organes émettent des commentaires et recommandations d'ordre général qui reflètent leur expérience dans l'examen des rapports des États. De cette manière, ils sont susceptibles de fournir des interprétations faisant autorité quant aux dispositions des traités. En outre, en examinant périodiquement dans quelle mesure les traités sont mis en œuvre par les États parties, grâce à l'analyse des rapports nationaux, ces organes émettent des observations générales qui décrivent et soulignent des domaines particuliers dans lesquels les États parties sont invités à modifier leur législation, leur politique ou leur pratique en vue de faire avancer le respect du traité en question. Ces observations générales constituent souvent une source d'informations précieuse pour les personnes travaillant dans le domaine des droits de l'homme. En outre, trois de ces organes (le Comité des droits de l'homme, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, et le Comité contre la torture) peuvent sous certaines conditions recevoir des communications émanant de particuliers alléguant des violations de ces traités, et donc rendre des décisions adjudicatives interprétant et appliquant les dispositions du traité. Quant aux autres organes conventionnels, s'ils ne peuvent encore recevoir formellement de plaintes sous la forme de communications émanant de particuliers, ils se prononcent cependant sur l'interprétation et l'application des traités, de même qu'ils indiquent, même si c'est souvent de manière ad hoc, que des États parties devraient changer de comportement afin de se conformer à leurs obligations découlant du traité.

 

g. Les instruments des Nations Unies ne relevant pas des traités

 

18. En plus des traités, l'ONU a servi de cadre à l'élaboration et à l'adoption de dizaines de déclarations, codes, règles, directives, principes, résolutions, et autres instruments servant à interpréter et à développer les obligations générales des États membres en matière de droits de l'homme au titre des articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies, instruments qui peuvent refléter le droit international coutumier. La Déclaration universelle des droits de l'homme est le plus éminent de ces instruments dans le domaine des droits de l'homme : non seulement elle fournit une interprétation fiable, complète et presque contemporaine des obligations en matière de droits de l'homme au titre de la Charte des Nations Unies, mais elle comporte également des dispositions admises comme reflétant le droit international coutumier s'imposant à tous les États, qu'ils soient ou non parties aux traités qui contiennent eux aussi ces dispositions. Parmi les autres instruments marquants qui, sans être des traités, revêtent pourtant une grande importance au regard des droits de l'homme figurent (par ordre de date d'adoption) :

l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus;

la Déclaration des droits des personnes handicapées;

le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois;

la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir;

l'Ensemble de règles minima concernant l'administration de la justice pour mineurs ("Règles de Beijing");

la Déclaration sur le droit au développement;

l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement;

les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extra-judiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions;

les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois;

la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées; o la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques;

la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes;

la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales universellement reconnus.

 

h. Les autres traités et instruments du système des Nations unies

 

19. L'Organisation des Nations Unies n'est pas la seule organisation globale ayant émis ou facilité l'émission de normes mondiales en matière de droits de l'homme. Parmi les autres figurent les agences spécialisées des Nations unies, comme l'Organisation internationale du travail (OIT) ou l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), ainsi que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

 

20. Figurant parmi les plus anciennes organisations intergouvernementales, l'OIT a promulgué 183 recommandation et 176 conventions, dont plusieurs traités relatifs aux droits de l'homme. L'UNESCO a également promulgué plusieurs traités en la matière, par exemple la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement (429 U.N.T.S. 93), entrée en vigueur le 22 mai 1962.

 

i. Les Conventions et Protocoles de Genève

 

21. Depuis le milieu du XIXe siècle, le Comité international de la Croix-Rouge a réuni des conférences gouvernementales afin de rédiger des traités protégeant les soldats et marins blessés dans les conflits armés, les prisonniers de guerre, et les civils en temps de guerre. Ces traités constituent le cœur du droit humanitaire, qui est destiné à assurer le respect de principes généraux d'humanité en période de conflit armé international ou non-international. Dans le contexte d'un conflit armé, le droit humanitaire offre une base plus solide et beaucoup plus détaillée pour la protection des droits de l'homme que la Charte internationale des droits de l'homme et autres instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme.

 

22. Les principaux traités multilatéraux qui régissent le droit international humanitaire - les quatre Conventions de Genève de 1949 - ont été ratifiés par davantage d'États qu'aucun autre traité sur les droits de l'homme, en dehors de la Charte des Nations Unies et de la Convention relative aux droits de l'enfant. Les deux Protocoles additionnels de 1977 étendent et précisent les protections des Conventions de Genève de 1949 dans les cas de conflits armés internationaux et non internationaux. Ces Conventions et Protocoles sont les suivants :

Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne (Première Convention de Genève);

 

Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (Deuxième Convention de Genève);

 

Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (Troisième Convention de Genève);

 

Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (Quatrième Convention de Genève);

 

Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole additionnel I);

 

Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole additionnel II).

 

23. De nombreuses dispositions des quatre Conventions de Genève, des deux Protocoles additionnels, et des Conventions de La Haye de 1899 et 1907 sont largement admises comme reformulant le droit international humanitaire coutumier applicable à tous les pays. Le droit humanitaire s'applique spécifiquement aux situations de conflit armé, qui seraient d'ordinaire qualifiées de "situations d'urgence".

 

j. Les limitations des droits

 

24. Dans certaines situations spécifiques présentées dans les traités correspondants relatifs aux droits de l'homme, des limitations peuvent être apportées par les États à l'exercice de certains droits de l'homme. Il doit cependant être clair que les limitations des droits doivent être considérées comme l'exception, et non comme la règle. Les limitations des droits, lorsqu'elles sont autorisées, sont énoncées dans les textes des divers traités relatifs aux droits de l'homme. En général, ces restrictions et restrictions doivent être celles qui sont déterminées par la loi et nécessaires dans une société démocratique pour :

garantir le respect des droits et libertés d'autrui;
assurer les justes exigences de l'ordre public, de la santé ou de la morale publiques, de la sécurité nationale ou de la sécurité publique.

Les limitations des droits imposées en dehors ou au-delà des conditions sus-mentionnées ne sont pas tolérées par le droit international sur les droits de l'homme.

 

k. État d'urgence et dérogations

 

25. Aux termes des conditions strictes et spécifiques énoncées à l'article 4 (1) du Pacte international sur les droits civils et politiques, le droit international sur les droits de l'homme autorise les États à déroger aux droits (c'est-à-dire à les suspendre temporairement) dans des cas de "danger public exceptionnel". Cet article 4 (1) déclare en effet :

 

Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les États parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale.

 

 

26. Il existe cependant certains droits auxquels il ne peut être apporté aucune restriction ou dérogation, y compris dans la situation décrite par l'article 4 du Pacte. Ces droits non dérogeables sont les droits à la protection contre : la privation arbitraire de la vie; la torture et autres sévices; l'esclavage; l'emprisonnement pour inexécution d'une obligation contractuelle; la rétroactivité des peines; la non-reconnaissance juridique; les atteintes à la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 4(2)).

 

27. Les dispositions de l'ICCPR soulignent la nature exceptionnelle des dérogations aux droits garantis dans le Pacte. Il convient de noter avec soin les conditions de fond et de procédure dans lesquelles le droit international permet de déroger à ces droits :

 

28. L'article 4 (3) exige en outre que les États introduisant des dérogations aux droits informent immédiatement, par l'entremise du Secrétaire général de l'ONU, les autres États parties à l'ICCPR des dispositions auxquelles ils ont dérogé ainsi que des motifs qui ont provoqué cette dérogation.

 

l. Applicabilité du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire

 

29. Comme on l'a vu ci-dessus et au Chapitre I, le droit international humanitaire est le corpus juridique qui s'applique aux situations de conflit armé, international comme non international. Il établit des protections pour les personnes et pose des limites aux méthodes et moyens de guerre employés par les États belligérants.

 

30. En temps de guerre, les droits de l'homme demeurent en vigueur sur le plan juridique. Toutefois, puisque les situations de conflit armé pourraient normalement être qualifiées comme "danger public exceptionnel" au sens de l'article 4 de l'ICCPR, il est possible et probable qu'en de telles situations des restrictions et dérogations soient apportées par les États aux droits de l'homme (sous les conditions évoquées plus haut). Il est donc vraisemblable que le degré de protection des individus dans les situations de conflit armé sera celui garanti par les dispositions du droit humanitaire.

 

31. Le tableau suivant met en évidence l'applicabilité du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire dans diverses situations, correspondant à différents niveaux de conflit :

 

Applicabilité du droit des droits de l'homme et du droit humanitaire

 

SITUATION
DROIT APPLICABLE

1. Situation : Conflit armé international

Comprenant les guerres entre États, et contre la domination coloniale, l'occupation étrangère, les régimes racistes, dans l'exercice du droit à l'autodétermination.

Droit applicable : Quatre Conventions de Genève de 1949
(1) Blessés et malades du théâtre

(2) Naufragés

(3) Prisonniers de guerre

(4) Civils (en zone occupée)

Protocole additionnel I de 1977

Autres dispositions relatives aux droits de l'homme (dans la mesure où non dérogeables ou en l'absence de déclaration de l'état d'urgence)

2.) Situation: Conflit armé non-international

Guerre civile ou autre situation dans laquelle des forces armées organisées, sous commandement responsable, exercent sur une partie du territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d'appliquer le droit humanitaire.

Droit humanitaire Article 3 commun aux Conventions de Genève (s'applique au gouvernement et aux forces armées d'opposition).

Protocole additionnel II de 1977 (champ d'application plus restreint).

Autres dispositions relatives aux droits de l'homme (dans la mesure où non dérogeables ou en l'absence de déclaration de l'état d'urgence)

3. Situation : État d'urgence

Désordres, émeutes, actes de violence isolés et sporadiques, et autre danger public exceptionnel qui menace l'existence de la nation, dans lequel les mesures normalement compatibles avec la Constitution et les lois sont insuffisantes pour redresser la situation.

L'état d'urgence doit être déclaré officiellement.

Droit applicable: Tous les droits de l'homme, avec les exceptions suivantes :

  • Des dérogations à certains droits peuvent être admissibles dans la stricte mesure que requièrent les exigences de la situation, et uniquement si elles ne sont pas incompatibles avec les autres obligations du droit international (dont les Conventions et Protocoles de Genève).
  • Aucune discrimination uniquement basée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale.
  • Aucune dérogation n'est admissible en matière de privation arbitraire de la vie, de torture, d'esclavage, ou d'emprisonnement pour manquement de satisfaire à une obligation contractuelle.

 

4. Situation Autres tensions intérieures

Désordres, émeutes, et actes de violence isolés qui ne peuvent être qualifiés comme menaçant l'existence de la nation.

État d'urgence non déclaré.

Droit applicable: Tous les droits de l'homme (mais pour chacun des droits, voir toute limitation pertinente. Les droits ne peuvent être sujets qu'aux limitations prévues par la loi, et uniquement dans le but d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui, et de répondre aux justes exigences de la moralité, de l'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique).
5. Situations normales Droit applicable: Tous les droits de l'homme (mais pour chacun des droits, voir toute limitation pertinente. Les droits ne peuvent être sujets qu'aux limitations prévues par la loi, et uniquement dans le but d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui, et de répondre aux justes exigences de la moralité, de l'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique).

 

m. La norme la plus protectrice

 

32. Étant donné qu'il existe des incohérences et des failles entre les protections apportées par les divers instruments des droits de l'homme et du droit humanitaire, aussi bien que dans les lois nationales et locales, la personne doit se voir accorder les dispositions les plus protectrices du droit applicable, international, national ou local. En conséquence, si le droit humanitaire apporte une meilleure protection des droits que le droit des droits de l'homme, c'est le droit humanitaire qui doit s'appliquer - et vice-versa.

 

n. La protection régionale des droits de l'homme

 

33. Outre les mécanismes mis en place par les Nations Unies pour appliquer les droits de l'homme, des structures régionales sont désormais à l'œuvre en Afrique, aux Amériques, et en Europe. Les droits que protègent ces structures dérivent de ceux de la Charte internationale des droits de l'homme, et leur sont semblables, mais chacune d'entre elles a élaboré des approches propres pour tenter d'assurer que les droits en question soient mis en pratique. Si les éléments qui suivent se focalisent souvent sur les normes des Nations Unies et autres normes mondiales, les normes régionales peuvent s'avérer d'une grande importance dans des circonstances particulières, par exemple dans le cas où le gouvernement d'un pays ayant ratifié des traités régionaux significatifs en matière de droits de l'homme considère ceux-ci comme plus persuasifs, ou dans celui où ces instruments régionaux se voient reconnaître la prééminence dans l'accord passé avec la mission de l'ONU sur les droits de l'homme (comme dans les accords de Dayton sur le conflit en Bosnie-Herzégovine, qui confèrent à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales un statut égal à celui du droit national). Les trois principaux traités régionaux (1) évoqués dans le présent Manuel sont les suivants :

 

 

2. Pertinence des normes internationales dans l'identité de la mission de droits de l'homme et dans son efficacité

 

34. Comme indiqué plus haut, ce Manuel se concentre sur les normes internationales en matière de droits de l'homme parce qu'elles déterminent d'ordinaire le mandat de la mission (voir aussi Troisième partie, Chapitre 6 o "Identification et priorités des efforts concernant les violations des droits de l'homme"). Ces normes définissent en outre le caractère international de la mission de terrain, peuvent être développées dans un manuel destiné à couvrir des situations partout au monde, et sont les plus aptes à se montrer convaincantes en tant que minimums internationaux.

 

a. Le caractère international de la mission

 

35. La légitimité constitue le caractère le plus important d'une mission de terrain concernant les droits de l'homme. Elle repose sur l'idée partagée que la mission est juste et représentative de la volonté de la communauté internationale dans son ensemble et non sur quelque intérêt partiel. Cette légitimité est encore renforcée par la composition de la mission de terrain, qui rassemble habituellement un personnel de nationalités très diverses.

 

36. La base des opérations de terrain en matière de droits de l'homme dans le droit international est un apport supplémentaire à la légitimité des opérations en témoignant de la volonté de la communauté internationale. On voit en effet mal comment le gouvernement ou la population du pays où se déroule la mission accorderaient crédit aux HRO si chaque fonctionnaire avançait que le gouvernement devrait suivre les approches de son propre pays en matière de droits de l'homme. Les normes internationales minimales constituent un niveau de base sur lequel l'accord peut se faire non seulement entre États, mais aussi parmi les HRO quant à ce qu'ils doivent surveiller, promouvoir ou recommander.

 

b. L'utilité des normes internationales

 

37. Si le présent Manuel de formation s'attache surtout aux normes mondiales en matière de droits de l'homme, c'est que des missions de terrain peuvent être envoyées n'importe où dans le monde, et qu'il serait concrètement très difficile de couvrir toutes les normes nationales et régionales dans ce domaine, susceptibles de s'appliquer dans une situation particulière. Les HRO ne peuvent donc pas se fier à ce Manuel pour traiter de toutes les normes adaptées à leur cas.

 

38. Alors que le mandat d'une mission de l'ONU se fonde sur les normes des Nations Unies en matière de droits de l'homme telles que celles évoquées dans ce Manuel, il est possible qu'un accord entre le gouvernement et l'ONU définisse un mandat en se référant également à d'autres normes internationales, à des traités régionaux relatifs aux droits de l'homme, à la constitution du pays, ou à d'autres éléments. De fait, si le mandat fait référence à ces normes hors-Nations Unies, ou si celles-ci sont plus protectrices ou plus convaincantes, il convient que les HRO se familiarisent avec toute norme qui sera la plus utile à leur travail. Par exemple, dans certains pays, les normes régionales peuvent être mieux connues et mieux respectées que des normes internationales pratiquement identiques. Dans de telles circonstances, il est préférable que le HRO ait recours aux normes régionales. De façon analogue, il se peut que la Constitution ou les lois du pays prennent en compte les normes régionales, de sorte qu'il conviendra de les utiliser en priorité. Autre exemple, celui d'un pays où la Constitution ou le droit national reflètent la substance des normes internationales. En fait, du point de vue de l'individu et dans la plupart des pays, le moyen le plus important pour la protection des droits de l'homme et l'application du droit international réside dans la législation, les tribunaux et les administrations au niveau national. Pour parvenir à protéger les droits de l'homme, le HRO sera peut-être plus efficace en se référant à la constitution ou aux lois nationales.

 

39. Un troisième exemple de l'utilité des normes hors-Nations Unies en matière de droits de l'homme peut se rencontrer dans un pays dont la constitution, le droit national ou la pratique protègent les droits de l'homme encore mieux que le droit international. Après tout, les traités des droits de l'homme ne fournissent que des normes internationales minimales. Rien n'empêche un pays d'accorder aux droits de l'homme une protection accrue par rapport aux normes internationales. On l'a vu plus haut, l'individu doit avoir accès aux dispositions les plus protectrices du droit international, national ou local applicable. Par conséquent, le HRO se servira des normes les plus protectrices, quelles qu'elles soient.

 

40. En général, cependant, les HRO trouveront une protection des droits de l'homme supérieure dans le droit international que dans les lois et pratiques nationales. Ces fonctionnaires ont donc besoin d'une formation sur la manière d'invoquer les protections les plus larges, et de mettre à profit les savoirs accumulés au niveau international quant à la mise en œuvre des droits de l'homme. Les chapitres suivants constituent la base d'une telle formation.

 

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1. Pour un recueil complet des instruments régionaux des droits de l'homme, voir Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, Droits de l'homme : Compilation d'instruments internationaux - Volume II, instruments régionaux, New York et Genève, 1997.

 


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