University of Minnesota



M. Rubén Santiago Hinostroza Solís c. Uzbekistan, Communication No. 959/2000, U.N. Doc. CCPR/C/87/D/959/2000 (2006).




GENERALE
CCPR/C/87/D/959/2000
8 août 2006
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 959/2000 : Uzbekistan. 08/08/2006.
CCPR/C/87/D/959/2000. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-septième session

10 - 28 juillet 2006

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4

de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international

relatif aux droits civils et politiques*

- Quatre-vingt-septième session -

 

 

Communication No 959/2000

 

Présentée par: M. Saimijon et Mme Malokhat Bazarov (non représentés par un conseil)
Au nom de: Nayimizhon Bazarov, le fils des auteurs
État partie: Ouzbékistan
Date de la communication: 16 novembre 2000 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 14 juillet 2006,

Ayant achevé l'examen de la communication no 959/2000 présentée au nom de Nayimizhon Bazarov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

 

 

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

 

 

1.1 Les auteurs de la communication sont Saimijon Bazarov (né en 1950) et son épouse Malokhat, tous deux de nationalité ouzbèke. Ils présentent la communication au nom de leur fils, Nayimizhon Bazarov (exécuté en application de la condamnation à mort prononcée le 11 juin 1999 par le tribunal régional de Samarcande), et affirment qu'il est victime de violations par l'Ouzbékistan de ses droits au titre des articles 6, 7, 9, 10, 11, 14 et 15 du Pacte (1). Bien que les auteurs ne l'invoquent pas expressément, la communication semble aussi soulever des questions au titre de l'article 7 en ce qui les concerne. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.
1.2 Le 5 décembre 2000, conformément à l'article 92 de son Règlement intérieur, le Comité, par l'intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, a prié l'État partie de ne pas procéder à l'exécution de M. Bazarov de façon à lui permettre d'examiner la communication. Le 26 janvier 2004 cependant, l'État partie a informé le Comité que la victime présumée avait déjà été exécutée, le 20 juillet 2000, c'est-à-dire avant la soumission de la communication (16 novembre 2000) et son enregistrement le 5 décembre 2000, et avant que le Comité ne lui adresse sa demande de mesures provisoires de protection.

Exposé des faits présentés par les auteurs

2.1 Le 27 mai 1998, M. Nayimizhon Bazarov allait à Samarcande en voiture pour rendre visite à sa sœur hospitalisée lorsqu'il a été arrêté à Urgut par deux policiers (S. Dzh., Vice-Président de la branche régionale d'Urgut du Ministère des affaires intérieures, et R. Kh., du Bureau des enquêtes criminelles), qui lui ont demandé de conduire un autre policier, E. S., dans la région de Dzhambay, puis de le ramener. Le fils des auteurs aurait refusé d'obtempérer, en déclarant qu'il était pressé; les policiers auraient manifesté leur déception. Pour finir, il a conduit le policier à destination, mais ne l'a pas ramené.

2.2 Le 14 juin 1998, alors qu'il circulait de nouveau en voiture, le fils des auteurs a été arrêté à Urgut par un groupe de policiers (dont deux, S. Dzh. et R. Kh., avaient assisté à l'épisode du 27 mai). Il a été conduit au Département régional (Urgut) du Ministère des affaires intérieures, sans aucun mandat selon les auteurs. Là, alors qu'il était interrogé, on l'aurait battu et menacé de faire emprisonner sa famille. Plus tard, le même jour, il a été inculpé de trafic de drogue. Les enquêteurs ont perquisitionné à son domicile, en présence de témoins, et, après avoir caché une petite quantité de drogue sous un tapis, l'auraient «découverte», ce qui a été dûment consigné au procès-verbal. Les auteurs affirment que leur fils ne pouvait pas demander l'examen de la légalité de son arrestation et de sa détention par un tribunal, car cette possibilité n'existe pas dans l'État partie.

2.3 Le 21 juin, une confrontation a eu lieu entre le fils des auteurs et une personne dénommée G. H., en présence de S. Dzh., enquêteur, et de l'avocat de Bazarov (2). Cette dernière (G. H.) a affirmé que le fils des auteurs avait participé, avec d'autres personnes, au meurtre de deux personnes, qui aurait été commis chez elle, pendant la nuit du 1er au 2 mai 1998, afin de s'emparer de 100 grammes d'opium.

2.4 La procédure engagée contre le fils des auteurs et huit autres coïnculpés a été renvoyée au tribunal régional de Samarcande, et le procès a commencé le 12 avril 1999. Le 11 juillet 1999, le tribunal a jugé le fils des auteurs et l'un de ses coïnculpés coupables de meurtre, ainsi que d'autres crimes, notamment de trafic de drogue, et les a condamnés à mort (3).

2.5 Selon les auteurs, leur fils et ses coïnculpés ont affirmé au tribunal qu'ils avaient été battus et torturés pendant l'enquête préliminaire et contraints à faire de fausses déclarations, et se sont tous déclarés innocents de ce meurtre; leur fils s'est également déclaré innocent des chefs d'accusation de trafic de drogue. Ses coïnculpés auraient montré certaines parties de leur corps qui étaient «brûlées à la cigarette, couvertes d'ecchymoses, d'hématomes, ont montré des bosses à la tête, des dents cassées» et ont demandé au Président du tribunal d'ordonner un examen médical à ce sujet. Le tribunal n'en a rien fait, mais a cité à comparaître deux des enquêteurs, qui ont nié tout recours à des méthodes d'interrogatoire illicites pendant l'enquête préalable.

2.6 Les auteurs affirment que le procès de leur fils n'a pas respecté les critères d'un procès équitable: les chefs d'accusation ont été «fabriqués» par les enquêteurs, et le tribunal a fondé ses conclusions essentiellement sur les dépositions de G. H. (lesquelles, selon les auteurs, n'auraient pas dû être prises en considération parce qu'elles ont été modifiées plusieurs fois pendant l'enquête préliminaire) et sur les déclarations arrachées aux inculpés sous la torture pendant l'enquête préliminaire. Les auteurs affirment que le tribunal n'a pas établi la culpabilité de leur fils au-delà de tout doute raisonnable, et n'a pas résolu plusieurs contradictions. Ils affirment également que leur fils avait un alibi − il ne se trouvait pas à Urgut la nuit du crime, mais à Samarcande où il devait les retrouver à leur retour de vacances, leur train arrivant tôt le matin − mais cet élément n'aurait pas été pris en compte par le tribunal.

2.7 À une date non précisée, M. N. Bazarov a formé un pourvoi en cassation contre le jugement rendu par le tribunal régional de Samarcande le 11 juin 1999. Le 24 décembre 1999, la Cour suprême a confirmé le jugement, et donc la condamnation à mort. Les recours internes ont par conséquent été épuisés.

Teneur de la plainte

3. Les auteurs affirment que les faits exposés plus haut constituent une violation des droits reconnus à leur fils au titre des articles 7, 9, 10, 11, et 14 lu conjointement avec l'article 6, ainsi qu'au titre de l'article 15 du Pacte. Bien qu'ils n'invoquent pas cette disposition expressément, la communication semble également soulever des questions au titre de l'article 7 à l'égard des auteurs.

Observations de l'État partie

4.1 L'État partie a présenté ses observations le 10 octobre 2002 et le 15 décembre 2003. Il affirme que, selon le jugement du 11 juin 1999, confirmé ultérieurement par une décision de la Cour suprême le 24 décembre 1999, la victime présumée, agissant avec préméditation et dans le cadre d'une association de malfaiteurs avec deux autres coïnculpés (R. et M.), a pris part au meurtre de deux personnes afin de s'emparer de 190 grammes d'opium. En outre, la victime présumée et R. ont été reconnus coupables d'avoir vendu à un certain S., en mars 1998, 100 grammes d'opium (ce qui constitue une «quantité importante»).

4.2 Au cours d'une perquisition effectuée au domicile de Nayimizhon le 14 juin 1998, les enquêteurs ont saisi 1 gramme d'opium et 0,5 gramme de marijuana, ainsi qu'un tube spécial utilisé pour consommer des stupéfiants.

4.3 Le tribunal a reconnu la victime présumée coupable d'appropriation illicite de stupéfiants par vol, de vente illicite de stupéfiants, d'acquisition illicite et vente de stupéfiants par un particulier ayant auparavant participé au commerce illicite de la drogue, du meurtre de deux personnes avec préméditation et circonstances aggravantes commis avec une violence particulière, pour des motifs crapuleux, et en groupe.

4.4 Selon l'État partie, la culpabilité du fils des auteurs a été démontrée par les pièces figurant au dossier du procès, et les actes qu'il a accomplis ont été correctement qualifiés. Pour définir la peine, le tribunal a évalué le caractère de l'acte accompli, le fait qu'il a été commis à des fins intéressées, par un groupe de personnes, d'une manière particulièrement violente, qu'il était lié à la vente illicite d'une importante quantité de stupéfiants, que l'auteur n'avait pas de profession «socialement utile». Le tribunal a conclu qu'il constituait un danger pour la société et qu'il était impossible de l'amender.

Commentaires des auteurs

5.1 Le 19 novembre 2003, les auteurs ont présenté des commentaires sur la réponse de l'État partie. Selon eux, l'État partie n'a pas fourni de réponses détaillées sur le fond de la communication, pas plus qu'il n'a répondu à l'allégation de violation de l'article 9 (absence de contrôle juridictionnel de l'arrestation/détention avant jugement); cela était dû au fait que l'ordre juridique de l'État partie ne prévoyait pas ce type de supervision par un organe judiciaire (4).

5.2 Au sujet de l'allégation de violation de l'article 7, les auteurs font valoir que l'État partie n'a pas procédé à une enquête véritable sur l'allégation de torture/mauvais traitements infligés à leur fils et à ses coïnculpés au commissariat de police d'Urgut. Ils réaffirment que leur fils n'a pas avoué, mais que les autres coïnculpés ont été contraints de témoigner contre lui. Ils réaffirment que, pendant le procès, leur fils et ses coïnculpés ont déclaré avoir été torturés et passés à tabac, et aussi que les enquêteurs ont introduit des bouteilles vides dans l'anus de certains d'entre eux. M. Bazarov, son avocat et les autres coïnculpés ont demandé au Président du tribunal de faire enquêter sur les abus en question, et de faire procéder à des examens médicaux, mais leurs demandes ont été rejetées. Le Président du tribunal a certes cité à comparaître deux des agents de la force publique en question et leur a demandé s'ils avaient eu recours à la torture pendant l'enquête; après avoir répondu «non», ceux-ci ont été autorisés à quitter l'audience. Selon les auteurs, l'État partie n'a pas non plus fait procéder à une enquête dans le contexte de la présente communication.

5.3 Concernant l'allégation de violation de l'article 14, les auteurs réaffirment que le procès de leur fils n'a pas satisfait aux critères d'un procès équitable. Ils affirment que le Président du tribunal a conduit la procédure d'une manière partiale et tendancieuse, a lu le réquisitoire lui-même et interrogé certains témoins; il n'a pas «insisté pour qu'un procureur soit présent» pendant toute la durée du procès, et seules 15 sur 20 audiences au total se sont déroulées en présence d'un procureur; le procureur était absent à l'ouverture du procès. Les auteurs affirment que le Président n'a résolu aucune des contradictions qui sont apparues au cours de l'examen des chefs d'accusation, et a finalement imposé la peine capitale alors que le procureur avait requis une peine de 20 ans de prison pour Bazarov.

5.4 Les auteurs rappellent que le principal argument invoqué dans la présente communication est que la présomption d'innocence n'a pas été respectée dans le cas de leur fils et qu'il a été condamné à mort sur la base de témoignages «douteux» et d'aveux obtenus sous la torture, et sur la base d'«éléments de preuve hautement contestables». Ils affirment que le tribunal n'a pas fait une appréciation correcte des déclarations à décharge de son fils et a «sans hésitation» rejeté son alibi. Ils ajoutent que l'État partie n'a pas fourni de réponse détaillée sur ces points.

5.5 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 6 du Pacte, les auteurs réaffirment que le droit à la vie a été violé parce que leur fils a été condamné à mort à l'issue d'un procès inéquitable.

5.6 Enfin, les auteurs déclarent ignorer où se trouve leur fils, et affirment que les autorités n'ont répondu à aucune des demandes qu'ils ont faites à ce sujet. Les seules informations qu'ils ont reçues leur seraient parvenues en septembre 2002 par des «voies officieuses», les assurant qu'il était en vie. Les auteurs affirment que le secret concernant l'endroit où se trouve leur fils cause une souffrance insupportable à toute la famille, et qu'ils vivent quotidiennement dans un climat d'incertitude et de souffrance morale.

Complément d'information émanant de l'État partie

6.1 L'État partie a présenté de nouvelles observations le 26 janvier 2004. Il réitère ses observations précédentes et affirme que la communication peut être considérée comme dénuée de fondement. Il affirme que les allégations de violation de l'article 7 formulées par l'auteur ne sont pas étayées. Contrairement à ce qui est indiqué dans la communication, la Cour suprême d'Ouzbékistan déclare sans équivoque que, selon les minutes du procès, ni la victime présumée ni ses coïnculpés ou ses avocats n'ont demandé au Président de charger une commission médicale d'examiner les allégations de torture ou de mauvais traitements. D'ailleurs, selon l'État partie, les «procédures de garantie internes» des organismes chargés de l'application des lois n'avaient fait apparaître aucune faute commise pendant la détention avant jugement de M. Bazarov.

6.2 Selon l'État partie, les allégations formulées au titre de l'article 14 sont également sans fondement. Contrairement à ce qu'affirment les auteurs, les comptes rendus d'audience montrent que le procès a commencé le 12 avril 1999, en présence d'un procureur, des avocats de la défense, d'un interprète, de tous les inculpés et des victimes. Selon l'État partie, le procès s'est déroulé de manière continue, un procureur, les avocats et les inculpés étant présents à tout moment, et tous les interrogatoires se sont déroulés «en présence du procureur, des avocats et des inculpés».

6.3 Enfin, l'État partie indique que, selon les autorités compétentes, la condamnation à mort de Bazarov a été exécutée le 20 juillet 2000, c'est-à-dire avant l'enregistrement de la communication par le Comité et avant la demande de mesures provisoires qu'il a formulée en application de l'article 92 de son Règlement intérieur, le 5 décembre 2000.

Délibérations du Comité

Considérations relatives à la recevabilité

7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité note que la même question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement et que les recours internes ont été épuisés. Les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l'article 5 du Protocole facultatif sont par conséquent remplies.

7.3 Le Comité a noté l'allégation formulée par les auteurs au titre des articles 7 et 10, à savoir que leur fils a subi des tortures pendant l'enquête préliminaire et que les plaintes qu'il a formulées à cet égard ont été écartées par le tribunal. L'État partie objecte que ni le fils des auteurs ni ses coïnculpés ou ses avocats n'ont à aucun moment demandé au tribunal de faire procéder à un examen médical à ce sujet, tandis que les «procédures de garantie internes» des organismes chargés de l'application de la loi n'avaient révélé aucune faute commise pendant la détention avant jugement. Le Comité note que les éléments d'information dont il est saisi, en particulier les recours formés par la victime présumée et son avocat contre le jugement du 11 juin 1999 du tribunal régional de Samarcande, ne contiennent aucune information sur les mauvais traitements ou les tortures qu'aurait subis M. Bazarov. En outre, aucune explication n'a été fournie par les auteurs sur le point de savoir si la victime présumée, ses proches ou son avocat se sont plaints des actes en question pendant l'enquête préliminaire. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les auteurs n'ont pas suffisamment étayé ce grief particulier, aux fins de la recevabilité, et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

7.4 Le Comité a en outre noté que les auteurs se bornent à affirmer que les droits reconnus à leur fils en vertu des articles 11 et 15 du Pacte ont été violés. En l'absence de tout élément d'information à ce sujet, le Comité décide que les auteurs n'ont pas suffisamment étayé leur allégation aux fins de la recevabilité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.

7.5 Le Comité considère que les autres plaintes formulées dans la communication à l'examen, qui soulèvent des questions au titre de l'article 9 et du paragraphe 1 de l'article 14, lu conjointement avec l'article 6 du Pacte, à l'égard de la victime présumée, et de l'article 7 du Pacte, à l'égard des auteurs, sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité.

Examen au fond

8.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été soumis par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.

8.2 Les auteurs ont affirmé que leur fils n'avait pas pu obtenir que la décision de le placer en détention avant jugement soit examinée par un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, parce que le droit ouzbek ne prévoit pas cette possibilité. L'État partie n'a pas réfuté cette allégation. Le Comité observe que le droit de l'État partie relatif à la procédure pénale prévoit que les décisions d'arrêter et de mettre en détention avant jugement sont approuvées par un procureur, dont les décisions peuvent faire l'objet d'un recours devant un procureur d'un rang supérieur seulement, et ne peuvent être attaquées en justice. Il note que le fils des auteurs a été arrêté le 14 juin 1998, mis en détention avant jugement le 18 juin 1998, et que la légalité de sa détention n'a fait l'objet d'aucun contrôle juridictionnel ultérieur jusqu'à ce qu'il soit traduit devant un tribunal, le 12 avril 1999. Le Comité rappelle (5) que le paragraphe 3 de l'article 9 a pour objet de garantir que la mise en détention d'une personne inculpée d'une infraction pénale soit soumise à un contrôle juridictionnel et qu'il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire qu'il soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions à traiter. En l'espèce, le Comité n'est pas convaincu que le Procureur général puisse être considéré comme ayant l'objectivité et l'impartialité institutionnelles nécessaires pour pouvoir être qualifié d'«autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l'article 9. Le Comité conclut par conséquent qu'il y a eu violation de cette disposition.

8.3 Le Comité a pris note des allégations des auteurs qui disent que les coïnculpés de leur fils ont été roués de coups et torturés pendant l'enquête au point qu'ils ont fait un faux témoignage contre lui et que ce témoignage a été le fondement de sa condamnation. Le Comité relève qu'il ressort des pièces portées à sa connaissance que le fils des auteurs et son avocat ont déclaré au tribunal que les coïnculpés présentaient des marques de torture et que leur témoignage avait été obtenu sous la torture et que le Président du tribunal avait cité à comparaître deux agents des enquêteurs en cause et leur avait demandé s'ils avaient employé des méthodes d'interrogatoire illicites, ce à quoi les intéressés avaient répondu par la négative et avaient donc été autorisés à quitter l'audience. L'État partie a simplement répondu que ni les coïnculpés du fils des auteurs ni ses avocats n'avaient demandé au tribunal de faire procéder à un examen médical à ce sujet et que les «procédures de garantie internes», de nature non précisée, des organismes chargés de faire appliquer la loi n'avaient révélé aucune faute commise pendant la détention avant jugement. À ce sujet le Comité note que l'État partie n'a apporté aucune preuve documentaire relative à une enquête menée dans le contexte du procès ou dans le contexte de la présente communication. Il rappelle que la charge de la preuve (concernant le recours à la torture) ne peut pas incomber exclusivement à l'auteur d'une communication, d'autant plus que les auteurs de communication et les États parties n'ont pas toujours accès sur un pied d'égalité aux éléments de preuve et que bien souvent seul l'État partie a accès a des éléments d'information utiles. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif que l'État partie a l'obligation d'enquêter de bonne foi sur toute allégation de violation du Pacte portée contre lui et contre ses autorités (6). Dans ces circonstances, le Comité estime qu'il convient d'accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs, étant donné que l'État partie n'a pas réfuté l'allégation des auteurs qui affirment que les coïnculpés de leur fils ont subi des tortures visant à leur arracher une fausse déclaration l'incriminant. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits consacrés au paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.

8.4 Ayant conclu ce qui précède, et eu égard à sa jurisprudence constante à l'effet que l'exécution d'une condamnation à mort prononcée à l'issue d'un procès au cours duquel les garanties d'une procédure équitable n'ont pas été respectées constitue aussi une violation de l'article 6 du Pacte (7), le Comité conclut que les droits de la victime présumée consacrés dans ces dispositions ont également été violés.

8.5 Le Comité a pris note du grief des auteurs selon lequel les autorités, pendant longtemps, ne les ont pas informés de la situation de leur fils et selon lequel ils ont appris son exécution longtemps après sa mort. Il note que la législation de l'État partie ne permet pas à la famille d'un condamné à mort d'être informée ni de la date de l'exécution ni du lieu d'inhumation du prisonnier exécuté (8). Le Comité comprend l'angoisse et la souffrance morale dans lesquelles vivent en permanence les auteurs, en tant que mère et père d'un prisonnier condamné, qui sont laissés dans l'incertitude quant aux circonstances ayant abouti à son exécution et ignorent le lieu où il a été enseveli. Il rappelle que le secret qui entoure la date de l'exécution et le lieu de l'inhumation ainsi que le refus de restituer le corps pour qu'il soit enseveli ont pour effet d'intimider ou de punir les familles en les laissant délibérément dans un état d'incertitude et de détresse morale (9). Le Comité considère que le fait que les autorités n'aient tout d'abord pas informé les auteurs de l'exécution de leur fils puis ne les aient pas informés du lieu de l'inhumation constitue un traitement inhumain contraire à l'article 7 du Pacte.

9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de M. Nayimizhon Bazarov au titre du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte et du paragraphe 1 de l'article 14, lu conjointement avec l'article 6, et des droits de ses parents, M. et Mme Bazarov, au titre de l'article 7.

10. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'assurer aux auteurs de la communication un recours utile, y compris de les informer du lieu où leur fils a été inhumé et de leur accorder une réparation effective pour l'angoisse subie. L'État partie est également tenu d'empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l'avenir.

11. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte, et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

 

 

 

____________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen et M. Roman Wieruszewski.

Notes

 

1. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'État partie le 28 décembre 1995.
2. Selon les auteurs, leur fils a été présenté à son avocat le 16 juin 1998. Le dossier ne permet pas d'établir clairement si l'avocat a été commis d'office ou s'il a été engagé à titre privé.

3. Les huit autres coïnculpés ont été condamnés à différentes peines de prison.

4. Selon un décret présidentiel du 8 août 2005, dans le cadre d'une série de réformes, un contrôle par les tribunaux des décisions de mise en détention avant jugement devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2008.

5. Voir, entre autres, Mme Darmon Sultanova (Ruzmetovs) c. Ouzbékistan, communication no 915/2000, constatations adoptées le 30 mars 2006, par. 7.7.

6. Voir, entre autres, Irene Bleier Lewenhoff et Rosa Valino de Bleier c. Uruguay, communication no 30/78, constatations adoptées le 29 mars 1982, par. 13.3.

7. Voir, entre autres, Siragev c. Ouzbékistan, communication no 907/2000, constatations adoptées le 1er novembre 2005, par. 6.4.

8. Conformément à l'article 140 du Code ouzbek de l'application des peines criminelles, le corps de la personne exécutée n'est pas remis à la famille pour être enseveli et le lieu d'inhumation n'est pas révélé.

9. Voir, par exemple, Kholinisso Aliboeva (Valichon Aliboev) c. Tadjikistan, communication no 985/2001, constatations adoptées le 18 octobre 2005, par. 6.7; Khalilova c. Tadjikistan, communication no 973/2001, constatations adoptées le 30 mars 2005; Lyashkevich c. Bélarus, communication no 887/1999, constatations adoptées le 3 avril 2003.

 

 



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