University of Minnesota



Cecilia Derksen, en son nom propre et au nom de sa fille Kaya Marcelle Bakker c. Pays-Bas, Communication No. 976/2001, U.N. Doc. CCPR/C/80/D/976/2001 (2004).



Comité des droits de l'homme

Quatre-vingtième session

15 mars - 2 avril 2004



Annexe

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4

de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte

international relatif aux droits civils et politiques

- Quatre-vingtième session -


Communication no 976/2001


* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la présente communication: M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.

Le texte de deux opinions individuelles signées de M. Nisuke Ando et de Sir Nigel Rodley est joint au présent document.


APPENDICE

OPINION INDIVIDUELLE DE M. NISUKE ANDO


J'ai le regret de ne pas partager la conclusion du Comité, selon laquelle la loi sur les personnes à charge survivantes viole l'article 26 du Pacte en ce qu'elle refuse d'accorder des prestations pour orphelins de père ou de mère aux couples non mariés avant le 1er juillet 1996, alors qu'elle accorde de telles prestations aux enfants de couples non mariés après cette date.

Les faits de la cause sont, selon moi, les suivants: le 1er juillet 1996, la loi sur les personnes à charge survivantes a remplacé la loi générale sur les veuves et les orphelins. En vertu de la nouvelle loi, les couples non mariés peuvent prétendre à des prestations auxquelles seuls les couples mariés avaient droit sous l'empire de l'ancienne loi. L'auteur a déposé une demande d'allocation au titre de la nouvelle loi sur les personnes à charge survivantes, laquelle a été rejetée au motif que son partenaire est décédé le 22 février 1995, soit 17 mois avant la promulgation de la nouvelle loi; celle-ci n'ayant pas d'effet rétroactif, l'auteur n'a pas pu prétendre à cette allocation. L'auteur affirme que, dans la mesure où il a été décidé de traiter les couples mariés et les couples non mariés sur un pied d'égalité, on devrait le faire pour tous quelle que soit la date à laquelle l'un des partenaires est décédé, et que dans le cas contraire il y a violation de l'article 6 non seulement à son détriment, mais également au détriment de sa fille (3.3, 5.3 et 5.4).

Il est regrettable que la nouvelle loi ait un effet défavorable, en l'espèce, pour l'auteur et sa fille. Toutefois, lorsqu'il interprète et applique l'article 26, le Comité des droits de l'homme doit tenir compte des trois facteurs suivants: premièrement, il ressort clairement de l'historique de la codification de la Déclaration universelle des droits de l'homme que seuls les droits énoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques peuvent être contestés en justice (et le Protocole facultatif est annexé à ce Pacte), alors que les droits consacrés dans le Pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels ne peuvent pas être contestés en justice. Deuxièmement, alors que le principe de la non-discrimination consacré à l'article 26 du premier Pacte peut être applicable à tout domaine réglementé et protégé par les autorités publiques, le second Pacte n'oblige les États parties qu'à mettre progressivement en œuvre les droits qui y sont énoncés. Troisièmement, le droit à la sécurité sociale, qui est précisément le droit dont il s'agit en l'espèce, est prévu non dans le premier Pacte, mais dans le second, lequel comporte ses propres dispositions en ce qui concerne la mise en œuvre non discriminatoire des droits qu'il consacre.

Par conséquent, le Comité des droits de l'homme doit être particulièrement prudent lorsqu'il applique l'article 26 à des affaires mettant en jeu des droits économiques et sociaux, droits que les États parties au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels doivent certes réaliser sans discrimination, mais graduellement, en fonction des moyens dont ils disposent. Selon moi, l'État partie s'efforce, en l'espèce, de traiter les couples mariés et les concubins sur un pied d'égalité mais progressivement, ce qui explique que la loi sur les personnes à charge survivantes n'ait pas d'effet rétroactif. Dire à l'État partie qu'il viole l'article 26 s'il ne traite pas tous les couples mariés et les couples non mariés immédiatement sur un pied d'égalité absolue revient à lui dire de ne pas commencer à remplir d'eau un verre vide s'il ne peut pas le remplir complètement sur-le-champ!


(Signé) Nisuke Ando

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]


OPINION INDIVIDUELLE (DISSIDENTE) DE SIR NIGEL RODLEY

Je considère que la conclusion du Comité, selon laquelle Kaya Marcelle Bakker, fille de l'auteur, a été victime d'une violation (par. 9.3) ne résiste pas à l'analyse. Pour se conformer à l'interprétation du Pacte à laquelle se livre le Comité, l'État partie aurait dû donner un effet rétroactif à la loi sur les personnes à charge survivantes. En effet, c'est précisément l'absence de rétroactivité qui constitue, selon le Comité, la violation. Étant donné que la plupart des lois ont pour effet de modifier les droits des personnes au regard de la situation qui prévalait avant leur adoption, le raisonnement du Comité implique que toute loi accordant une nouvelle allocation doit avoir un effet rétroactif pour éviter de constituer une discrimination à l'encontre de ceux dont les droits ne sont pas déterminés en vertu de la législation antérieure.

En outre, je considère qu'en l'espèce, le Comité étend la notion de victime au-delà du raisonnable. Tant en vertu de la loi générale sur les veuves et les orphelins que de la loi sur les personnes à charge survivantes, aucune personne née hors mariage n'avait ou n'a un quelconque droit indépendant à une prestation. La mère, en l'espèce il s'agit de l'auteur, était et demeure libre de d'utiliser l'allocation sans être tenue de l'appliquer au bien-être de son enfant. La doctrine déjà peu solide de la discrimination indirecte, que le Comité applique en l'espèce et sur laquelle il fonde son argumentation est soumise à une pression intolérable. Après tout, la discrimination indirecte prétendue entre enfants que leurs mères ont mis au monde avant ou après l'adoption de la loi sur les personnes à charge survivantes ne saurait être comparée à la discrimination directe entre enfants nés dans le mariage et ceux nés hors mariage. Toutefois, le Comité s'abstient de conclure que cette discrimination est incompatible avec le Pacte, simplement parce qu'il décide que la communication est recevable uniquement en ce qui concerne l'applicabilité de la loi sur les personnes à charge survivantes (par. 7.2). (À cet égard, j'observe également que, la décision du Comité sur le fond concernant une différence entre ladite loi et la loi générale sur les veuves et les orphelins, il en ressort que, logiquement, la décision d'irrecevabilité aurait dû s'appliquer aux deux textes législatifs; après tout, une réparation efficace au sujet de la loi sur les personnes à charge survivantes aurait permis de régler la divergence apparente en ce qui concerne l'application de la loi sur les personnes à charge survivantes.)

Par conséquent, tout en regrettant que l'État partie n'ait pas pu se montrer plus généreux en étendant les dispositions de cette dernière loi à toutes les familles dans la situation de Mme Bakker et de sa fille, je ne vois pas en quoi le Pacte a été violé.


(Signé) Sir Nigel Rodley

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]



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