University of Minnesota



Mme Barno Saidova c. Tajikistan, Communication No. 964/2001, U.N. Doc. CCPR/C/81/D/964/2001 (2004).


 


Convention Abbreviation: CCPR
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 8 juillet 2004,

Ayant achevé l'examen de la communication no 964/2001, présentée au Comité des droits de l'homme par Mme Barno Saidova en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication,

Adopte ce qui suit:



Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif



1.1 L'auteur de la communication est Mme Barno Saidova, de nationalité tadjike, née en 1958. Elle présente la communication au nom de son mari, Gaibullodzhon Ilyasovich Saidov, également de nationalité tadjike, né en 1954, et qui au moment où la communication a été présentée était détenu dans le quartier des condamnés à mort, en attente d'exécution, après avoir été condamné à mort par la chambre militaire de la Cour suprême du Tadjikistan le 24 décembre 1999. L'auteur affirme que son mari est victime de violations par le Tadjikistan des paragraphes 1 et 2 de l'article 6, de l'article 7, du paragraphe 2 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 10, et des paragraphes 1, 2, 3 b), d) et g) et 5 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. (1) L'auteur n'est pas représentée par un conseil.

1.2 Le 12 janvier 2001, conformément à l'article 86 de son règlement intérieur, le Comité des droits de l'homme, agissant par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a prié l'État partie de ne pas procéder à l'exécution de M. Saidov tant que son affaire serait en instance devant le Comité. Aucune réponse n'a été reçue de l'État partie à cet égard. Il ressort des lettres ultérieures de l'auteur que M. Saidov a été exécuté le 4 avril 2001.


Rappel des faits présentés par l'auteur

2.1 L'auteur affirme que, le 4 novembre 1998, environ 600 combattants armés, basés en Ouzbékistan mais d'origine tadjike, ont apporté leur appui à un certain colonel Khudoberdiev et se sont infiltrés dans la région de Leninabad au Tadjikistan. Après avoir occupé plusieurs bâtiments officiels dans la région, ils ont demandé que tous les collaborateurs de Khudoberdiev bénéficient d'une amnistie et puissent retourner en toute sécurité au Tadjikistan.

2.2 Le même jour, M. Saidov, un chauffeur qui vivait à Khukhandzh, dans la région qui avait été envahie, a fait la connaissance de certains des combattants. Il a décidé de transporter plusieurs combattants blessés à l'hôpital et d'enterrer des combattants qui avaient été tués lors des affrontements entre les partisans de Khudoberdiev et les troupes gouvernementales. M. Saidov était armé.

2.3 Le 7 novembre 1998, les combattants ont commencé à se replier en direction de l'Ouzbékistan. M. Saidov s'est rendu à la frontière kirghize, où il a été arrêté par les autorités tadjikes le 25 novembre 1998. L'auteur affirme que son mari et d'autres personnes arrêtées lors de ce qu'on a appelé les «événements de novembre» ont été battus afin qu'ils fassent des aveux. L'auteur a été autorisée à voir son mari au commissariat de police une semaine après son arrestation. Pendant sa visite, elle a remarqué qu'il avait été battu parce que son corps portait des ecchymoses noires et bleues. Il avait une ecchymose au-dessus du sourcil droit, sur le thorax, ses jambes étaient enflées et il était incapable de se tenir debout. Pendant un mois, ses blessures internes ont causé des pertes de sang. Aucun médecin ne l'aurait examiné. L'auteur affirme qu'on a menacé son mari de s'en prendre à sa femme et à sa fille s'il refusait de s'avouer coupable. Une balle aurait été tirée dans le pied d'une autre personne arrêtée dans les mêmes circonstances pour la faire avouer.

2.4 D'après l'auteur, pendant le mois qui a suivi l'arrestation, la télévision nationale a retransmis constamment des conférences de presse où apparaissaient les personnes qui s'étaient «repenties» après leur arrestation et qui portaient des traces de coups. Son mari a lui aussi été montré à la télévision et on a pu voir la cicatrice qu'il portait au sourcil droit. L'auteur affirme que l'état de santé général de M. Saidov, notamment sa vue, s'est dégradé à cause des coups reçus.

2.5 Bien que M. Saidov ait été arrêté le 25 novembre 1998, il n'a été formellement inculpé que le 1er janvier 1999. Lors de son arrestation, il n'a pas été informé de son droit d'être assisté d'un défenseur. L'auteur a été le seul membre de la famille autorisé à lui rendre visite de temps à autre. L'avocat de son mari n'a pas été choisi par celui-ci mais lui a été attribué d'office par un magistrat instructeur et ne s'est manifesté que vers la mi-mars 1999. Il n'aurait rencontré M. Saidov qu'une seule fois pendant l'instruction.

2.6 Le procès a débuté en juin 1999 devant la chambre militaire de la Cour suprême, siégeant dans les locaux de l'Unité militaire 3501 à Khudzhand. Les audiences ont eu lieu dans une salle de réunion aux fenêtres brisées. D'après l'auteur, il n'est fait mention, dans la décision du tribunal, ni du caractère secret du procès ni d'une quelconque limitation de la publicité des débats. Or une liste des personnes autorisées à accéder au prétoire avait été établie, sur laquelle ne figurait qu'un seul parent par accusé.

2.7 L'avocat de M. Saidov a souvent été absent pendant le procès et nombre des interrogatoires auxquels M. Saidov a été soumis ont eu lieu en son absence. L'avocat était également absent lors du prononcé du jugement.

2.8 Selon l'auteur, tous les accusés, notamment son mari, ont déclaré devant le tribunal que pendant l'instruction on les avait frappés et qu'on les avait menacés pour les obliger à avouer ou à témoigner contre eux-mêmes ou les uns contre les autres. Toutefois, le tribunal n'a pas tenu compte de ces déclarations et n'a rien fait pour les vérifier. D'après l'auteur, le Président du tribunal avait décidé de condamner les accusés dès avant l'ouverture du procès. C'est pourquoi il aurait conduit le procès d'une «manière accusatoire».

2.9 L'auteur affirme que son mari a été détenu dans les locaux de la police du district de Khudzhand du 25 novembre 1998 au 12 janvier 1999 alors qu'en principe une personne arrêtée ne devrait pas y être détenue plus de trois jours. Le 12 janvier 1999, M. Saidov a été transféré au centre d'enquête no 1 à Khudzhand et placé dans une cellule collective en compagnie de 16 autres détenus. La ventilation était insuffisante et la cellule était surpeuplée. Il n'avait pour toute nourriture que des gruaux d'orge. Comme son mari souffrait d'une hépatite virale avant son arrestation, il n'arrivait pas à digérer la nourriture qu'on lui servait au centre de détention; c'est en vain qu'il a demandé à bénéficier d'un régime alimentaire spécial. Son estomac en a souffert et il a été obligé de ne consommer que les aliments que lui faisaient irrégulièrement parvenir les membres de sa famille.

2.10 Le 24 décembre 1999, la Cour suprême a reconnu M. Saidov coupable de banditisme, de participation à une association de malfaiteurs, d'usurpation de pouvoir par la force, d'incitation publique à la modification par la force de l'ordre constitutionnel, d'acquisition et de détention illégales d'armes à feu et de munitions, de terrorisme et de meurtre, et elle l'a condamné à la peine capitale. Le même jour, il a été transféré dans le quartier des condamnés à mort et placé dans une cellule individuelle d'un mètre sur deux avec un matelas peu épais posé sur le sol en ciment, sans lit. Un simple seau d'aisances était placé dans un coin. L'auteur affirme que son mari, qui était un musulman pratiquant, se sentait humilié de devoir prier dans de telles conditions. Le 25 juin 2000, M. Saidov a été transféré au Centre de détention SIZO no 1 à Douchanbé, où les conditions de détention et la qualité de la nourriture étaient, d'après l'auteur, identiques. L'auteur affirme que des colis qu'elle envoyait à son mari par l'intermédiaire des autorités pénitentaires, il n'en recevait qu'un sur quatre.

2.11 L'auteur affirme qu'elle-même et l'avocat de M. Saidov ont fait appel de la décision de la Cour suprême auprès du Président de la Cour suprême du Tadjikistan. Le Vice-Président de la Cour suprême (et Président de la chambre militaire de la même Cour) a rejeté cet appel à une date non précisée. La mère de M. Saidov a adressé une demande de grâce au Président mais n'a reçu aucune réponse. L'avocat de M. Saidov a adressé une demande de grâce à la Commission présidentielle pour la défense des droits constitutionnels des citoyens mais n'a pas reçu de réponse non plus.

2.12 Le 10 mai 2001, l'auteur a informé le Comité que son mari avait été exécuté le 4 avril 2001, bien que le Comité ait demandé que soient prises des mesures provisoires de protection. Le 12 juin 2001, elle a présenté une copie du certificat de décès, établi le 18 mai 2001, qui confirmait que M. Saidov était décédé le 4 avril 2001, sans mentionner la cause du décès.


Teneur de la plainte

3.1 L'auteur affirme que son mari a été victime de violations des droits que lui confère l'article 7 du Pacte car pendant l'instruction, en particulier pendant les deux semaines qui ont suivi son arrestation, les enquêteurs l'ont torturé pour le faire avouer, en violation du paragraphe 3 g) de l'article 14. Pendant le procès, lorsque M. Saidov et ses coaccusés ont refusé de reconnaître le caractère volontaire des aveux qu'ils avaient faits pendant l'instruction, le juge leur aurait coupé la parole, déclarant qu'ils affabulaient et leur demandant de «dire la vérité».

3.2 L'auteur affirme que le paragraphe 2 de l'article 9 a été violé dans le cas de son mari, car il a été arrêté le 25 novembre 1998 mais n'a été formellement inculpé qu'un mois plus tard, le 1er janvier 1999.

3.3 Le paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte aurait été violé en raison des conditions de détention inhumaines qu'aurait subies M. Saidov à Khudzhand et Douchanbé.

3.4 Le paragraphe 1 de l'article 14 aurait été violé car le juge de la chambre militaire de la Cour suprême a conduit le procès d'une manière partiale, a limité l'accès des parents des accusés aux audiences et en a interdit l'accès à d'autres personnes qui souhaitaient y assister, violant ainsi la règle de la publicité des débats. Une autre question pourrait être soulevée au titre de la disposition susmentionnée bien que l'auteur ne l'ait pas invoquée directement: M. Saidov, un civil, a été condamné par la chambre militaire de la Cour suprême.

3.5 Il y aurait également eu violation de la présomption d'innocence, qui est protégée par le paragraphe 2 de l'article 14, car pendant l'instruction les médias nationaux contrôlés par l'État ont constamment programmé des émissions et publié des documents traitant M. Saidov et ses coaccusés de «criminels», de «rebelles», etc., afin de les dénigrer auprès de l'opinion publique. Cela explique que par la suite, pendant le procès, le juge ait adopté une approche accusatoire.

3.6 Il y aurait eu violation du paragraphe 3 b) de l'article 14 car pendant l'instruction M. Saidov a été privé, de facto, de son droit à être représenté par un défenseur, alors qu'il risquait la peine de mort. Un avocat n'a été désigné par les autorités chargées de l'instruction qu'à la fin de l'instruction et M. Saidov ne l'a rencontré qu'une seule fois, en violation – selon l'auteur – de son droit à préparer sa défense. L'auteur affirme aussi que le paragraphe 3 d) de l'article 14 a été violé car son mari n'a pas été informé de son droit à être représenté par un défenseur dès le moment de son arrestation. Enfin, pendant le procès, l'avocat de M. Saidov a été souvent absent.

3.7 M. Saidov a été jugé et reconnu coupable par la chambre militaire de la Cour suprême, dont les jugements ne peuvent pas faire l'objet d'un appel ordinaire, en violation du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. Le seul recours possible est un appel extraordinaire qui relève du pouvoir discrétionnaire du Président de la Cour suprême (ou de ses suppléants) ou du Procureur général (ou de ses suppléants). L'auteur considère que ce système a privé son mari de son droit de recours, en violation des principes garantissant l'égalité des armes et une procédure contradictoire, en donnant un avantage indu à l'accusation. L'auteur ajoute que, même lorsqu'un appel extraordinaire est interjeté et accueilli, il n'est examiné que sur pièces et ne porte que sur des points de droit, ce qui est contraire à la jurisprudence du Comité. (2)

3.8 L'auteur affirme que les violations susmentionnées ont conduit à une violation des droits que les paragraphes 1 et 2 de l'article 6 confèrent à son mari dans la mesure où celui-ci a été condamné à mort à l'issue d'un procès inique, sur la base d'aveux obtenus sous la torture.

3.9 Bien que le Comité ait adressé à l'État partie plusieurs rappels le priant de présenter ses observations sur les déclarations de l'auteur (3) et de donner des précisions sur la situation de M. Saidov, aucune réponse n'a été reçue.

Inobservation par l'État partie de la demande d'adoption de mesures provisoires adressée par le Comité en application de l'article 86 de son règlement intérieur

4.1 Selon l'auteur, l'État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif en exécutant son mari bien que le Comité des droits de l'homme ait été saisi d'une communication au titre du Protocole facultatif et qu'il ait adressé à l'État partie une demande d'adoption de mesures de protection provisoires à cet égard. Le Comité rappelle (4) que tout État partie qui reconnaît que le Comité des droits de l'homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui affirment être victimes de violations de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s'engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d'examiner les communications qui lui sont soumises et, après l'examen, de faire part de ses constatations à l'État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l'adoption d'une mesure, quelle qu'elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d'une communication et d'en mener l'examen à bonne fin, et l'empêche de faire part de ses constatations, est incompatible avec ses obligations.

4.2 Indépendamment de toute violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, l'État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s'il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l'examen d'une communication faisant état d'une violation du Pacte, ou qui rend l'action du Comité sans objet et l'expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. Dans la présente communication, l'auteur déclare que son mari s'est vu dénier ses droits au titre des articles 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte. Ayant été notifié de la communication, l'État partie a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en procédant à l'exécution de la victime présumée avant que le Comité n'ait mené l'examen à bonne fin et n'ait pu formuler ses constatations et les communiquer. Il est particulièrement inexcusable pour l'État partie d'avoir agi ainsi après que le Comité lui eut demandé, en application de l'article 86 du règlement intérieur, de s'abstenir de le faire.

4.3 Le Comité se déclare par ailleurs extrêmement préoccupé par le fait que l'État partie n'a donné aucune explication pour justifier sa décision, bien qu'il lui ait adressé plusieurs demandes à cet égard par l'intermédiaire de son Président et de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications.

4.4 Le Comité rappelle que l'adoption de mesures provisoires en application de l'article 86 du règlement intérieur conformément à l'article 39 du Pacte est essentielle au rôle confié au Comité en vertu du Protocole facultatif. Le non-respect de cet article, en particulier par une action irréparable, comme en l'espèce l'exécution de l'époux de l'auteur, sape la protection des droits consacrés dans le Pacte qu'assure le Protocole facultatif.


Délibérations du Comité

Décision concernant la recevabilité

5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité note, sur la base des documents dont il est saisi, que la même affaire n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale et que les recours internes ont été épuisés. En l'absence d'objection de l'État partie à cet égard, il considère que les conditions énoncées aux paragraphes 2 a) et b) de l'article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

5.3 Le Comité a pris note des allégations de l'auteur au titre des articles 6, 7, 9, 10 et 14 exposées plus haut et a noté que les allégations de l'auteur se rapportant aux phases initiales de l'instruction dont M. Saidov a fait l'objet portent sur une période antérieure à l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État partie. Cette affaire n'a toutefois été examinée par un tribunal, en première instance, que le 24 décembre 1999, c'est-à-dire après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour le Tadjikistan. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les violations présumées du Pacte, dont il est fait état, ont continué d'avoir des effets qui ont constitué en eux-mêmes des violations probables après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif; les allégations s'y rapportant sont donc recevables, sauf celles formulées au titre de l'article 9 qui ne relèvent pas de cette catégorie et sont par conséquent irrecevables en vertu de l'article premier du Protocole facultatif.


Examen quant au fond

6.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. Il constate que l'État partie, en dépit des rappels qui lui ont été adressés, ne lui a fourni aucune réponse tant sur la recevabilité que sur le fond de la communication. Le Comité rappelle qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif un État partie est tenu de coopérer en lui soumettant par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu'il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. Comme l'État partie ne s'est pas montré coopératif en la matière, force est de donner tout leur poids aux allégations de l'auteur dans la mesure où elles ont été étayées.

6.2 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle son mari a fait l'objet, après son arrestation, de tortures et de menaces visant à lui extorquer des aveux, le Comité note que l'auteur a donné les noms des fonctionnaires qui ont frappé son mari à coups de matraque et de pied et a décrit en détail les lésions qui en ont résulté. Il ressort des documents présentés par l'auteur que ces allégations ont été portées à la connaissance du Président de la Cour suprême le 7 avril 2000 et que celui-ci a répondu qu'elles avaient déjà été examinées par la chambre militaire de la Cour suprême, laquelle avait estimé qu'elles étaient sans fondement. L'auteur affirme que son mari et ses coaccusés sont revenus, devant le tribunal, sur leurs premiers aveux, qui leur auraient été extorqués sous la torture. Cette contestation du caractère volontaire de ces aveux a été rejetée par le juge. Le Comité note que l'État partie n'a pas indiqué comment le tribunal avait étudié ces allégations et n'a produit aucun rapport médical justifiant la décision du juge. Dans ces circonstances, il convient d'accorder le crédit voulu aux allégations de l'auteur et le Comité considère que les faits dont il est saisi révèlent une violation de l'article 7 du Pacte.

6.3 Étant donné cette constatation et le fait que le tribunal a condamné M. Saidov en se fondant sur ses aveux obtenus par la torture, le Comité considère que le paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte a également été violé.

6.4 Le Comité a pris note de l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte faite par l'auteur, selon laquelle, pendant l'instruction et alors qu'il se trouvait dans le quartier des condamnés à mort, après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif, son mari aurait été détenu dans des conditions déplorables, telles qu'elles sont exposées aux paragraphes 2.9 et 2.10, et n'aurait notamment pas reçu de soins médicaux. Faute de réfutation de la part de l'État partie, il convient là encore d'accorder le crédit voulu aux allégations de l'auteur. En conséquence, le Comité conclut que le paragraphe 1 de l'article 10 a été violé à l'égard de M. Saidov.

6.5 Le Comité a noté que le mari de l'auteur n'a pas été en mesure de contester sa déclaration de culpabilité et sa condamnation au moyen d'un appel ordinaire, car la loi dispose que la décision de procéder au réexamen des décisions de la chambre militaire de la Cour suprême est laissée à la discrétion d'un nombre limité de hauts magistrats. Un tel réexamen, s'il est autorisé, a lieu sur pièces uniquement et ne peut porter que sur des points de droit. Le Comité rappelle que si les États parties n'ont pas l'obligation de se doter d'un système qui octroie automatiquement le droit d'interjeter appel, ils sont tenus, en vertu du paragraphe 5 de l'article 14, de faire examiner quant au fond, en vérifiant si les éléments de preuve sont suffisants et à la lumière des dispositions législatives applicables, la déclaration de culpabilité et la condamnation, pour autant que la procédure permette un examen approprié de la nature de l'affaire. (5) En l'absence de toute explication de l'État partie à cet égard, le Comité est d'avis que la procédure d'examen susmentionnée des décisions de la chambre militaire de la Cour suprême ne répond pas aux critères énoncés au paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte et estime en conséquence qu'il y a eu violation de cette disposition à l'égard de M. Saidov. (6)

6.6 L'auteur affirme en outre que le droit de son mari d'être présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie a été violé en raison du grand intérêt et de l'hostilité affichés avant le procès à l'égard de l'auteur et de ses coaccusés par les médias contrôlés par l'État, qui ont présenté ces derniers comme des criminels, exerçant ainsi une influence négative sur la suite des débats. En l'absence d'information ou d'objection émanant de l'État partie à cet égard, le Comité décide qu'il convient d'accorder le crédit voulu aux allégations de l'auteur et conclut que les droits que le paragraphe 2 de l'article 14 confère à M. Saidov ont été violés.

6.7 Le Comité a pris note de l'allégation de l'auteur selon laquelle le droit de son mari à un procès équitable a été violé, entre autres, parce que le juge a mené les débats d'une manière partiale, et a même refusé d'examiner le fait que M. Saidov était revenu sur les aveux qu'il avait faits pendant l'instruction. Aucune explication n'a été donnée par l'État partie pour justifier cet état de fait. En conséquence, le Comité conclut, sur la base des documents dont il est saisi, que les faits qui lui ont été soumis révèlent une violation des droits que le paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte confère à M. Saidov.

6.8 S'agissant de l'allégation selon laquelle le paragraphe 3 b) de l'article 14 a été violé dans la mesure où le mari de l'auteur n'a bénéficié de l'assistance d'un avocat qu'à la fin de l'instruction, n'a pas été représenté par un avocat de son choix, n'a pas eu la possibilité de consulter son représentant et, en violation du paragraphe 3 d) de l'article 14, n'a pas été informé de son droit d'être représenté par un avocat dès son arrestation, et où son avocat a été fréquemment absent pendant le procès, le Comité regrette une fois encore l'absence d'explication pertinente de la part de l'État partie. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle, en particulier dans des affaires où l'inculpé risque la peine capitale, il va de soi que ce dernier doit bénéficier de l'assistance effective d'un avocat (7) à tous les stades de la procédure. Dans la présente espèce, le mari de l'auteur a été accusé de plusieurs infractions passibles de la peine capitale, sans disposer de moyens juridiques efficaces de défense, même si un avocat lui a été attribué par les autorités chargées de l'instruction. Il est malaisé de déterminer, à la lumière des documents dont est saisi le Comité, si l'auteur ou son mari ont sollicité les services d'un avocat privé ou ont récusé l'avocat commis d'office. Toutefois, en l'absence de toute explication pertinente de l'État partie sur cette question, le Comité rappelle que, si le paragraphe 3 d) de l'article 14 ne donne pas à l'accusé le droit de choisir le défenseur qui lui est attribué sans frais, des mesures doivent être prises pour que celui-ci, une fois commis d'office, représente effectivement l'accusé dans l'intérêt de la justice. (8) En conséquence, le Comité est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que les paragraphes 3 b) et d) de l'article 14 du Pacte confèrent à M. Saidov.

6.9 Le Comité rappelle (9) que la condamnation à la peine capitale à l'issue d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte ne sont pas respectées constitue une violation de l'article 6 du Pacte. En l'espèce, la condamnation à mort a été prononcée et exécutée en violation du droit à un procès équitable, consacré à l'article 14 du Pacte et, partant, également en violation de l'article 6.

7. Le Comité des droits de l'homme, agissant au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi révèlent une violation des droits de M. Saidov au titre des articles 6 et 7, du paragraphe 1 de l'article 10 et des paragraphes 1, 2, 3 b), d) et g) et 5 de l'article 14 du Pacte.

8. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'auteur a droit à un recours utile sous la forme d'une indemnisation. L'État partie a l'obligation de prendre les mesures nécessaires afin d'empêcher que de semblables violations ne se reproduisent.

9. Considérant qu'en devenant partie au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité était compétent pour déterminer si le Pacte avait été ou non violé, et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également prié de publier les constatations du Comité.


_______________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.


Notes

1. Le Protocole facultatif est entré en vigueur à l'égard du Tadjikistan le 4 avril 1999.

2. L'auteur se réfère aux constatations du Comité concernant les affaires Domukovsky et consorts c. Géorgie, communications nos 623 à 627/1995, adoptées le 6 avril 1998.

3. La première requête au titre de l'article 86 a été adressée à l'État partie le 12 janvier 2001. Le 18 mai 2001, une note verbale a été adressée à l'État partie pour le prier de fournir des informations sur la situation de M. Saidov et pour lui rappeler la demande qui lui avait été adressée au titre de l'article 86. Une lettre signée du Président du Comité a été adressée à l'État partie le 19 juin 2001 pour lui demander d'expliquer pourquoi il n'avait pas donné suite à la demande qui lui avait été adressée en application de l'article 86. Enfin, le 3 août 2001, une note verbale a été adressée à l'État partie pour lui demander de fournir des informations sur l'affaire (en indiquant les mesures prises par l'État partie pour donner suite à la demande formulée par le Comité en application de l'article 86; les motifs pour lesquels M. Saidov avait été exécuté; les mesures prises par l'État partie pour garantir qu'il serait répondu positivement aux demandes au titre de l'article 86 qu'il pourrait recevoir dans l'avenir). Le 5 décembre 2002, l'État partie a été invité à fournir les informations susmentionnées.

4. Voir Piandong c. Philippines, communication no 869/1999, constatations adoptées le 19 octobre 2000.

5. Voir Reid c. Jamaïque, communication no 355/1989, par. 14.3, et Lumley c. Jamaïque, communication no 662/1995, par. 7.3.

6. Voir Domukovsky et consorts c. Géorgie, communications nos 623 à 627/1995.

7. Voir par exemple Aliev c. Ukraine, communication no 781/1997, Robinson c. Jamaïque, communication no 223/1987, Brown c. Jamaïque, communication no 775/1997.

8. Voir notamment Kelly c. Jamaïque, communication no 253/1987.

9. Voir Conroy Levy c. Jamaïque, communication no 719/1996, Clarence Marshall c. Jamaïque, communication no 730/1996, et Kurbanov c. Tadjikistan, communication no 1096/2002.

 



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