MANUEL DE FORMATION SUR LA SURVEILLANCE DES DROITS HUMAINS

CHAPITRE I: INTRODUCTION


LES MATIERES

A. Nécessité d'un Manuel de Formation

B. Publique Visés

C. Objectifs

D. Définition des Termes Clés

1.) "Droits de l'homme" et "droit international humanitaire"

2.) "Surveillance"

3.) "Établissement des faits"

4.) "Observation"

5.) "Violations des droits de l'homme" et "abus des droits de l'homme"

6.) "Fonctionnaire chargé des droits de l'homme"

 

A. NÉCESSITÉ D'UN MANUEL DE FORMATION

 

1. L'ONU a mis en œuvre des opérations de terrain en matière de droits de l'homme dans divers pays comme la Bosnie-Herzégovine, le Burundi, le Cambodge, le Guatemala, Haïti, le Rwanda et le Salvador. Chacune de ces opérations a comporté une fonction clé consistant à surveiller la situation des droits de l'homme dans le pays. Et chaque fois, on a largement du élaborer une méthodologie et des structures permettant d'assurer le travail de terrain, y compris le monitoring des droits de l'homme. Il s'agit d'un processus long, qui éloigne le moment où devient effective toute mission concernant les droits de l'homme : six mois, un an ou davantage. Quand la décision est prise de mettre une mission en place, la situation des droits de l'homme dans le pays est déjà le plus souvent critique. Tout autre retard doit donc être évité.

 

2. L'ONU a accumule une expérience toujours plus importante dans le domaine des opérations de terrain concernant les droits de l'homme, tout en réunissant un groupe de personnes ayant servi sur le terrain. Le présent Manuel de formation est destiné à rassembler ces compétences, en mettant l'accent sur les tâches de monitoring des droits de l'homme, et de les rendre accessibles aux futurs fonctionnaires chargés des droits de l'homme (HRO) afin de donner à ceux-ci une formation plus efficace pour un travail systématique et professionnel.

 

3. Le plus souvent, il est si urgent d'envoyer du personnel sur le terrain que le temps manque pour former les HRO avant leur déploiement. Diverses exigences ont en outre parfois conduit à recruter des HRO possédant à des degrés disparates l'expérience requise pour les tâches qu'ils devaient accomplir : langues rares, disponibilité vis-à-vis du risque physique, ou connaissance du pays. Ces raisons engendrent un fort besoin de formation sur site des HRO. Il est essentiel que ceux-ci reçoivent une formation complète, dépassant l'éducation en matière de normes et procédures des droits de l'homme, et qui inclue un cadre de référence sur les techniques et le travail concret qu'ils devront mettre en œuvre - dont le travail de monitoring des droits de l'homme.

 

4. En conséquence, ce Manuel de formation propose une vue globale de la doctrine et de la méthodologie de le monitoring des droits de l'homme, telle que de prime abord elle est issue des opérations de l'ONU en matière de droits de l'homme, et telle qu'elle doit s'y appliquer. Il présente la législation internationale applicable aux droits de l'homme et dans le domaine humanitaire; les démarches permettant d'identifier les violations des droits de l'homme, de rassembler des informations, de procéder à des interrogatoires, de rendre visite à des personnes détenues, de rendre visite à des personnes déplacées dans des camps, de surveiller le retour de réfugiés et de personnes déplacées dans leur pays, d'observer des procès, d'observer des élections, de surveiller des manifestations publiques, de surveiller le respect des droits économiques, de rédiger des rapports, d'intervenir auprès des autorités locales, et toute autre forme de suivi; l'histoire des standards des Nations Unies en matière de monitoring; c. En outre, ce Manuel dispense des propositions de normes visant le travail des HRO dans leurs opérations de terrain, et portant également sur la manière dont ils peuvent faire face au stress et aux problèmes de sécurité qu'ils vont rencontrer.

 

5. Ce Manuel de formation est destiné à un usage générique d'avant-déploiement pour les contrôleurs des droits de l'homme, ou bien à servir de base en vue de développer des manuels spécifiques à un pays. Dans ce dernier cas, il devra être complété et examiné à la lumière du mandat, de la situation de fait, et de tout autre contexte d'opérations futures concernant les droits de l'homme. Ce Manuel s'inspire de nombreux principes de monitoring communément admis, que devraient observer toutes les opérations de terrain de l'ONU. Or chacune de celles-ci sera investie d'un mandat différent, munie de ressources différentes, et confrontée à des problèmes de droits de l'homme différents, et ce dans des contextes eux-mêmes très variés. Le présent Manuel, dans sa tentative de constituer un outil méthodologique et formateur pour toute cette gamme d'opérations, doit être complété pour être utilisé dans toute mission de terrain concernant les droits de l'homme à la lumière de son mandat spécifique et de ses circonstances particulières ainsi que selon le jugement de ses responsables. En effet, de nombreux aspects de ce Manuel comportent des jugements politiques qui doivent être soigneusement pesés par les responsables des opérations en matière de droits de l'homme, afin d'assurer qu'ils concordent avec les nécessités de la mission. De même, les HRO rechercheront sur ces questions les conseils des responsables des opérations concernant les droits de l'homme.

 

6. Toute mission de terrain concernant les droits de l'homme reçoit ses termes de référence propres, ou mandat, de l'institution des Nations Unies qui l'autorise - par exemple le Conseil de sécurité ou le Conseil économique et social (ECOSOC) -, ou bien aux termes d'un accord entre l'ONU et le pays hôte. Ces mandants sont souvent semblables d'une mission à l'autre, mais il y existe des différences. Ainsi, la vocation et l'étendue d'un mandat de monitoring des droits de l'homme peuvent varier considérablement selon la mission. Si le présent Manuel peut offrir des conseils sur la manière d'interpréter ces mandats et sur les normes juridiques internationales qui sous-tendent les principaux aspects des mandats typiques de monitoring confiés à des opérations passées, ce n'est que lorsque le mandat d'une mission spécifique a été défini qu'il devient possible de mettre au point une doctrine faisant autorité. Par conséquent, dès lors qu'une mission de terrain se trouve autorisée, il devient nécessaire de compléter ce Manuel en y ajoutant les éléments particuliers pertinents à cette nouvelle opération.

 

7. Générique, ce Manuel est destiné à servir dans des situations diverses, et il ne contient donc pas de données spécifiques à un pays donné; il donne en revanche une idée du type de documents spécifiques au pays qui sont nécessaires à la formation des HRO afin de les mettre à même d'accomplir leurs tâches de monitoring, lesquels documents comprendront des informations sur la géographie, l'histoire, l'économie, la population, le système de gouvernement, les religions, les langues, les conflits ethniques, le statut des réfugiés et des personnes déplacées, la culture et les coutumes, les ratifications de traités concernant les droits de l'homme, les autres organisations internationales présentes dans le pays, les organisations non-gouvernementales, et toutes autres informations concernant la situation des droits de l'homme. Ce Manuel fournit donc les indications nécessaires à sa propre mise à jour dans des situations nationales précises. À cet égard, les éléments complémentaires devront prendre en compte l'estimation des besoins qui précède habituellement l'autorisation d'une mission de terrain concernant les droits de l'homme. Dès qu'une telle opération est effectivement lancée, il devient indispensable de rassembler ces éléments contextuels (voir Chapitre II : "Le contexte local").

 

8. Dans ce Manuel de formation, on trouvera des chapitres qui ont besoin de suppléments, et d'autres superflus puisque non pertinents au mandat d'une mission de terrain particulière. C'est ainsi que le Chapitre IX : "Visiter les personnes détenues" ou le Chapitre XI : "Surveiller et protéger les droits humains des personnes rapatriées ou déplacées (IDP)" peuvent se voir compléter par des informations caractéristiques du pays. Dans le même temps, le mandat de chaque opération de terrain sera différent : il est donc peu probable qu'une mission quelconque soit mandatée pour chaque chapitre de la IIIe Partie "La fonction de monitoring". D'où suit que, par exemple, le Manuel de formation de terrain consacré à une mission particulière pourra se dispenser de diverses sections, comme le Chapitre X : "Surveiller et protéger les droits humains des réfugiés et/ou des personnes déplacées vivant dans des camps" ou le Chapitre XIV : "Observation des élections".

 

9. Le chef de la mission de terrain sera désigné dès que possible, afin qu'il ou elle soit en mesure de prendre les décisions politiques et organisationnelles nécessaires pour compléter et appliquer les indications du présent Manuel dans la mission en question. En fait, il conviendrait que le chef des opérations choisisse aussitôt que possible une personne susceptible de s'acquitter de la tâche critique consistant à compléter ce Manuel. Dans l'idéal, c'est la personne responsable concrètement de la formation pour cette opération de droits de l'homme qui serait également chargée d'adapter ce Manuel.

 

10. Ce "chargé de formation" travaillerait en étroite consultation avec le chef de la mission, et avec le personnel chargé de son lancement. Ce travail de mise à jour du Manuel peut débuter au siège de New York ou de Genève, pour peu que le chargé de formation ait accès au texte de ce nouveau mandat et aux informations utiles sur le pays concerné, notamment les particularités des droits de l'homme et de la situation politique, aussi bien que les conditions de travail locales. Une attention spéciale sera prêtée à l'estimation des besoins qui devrait précéder (et précède souvent) toute autorisation d'opération de terrain en matière de droits de l'homme.

 

11. Le chargé de formation devrait être déployé dès que possible dans le pays d'opération. En prenant pour base les chapitres du Manuel, et sous la conduite du chef de la mission, quelques semaines lui seront nécessaires pour élaborer les compléments. Divers types de supports contextuels seront à rassembler (voir Chapitre II : "Le contexte local").

 

12. Les éléments additionnels du Manuel de formation n'ont pas à être complets. Il est prioritaire de mettre à disposition du nouveau personnel arrivant les informations les plus essentielles dans le cadre de sa formation, et d'utiliser ce Manuel de formation et ses compléments comme moyen d'orienter les nouveaux HRO, tout en précisant la méthodologie et la politique relatives à la situation particulière de la mission.

 

13. Il s'ensuit que les éléments de formation complémentaires doivent être mis à jour à mesure que la situation évolue dans le pays, et que se développe la mission de terrain elle-même. Certains chapitres pourront être adaptés en réponse à un événement particulier. Par exemple, le retour imminent de 100 000 réfugiés peut conduire à mettre à jour la formation, la conduite des opérations, et la méthode employée pour surveiller le respect des droits humains des rapatriés.

 

14. Pour mettre à jour les éléments complémentaires de formation, le chargé de formation travaillera étroitement sur chaque chapitre avec les autres HRO. Ainsi, par exemple, le ou les HRO chargé de surveiller les conditions de détention (s'il en existe) peut contribuer à faire évoluer la méthodologie et les éléments du Chapitre IX : "Visites aux personnes détenues". Autant que possible, les HRO impliqués dans la mission auront la possibilité de participer à la mise à jour régulière et au développement de ce matériel de formation supplémentaire. Chaque fonctionnaire aura son mot à dire, et l'engagement de l'ensemble du personnel permettra de faire en sorte que ce manuel, complété de ses suppléments de formation, reflète la plus large expérience, tout en assurant que chacune et chacun contribue à améliorer et à préciser le travail accompli.

 

B. PUBLICS VISÉS

 

15. Ce Manuel de formation est destiné à divers interlocuteurs directs ainsi qu'à un public indirect plus large. Il s'adresse en premier lieu aux responsables de la formation des HRO devant assurer des fonctions de monitoring des droits de l'homme dans des opérations de terrain de l'ONU. Cette formation peut se dérouler avant le déploiement des HRO dans le pays d'opération, ou bien sur le site. En deuxième lieu, ce Manuel concerne le HRO d'une mission de terrain choisi pour le compléter et l'adapter à la lumière du mandat, des circonstances et des politiques de la mission en question (c'est-à-dire pour établir une version du Manuel spécifique au pays et à la mission), de telle manière qu'il puisse servir de guide à tous les HRO. En outre, ce Manuel de formation devrait être utile à tout chef d'opération de terrain en matière de droits de l'homme, pour élaborer les politiques de cette opération particulière. Il servira par ailleurs, accompagné du Guide du formateur, aux fonctionnaires responsables de la formation initiale ou continue des HRO dans le pays d'opération. Il sera enfin utile aux HRO recevant orientation et instruction, que ce soit avant ou après leur déploiement.

 

16. Le Manuel de formation peut également s'avérer utile à d'autres organisations partenaires, comme le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), le Fonds des Nations unies pour l'enfance (FISE-UNICEF), le Comité international de la Croix-rouge (CICR), l'Organisation des États américains (OEA), et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui souhaiteraient former leur personnel dans le domaine de le monitoring des droits de l'homme.

 

17. De plus, ce manuel peut aider d'autres organisations intergouvernementales ou non-gouvernementales engagées dans le domaine des droits de l'homme, pour former leurs personnels et développer leurs propres méthodes.

 

18. Les bénéficiaires ultimes de ce manuel seront les individus et les communautés dont les droits humains sont menacés ou violés, et qui peuvent compter sur l'assistance susceptible d'être fournie à travers les opérations de terrain visant les droits de l'homme.

 

C. OBJECTIFS

 

19. L'objectif global de ce manuel consiste à améliorer l'efficacité, le professionnalisme et l'impact des opérations de terrain concernant les droits de l'homme dans la mise en œuvre de leurs mandats de monitoring. Les objectifs spécifiques du Manuel consistent à :

a) informer quant aux normes humaines internationales pertinentes aux opérations de terrain de l'ONU;

b) informer quant aux techniques de monitoring des droits de l'homme et encourager au développement des capacités en rapport chez les fonctionnaires des Nations Unies chargés des droits de l'homme et chez les autres professionnels des droits de l'homme.

 

20. Ce Manuel est principalement destiné à former le personnel des opérations de terrain visant les droits de l'homme, affectés sur le site pendant une période conséquente (par exemple, au moins six mois) en nombre conséquent (par exemple dix personnes au moins, et habituellement davantage) pour y remplir une fonction essentiellement de monitoring. Mais la plupart de ses chapitres traitent de techniques qui peuvent s'adapter à des activités concernant les droits de l'homme de moindre ampleur, de moindre durée et de moindre étendue.

 

21. Le lecteur voudra bien garder à l'esprit que ce Manuel n'est pas consacré à un seul théâtre d'opérations ni à un seul pays. Chaque mission de terrain est différente des précédentes, puisque le mandat lui-même est différent, tout comme les problèmes de droits de l'homme et les circonstances qui prévalent dans chaque pays. On ne saurait non plus oublier que ce Manuel vise d'abord une seule des fonctions possibles des missions de terrain, à savoir surveiller les violations des droits de l'homme.

 

22. Enfin, le Manuel des missions de terrain concernant les droits de l'homme ne constitue pas une panacée à propos des violations ou conflits pouvant survenir. Les HRO doivent être conscients du fait que, bien souvent, ils ne peuvent changer le cours des événements, et ne doivent pas se sentir responsables de faits qu'ils ne peuvent pas changer. L'action des HRO est également limitée par les normes internationales qu'ils ont eux-mêmes pour but de mettre en place, ainsi que par les principes fondamentaux de le monitoring : ne pas créer de dommages; respecter son mandat; exercer un jugement perspicace; c.). On trouvera ces principes mieux développés dans la Ve Partie : "Le fonctionnaire des droits de l'homme" comme au Chapitre V : "Principes fondamentaux de le monitoring".

 

D. DÉFINITION DES TERMES-CLÉS

 

1. "Droits de l'homme" et "droit international humanitaire"

 

23. Les droits de l'homme apportent des garanties légales universelles protégeant les individus et les groupes contre tout acte d'un État portant atteinte aux libertés fondamentales et à la dignité humaine. La législation internationale relative aux droits de l'homme oblige les États à accomplir certaines tâches, et leur interdit d'en accomplir d'autres. Parmi les caractéristiques les plus fréquemment invoquées à propos des droits de l'homme, on rencontre :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

24. Au cours du XXe siècle, le terme de "droits de l'homme" résumait ceux des droits garantis par la Charte internationale des droits de l'homme, qui comprenait la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR) ainsi que son Protocole facultatif. Mais au cours des années, les instruments relatifs aux droits de l'homme sur le plan international et régional ont nettement explicité les droits énoncés dans la Charte. Les "droits de l'homme" se définissent aujourd'hui avec bien plus de précision et de spécificité. La législation internationale des droits de l'homme protège ainsi désormais davantage les personnes et groupes vulnérables, y compris les enfants, les groupes autochtones, les réfugiés et déplacés, et les femmes. En outre, certains instruments concernant les droits de l'homme en ont élargi la définition en établissant des droits nouveaux (1).

 

25. Le "droit international humanitaire" peut se définir comme la partie du droit international qui est destinée à assurer le respect des principes généraux de l'humanité dans des situations de conflit international armé, et (à un moindre degré) de conflit armé intérieur. Né du droit international coutumier, des premières tentatives de codification, et des traités adoptés lors des Conférences de la Haye en 1899 et 1907, le droit international humanitaire prend ses sources principales dans les quatre Conventions de Genève de 1949 et dans les deux Protocoles de 1977 additionnels à ces Conventions.

 

26. Si la plupart des droits de l'homme sont perçus comme des droits de l'individu vis-à-vis de l'État, les normes du droit humanitaire peuvent également s'appliquer à des acteurs non-étatiques, tels que des groupes d'opposition armés, des entreprises, des institutions financières internationales et des individus perpétrant des violences familiales, qui commettent des violations des droits de l'homme. La campagne en faveur de l'abolition de l'esclavage, l'un des premiers efforts de protection des droits de l'homme, visait à interdire aux acteurs privés de détenir des esclaves ou d'en faire commerce (2). Selon l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et les Protocoles additionnels de 1977 à celles-ci, le droit international humanitaire s'applique aux groupes d'opposition armés. Il existe en outre une série de traités relatifs aux détournements d'avions, aux enlèvements de diplomates, etc. Plus récemment, les normes internationales concernant les droits de l'homme se sont attachées aux responsabilités des États dans l'interdiction faite aux individus de commettre des actes contraires aux droits de l'homme dans les domaines de la violence familiale, des mutilations sexuelles féminines, etc. Les Directives de Maastricht relatives aux violations des droits économiques, sociaux et culturels, adoptées le 26 janvier 1997 par un groupe de 30 juristes, experts internationaux (3), établissent que ...

 

L'obligation de protéger requiert que les États préviennent la violation de ces droits par de tierces parties. Ainsi, le manquement d'assurer que les employeurs privés se conforment aux normes minimales régissant le travail peut équivaloir à une violation des droits de travailler ou du droit à des conditions de travail justes et favorables... (directive 6).

 

27. En somme, le terme de "droits de l'homme" peut actuellement se comprendre, aux fins du présent Manuel, comme incluant à la fois les droits traditionnellement définis par la Charte internationale des droits de l'homme, aussi bien que l'extension de cette définition aux droits garantis par le droit international humanitaire. En outre, les normes applicables aux droits de l'homme sont désormais perçues comme opposables à certains acteurs non-étatiques, ou tout au moins comme rendant les États responsables de prévenir certains abus commis par des individus (4). Il est cependant important de noter que les mandats confiés aux Nations Unies pour de nombreuses opérations de monitoring des droits de l'homme peuvent et devraient se définir en fonction des droits de l'homme les plus menacés dans un pays particulier, et les plus aptes à être traités par un nombre réduit de HRO.

 

2. "Surveillance"

 

28. Le "monitoring" est un terme de sens large, décrivant la collecte active, la vérification et l'usage immédiat d'informations en vue de résoudre des problèmes de droits humains. Le monitoring des droits de l'homme peut revenir à réunir des informations sur des incidents, à observer des événements (élections, procès, manifestations, etc.), à visiter des sites tels que des lieux de détention ou des camps de réfugiés, à s'entretenir avec les autorités gouvernementales afin d'obtenir des renseignements, de parvenir à des remèdes et d'assurer tout autre suivi immédiat. Ce terme recouvre les activités d'évaluation conduites au Siège de l'ONU ou auprès du bureau central des opérations, aussi bien que les activités de première main consistant à collecter des données ou autres travaux de terrain. Le monitoring revêt de plus une qualité temporelle, dans la mesure où il s'exerce le plus souvent sur une période prolongée.

 

3. "Établissement des faits"

 

29. L'"établissement des faits" désigne un processus par lequel on tire des conclusions de faits établis par les activités de monitoring. L'"établissement des faits" est donc nécessairement un terme plus étroit que celui de "monitoring". Il comporte une grande part de collecte d'informations de manière à établir et à vérifier les faits concernant une présumée violation des droits de l'homme. En outre, la recherche des faits comporte une exigence de fiabilité reposant sur le recours à des procédures communément admises et sur une réputation établie d'équité et d'impartialité.

 

4. "Observation"

 

30. L'"observation" évoque habituellement un processus plus passif, consistant à assister à des événements tels qu'assemblées, procès, élections ou manifestations. Cet aspect de le monitoring des droits de l'homme exige une présence sur le terrain.

 

5. "Violations des droits de l'homme" et "abus des droits de l'homme"

 

31. Les "violations des droits de l'homme" recouvrent des transgressions par les États des droits garantis par le droit humanitaire national, régional et international et les actes et omissions directement imputables à l'État comportant un manquement à la mise en œuvre d'obligations légales dérivées des normes concernant les droits de l'homme. Les violations interviennent lorsqu'une loi, une politique ou une pratique contrevient délibérément à, ou ignore délibérément, des obligations incombant à l'État, ou lorsque l'État s'abstient d'une norme de conduite requise ou d'un résultat requis. Des violations supplémentaires interviennent lorsqu'un État déroge à ou supprime des protections des droits de l'homme existantes.

 

32. Tous les droits humains (civils, culturels, économiques, politiques et sociaux) imposent aux États trois types d'obligations distinctes : respecter, protéger, et faire. Le manquement d'un État à l'une quelconque de ces obligations constitue une violation des droits de l'homme.

 

33. Bien que la réalisation entière de certains aspects de certains droits ne soit possible que de manière progressive, cela n'altère pas la nature des obligations légales des États, et ne signifie pas non plus que tous les droits comportent des composantes qui sont toujours sujettes à une application immédiate.

 

34. Pour ce qui concerne spécifiquement les droits économiques, sociaux et culturels, des violations peuvent intervenir aussi lorsque l'État manque à satisfaire "les niveaux minimums essentiels des droits" énoncés par l'ICESCR, et donc un État où "toutes personnes en nombre significatif sont privées d'aliments essentiels, de soins de santé primaires essentiels, d'abri et de logement de base, ou des formes les plus élémentaires de l'éducation, se trouve, à première vue, en violation de l'ICESCR". Ces obligations minimales de base s'appliquent sans égard à la disponibilité de ressources dans le pays concerné, ni à quelque autre facteur ou difficulté.

 

35. Toute discrimination fondée sur l'allégation de la race, la couleur, le sexe, la langue, l'opinion politique ou autre, l'origine nationale ou sociale, la richesse, la naissance ou tout autre statut ayant pour effet d'annihiler ou d'altérer l'égale jouissance ou exercice de tout droit de l'homme est constitutive d'une violation des droits de l'homme.

 

36. Le présent Manuel utilise le terme de "abus des droits de l'homme" dans un sens plus large que "violations", et recouvre les violations commises par la conduite des acteurs non-étatiques.

 

6. "Fonctionnaire chargé des droits de l'homme"

 

37. Le "fonctionnaire chargé des droits de l'homme" est un membre du personnel d'une organisation ou opération de terrain de l'ONU concernant les droits de l'homme, chargé d'accomplir des fonctions de monitoring, d'information, d'assistance technique, de promotion, ou autres. On l'a vu précédemment, ce Manuel n'est consacré qu'à une seule des fonctions éventuelles du HRO en opération de terrain, celle consistant à surveiller la situation des droits de l'homme. C'est en ce sens qu'il convient d'entendre le terme de "fonctionnaire chargé des droits de l'homme" (HRO) dans le présent Manuel. Dans une mission de terrain de l'ONU, le HRO pourra travailler dans un bureau local, à l'écart du bureau central, ou bien dans ce dernier, pour analyser l'information, rédiger des rapports, exercer des activités diverses, etc.

 

38. En général, le travail essentiel du HRO ne consiste pas en tâches de secrétariat, ni d'assistance informatique, logistique ou autre, vis-à-vis de la mission de terrain. Ces fonctions sont celles du personnel d'appui. Afin de préserver le caractère international de la mission de terrain, les nationaux du pays où celle-ci se déroule ne servent normalement pas en tant que HRO; mais de nombreuses autres fonctions peuvent être remplies par du personnel national dans le cadre d'une mission.

 

 

 

___________________

1. Voir par exemple la Déclaration des droits des personnes handicapées, rés. AG 3447 (XXX) (1975); ou la Déclaration sur le droit au développement, rés. 41/128 (1986).

2. Voir l'Acte général de la Conférence de Bruxelles de 1890; la Convention de Saint-Germain en Laye de 1919; et la Convention relative à l'esclavage de 1926, entrée en vigueur le 9 mars 1927.

3. Publiées dans Human Rights Quarterly, février 1998, vol. 20 no. 1.

4. Voir Andrew Clapham, Human Rights in the Private Sphere 95-133 (1993).

 


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