University of Minnesota



Mme Deborah Joy Laing c. Australia, Communication No. 901/1999, U.N. Doc. CCPR/C/81/D/901/1999 (2004).


 


Convention Abbreviation: CCPR

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 9 juillet 2004,

Adopte ce qui suit:


DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ


1. L'auteur de la communication, qui est datée du 30 novembre 1999, est Mme Deborah Joy Laing (Mme Laing) qui la présente en son nom propre et au nom de ses deux enfants, Jessica Joy Surgeon et Samuel Surgeon. Elle affirme qu'elle est victime de violations par l'Australie (1) des articles 2 (par. 3), 7, 14 (par. 1), 17, 23 (par. 1) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte); que Jessica est victime de violations des articles 2, paragraphe 3, 7, 12, paragraphes 1 et 4, 14, paragraphe 1, 17, 23, paragraphe 1, et 24, paragraphe 1, et que Samuel est victime de violations des articles 2, paragraphe 3, 7, 17, paragraphe 1, 23, paragraphes 1 et 24, paragraphe 1, du Pacte. Ils sont représentés par un conseil.

1.2 Le 10 décembre 1999, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a rejeté la demande de mesures provisoires présentée par l'auteur.


Rappel des faits

2.1 Mme Laing a épousé Lance Lynn Surgeon le 30 mars 1991. Jessica est née le 9 novembre 1993 aux États-Unis; elle a la double nationalité australienne et américaine. Le mariage n'a pas tenu et, le 12 mars 1994, Mme Laing et Jessica, avec l'assentiment de M. Surgeon, sont parties pour l'Australie où elles sont restées jusqu'en novembre 1994. Elles sont revenues aux États-Unis à la demande de M. Surgeon, qui avait eu une crise cardiaque entre-temps.

2.2 Le 12 janvier 1995, Mme Laing et Jessica ont quitté le domicile familial aux États-Unis pour se rendre en Australie à l'insu de M. Surgeon. Le 17 janvier 1995, ce dernier a déposé une demande de divorce devant le tribunal supérieur de Géorgie (États-Unis). Le 27 février 1995, le tribunal a ordonné le retour de Jessica en Géorgie. En avril et mai 1995, le tribunal a examiné une demande de jugement déclaratoire ex parte, en l'absence de Mme Laing, et a ordonné la dissolution du mariage. Il a attribué au père «la garde unique et permanente» de Jessica sans droit de visite pour Mme Laing jusqu'à nouvelle décision d'une juridiction compétente.

2.3 Le 5 juin 1995, M. Surgeon a déposé une requête en vertu de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (la Convention de La Haye) devant l'Autorité centrale des États-Unis. Cette requête a été communiquée à l'Autorité centrale australienne qui a engagé une procédure devant le tribunal des affaires familiales, le 28 juin 1995, pour obtenir que M. Surgeon soit autorisé à faire revenir Jessica d'Australie aux États-Unis. La requête adressée à l'Autorité centrale devait être examinée le 5 septembre 1995 mais les dates fixées pour l'audience ont été annulées et l'examen de la requête a été reporté. Samuel, le fils de Mme Laing et de M. Surgeon, est né en Australie le 22 septembre 1995.

2.4 La requête a été examinée les 2 et 5 février 1996 par le juge O'Ryan du tribunal des affaires familiales d'Australie. Le 20 février 1996, le juge a ordonné que Jessica soit rendue à son père aux États-Unis. Mme Laing a fait appel devant le tribunal des affaires familiales siégeant en formation plénière, lui demandant d'examiner de nouveaux éléments de preuve. L'appel a été examiné les 3 et 4 juillet 1996. Le tribunal a refusé d'admettre les nouveaux éléments de preuve et rejeté l'appel le 10 octobre 1996.

2.5 À la suite du rejet de son appel, Mme Laing s'est cachée avec ses deux enfants. Ils ont été retrouvés le 9 janvier 1998 et arrêtés.

2.6 Le 9 avril 1998, Mme Laing a déposé une demande d'autorisation de recours devant la Haute Cour d'Australie. Cette dernière a rejeté sa demande le 7 août 1998 au motif que le recours n'avait pas été formé dans le délai légal.

2.7 Mme Laing est alors revenue devant le tribunal des affaires familiales en formation plénière pour lui demander de réexaminer l'affaire. Le tribunal siégeant cette fois en formation collégiale de cinq juges a examiné sa demande les 27 et 28 août ainsi que le 14 septembre et l'a rejetée le 9 février 1999 par 3 voix contre 2.

2.8 À ce stade, Mme Laing n'avait plus que deux solutions; a) essayer de former un nouveau recours devant la Haute Cour, ou b) demander au tribunal des affaires familiales de lui délivrer un certificat qui lui permette de former un recours devant la Haute Cour. Le tribunal des affaires familiales n'avait délivré que trois certificats de ce type depuis 1975; il ne le faisait que si un point de droit important ou une question d'intérêt général était en jeu. Le 24 avril 1999, le tribunal des affaires familiales a délivré un certificat autorisant l'auteur à former un nouveau recours devant la Haute Cour, au motif que le tribunal des affaires familiales devrait réexaminer sa décision pour que celle-ci soit fondée sur la loi appropriée et applicable. Jusque-là aucune aide juridictionnelle n'avait été offerte à Mme Laing mais une assistance limitée lui a été accordée pour introduire son recours devant la Haute Cour. Celle-ci a commencé à examiner le recours le 7 octobre 1999 et à l'issue de cet examen, le 18 novembre 1999, elle l'a rejeté sans motiver sa décision. Mme Laing affirme par conséquent que les recours internes ont été épuisés.

2.9 À partir de 1994, Mme Laing a écrit des lettres, envoyé des photographies et donné d'autres renseignements sur les enfants à leur père aux États-Unis. Elle prétend qu'il n'a manifesté aucun intérêt pour les enfants, n'a jamais contribué financièrement à leur entretien, ne leur a pas rendu visite en Australie ni entretenu de contacts téléphoniques avec eux au cours des années.

Teneur de la plainte

3.1 Mme Laing affirme qu'en violation du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, elle ne dispose pas d'un recours approprié et utile étant donné que le Pacte n'est pas incorporé dans le droit interne australien d'une manière qui lui permette de faire valoir ses droits. Elle fait observer que le Pacte ne fait pas partie du droit australien et n'a donc aucun effet juridique sur les droits et devoirs des particuliers. (2) Elle a soulevé des questions relevant du Pacte dans son recours devant la Haute Cour mais celle-ci ne lui a pas donné d'explications à ce sujet.

3.2 Mme Laing affirme que le déplacement forcé de sa fille Jessica, qu'elle ne verra pas pendant de nombreuses années, constitue une violation de ses droits en vertu de l'article 7. Ni elle ni son fils n'ont le droit d'entrer aux États-Unis et, étant donné les décisions de justice prises, ils n'auraient pas non plus la possibilité de voir Jessica même s'ils pouvaient y entrer. Mme Laing n'a pas les moyens d'engager d'autres actions en justice. Elle considère que séparer une mère de son enfant équivaut en l'espèce à un traitement cruel, en violation de l'article 7.

3.3 Mme Laing affirme qu'elle a été privée d'un procès équitable, en violation de l'article 14, premièrement parce que le tribunal des affaires familiales n'a pas appliqué la loi voulue lorsqu'il a décidé de lui retirer Jessica. Trois des cinq juges qui ont examiné son recours en révision de la décision du tribunal des affaires familiales déposé en 1998 ont reconnu que lors de l'examen de son premier appel, le tribunal n'avait pas appliqué la loi voulue mais ils ont néanmoins refusé de réexaminer l'affaire. Au niveau de la Haute Cour, il a été admis par toutes les parties que le juge de première instance et les juges qui avaient statué sur le premier appel n'avaient pas appliqué la loi voulue. Pourtant, le 18 novembre 1999, la Haute Cour a rejeté le recours, sans motiver sa décision.

3.4 Deuxièmement, Mme Laing fait valoir que la Haute Cour n'a pas donné les raisons de sa décision, en violation du paragraphe 1 de l'article 14. Bien que cette décision ait pour conséquence l'exécution immédiate de la mesure de renvoi prise contre Jessica, la Haute Cour a indiqué que ces raisons seraient fournies plus tard, de sorte que Mme Laing ne saurait pas pourquoi son recours avait été rejeté avant le retour de Jessica aux États-Unis.

3.5 Il est affirmé en outre qu'en raison de la lenteur de la procédure concernant Jessica, toute immixtion dans le domicile des auteurs ne saurait être raisonnable au sens de l'article 17 au regard du dommage irréparable et des conséquences qui en découleraient pour leur famille.

3.6 Mme Laing considère que l'éloignement de Jessica de sa famille constitue une atteinte à son droit à une vie de famille, en violation du paragraphe 1 de l'article 23, compte tenu en particulier de l'extrême lenteur de la procédure.

3.7 Elle se plaint enfin d'une violation de ses droits en vertu de l'article 26 car, en raison de l'application de la Convention de La Haye, les frais de justice du père en Australie ont été pris en charge, alors qu'aucune assistance équivalente ne lui a été fournie. Ce point est particulièrement grave étant donné que, selon le jugement de divorce, tous les biens familiaux ont été octroyés au père.

3.8 Au nom de Jessica, il est dit qu'en violation du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, celle-ci ne dispose pas d'un recours utile étant donné que le Pacte n'est pas incorporé dans le droit interne australien d'une manière qui lui permette de faire valoir les droits qui lui sont reconnus par le Pacte. Selon l'auteur, le Pacte n'a pas d'effet juridique sur les droits et devoirs des particuliers ou des gouvernements et il est fait référence à cet égard à une affaire judiciaire australienne et à l'exposé de l'Attorney général devant la Haute Cour dans la présente affaire. (3) En outre, Jessica n'a pas pu présenter d'observations ou d'arguments pour défendre ses intérêts. Le tribunal des affaires familiales a bien désigné un représentant distinct pour elle mais celui-ci n'a pas été en mesure de jouer un rôle actif dans la procédure étant donné qu'il n'a pas pu participer à l'audience distincte la concernant.

3.9 Selon l'auteur, Jessica risque de souffrir de graves troubles psychologiques si elle devait être éloignée de la seule famille qu'elle connaît et de la source de son bien-être affectif, physique et social ainsi que de ses camarades de classe. La ramener à son père, qui n'a pas joué de rôle actif dans sa vie, et en un lieu où aucun arrangement n'a été pris pour son entretien et sa scolarité, équivaudrait à un traitement cruel, en violation de l'article 7 du Pacte.

3.10 Étant donné que Jessica se trouve légalement sur le territoire australien, elle a le droit, en vertu des paragraphes 1 et 4 de l'article 12, d'y rester. Ce droit serait violé si elle était renvoyée aux États-Unis.

3.11 Il est dit que Jessica a été privée d'un procès équitable, en violation de l'article 14. Premièrement, elle n'a pas eu le droit de participer à la procédure concernant ses droits et contester la décision de la renvoyer d'Australie. Le fait de n'avoir pu obtenir que ses intérêts soient examinés séparément et indépendamment de ceux de sa mère a constitué un obstacle important à l'examen du bien-fondé de la demande la concernant. Par exemple, lorsque le tribunal des affaires familiales a refusé de réexaminer sa décision, estimant que l'absence et la conduite de la mère étaient un facteur déterminant qui justifiait ce refus, la question d'un réexamen dans l'intérêt de Jessica n'a pas été examinée séparément.

3.12 Deuxièmement, son droit à un procès équitable a été violé dans la mesure où le juge du tribunal des affaires familiales n'a pas appliqué la loi voulue lorsqu'il a ordonné son renvoi. Le conseil rappelle que selon la Convention relative aux droits de l'enfant, un enfant ne doit pas être séparé de ses parents à moins que les autorités compétentes ne décident conformément aux lois et procédures applicables que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Lorsque la Haute Cour a rejeté le dernier recours de la mère de Jessica, elle n'a pas motivé sa décision.

3.13 L'éloignement forcé de Jessica de sa mère et de son frère qui est envisagé équivaudrait à une immixtion arbitraire dans sa famille et son domicile, en violation de l'article 17 du Pacte. Le conseil se réfère aux constatations du Comité dans l'affaire Toonen c. Australie. (4) Il affirme qu'en raison de la lenteur de la procédure relative au déplacement de Jessica, une immixtion dans le domicile de Jessica ne saurait être considérée comme raisonnable au regard du dommage irréparable et des conséquences qui en découleraient pour sa famille. D'après lui, il n'existe aucune voie de recours légale permettant à Jessica d'obtenir une protection contre cette immixtion.

3.14 Enfin, il est allégué, au nom de Jessica, que lors de l'examen de la requête présentée en vertu de la Convention de La Haye, l'intérêt supérieur de l'enfant n'a pas été dûment pris en compte et qu'il y a eu de ce fait violation des articles 23, paragraphe 1, et 24, paragraphe 1, du Pacte. L'éloignement de Jessica de sa famille porterait atteinte à son droit à une vie de famille étant donné que l'application stricte de la Convention de La Haye a pour effet de nuire à ses intérêts dans la mesure où la demande de renvoi n'a pas été traitée promptement - c'est-Ó-dire au moins dans un dÚlai d'un an. La privation de contacts avec sa mÞre et son frÞre en cas de renvoi constituerait en outre une violation du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention relative aux droits de l'enfant et du paragraphe 1 de l'article 24 du Pacte.

3.15 Pour ce qui est des droits de Samuel, il est affirmÚ que l'╔tat partie a violé les paragraphes 3 a) et b) de l'article 2 du Pacte, en ne lui offrant pas de recours utile pour faire valoir les droits énoncés dans le Pacte, celui-ci n'étant pas applicable en droit australien. En outre, Samuel n'a pas été en mesure de participer à la procédure touchant ses intérêts en ce sens qu'il risquait d'être dÚfinitivement séparé de sa soeur. Il est dans l'incapacité de mener lui-même une procédure judiciaire.

3.16 Il est dit également que les droits de Samuel en vertu de l'article 7 seraient violés dans la mesure où l'éloignement de sa soeur de la famille entraînerait une rupture des liens étroits unissant les deux enfants et lui causerait des souffrances psychologiques.

3.17 La séparation imminente de Jessica d'avec sa famille équivaudrait à une immixtion arbitraire dans la famille et le domicile de Samuel, ce qui est contraire à l'article 17.


3.18 L'éloignement de Jessica de sa famille porterait atteinte au droit de Samuel à jouir d'une vie de famille, puisqu'il n'a pas le droit d'entrer et de rester aux Etats-Unis ni de rendre visite à sa soeur, et constituerait à cet égard une violation des articles 23 et 24. Le conseil suggère que lorsqu'il a à se prononcer sur la question d'un droit d'un enfant, le Comité tienne compte de l'article 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant qui dispose que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les enfants. En ne prenant aucune mesure permettant à Samuel de protéger ses droits, l'Etat partie a violé le paragraphe 1 de l'article 24 du Pacte.


Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Par une note verbale du 8 février 2001, l'État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il estime que la communication est irrecevable et que le Comité devrait la rejeter sans l'examiner au fond. Dans le cas où le Comité serait d'avis que la communication est recevable, il devrait, selon l'État partie, rejeter les allégations formulées comme étant infondées.

4.2 En ce qui concerne la plainte de l'auteur au titre de l'article 2, l'État partie affirme qu'il n'y a pas eu de violations d'autres articles du Pacte et que par conséquent aucune question relevant de l'article 2 ne se pose. Cet aspect de la communication devrait donc être déclaré irrecevable. En tout état de cause, l'Australie garantit des recours utiles en cas de violation des droits reconnus dans le Pacte. Les dispositions des traités internationaux auxquels l'Australie adhère ne deviennent pas partie du droit interne sur seule acceptation officielle du traité considéré par l'Australie. Ce principe bien établi du droit australien a été reconnu par la Haute Cour dans l'affaire Minister for Immigration and Ethnic Affairs v. Teoh. L'Australie affirme qu'il y a suffisamment de recours disponibles pour permettre à Mme Laing, Jessica et Samuel de faire valoir leurs droits en vertu du Pacte.

4.3 Pour ce qui est de la plainte de l'auteur au titre de l'article 7 selon laquelle le retour de Jessica aux États-Unis reviendrait à la séparer de force de sa mère et de son frère, ce qui lui occasionnerait des souffrances psychologiques, l'État partie fait valoir que ces allégations sont irrecevables ratione materiae étant donné qu'il n'existe aucune preuve que l'Australie soit responsable de telles souffrances psychologiques.

4.4 Premièrement, l'Australie a pour objectif légitime de renvoyer un enfant enlevé dans son pays de résidence habituelle conformément à la Convention de La Haye et de laisser le soin au tribunal compétent de se prononcer sur sa garde. Le tribunal des affaires familiales a ordonné à Mme Laing de rentrer aux États-Unis, les instances judiciaires de ce pays étant les mieux à même de statuer sur cette question. L'Australie s'est efforcée ainsi de bonne foi de donner à Jessica la possibilité de retrouver son père et de régler définitivement la question de la garde. Les actions menées par un État pour s'acquitter de ses obligations en vertu du droit international ne sauraient être interprétées comme attestant un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

4.5 Deuxièmement, il est faux de croire que le retour de Jessica aux États-Unis aboutira en fin de compte à son éloignement permanent de l'Australie, de Mme Laing et de Samuel. Il se peut que Jessica soit rendue à son père mais c'est aux tribunaux des États-Unis qu'il appartient de trancher la question. Il n'existe aucune preuve de traitement inhumain délibéré ou qualifié de la part de l'Australie en violation de l'article 7 du Pacte.

4.6 Troisièmement, Mme Laing prétend qu'elle et Samuel ne seraient peut-être pas autorisés à entrer et à rester aux États-Unis. L'État partie estime que cette question n'est pas pertinente aux fins de la détermination de l'existence d'un traitement inhumain qualifié ou délibéré de la part de l'Australie, en violation de l'article 7 du Pacte. En tout état de cause, le tribunal des affaires familiales a cherché à faire en sorte que Mme Laing et ses enfants soient autorisés à entrer et à rester aux États-Unis, en demandant à M. Surgeon d'appuyer la demande de visa de Mme Laing et de ne pas engager de poursuites contre elle pour l'enlèvement de Jessica.

4.7 En outre, si l'Australie admet que Mme Laing, Jessica et Samuel puissent subir un certain stress à la suite du voyage ou de la procédure judiciaire aux États-Unis, ce stress n'entraînerait pas de souffrances assez graves pour conclure à une violation de l'article 7. L'Australie estime par conséquent que l'allégation de violation de l'article 7 devrait être déclarée irrecevable car incompatible avec l'article 2 du Protocole facultatif.

4.8 Dans le cas contraire, l'État partie considère que les allégations formulées devraient être rejetées comme étant infondées, puisque les plaignants n'apportent aucune preuve qu'il y ait eu traitement inhumain par l'Australie ni que ce traitement ait été assez grave pour constituer un traitement interdit par l'article 7.

4.9 En ce qui concerne l'allégation de Mme Laing au titre de l'article 7, l'État partie fait valoir qu'il n'a pas encore été statué sur ces questions et que l'on ne peut donc raisonnablement affirmer qu'elle a été ou qu'elle sera victime d'un tel traitement. En outre, ces questions sont du ressort des États-Unis et l'on ne peut considérer qu'il s'agisse d'un traitement délibéré de la part de l'Australie. De toute façon, rien ne permet de penser que Mme Laing ne pourrait pas entrer, ou rester, aux États-Unis. L'octroi d'un visa d'entrée aux États-Unis dans des cas particuliers dans l'intérêt général a été récemment étendu aux cas d'enlèvement, afin de permettre à un parent accusé d'enlèvement d'entrer et de rester dans le pays pendant un certain temps de façon à pouvoir participer à une procédure judiciaire.

4.10 S'agissant de Jessica, l'État partie indique qu'il n'a pas l'intention de lui faire du mal de quelque façon que ce soit en la renvoyant aux États-Unis. Les actions de l'Australie ne constituent donc pas un traitement relevant de l'article 7 du Pacte. En outre, le tribunal des affaires familiales en formation plénière a examiné la question de savoir s'il existait un risque sérieux que son renvoi aux États-Unis ne cause à Jessica des souffrances physiques ou psychologiques ou d'une manière générale ne la place dans une situation intolérable. Il a étudié le rapport d'un psychologue pour enfants sur ce point et a conclu que la séparation, brutale et permanente selon l'auteur, de Jessica et de sa mère perturberait un peu Jessica mais qu'elle pourrait s'adapter au changement et à son nouveau gardien.

4.11 Enfin, d'après l'État partie, dire que Samuel serait séparé de force de sa soeur est une allégation sans fondement pour les raisons indiquées à propos de la recevabilité de la communication.

4.12 L'État partie rejette la plainte de Jessica au titre de l'article 12 qu'il juge irrecevable eu égard à l'article premier du Protocole facultatif car incompatible avec les prescriptions du Pacte relatives à la protection de la famille et à la protection spéciale à accorder à l'enfant (articles 23 1) et 24 1) du Pacte). Il considère que l'allégation de Jessica repose sur une interprétation erronée du paragraphe 1 de l'article 12 du Pacte selon laquelle le droit qui y est énoncé impliquerait le droit de rester en Australie. Or, pour l'État partie cette disposition du Pacte a trait au droit de circuler et de choisir sa résidence en Australie. Cette allégation ne soulève donc pas de question au regard du Pacte et l'auteur n'est pas fondé à invoquer l'article 12.

4.13 L'État partie fait observer que si le Comité devait conclure à l'existence de preuves suffisantes d'une restriction par l'Australie des droits énoncés au paragraphe 1 de l'article 12 du Pacte, cette restriction entrerait dans le cadre des limites autorisées au paragraphe 3 de l'article 12. Le retour de Jessica aux États-Unis est nécessaire au maintien de l'ordre public c'est-à-dire pour empêcher les enlèvements d'enfants et appliquer la réglementation des dispositions relatives à leur retour. Ce retour va aussi dans le sens de la protection de la famille, conformément au paragraphe 1 de l'article 23 du Pacte.

4.14 En outre, l'État partie affirme que l'allégation de violation du paragraphe 4 de l'article 12 du Pacte est sans fondement puisqu'il lui est interdit de priver arbitrairement Jessica de son droit d'entrer en Australie. Le tribunal des affaires familiales d'Australie a examiné la question de savoir si Jessica a le droit de rester en Australie. Il a conclu qu'elle possède effectivement ce droit mais qu'il doit être envisagé par rapport à d'autres droits. Dans sa décision du 9 février 1998, il a estimé que le renvoi de Jessica aux États-Unis en application de la Convention de La Haye ne porterait pas atteinte à son droit, en tant que citoyenne australienne, de vivre en Australie. De toute façon, il n'est avancé aucune raison expliquant pourquoi le droit fondamental de vivre en Australie est plus important ou plus digne de protection que le droit fondamental de ne pas être arbitrairement éloignée des États-Unis.

4.15 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur qui fait valoir que les tribunaux australiens n'ont pas statué sur la question du retour de Jessica aux États-Unis de manière équitable et conformément à la loi appropriée, l'État partie signale que le tribunal des affaires familiales en formation plénière a estimé, le 14 septembre 1998, en appel, que la juridiction inférieure avait appliqué la mauvaise loi mais que cela n'avait pas eu d'effet sur l'issue de l'affaire. Cette décision a été ultérieurement réexaminée par le tribunal des affaires familiales en formation collégiale et par la Haute Cour. L'État partie estime que dans la mesure où, pour se prononcer sur l'allégation de Mme Laing, le Comité devrait apprécier la décision de la Haute Cour sur le fond et non sur la procédure et donc outrepasser les compétences qui lui sont conférées par le Protocole facultatif, les allégations de violation de l'article 14 sont incompatibles avec le Pacte. À ce sujet, il se réfère à la décision prise par le Comité dans l'affaire Maroufidou c. Suède.(5) De plus, il fait valoir que les auteurs n'ont pas suffisamment étayé l'allégation de violation de cet article du Pacte et que, si le Comité déclare la communication recevable, cette allégation est dénuée de tout fondement.

4.16 L'État partie affirme que le grief de violation du paragraphe 1 de l'article 14 au motif que Jessica n'a pas bénéficié d'une représentation distincte lors de la procédure judiciaire la concernant est irrecevable faute de qualité de victime d'une violation du Pacte. Bien qu'une demande de représentation distincte pour Jessica ait été adressée au tribunal des affaires familiales, des raisons suffisantes n'ont pas été avancées pour expliquer en quoi une représentation distincte lui serait utile étant donné que les tribunaux australiens accordent une importance primordiale à l'intérêt de l'enfant. Au cas où elle serait déclarée recevable, la communication devrait être rejetée comme étant infondée.

4.17 Enfin, pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 1 de l'article 14 parce que la Haute Cour n'a pas motivé sa décision, l'État partie indique que les raisons ont été publiées le 13 avril 2000 et que cette allégation n'est donc pas étayée.

4.18 Concernant l'allégation de violation de l'article 17 au motif que le renvoi de Jessica aux États-Unis constitue une immixtion arbitraire dans la famille et le domicile, l'État partie objecte que les auteurs n'ont apporté aucune preuve de cette violation et ne peuvent donc invoquer cette disposition. En outre, ils ne démontrent pas en quoi ils ont été directement touchés par l'absence alléguée de protection juridique et ils ne peuvent donc pas être considérés comme victimes d'une violation du Pacte.

4.19 Si le Comité déclare la plainte au titre de l'article 17 recevable, l'État partie fait valoir qu'elle est sans fondement étant donné que Jessica est renvoyée aux États-Unis conformément aux obligations internationales de l'Australie en vertu de la Convention de La Haye pour que la question de sa garde soit réglée par le tribunal des États-Unis compétent. En conséquence, cette intervention est conforme à la loi et n'est pas arbitraire.

4.20 L'État partie estime que l'allégation des auteurs qui considèrent que le renvoi de Jessica aux États-Unis constitue une violation de l'obligation de protéger la famille, énoncée au paragraphe 1 de l'article 23 du Pacte, est incompatible avec cette disposition. Il se réfère au préambule de la Convention de La Haye dans lequel les États signataires affirment qu'ils sont «profondément convaincus que l'intérêt de l'enfant est d'une importance primordiale pour toute question relative à sa garde» et que la Convention de La Haye a été rédigée «pour protéger l'enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non-retour illicites...». Le fait que l'Australie est partie à cette convention est une preuve suffisante de son attachement au principe de la protection de la famille et donc de l'enfant.

4.21 L'État partie ajoute que le paragraphe 1 de l'article 23 fait à l'Australie obligation de protéger la famille en tant qu'institution et que Mme Laing, Jessica et Samuel n'ont apporté aucune preuve qu'elle ait violé cette obligation, comme ils l'affirment. Selon lui, il est inexact de dire, comme le font les auteurs, qu'il n'est pas possible de déposer une demande de retour d'un enfant après un an. De toute façon, la demande de retour de Jessica a été déposée dans un délai d'un an. D'après l'État partie, les auteurs n'établissent pas qu'ils sont victimes d'une violation du paragraphe 1 de l'article 23 du Pacte, et le renvoi de Jessica aux États-Unis pour qu'il soit statué sur la question de sa garde se fera compte dûment tenu des droits de chaque membre de la famille.

4.22 Sur le fond, l'État partie fait valoir que la décision des tribunaux de renvoyer Jessica vise à protéger les intérêts de chacun des membres de la famille et les intérêts de la collectivité dans son ensemble dans le cadre de la protection des familles. Le tribunal des affaires familiales a précisé que les intérêts de Jessica étaient la considération primordiale, nonobstant les actions illégales entreprises par Mme Laing. Le père de Jessica est compris dans la définition de la famille au sens du paragraphe 1 de l'article 23; le renvoi de Jessica aux États-Unis pour que les tribunaux de ce pays déterminent si elle doit être confiée à son père s'inscrit dans le cadre des efforts de l'Australie pour faire reconnaître son droit à une vie de famille.

4.23 Pour ce qui est de la plainte de Jessica et Samuel au titre du paragraphe 1 de l'article 24 du Pacte, l'État partie indique que l'objet de la procédure en vertu de la Convention de La Haye engagée en Australie était de déterminer quelle était l'organe approprié pour statuer et non pas les questions de la garde de Jessica et du droit de visite. Il répète que le principe sur lequel repose cette convention est l'intérêt supérieur de l'enfant. En outre, l'éventualité que le tribunal des États-Unis accorde la garde de Jessica à son père ne prouve pas qu'il y ait violation du paragraphe 1 de l'article 24 du Pacte. En ce qui concerne la procédure relative à l'enlèvement, le tribunal des affaires familiales a estimé que le principe de l'intérêt supérieur d'un enfant enlevé implique que cet enfant soit renvoyé dans son pays de résidence habituelle et que les questions de la garde et des droits de visite soient tranchées par les tribunaux de ce pays. Au cas où le Comité estimerait que cette plainte est recevable, l'État partie fait valoir qu'elle est infondée.

4.24 L'État partie objecte que la plainte de Mme Laing au titre de l'article 26 est irrecevable ratione materiae pour trois motifs: premièrement, elle ne peut pas invoquer l'article premier du Pacte parce qu'elle n'a pas fourni la preuve qu'elle avait été victime de discrimination sur le plan financier; deuxièmement elle n'a pas étayé sa plainte; et troisièmement, si le Comité considère que l'auteur a montré l'existence d'une différence de traitement entre Mme Laing et le père de Jessica fondée sur l'un des motifs de discrimination interdits par l'article 26, l'État partie estime que la preuve que cette différence de traitement n'était pas raisonnable et objective et ne visait pas un objectif légitime en vertu du Pacte n'a pas été apportée.

4.25 À ce sujet, l'État partie signale que Mme Laing a reçu une aide juridique ou financière de la part des autorités australiennes dans le cadre de la procédure en rapport avec la Convention de La Haye en Australie. L'aide judiciaire lui a été accordée par la Commission de l'aide juridique de la Nouvelle-Galles du Sud lors de l'audience initiale sur la demande présentée en vertu de la Convention de La Haye en 1996 et de la procédure devant le tribunal des affaires familiales en 1999. Elle a également bénéficié d'une aide financière pour former son recours devant la Haute Cour. Aucune contribution financière ne lui a été demandée pour couvrir les frais de procédure; le conseil avait accepté de la représenter dans ces procédures à titre gracieux, même si l'aide juridictionnelle avait été accordée. De plus, le tribunal des affaires familiales d'Australie a ordonné le 9 avril 1998 que le père de Jessica paie les frais du voyage de retour aux États-Unis pour Mme Laing, Jessica et Samuel. Au cas où le Comité estimerait que cette plainte est recevable, l'État partie fait valoir qu'elle devrait être rejetée comme étant infondée.


Commentaires de l'auteur

5.1 Dans sa réponse datée du 23 avril 2001 aux observations de l'État partie, le conseil fait observer que ce dernier se trompe lorsqu'il dit que les tribunaux australiens ont accordé une importance primordiale aux intérêts de Jessica. La mise en œuvre de la Convention de La Haye et la loi d'application correspondante montrent que l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas pris en compte. De plus l'argument de l'État partie qui fait valoir que la garde de Jessica est une question qui doit être tranchée en fin de compte par un tribunal des États Unis n'est pas fondé, puisqu'un tribunal américain a déjà rendu une décision définitive attribuant la garde permanente de Jessica à son père, sans droit de visite pour la mère.

5.2 En ce qui concerne l'allégation de l'État partie qui affirme que l'article 2 n'est pas un droit autonome, le conseil fait valoir que la jurisprudence du Comité peut être inversée à tout moment, à la lumière d'autres arguments mis en avant à l'occasion de l'examen d'une autre affaire, et que la jurisprudence récente du Comité fait apparaître un changement dans l'application du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte dans le sens de l'octroi d'un droit indépendant aux particuliers. En outre, étant donné en particulier qu'il n'existe pas en Australie de charte des droits ni de disposition constitutionnelle, législative ou de common law offrant des protections conformes aux prescriptions du Pacte, les auteurs ne disposent d'aucun recours utile pour protéger leurs droits.

5.3 En ce qui concerne le grief de violation de l'article 7 du Pacte, le conseil fait observer que la question fondamentale est de savoir si un traitement déterminé dont l'État partie est responsable équivaut à un traitement cruel. L'auteur considère que la séparation forcée de Jessica d'avec sa famille constitue un traitement cruel parce qu'elle entraîne des souffrances pour Jessica et sa famille. En outre, pour savoir si le traitement dont un enfant fait l'objet est cruel, il faut évaluer la situation particulière de cet enfant et, à cet égard, la simple menace d'un tel traitement suffit.

5.4 Le conseil fait aussi valoir que si les objectifs de la Convention de La Haye - le retour rapide d'un enfant – ne sont pas réalisés, l'application stricte et inflexible d'une telle mesure peut-être pénible et injuste dans certaines circonstances. En l'espèce, 13 mois se sont écoulés entre le moment du déplacement illégal et la première décision d'un tribunal australien, et six ans après l'affaire n'était toujours pas règlée.

5.5 De surcroît, il ressort du rapport psychiatrique présenté par les auteurs que Jessica réagit mal aux changements et qu'elle a des troubles du sommeil et des cauchemars depuis qu'elle a été temporairement séparée de sa famille par la police en 1998. L'Etat partie n'a pas contesté cet élément. Dans un autre rapport établi pour le tribunal des affaires familiales quand Jessica avait deux ans, il est noté "qu'une séparation brutale et permanente d'avec sa mère serait source de protestations et d'un désarroi extrême"╗. Selon le conseil, la situation de souffrance peut constituer un traitement cruel.

5.6 Pour ce qui est de l'argument de l'Etat partie qui objecte au sujet de l'article 12 du Pacte, que Jessica a le droit de retrouver son père en tant qu'enfant et en tant que membre d'une famille, le conseil fait valoir que pour invoquer le droit à une vie de famille, celle-ci doit être réelle et non hypothétique comme dans le cas de Jessica.

5.7 Le conseil réaffirme qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article 14. La réponse de l'Etat partie qui avance que, même si la loi appropriée avait été appliquée, la décision aurait été la même, ne représente pas l'avis de tous les juges du tribunal des affaires familiales mais celui d'un seul juge. En outre, le président du tribunal et un autre juge ont estimé que si la loi voulue avait été appliquée, la décision n'aurait peut-être pas été la même.

5.8 En ce qui concerne l'argument de l'Etat partie pour qui il n'appartient pas au Comité d'apprécier les faits, le conseil ne méconnaît pas la jurisprudence établie du Comité mais fait valoir que dans la mesure où la loi voulue n'a pas été appliquée et cette erreur n'a pas été rectifiée, la décision de renvoyer Jessica est "anifestement arbitraire". Il ajoute que le droit à un procès équitable comprend le droit d'être informé des raisons d'une décision au moment où celle-ci est prise.

5.9 A propos de l'allégation de violation de l'article 17, le conseil fait valoir qu'en l'espèce l'immixtion dans le domicile consiste en une immixtion dans les arrangements familiaux et dans la vie de la famille, y compris la famille élargie.

5.10 En ce qui concerne la plainte au titre de l'article 23 du Pacte, le conseil note que la Cour européenne des droits de l'homme a toujours considéré que l'article 8 de la Convention prévoit à la fois le droit du parent à ce que des mesures soient prises pour que son enfant puisse le rejoindre et l'obligation pour les autorités nationales de prendre de telles mesures. Dans le cas de Jessica, il n'existe pas de liens familiaux entre le père et l'enfant et la seule famille qui ait besoin de protection est celle que constituent Jessica, Samuel et Mme Laing ainsi que la famille élargie vivant en Australie.

5.11 Pour ce qui est de l'allégation de discrimination à l'égard de Mme Laing, le conseil fait observer que M. Surgeon a été représenté par l'Autorité centrale alors qu'elle n'a reçu qu'une indemnité qui ne couvrait qu'une petite partie des frais généraux encourus.


Observations supplémentaires de l'État partie et de l'auteur

6.1 En date du 3 septembre 2001, l'État partie a adressé des observations supplémentaires. En ce qui concerne l'argument du conseil selon lequel l'Australie affirme sans aucun fondement que les tribunaux américains pourraient attribuer à Mme Laing la garde de Jessica ou un droit de visite, il fait observer que la décision attribuant la garde à M. Surgeon peut, en vertu du code de la Géorgie, être contestée et que le tribunal peut ultérieurement la modifier en cas de changement matériel de situation.

6.2 En outre, en réponse à l'argument des auteurs qui affirment qu'il n'existe pas de disposition constitutionnelle ou de common law offrant des protections conformes aux prescriptions du Pacte, l'État partie affirme que tant la législation que la common law protègent les droits énoncés dans le Pacte. Par exemple, selon la loi intitulée Human Rights and Equal Opportunity Commission Act (loi relative à la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances) de 1986, la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances a le pouvoir d'enquêter sur toute allégation de violation des droits consacrés dans le Pacte.

6.3 En date du 7 novembre 2001, le conseil a présenté de nouveaux commentaires dans lesquels il relève que la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances n'offre pas de recours utile, étant donné que son seul pouvoir consiste à établir un rapport sur les violations des droits de l'homme qu'elle soumet au Gouvernement. La Commission ne peut pas prendre de décisions exécutoires.


Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s'est assuré que la même question n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement aux fins du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif.

7.3 En ce qui concerne les griefs que l'auteur a présentés au nom de sa fille Jessica, le Comité note que, quand elle est partie des États-Unis, Jessica avait 14 mois, ce qui fait qu'elle a 10 ans et demi au moment de l'adoption de sa décision. Nonobstant sa pratique constante qui veut que le parent chargé, ou en l'occurrence non chargé, de la garde de l'enfant est habilité à représenter celui-ci dans le cadre de la procédure prévue par le Protocole facultatif sans autorisation expresse, le Comité souligne que c'est toujours à l'auteur d'une communication qu'il appartient de montrer que toute demande présentée au nom d'un enfant représente l'intérêt supérieur de l'enfant. En l'espèce, l'auteur avait la possibilité de faire connaître lors de la procédure qui s'est déroulée devant les juridictions nationales toutes préoccupations relatives au respect des droits consacrés dans le Pacte. Le Comité est d'avis que l'application de la Convention de La Haye n'exclut nullement l'applicabilité du Pacte, mais il considère que l'auteur n'a pas prouvé, aux fins de la recevabilité de sa communication que l'application de la Convention de La Haye constituerait une violation des droits de Jessica en vertu du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

7.4 En ce qui concerne les griefs de violation des droits de l'auteur elle-même, le Comité note que la présente situation, y compris ses éventuels effets fâcheux sur l'exercice par l'auteur des droits que le Pacte lui reconnaît, résulte de la propre décision de l'auteur de quitter avec sa fille Jessica les États-Unis pour l'Australie, au début de l'année 1995, et de son refus ultérieur de permettre l'application de la Convention de La Haye en laissant les juridictions compétentes décider de la garde de Jessica par ses parents et des droits de visite. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication n'a pas été étayée aux fins de la recevabilité, et qu'elle est par conséquent irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

7.5 Pour ce qui est du reste de la communication, portant sur les demandes présentées par l'auteur au nom de son fils Samuel, né en septembre 1995 en Australie, le Comité note que l'exercice par Samuel de ses droits n'est pas régi par la Convention de La Haye. Notant également que les décisions des juridictions des États-Unis pourraient avoir une incidence sur la possibilité pour Samuel de maintenir le contact avec sa soeur Jessica, le Comité, compte tenu des conclusions susmentionnées, considère néanmoins que l'auteur n'a étayé, aux fins de la recevabilité de sa communication, aucune allégation de violation du Pacte qui pourrait être constituée par ces incidences. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

8. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.




______________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.

Le texte de deux opinions individuelles signées l'une de M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati et M. Walter Kälin et l'autre de M. Martin Scheinin est joint à la présente décision.


APPENDICE

Opinion dissidente de M. Praffulachandra Natwarlal Bhagwati

et de M. Walter Kälin


La majorité des membres du Comité a déclaré la communication irrecevable en ce qui concerne toutes les personnes au nom desquelles elle était présentée. Si nous approuvons la décision d'irrecevabilité pour ce qui est de l'auteur et de son fils, nous ne suivons pas le Comité concernant sa fille Jessica. Au paragraphe 7.3 des constatations adoptées par le Comité, la majorité considère que l'auteur n'a pas prouvé, aux fins de la recevabilité, que l'application de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (la Convention de La Haye) constituerait une violation des droits de Jessica en vertu du Pacte. Cette opinion semble reposer sur l'hypothèse que l'application de la Convention de La Haye est dans l'intérêt supérieur de l'enfant et qu'elle est donc automatiquement compatible avec le Pacte. Nous partageons ce point de vue sur le principe, mais divergeons quant à son application dans les circonstances de l'espèce.

La Convention de La Haye a pour objet «d'assurer le retour immédiat des enfants déplacés illicitement» (art. 1er) dans le pays où ils ont été enlevés afin de les restituer au parent qui en a seul la garde ou de permettre aux tribunaux du pays de trancher sans délai la question de la garde, si celle-ci est litigieuse. La Convention est donc fondée sur l'idée qu'il est dans l'intérêt supérieur de l'enfant de retourner dans ce pays. Cela est certainement vrai si le retour intervient peu de temps après le déplacement illicite mais peut ne plus l'être s'il s'est écoulé de nombreuses années. La Convention de La Haye reconnaît cette circonstance en autorisant les États à ne pas restituer l'enfant, notamment s'il a séjourné longtemps à l'étranger et s'y est parfaitement intégré, si le retour risque de lui être préjudiciable et de l'exposer à un grave danger ou si l'enfant s'oppose à son retour et a l'âge et la maturité suffisants pour prendre une telle décision (art. 12 et 13). Le Comité n'avait pas à examiner la question de l'application de la Convention par l'Australie en tant que telle mais il est intéressant de noter que la Convention admet que le retour de l'enfant ne protège pas toujours ses droits et son intérêt supérieur.

Dans la présente affaire, le Comité doit déterminer si le fait d'entériner la décision des tribunaux australiens compétents de renvoyer Jessica aux États-Unis violerait les droits de la fillette consacrés par le Pacte, en particulier par les articles 17, 23 et 24. Comme elle n'a pas encore été renvoyée, le moment auquel il convient de se placer est celui de l'examen de l'affaire par le Comité, c'est-à-dire que ce sont les circonstances présentes qui sont déterminantes.

À ce sujet, nous notons que Jessica a presque 11 ans et refuse clairement de retourner chez son père. Elle a passé toute sa vie en Australie à l'exception des quatre mois après sa naissance et de trois autres mois après son premier anniversaire. Lorsqu'elle avait à peu près 3 ans, le tribunal australien des affaires familiales siégeant en formation plénière a débouté sa mère de son appel. Depuis lors, près de huit années se sont écoulées sans que soit vraiment étudiée la question de savoir si les circonstances évoquées aux articles 12 et 13 de la Convention de La Haye s'appliquent en l'espèce. Ce point soulève de graves questions au regard du Pacte, en particulier les suivantes: le droit de Jessica d'avoir une vie de famille avec sa mère et son frère peut-il maintenant être compromis par le droit d'un père éloigné à qui l'on a accordé, plus de 10 ans auparavant, la garde unique et permanente de sa fille, sans prévoir de droit de visite pour la mère? Le droit de l'enfant de bénéficier de mesures de protection en raison de son état de minorité serait-il compatible avec le fait de l'obliger à vivre avec un homme qu'elle combattra probablement en justice et qu'elle ne connaît, du plus loin qu'elle se souvienne, que comme celui qui a voulu la séparer de sa mère et de son frère? Ces questions et d'autres encore sont suffisamment graves pour justifier un examen quant au fond. En conséquence, nous considérons que la communication devrait être déclarée recevable en ce qui concerne les allégations de violation des articles 17, 23 et 24 du Pacte à l'égard de Jessica.

(Signé) M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati

(Signé) M. Walter Kälin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]



Opinion individuelle de M. Martin Scheinin
Si je me suis associé à la majorité qui a conclu que la communication était irrecevable au motif que les allégations des trois auteurs n'étaient pas étayées, je me sens obligé de présenter des raisons supplémentaires pour ce qui est des plaintes déposées au nom de Jessica Joy Surgeon, aujourd'hui âgée de 10 ans.

Premièrement, je tiens à préciser d'emblée que je ne vois aucun inconvénient à ce que le Comité s'appuie sur l'article 2 du Protocole facultatif pour considérer que, pour être recevable, toute plainte concernant une violation du Pacte doit être dûment étayée. La référence qui est faite à l'article 2 du Protocole facultatif à un grief de «violation» doit être entendue comme se rapportant à une plainte étayée par des faits pertinents et des arguments juridiques.

Deuxièmement, pour établir que Mme Laing n'a pas réussi à étayer les plaintes qu'elle a présentées au nom de Jessica, j'accorde beaucoup d'importance à l'article 19 de la Convention de La Haye sur l'enlèvement d'enfants, en vertu duquel une décision sur le retour de l'enfant rendue dans le cadre de la Convention «n'affecte pas le fond du droit de garde». Comme il est indiqué au paragraphe 2.2 de la décision du Comité, la décision du tribunal américain de mai 1995, accordant la garde unique de Jessica à M. Surgeon, sans droit de visite pour Mme Laing, a été prise «jusqu'à nouvelle décision d'une juridiction compétente». En conséquence, l'affaire dont le Comité est saisi ne porte pas sur l'octroi de la garde de Jessica au seul M. Surgeon, sans droit de visite pour Mme Laing. L'application de la Convention de La Haye aurait eu pour résultat en 1996 – et encore aujourd'hui – de placer Jessica sous la juridiction effective des tribunaux américains de sorte qu'ils puissent trancher toutes les questions relatives à la garde et au droit de visite. C'est ce que fait observer l'État partie dans ses arguments repris aux paragraphes 4.4, 4.5, 4.19, 4.23 et 6.1 de la décision du Comité. Il n'a pas été prouvé aux fins de la recevabilité que l'application de ce principe constituerait une violation des droits de Jessica au titre du Pacte. Telle est la raison principale pour laquelle j'estime que la plainte présentée au nom de Jessica est irrecevable. Ce qui suit devrait être considéré comme des motifs supplémentaires.

Comme il est indiqué au paragraphe 7.3 de la décision du Comité, la pratique veut qu'un parent soit habilité à représenter un enfant mineur dans le cadre de la procédure prévue par le Protocole facultatif, sans autorisation expresse. Cela signifie que l'un ou l'autre des parents, qu'il ait ou non la garde de l'enfant, est habilité à présenter une communication au nom de l'enfant afin de dénoncer une violation de ses droits. Cette approche signifie certes qu'un parent a toujours qualité pour agir au nom de son enfant mais il appartient au Comité de déterminer si le parent en question, qu'il ait ou non la garde, est parvenu à démontrer qu'il représente la volonté et l'intérêt supérieur de l'enfant. Pour cette raison, il est toujours préférable que le Comité reçoive une lettre de consentement ou toute autre manifestation de l'opinion de l'enfant lorsque cet enfant a atteint un âge où son opinion peut être prise en compte. En l'espèce, Jessica aura bientôt l'âge auquel nombre de juridictions accordent une importance légale au consentement librement exprimé de l'enfant. Le fait que le Comité n'ait pas reçu de lettre de consentement ou toute autre manifestation libre et directe de l'opinion de Jessica, a contribué à emporter ma décision de considérer que Mme Laing n'avait pas étayé les allégations présentées au nom de Jessica, aux fins de la recevabilité de la communication.

Toutefois, j'attache une importance plus grande encore au fait que la procédure établie par le Protocole facultatif implique toujours deux parties: une ou plusieurs personnes physiques et un État partie au Protocole facultatif. L'obligation d'étayer les allégations s'applique à tous les griefs présentés par l'auteur et non seulement à la question de savoir si les droits de l'enfant ont été violés. Jessica peut être effectivement victime d'une violation par l'Australie des droits consacrés par le Pacte. Ces violations peuvent résulter des décisions prises par les tribunaux australiens en l'espèce, de la non-application de ces décisions ou de l'application possible de ces décisions à l'avenir, qui se traduirait par le renvoi de Jessica aux États-Unis. La plainte présentée par Mme Laing au nom de Jessica porte, au moins au premier chef, sur la troisième de ces options. Il lui appartiendrait d'étayer cette plainte pour démontrer au Comité qu'il est vraisemblable ou du moins réellement possible que les décisions prises par les tribunaux il y a plusieurs années soient maintenant appliquées et qu'il ne s'agit pas d'une simple spéculation. Lorsqu'il examine, dans ce genre d'affaire, si la plainte est suffisamment étayée, le Comité devrait garder à l'esprit le scénario inverse, où un parent fait valoir une violation des droits fondamentaux d'un enfant enlevé, du fait de la non-application de la décision prise par les tribunaux de l'État partie de renvoyer l'enfant dans la juridiction du pays d'où il a été enlevé. S'il n'y a pas de solution générale à ce type d'affaire le fait que la même situation puisse donner lieu à des griefs contradictoires, a une incidence sur l'application de l'obligation d'étayer les allégations en tant que condition de recevabilité.

(Signé) M. Martin Scheinin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]


Notes


1. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'Australie le 25 septembre 1991.

2. Minister for Immigration and Ethnic Affairs v. Teoh (1995) 183 CLR 273, p. 287 du dossier des pièces justificatives.

3. Minister for Immigration and Ethnic Affairs v. Teoh, et DJL v. The Central Authority, audience devant la Haute Cour du 7 octobre 1999, par. 48 à 50.

4. Communication nº 488/1992, constatations adoptées le 31 mars 1994, par. 6.4.

5. Communication no 58/1979, constatations adoptées le 9 avril 1981, par. 10.1.

 



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