University of Minnesota



Mathieu Vakoumé et 28 autres personnes c. France, Communication No. 822/1998, U.N .Doc. CCPR/C/70/D/822/1998 (2000).



Communication No. 822/1998*


Présentée par: M. Mathieu Vakoumé et 28 autres personnes (Représenté par Me Gustave Tehio, avocat à Nauméa, et la SCP ROUX-LANG-CHEYMOL ­ CANIZARES, société d'avocats à Montpellier)

Au nom de: Les auteurs

État partie: France

Date de la communication: 11 mars 1998

Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2000

Adopte la décision ci-après:


Décision concernant la recevabilité


1. Les auteurs de la communication sont M. Vakoumé et 28 autres personnes. Ils prétendent être des propriétaires fonciers ou coutumiers de terrains à l' île des Pins à la Nouvelle Calédonie. Ils affirment être victimes de violations des articles 17-1, 18 et 23-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au motif de l' atteinte à leur vie privée et familiale, ainsi qu' à leur droit de manifester librement leur religion ou leur conviction par le culte. Les auteurs sont représentés par deux conseils, Maître Téhio, avocat à Nouméa, et par le cabinet Roux-Cheymol-Canizares, situé à Montpellier.

Rappel des faits et de la procédure, tels qu' ils ressortent des déclarations desrequérants et des pièces jointes

2.1 Les auteurs sont membres de la tribu Touété établie à la baie d'Oro sur l'île des Pins au sud de la Nouvelle ­ Calédonie dans une réserve constituée en 1887 où s'exercent des droits coutumiers. La baie s'Oro est répartie en propriétés claniques. La tradition voudrait que le représentant de chaque clan doive recueillir l'avis de chacun des membres du clan et obtenir son accord pour décider de l'utilisation du sol.

2.2 Les auteurs prétendent détenir des droits coutumiers sur des parcelles de terrain sur lesquelles la société Magénine SA avait entrepris la construction d'un complexe hôtelier. Ce complexe a été inauguré et est opérationnel depuis le mois de novembre 1998.

2.3 Les représentants de la tribu Touété, hormis les auteurs, ont pris part au projet de réalisation du complexe hôtelier à travers la société Magénine, crée en 1994 spécialement à cet effet. Il a été convenu entre les représentants de la tribu Touété et la Province Sud de la Nouvelle ­ Calédonie, que cette dernière avancerait les fonds nécessaires, afin que la tribu dispose sous forme de prêt des contributions requises pour détenir 66 % du capital de la société propriétaire du complexe à réaliser, le reste du capital appartenant à la Société des hôtels de Nouméa. Les représentants de la tribu apportent en outre à la société, un droit de jouissance de 25 ans sur le terrain nécessaire à la construction et dont la surface s'établit 5 hectares et 37 ares. Les auteurs, qui n'ont pas pris part à cet accord, prétendent avoir des droits sur des parcelles du terrain mis à disposition.


2.4 Aussitôt après l'obtention d'un permis de construire établi par l' Assemblée de la Province Sud, au profit de la société Magénine le 30 août 1996, les travaux ont commencé. Dès le mois de décembre 1996, plusieurs requêtes de riverains ont été déposées au tribunal administratif de Nouméa désirant l'annulation du permis de construire. Par jugement du 1er avril 1997 le tribunal annule le permis de construire au motif qu'aux termes de l'article 8 de la délibération n24 de l'Assemblée de la Province en date du 8 novembre 1989, tout projet de lotissement ou de groupe de constructions à usage d'habitation ou non, doit faire l'objet d'une demande d'autorisation dans les conditions fixées par les assemblées de province et non pas d'un permis de construire. Le tribunal a condamné en outre la société à verser à l'ensemble des requérants la somme de 100 000 francs CPF.

2.5 La SA Magénine a interjeté un appel le 16 avril 1997 devant la cour d'appel de Nouméa à l'encontre de ce jugement. Le 24 avril 1997 les requérants saisissent le juge des référés avec une demande d' astreinte. Le 21 mai le juge des référés rejette la demande. Les requérants ont interjeté appel de l'ordonnance de référé le 4 juin 1997.

2.6 Par arrêt du 16 octobre 1997, la Cour d' appel de Nouméa infirme l' ordonnance du juge des référés du 21 mai 1997 et ordonne l' exécution du jugement du tribunal administratif de Nouméa du 1er avril 1997, assorti d' une astreinte. Le 17 octobre 1997 l'Assemblée de la Province sud établit par arrêté une autorisation de construire un groupe d' immeubles à la société Magénine. Le 22 décembre 1997 M. Vakoumé et plusieurs autres requérants demandent au tribunal administratif de Nouméa de statuer sur le sursis à l' exécution, ainsi que sur l' annulation de l' arrêté du 17 octobre 1997. En date du 16 février 1998, le tribunal administratif de Nouméa annule l' arrêté autorisant la construction, plusieurs autorités locales n' ayant pas été consultées préalablement à la délivrance de l' autorisation de construire. Le 3 avril 1998 la Province Sud a fait appel du jugement du tribunal administratif de Nouméa du 16 février 1998, auprès de la Cour administrative d' appel de Paris.


2.7 Le 26 février 1998 la Province Sud établit au profit de la société Magénine une nouvelle autorisation de construire. Le 23 mars 1998, les requérants demandent devant le tribunal administratif de Nouméa, d'annuler et d'ordonner le sursis à l'exécution de la nouvelle autorisation du 26 février 1998. Les auteurs ont invoqué, entre autres, que la construction de l'hôtel porterait attente à leur droit au respect de la vie privée (art. 17 ICCPR) et à la protection de leur vie familiale (art. 23 ICCPR). Le 4 juin 1998 le tribunal administratif de Nouméa a rejeté le recours du 23 mars 1998, autorisant la poursuite de la construction. Le tribunal a estimé que la construction n'a pas violé les droits des requérants, tels qu'énoncés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, parce qu'il n'était pas établi que l'hôtel allait être situé à l'emplacement du lieu de sépultures ancestrales et, de plus, les représentants de la tribu avaient donné leur consentement concernant la construction. Le 4 août 1998 les requérants ont saisi la Cour administrative d'appel de Paris, demandant l'infirmation du jugement du 4 juin 1998.


Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs prétendent être victimes de violations des articles 17-1 23-1 et 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.2 Au préalable ils ont invoqué l 'article 86 du règlement du Comité des droits de l 'homme, en souhaitant obtenir la mise en uvre de mesures de protection provisoires, afin d 'éviter que les requérants ne subissent un préjudice irréparable(1). En effet ils prétendent que le lieu où la construction a lieu représentait un haut lieu de leur histoire, culture et vie.

3.3 Pour ce qui est des violations de droits, tels qu' exposés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les auteurs distinguent deux parties.

3.4 En premier lieu ils s' estiment victimes de violations des articles 17-1 et 23 du Pacte. Ils indiquent à cet effet que la baie d' Oro renferme un patrimoine naturel, historique et culturel important. Sur ce site se trouvent des sépultures ancestrales et c' est également là qu'ont trouvé naissance des légendes, faisant partie du patrimoine et de la mémoire collective de l' Ile des Pins.

3.5 Les auteurs rappellent la décision du 29 juillet 1997 du Comité des droits de l'homme dans l' affaire 549/1993, Hopu et Bessert c/ France(2), relative à la construction d' un complexe hôtelier sur des lieux de sépultures ancestrales. A cet effet, le Comité avait considéré comme une immixtion dans la vie familiale privée des auteurs, concluant à une violation des articles 17-1 et 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs rappellent qu' au cas d' espèce, il s' agissait aussi de la construction d' un complexe hôtelier pour le même groupe.

3.6 Pour la violation de l' article 18-1 du Pacte, les auteurs estiment que la construction sur les lieux de sépultures ancestrales portait atteinte à leur droit à la liberté de la pensée, de conscience et de religion. A cet effet il est invoqué que les requérants, comme les Mélanésiens en général, évoluent dans un cadre naturel, fondé sur un réseau de liens avec leurs parents, leur famille et leurs morts. Le culte voué aux morts représente une manifestation religieuse et traditionnelle, inhérente à leur mode de vie, à leurs convictions et leur culture.

3.7 Dans ce contexte les requérants estiment que la destruction du site sacré constitue une violation du droit de manifester librement leur religion ou leur conviction par le culte et l' accomplissement de rites.


Observations de l' Etat partie concernant la recevabilité

4.1 L'Etat partie a fait parvenir ses observations, en ce qui concerne la communication No 822/1998, le 4 décembre 1998. Il juge la communication irrecevable pour défaut d 'épuisement des voies de recours internes. L'Etat partie a attiré l'attention sur les actions, intentées par les auteurs après que la communication a été introduite devant le Comité le 11 mars 1998. Le 23 mars 1998 les requérants ont introduit une action en appel à l 'encontre de l'autorisation de la Province Sud du 26 février 1998. De plus le 4 août 1998 les auteurs ont interjeté appel devant la Cour administrative d'appel de Paris à l'encontre de la décision du tribunal administratif de Nouméa du 4 juin 1998 et cet appel est toujours en instance.

4.2 La France oppose aussi le fait que les procédures ne peuvent pas être considérées comme dépassant les délais raisonnables. En moins de deux ans l' affaire a fait l' objet d' une ordonnance de référé du tribunal de première instance de Nouméa, d' un arrêt de la cour d' appel de Nouméa, de trois jugements du tribunal administratif de Nouméa.

4.3 Enfin, l' Etat partie oppose à la recevabilité de la communication, le fait que les requérants n'ont jamais soulevé devant les juridictions françaises les griefs tenant à la violation éventuelle des articles 17-1, 18-1 et 23-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ce qui allait à l' encontre des exigences de l' article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif.

Réponse des requérants aux observations de l'Etat partie

5.1 En réponse aux observations de l' Etat partie, les conseils des requérants répliquent par un mémoire daté du 8 avril 1999. Ils indiquent que l' hôtel était déjà construit et inauguré, le préjudice des victimes étant par la même occasion pleinement constitué. Tous les recours engagés pour faire cesser le trouble étant inefficaces et inutiles, la violation des articles invoqués ne faisait plus aucun doute.

5.2 A l' argument de l'Etat partie que les voies de recours internes n' avaient pas été épuisées, les auteurs opposent leur conviction, que ces mêmes recours étaient inefficaces et inutiles pour faire cesser le trouble. Dès qu' une décision intervenait pour faire cesser les travaux, l'entreprise obtenait aussitôt une nouvelle autorisation de l' Assemblée de Province et continuait. Ainsi les requérants n' ont pas pu obtenir la cessation des constructions illégales.

5.3 Les auteurs estiment que le fait qu' une décision de justice qui ordonne la cessation des travaux sous astreinte n' avait jamais été respectée, et également le fait que la société avait continué ses constructions illégales, avec l' aval du président de l' Assemblée de Province, constituait une atteinte flagrante au droit de tout individu à un recours utile et effectif. La répétition de ces faits illicites et la tolérance des autorités de l' Etat à cet égard, constituent des pratiques à l' encontre desquelles l' existence de voies de droit reste vaine et sans efficacité.

5.4 En ce qui est des allégations du gouvernement, selon lesquelles les requérants n' avaient pas invoqué les violations des dispositions du Pacte, les auteurs déplorent la mauvaise foi de l' Etat partie. Les conseils avaient à maintes reprises répété et invoqué des violations du Pacte et d' autres instruments internationaux.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d' examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité de droits de l' homme doit, conformément à l' article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note, au vu des documents présentés, que les allégations de l' Etat partie, selon lesquelles les requérants n' ont pas invoqué devant les juridictions judiciaires ou administratives, le fait que les travaux portent atteinte à leur vie privée, leur liberté de conscience, religion ou leur vie familiale, ne peuvent pas être soutenues. En effet il a été établi que les conseils des requérants ont invoqué ces arguments, notamment dans leur appel contre l'autorisation de construire du 26 février 1998, ainsi qu' il y a eu des développements à ce sujet dans la décision du tribunal de Nouméa du 4 juin 1998.


6.3 Le Comité note que l' Etat partie conteste la recevabilité de la communication pour non épuisement des recours internes, étant donné que les auteurs n' ont pas attendu le résultat de leur appel.

6.4 En ce qui est des déclarations des auteurs que les recours internes sont inefficaces, parce que l' hôtel a déjà été érigé et parce que les autorités n' ont pas respecté les décisions judiciaires en faveur de requérants, le Comité constate qu' après l'arrêt de la Cour d appel de Nouméa en date du 16 octobre 1997, ordonnant l'arrêt des travaux assorti d' une astreinte, pour cause d >absence d' autorisation administrative valable, les autorités ont établi une telle autorisation, rendant ainsi légale la continuation des travaux. Il apparaît, par conséquent, que les décisions de justice en faveur des requérants se basaient largement sur les exigences des régularisations relatives aux constructions et qu'il n'y a pas d'indications à ce que les autorités n'avaient pas respecté les décisions des tribunaux.

6.5 En ce qui concerne les affirmations de l'Etat partie que les voies de recours internes ne sont pas épuisées du fait que les auteurs n'ont pas attendu l'issue de leur appel, ainsi que le contre argument des requérants que le recours devant la Cour administrative d' appel de Paris et, si nécessaire, devant le Conseil d' Etat allait être inefficace, le Comité ne peut accepter l' argument du conseil selon lequel, étant donné que la construction a été terminée, les tribunaux ne seraient plus en mesure d'offrir les garanties d'un recours utile. Dans ces conditions, le Comité estime que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l' homme décide:

- que la communication est irrecevable en vertu de l' article 5 2) b) du Protocole facultatif,

- que la présente décision sera communiquée à l' Etat partie et au représentant des auteurs de la communication;

- qu'il pourra reconsidérer la présente décision, conformément au paragraphe 2 de l' article 92 de son règlement intérieur, s' il est saisi par les auteurs ou en leur nom d' une demande écrite contenant des renseignements d' où il ressort que les motifs d' irrecevabilité ont cessé d'exister.

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* Les membres du Comité ci-après ont participé à l'examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitán de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia. Conformément à l'article 85 du règlement intérieur, Mme Chanet n'a pas pris part à l'examen de la communication.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]

1. Le Comité, agissant par son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, n'a pas donné une suite favorable à cette requête.

2. CCPR/C/60/D/549/1993/Rev.1, Constatations adoptées par le Comité le 29 juillet 1997.



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