University of Minnesota



Valentin Ostroukhov c. Russian Federation, Communication No. 967/2001, U.N. Doc. CCPR/C/83/D/967/2001 (2005).


 

 


Convention Abbreviation: CCPR

Présentée par: Valentin Ostroukhov (représenté par des conseils, Mme Ledeneva, Mme Voskobitova et Mme K. Moskalenko, du Centre moscovite de protection internationale)

Au nom de: L'auteur

État partie Fédération de Russie

Date de la communication: 27 avril 1999

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 mars 2005,

Adopte la décision ci-après:



DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ


1. L'auteur de la communication est M. Valentin Ostroukhov, de nationalité russe, né en 1977, qui, à l'époque où la communication a été présentée, purgeait une peine de prison dans la République des Komis (Fédération de Russie). Il affirme être victime de violations par la Fédération de Russie des articles 14, paragraphe 1, et 15, paragraphe 1 du Pacte. Il est représenté par un conseil.


Exposé des faits

2.1 Le 27 août 1996, l'auteur a acheté 10 grammes de marijuana à un inconnu – par curiosité selon lui. Peu après, il a été interrogé par une patrouille de police à proximité de son domicile, et la drogue a été découverte. Il a été arrêté et placé en détention provisoire. Le 10 novembre 1997, le tribunal intermunicipal Tagansky de Moscou l'a déclaré coupable d'achat et de détention illicites de stupéfiants sans intention de les vendre et l'a condamné à un an et six mois d'emprisonnement en vertu du paragraphe 3 de l'article 224 du Code pénal de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, en vigueur au moment où l'infraction pénale avait été commise. (1)

2.2 L'auteur relève qu'à la date de l'infraction − le 27 août 1996 − l'ancien Code pénal était encore en vigueur et qu'en vertu de ses dispositions l'achat et la détention illicites de «petites» quantités de marijuana constituaient une infraction pénale. D'après lui, le Tableau récapitulatif du Comité permanent de lutte contre les stupéfiants du 17 avril 1995 stipulait que 10 grammes de marijuana constituaient une «petite» quantité.

2.3 L'auteur fait observer qu'au cours de l'enquête et concomitamment au procès un nouveau Code pénal était entré en vigueur (le 1er janvier 1997). D'après l'article 228 dudit Code, la responsabilité pénale n'était engagée qu'en cas d'achat et de détention illicites de stupéfiants en quantité «importante» ou «très importante»; de l'avis de l'auteur, la possession de «petites» quantités de stupéfiants s'en trouvait donc dépénalisée. (2) En vertu de l'article 10 du nouveau Code pénal, cette dépénalisation devait s'appliquer rétroactivement aux personnes qui avaient commis des infractions pénales analogues avant l'entrée en vigueur du nouveau Code. Malgré cela, le tribunal a déclaré l'auteur coupable le 10 novembre 1997.

2.4 M. Ostroukhov a fait appel du jugement du tribunal de première instance devant le tribunal de la ville de Moscou, lui demandant d'annuler ce jugement et de classer l'affaire. Dans son appel, il a mentionné l'article 228 du nouveau Code pénal qui dépénalisait la possession de «petites» quantités de marijuana. Le 11 décembre 1997, le tribunal de la ville de Moscou a confirmé le jugement du 10 novembre 1997.

2.5 L'auteur s'est alors pourvu devant le président du tribunal de la ville de Moscou, déposant un recours en révision (nadzor). Le 20 janvier 1998, le président du tribunal de la ville de Moscou a expliqué que la plainte de l'auteur était dénuée de fondement parce que la sanction prévue à l'article 228 du nouveau Code pénal pour la possession de 10 grammes de marijuana sans intention de les vendre était en fait plus sévère que la sanction prévue à l'article 224 de l'ancien Code pénal. L'auteur a déposé plusieurs autres plaintes devant les services du Procureur général et la Cour suprême. Le président de la Cour suprême a examiné son affaire et conclu qu'il ressortait du Tableau récapitulatif du Comité permanent de lutte contre les drogues du 1er août 1995 et de la liste no 1 qui y était annexée («Quantités de stupéfiants pouvant être considérées comme minimes, importantes et très importantes») du 4 juin 1997 que l'acquisition et la détention de 10 grammes de marijuana constituaient une infraction pénale tant à la date de la commission de cette infraction qu'en vertu du nouveau Code pénal.

2.6 D'après l'auteur, le nouveau Tableau récapitulatif du Comité permanent de lutte contre les drogues du 4 juin 1997 stipulait que 10 grammes de marijuana constituaient une quantité «importante» et ce nouveau tableau avait été appliqué pour la qualification de l'infraction qu'il avait commise le 27 août 1996.


Teneur de la plainte

3. L'auteur affirme être victime de violations par la Fédération de Russie des droits que lui confèrent l'article 14, paragraphe 1, et l'article 15, paragraphe 1 du Pacte. Il déclare qu'en 1996, il a été accusé de possession d'une «petite quantité» de marijuana et que, en novembre 1997, il a été reconnu coupable et condamné à une peine d'emprisonnement. Il affirme que sa condamnation était illégale du fait que, le 1er janvier 1997, un nouveau Code pénal était entré en vigueur qui dépénalisait la possession de petites quantités de marijuana; en droit russe, toute loi dépénalisant une infraction est censée s'appliquer rétroactivement.


Observations de l'État partie

4.1 Par une note du 31 juillet 2001, l'État partie a expliqué que les services du Procureur général avaient examiné l'affaire pénale de l'auteur en vertu de la procédure de contrôle judiciaire. Il affirme que le conseil de l'auteur fondait les arguments de sa défense sur le Tableau récapitulatif du Comité permanent de lutte contre les drogues du 1er août 1995 selon lequel 10 grammes de marijuana séchée constituaient une «petite quantité» de stupéfiants et ne justifiaient donc pas l'ouverture de poursuites pénales contre l'auteur en vertu du Code pénal alors en vigueur.

4.2 D'après l'État partie, lesdits arguments n'étaient pas convaincants car les quantités de stupéfiants mentionnées dans les Tableaux récapitulatifs du Comité permanent du 1er août 1995 et du 4 juin 1997 constituaient tout au plus de simples recommandations scientifiques à l'usage des experts. Les conclusions du Comité permanent n'ont pas valeur juridique et la règle selon laquelle le droit pénal ne devrait pas avoir d'effet rétroactif ne s'applique pas à ces conclusions. D'après l'État partie, il est du seul ressort des tribunaux de décider, à la lumière de toutes les circonstances, si une quantité donnée de stupéfiants doit être qualifiée de «minime», «importante» ou «très importante».


Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie

5. L'auteur a commenté les observations de l'État partie dans une lettre datée du 14 novembre 2002. Il fait valoir que les Tableaux récapitulatifs du Comité permanent de lutte contre les drogues du 1er août 1995 et du 4 juin 1997 constituent de fait une source de droit car, en tout état de cause, ils ont servi à qualifier ses actes en termes juridiques et ne constituent pas selon lui de simples recommandations scientifiques.


Délibérations du Comité

6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note que la même affaire n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement, et que les recours internes disponibles ont été épuisés. Il considère donc que les conditions énoncées aux paragraphes 2 a) et b) de l'article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

6.3 Le Comité a noté que l'affirmation de l'auteur selon laquelle les droits que lui confèrent l'article 14, paragraphe 1, et l'article 15, paragraphe 1, ont été violés du fait qu'il a été condamné illégalement par le tribunal intermunicipal Tagansky de Moscou le 10 novembre 1997, en vertu des dispositions du Code pénal de 1960, pour détention de 10 grammes de marijuana (quantité qualifiée à l'époque de «minime»), en dépit du fait que, le 1er janvier 1997, le nouveau Code pénal de l'État partie soit entré en vigueur et que, selon ses dispositions, l'achat et la détention de «petites» quantités de drogues soient dépénalisés. Le Comité note cependant que le tribunal intermunicipal Tagansky de Moscou a examiné cette question et fondé son jugement du 10 novembre 1997 sur l'ancien Code pénal, affirmant que la sanction prévue pour l'achat et la détention illicites de 10 grammes de marijuana était plus légère que celle prévue par le nouveau Code pénal. En appel, le tribunal de la ville de Moscou a déterminé que la possession d'une telle quantité de drogues constituait une infraction pénale tant en vertu de l'ancien Code pénal que du nouveau.

6.4 En substance, le principal argument de l'auteur a trait à la qualification juridique de l'acquisition de la quantité susmentionnée de marijuana, considérée comme «minime» en vertu de la loi en vigueur en 1996 et «importante» en vertu du nouveau Code pénal de 1997. D'après l'auteur, le nouveau Code pénal dépénalisait l'achat de «petites» quantités de marijuana et il devait donc être acquitté puisque la quantité qu'il détenait était «minime» d'après le Tableau récapitulatif du Comité permanent de lutte contre les drogues du 17 avril 1995. Le Comité a noté que cet argument avait été examiné par les tribunaux et jugé dénué de fondement. Il constate que la plainte de l'auteur a trait, de par sa nature, à l'appréciation des faits et des éléments de preuve et à l'interprétation du droit interne. Il renvoie à sa jurisprudence, réaffirmant que c'est aux juridictions des États parties au Pacte et non à lui-même qu'il appartient généralement d'examiner ou d'évaluer les faits et les éléments de preuve, sauf à établir que la conduite du procès ou l'évaluation des faits et des éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. (3) Comme l'auteur n'a pas présenté d'éléments de preuve montrant que les décisions des cours d'appel aient été entachées de telles irrégularités, le Comité considère que cette plainte n'est pas étayée aux fins de la recevabilité et est donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

7. Le Comité des droits de l'homme décide en conséquence:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur de la communication, pour information.

____________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.


Notes

1. Le paragraphe 3 de l'article 224 du Code pénal de la République socialiste fédérative soviétique de Russie se lit comme suit: «La fabrication, l'acquisition, la détention, le transport ou l'expédition illicites de stupéfiants sans intention de les vendre sont punis d'une peine de privation de liberté de trois ans au plus ou d'une peine de travail correctif de deux ans au plus».

2. L'article 228 du nouveau Code pénal se lit en partie comme suit: «Fabrication, acquisition, détention, transport, expédition ou vente illicites de stupéfiants ou de substances psychotropes

3. Voir, par exemple, la communication no 842/1998, Sergei Romanov c. Ukraine, décision d'irrecevabilité adoptée le 30 octobre 2003.

 

 



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