Normes sur la responsabilité en matière de droits de l'homme des sociétés transnationales et autres entreprises, U.N. Doc. E/CN.4/Sub.2/2003/12/Rev.2 (2003).*


Préambule

Gardant à l’esprit
les principes et obligations de la Charte des Nations Unies, en particulier le Préambule et les Articles 1, 2, 55 et 56, notamment en ce qui concerne la promotion du respect universel et de l’observation des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

Rappelant que la Déclaration universelle des droits de l’homme proclame un idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que les gouvernements, les autres organes de la société et les individus s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés, y compris l’égalité de droits des femmes et des hommes et la promotion du progrès social et de meilleures conditions de vie dans une liberté
plus grande et d’en assurer, par des mesures progressives, la reconnaissance et l’application universelle et effective,

Constatant que, même si les États ont la responsabilité première de promouvoir, respecter, faire respecter et protéger les droits de l’homme et de veiller à leur réalisation, les sociétés ransnationales et autres entreprises, en tant qu’organes de la société, ont, elles aussi, la responsabilité de promouvoir et de garantir les droits de l’homme énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme,

Sachant que les sociétés transnationales et autres entreprises, leurs cadres et les personnes travaillant pour elles sont aussi tenus de respecter les principes et normes faisant l’objet d’une reconnaissance générale énoncés dans de nombreuses conventions des Nations Unies et autres instruments internationaux tels que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention contre l’esclavage et la Convention additionnelle sur l’abolition de l’esclavage, la traite des esclaves, et les institutions et pratiques équivalant à l’esclavage, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention relative aux droits de l’enfant, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, les quatre Conventions de Genève et leurs deux Protocoles additionnels relatifs à la protection des victimes des conflits armés, la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, des groupes et des organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, la Convention sur la diversité biologique, la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, la Convention sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement, la Déclaration sur le droit au développement, la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, le Plan d’application du Sommet mondial pour le développement durable, la Déclaration du Millénaire des Nations Unies, la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme, le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel adopté par l’Assemblée mondiale de la santé, les Critères éthiques applicables à la promotion des médicaments ainsi que la politique de la santé pour tous au XXIe siècle de l’Organisation mondiale de la santé, la Convention de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement, les conventions et recommandations de l’Organisation internationale du Travail, la Convention et le Protocole relatifs au statut des réfugiés, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Convention interaméricaine des droits de l’homme, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans le cadre de transactions commerciales internationales,

Tenant compte des normes du travail énoncées dans la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale et dans la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de l’Organisation internationale du Travail,

Ayant à l’esprit les Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales et le Comité de l’investissement international et des entreprises multinationales de l’Organisation de coopération et de développement économiques,

Ayant à l’esprit également le Pacte mondial proposé par l’ONU, qui appelle les dirigeants du monde des affaires à «adopter et appliquer» neuf principes de base concernant les droits de l’homme, y compris les droits des travailleurs et l’environnement,

Consciente du fait que la Sous-Commission du Conseil d’administration sur les entreprises multinationales, le Conseil d’administration, la Commission de l’application des normes ainsi que le Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du Travail ont nommément désigné les entreprises impliquées dans le non-respect de la part de gouvernements des Conventions no 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et no 98 sur le droit
d’organisation et de négociation collective, et désireuse de compléter et de soutenir leurs efforts pour encourager les sociétés transnationales et autres entreprises à protéger les droits de l’homme,

Consciente également du Commentaire des Normes sur la responsabilité en matière de droits de l’homme des sociétés transnationales et autres entreprises et estimant que les observations et l’interprétation qu’il contient sont des plus utiles,

Prenant note des tendances mondiales qui ont accru l’influence des sociétés transnationales et autres entreprises sur l’économie de la plupart des pays comme dans les relations économiques internationales, ainsi que du nombre croissant d’autres entreprises qui opèrent au-delà des frontières nationales selon diverses modalités, créant des activités économiques qu’aucun système national n’a à lui seul la capacité de contrôler,

Notant que les sociétés transnationales et autres entreprises ont la capacité d’accroître le bien-être économique, le développement, le progrès technologique et la richesse, mais qu’elles peuvent aussi avoir des effets nuisibles sur l’exercice des droits de l’homme et la vie des personnes du fait de leurs pratiques et opérations commerciales de base, notamment leurs pratiques en matière d’emploi, leurs politiques environnementales, leurs relations avec leurs fournisseurs et avec les consommateurs, leurs interactions avec les gouvernements et autres activités,

Notant aussi que de nouvelles questions et préoccupations relatives aux droits de l’homme surgissent sans cesse et que les sociétés transnationales et autres entreprises y sont souvent liées, au point qu’il importe de poursuivre l’élaboration et l’application de normes tant à l’heure actuelle qu’à l’avenir,

Reconnaissant le caractère universel, indivisible, interdépendant et solidaire des droits de l’homme, y compris le droit au développement, en vertu duquel chaque personne et tous les peuples ont le droit de prendre part et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique permettant le plein exercice de tous les droits de l’homme et libertés fondamentales, ainsi que d’en bénéficier,

Réaffirmant que les sociétés transnationales et autres entreprises, leurs cadres - gestionnaires, membres du conseil d’administration ou directeurs et autres - et les personnes travaillant pour elles ont, entre autres, des obligations et des responsabilités dans le domaine des droits de l’homme et que les présentes normes contribueront à la création et au développement d’un droit international concernant ces responsabilités et obligations,

Proclame solennellement les présentes normes sur la responsabilité en matière de droits de l’homme des sociétés transnationales et autres entreprises, en demandant instamment qu’aucun effort ne soit ménagé pour les faire largement connaître et respecter.

A. Obligations générales

1. Les États ont la responsabilité première de promouvoir, respecter, faire respecter et protéger les droits de l’homme reconnus tant en droit international qu’en droit interne, et de veiller à leur réalisation et, notamment, de garantir que les sociétés transnationales et autres entreprises respectent ces droits. Dans leurs domaines d’activité et leurs sphères d’influence propres, les sociétés transnationales et autres entreprises sont elles aussi tenues de promouvoir, respecter, faire respecter et protéger les droits de l’homme reconnus tant en droit international qu’en droit interne, y compris les droits et intérêts des populations autochtones et autres groupes vulnérables, et de veiller à leur réalisation.

B. Droit à l’égalité des chances et à un traitement non discriminatoire


2. Les sociétés transnationales et autres entreprises garantissent l’égalité des chances et de traitement conformément aux instruments internationaux pertinents, à la législation nationale et au droit international relatif aux droits de l’homme dans le but d’éliminer toute discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques, la nationalité d’origine, l’origine sociale, la condition sociale, la qualité d’autochtone, le handicap, l’âge - excepté pour les enfants, qui peuvent bénéficier d’une protection plus grande - ou autre qualité de la personne n’ayant aucun rapport avec son aptitude à exercer un emploi, ou de se conformer aux mesures spécifiquement destinées à remédier aux effets de la discrimination dont certains groupes ont été victimes par le passé.

C. Droit à la sécurité de la personne

3. Les sociétés transnationales et autres entreprises ne participent pas à des crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocides, actes de torture, disparitions forcées, pratiques de travail forcé ou obligatoire, prises d’otage, exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, autres violations du droit international humanitaire et d’autres crimes internationaux contre la personne tels que définis par le droit international, en particulier le droit humanitaire et le droit relatif
aux droits de l’homme, ni n’en tirent profit.

4. Les dispositifs prévus pour assurer la sécurité des sociétés transnationales et autres entreprises sont conformes tant aux normes internationales relatives aux droits de l’homme qu’aux lois et aux normes professionnelles du ou des pays où elles exercent leurs activités.

D. Droits des travailleurs

5. Les sociétés transnationales et autres entreprises n’ont pas recours au travail forcé ou obligatoire, interdit par les instruments internationaux pertinents et la législation nationale ainsi que par les normes internationales relatives aux droits de l’homme et le droit international humanitaire.

6. Les sociétés transnationales et autres entreprises respectent le droit des enfants d’être protégés de l’exploitation économique, interdite par les instruments internationaux pertinents et la législation nationale ainsi que par les normes internationales relatives aux droits de l’homme et le droit international humanitaire.

7. Les sociétés transnationales et autres entreprises assurent à leur personnel l’hygiène et la sécurité sur les lieux de travail conformément aux instruments internationaux pertinents et à la législation nationale ainsi qu’aux normes internationales relatives aux droits de l’homme et au droit international humanitaire.

8. Les sociétés transnationales et autres entreprises offrent à leurs employés une rémunération qui assure aux intéressés ainsi qu’à leur famille des conditions de vie décentes. Cette rémunération tient dûment compte de leurs besoins, dans l’optique d’une amélioration progressive de leurs conditions de vie.

9. Les sociétés transnationales et autres entreprises garantissent la liberté d’association et reconnaissent effectivement le droit à la négociation collective en protégeant le droit de leurs employés de former les organisations de leur choix et, dans le respect des règles de l’organisation concernée, de s’y affilier sans distinction, autorisation préalable ou ingérence, pour la protection de leurs intérêts professionnels et à d’autres fins de négociation collective, conformément aux conventions pertinentes de l’Organisation internationale du Travail.

E. Respect de la souveraineté nationale et des droits de l’homme

10. Les sociétés transnationales et autres entreprises reconnaissent et respectent les normes applicables du droit international, les dispositions législatives et réglementaires ainsi que les pratiques administratives nationales, l’état de droit, l’intérêt public, les objectifs de développement, les politiques sociale, économique et culturelle y compris la transparence, la responsabilité et l’interdiction de la corruption, et l’autorité des pays dans lesquels elles opèrent.

11. Les sociétés transnationales et autres entreprises n’offrent, ne promettent, ne donnent, n’acceptent, ne tolèrent et n’exigent aucun pot-de-vin ou autre avantage indu ni n’en bénéficient sciemment et aucun gouvernement, fonctionnaire, candidat à une fonction élective, membre des forces armées ou des forces de sécurité ni aucun autre individu ou entité ne peut leur demander ou en attendre un pot-de-vin ou autre avantage indu. Les sociétés transnationales et autres entreprises s’abstiennent de toute activité aidant, incitant ou encourageant les États ou toute autre entité à enfreindre les droits de l’homme. Elles veillent à ce que les biens et services qu’elles offrent et produisent ne soient pas utilisés pour violer les droits de l’homme.

12. Les sociétés transnationales et autres entreprises respectent les droits économiques, sociaux et culturels ainsi que les droits civils et politiques et contribuent à leur réalisation, en particulier le droit au développement, à une alimentation adéquate et à l’eau potable, au meilleur état de santé physique et mentale possible, à un logement approprié, à la protection de la vie privée, à l’éducation, et à la liberté de pensée, de conscience et de religion et à la liberté d’opinion et d’expression, et s’abstiennent de toute action qui entraverait ou empêcherait la réalisation de ces droits et libertés.

F. Obligations visant la protection du consommateur

13. Les sociétés transnationales et autres entreprises adoptent des pratiques loyales en matière d’opérations commerciales, de commercialisation et de publicité et prennent toutes les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité et la qualité des produits et services qu’elles fournissent. Elles ne produisent, distribuent ni ne commercialisent des produits dangereux ou potentiellement dangereux pour les consommateurs ni n’en font la publicité.

G. Obligations visant la protection de l’environnement

14. Les sociétés transnationales et autres entreprises mènent leurs activités conformément aux lois, réglementations, pratiques administratives et politiques nationales relatives à la préservation de l’environnement en vigueur dans les pays où elles opèrent, ainsi que conformément aux accords, principes, normes, responsabilités et objectifs internationaux concernant l’environnement, et dans le respect des droits de l’homme, de la santé et de la sécurité publiques, de la bioéthique et du principe de précaution. En règle générale, elles conduisent leurs activités de manière à contribuer à la réalisation de l’objectif plus général du développement durable.

H. Dispositions générales visant la mise en œuvre

15. À titre de première étape dans l’application des présentes Normes, chaque société transnationale ou autre entreprise adopte, diffuse et applique des règles internes de fonctionnement conformes à ces Normes. De plus, elles adoptent d’autres mesures pour permettre la mise en œuvre complète des Normes et garantir au moins une application rapide des protections prévues par les Normes et présentent régulièrement des rapports sur les mesures prises. Chaque société transnationale ou autre entreprise applique les Normes et les intègre à ses contrats ou autres accords et transactions avec des partenaires, sous-traitants, fournisseurs, concessionnaires, distributeurs ou toute autre personne physique ou morale qui conclut quelque accord que ce soit avec la société ou l’entreprise afin de garantir l’application et le respect des Normes.

16. Les sociétés transnationales et autres entreprises font l’objet de contrôles et vérifications périodiques, par des mécanismes des Nations Unies et d’autres mécanismes nationaux et internationaux existants ou à créer, portant sur l’application des Normes. Ce contrôle est transparent et indépendant et prend en compte l’apport des parties intéressées (y compris des organisations non gouvernementales), ainsi que, par conséquent, les plaintes déposées pour violation des Normes. De plus, les sociétés transnationales et autres entreprises conduisent des évaluations périodiques de l’impact de leurs propres activités sur les droits de l’homme au regard des Normes.

17. Les États mettent en place et renforcent le cadre juridique et administratif nécessaire pour veiller à l’application par les sociétés transnationales et autres entreprises des Normes et autres textes nationaux et internationaux pertinents.

18. Les sociétés transnationales et autres entreprises offrent une réparation rapide, efficace et adéquate aux personnes, entités et communautés qui ont pâti du non-respect des présentes Normes, sous la forme de réparations, restitution, indemnisation ou remise en état pour tous dommages ou perte de biens. Aux fins de la détermination des dommages subis, en matière de sanctions pénales et dans tout autre contexte, les présentes Normes sont appliquées par les tribunaux nationaux et/ou les tribunaux internationaux, conformément au droit interne et au droit international.

19. Aucune disposition des présentes Normes ne peut être interprétée comme diminuant, restreignant ou affectant d’une manière défavorable les obligations des États en matière de droits de l’homme découlant du droit interne et du droit international, les normes plus protectrices des droits de l’homme ou les autres obligations ou responsabilités des sociétés transnationales et autres entreprises dans des domaines autres que les droits de l’homme.

I. Définitions

20. L’expression «société transnationale» désigne une entité économique opérant dans plus d’un pays ou un ensemble d’entités économiques opérant dans plus d’un pays - quelle que soit leur forme juridique, que ce soit dans le pays du siège ou le pays d’activité et que les entités en question soient considérées individuellement ou collectivement.

21. L’expression «autre entreprise» désigne toute entité industrielle ou commerciale – société transnationale, entrepreneur, sous-traitant, fournisseur, titulaire de licence ou distributeur –, quelles que soient la nature, internationale ou nationale, de ses activités, sa forme juridique - société de capitaux, société de personnes ou autre - et la répartition de son capital social. Les présentes Normes sont présumées applicables en pratique si l’entreprise entretient des relations d’affaires avec une société transnationale, si l’impact de ses activités n’est pas uniquement local ou si ses activités entraînent des violations du droit à la sécurité comme indiqué aux paragraphes 3 et 4.

22. L’expression «partie intéressée» comprend les actionnaires, les autres propriétaires, les travailleurs et leurs représentants, ainsi que tout autre individu ou groupe sur lequel les activités de la société ou de l’entreprise ont une incidence. Le terme «partie intéressée» doit être interprété dans un sens fonctionnel à la lumière des objectifs des présentes Normes et englobe les parties indirectement intéressées lorsqu’elles sont ou seront substantiellement touchées dans leurs intérêts par les activités de la société ou de l’entreprise. Outre les parties directement touchées par les activités des entreprises, le terme peut inclure des parties qui sont indirectement touchées telles que les associations de consommateurs, les clients, les gouvernements, les communautés avoisinantes, les communautés et peuples autochtones, les ONG, les établissements publics et privés de crédit, les fournisseurs, les organisations professionnelles et autres.

23. Les expressions «droits de l’homme» et «normes internationales relatives aux droits de l’homme» recouvrent les droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux tels qu’énoncés par la Charte internationale des droits de l’homme et les autres instruments relatifs aux droits de l’homme, ainsi que le droit au développement et les droits reconnus par le droit international humanitaire, le droit international des réfugiés, le droit international du travail et les autres instruments pertinents adoptés au sein du système des Nations Unies.

 

_______________

* Adoptées à la 22e séance, le 13 août 2003.


Page Principale || Traités || Recherche || Liens