University of Minnesota



Mme Rookmin Mulai c. Guyana, Communication No. 811/1998, U.N. Doc. CCPR/C/81/D/811/1998 (2004).


 


Convention Abbreviation: CCPR

Présentée par: Mme Rookmin Mulai (représentée par un conseil, M. C. A. Nigel Hugues, du cabinet Hugues, Fields & Stoby)

Au nom de: MM. Lallman Mulai et Bharatraj Mulai

État partie: République du Guyana

Date de la communication: 4 mars 1998 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2004,

Ayant achevé l'examen de la communication n° 811/1998 présentée au nom de MM. Lallman Mulai et Bharatraj Mulai en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit :




Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif


1.1 L'auteur de la communication est Mme Rookmin Mulai, qui soumet celle-ci au nom de ses deux frères, Bharatraj et Lallman Mulai, tous deux de nationalité guyanienne, en attente d'exécution à la prison de Georgetown au Guyana. Elle affirme que ses frères sont victimes de violations des droits de l'homme par le Guyana. (1) Elle n'invoque pas d'articles précis du Pacte mais la communication semble soulever des questions au regard du paragraphe 2 de l'article 6 et de l'article 14 du Pacte. Après la présentation de la communication, l'auteur a désigné un conseil; celui-ci n'a toutefois pas été en mesure de soumettre de mémoire quant au fond en raison de l'absence de réponse de l'État partie.

1.2 Le 9 avril 1998, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a demandé à l'État partie, en application de l'article 86 du règlement intérieur du Comité, de ne pas procéder à l'exécution des auteurs tant que le Comité examinerait leur cas.


Rappel des faits présentés par l'auteur

2.1 Le 15 décembre 1992, Bharatraj et Lallman Mulai ont été inculpés du meurtre, survenu entre le 29 et le 31 août 1992, d'un certain Doodnauth Seeram. Ils ont été reconnus coupables de ce chef et condamnés à mort le 6 juillet 1994. La cour d'appel a annulé la condamnation à mort et ordonné l'ouverture d'un nouveau procès, le 10 janvier 1995. À l'issue du nouveau procès, Bharatraj et Lallman Mulai ont de nouveau été reconnus coupables et condamnés à mort le 1er mars 1996. Le 29 décembre 1997, leur condamnation a été confirmée en appel.

2.2 Il ressort du dossier du nouveau procès que la version des faits défendue par l'accusation était la suivante: une dispute avait éclaté entre Bharatraj et Lallman Mulai et M. Seeram parce que des vaches paissaient sur le terrain de celui-ci. La dispute avait dégénéré et Bharatraj et Lallman Mulai avaient frappé à plusieurs reprises M. Seeram avec un grand couteau et une arme qui ressemblait à une lance. M. Seeram était tombé à terre et ils l'avaient alors roué de coups de bâton. Le 1er septembre 1992, le fils de M. Seeram avait retrouvé le corps de son père dans une petite rivière à côté de chez lui. Il portait des blessures à la tête, la main droite avait été coupée juste au-dessus du poignet et une corde avait été nouée autour du cou pour maintenir le corps immergé.

2.3 Un témoin oculaire présumé, du nom de Nazim Baksh, a déposé contre Bharatraj et Lallman Mulai. La cour a également entendu le fils de M. Seeram, qui avait trouvé le corps, ainsi que, entre autres, le policier qui avait conduit l'enquête et le médecin qui avait examiné le corps de la victime, le 29 octobre 1992.

2.4 À l'audience, Bharatraj et Lallman Mulai ont clamé leur innocence, faisant valoir qu'ils n'étaient pas sur les lieux le jour en question. Ils ont affirmé avoir toujours été en bons termes avec M. Seeram alors qu'avec M. Baksh «ils ne se parlaient pas».

2.5 Par courrier daté du 19 mai 2003, le conseil de l'auteur a fait savoir que Bharatraj et Lallman Mulai étaient toujours dans le quartier des condamnés à mort.


Teneur de la plainte

3.1 L'auteur affirme que ses frères sont innocents et que leur procès a été inéquitable. D'après elle, des inconnus ont cherché à soudoyer le président du jury. Deux personnes sont allées voir le président chez lui, le 23 février 1996, et lui ont proposé une somme d'argent dont le montant n'est pas précisé s'il influençait le jury en faveur de Bharatraj et de Lallman Mulai. Le président a signalé la chose au procureur et au juge mais la défense n'en a jamais eu connaissance. Contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres affaires, le procès n'a pas été remis en cause du fait de cet incident.(2) De plus, M. Baksh a affirmé dans sa déposition qu'il avait été pressenti par des membres de la famille Mulai. L'auteur fait valoir que cela a prévenu le président du jury et les jurés contre ses frères.

3.2 L'auteur affirme que M. Baksh ne pouvait pas être considéré comme un témoin crédible. Au deuxième procès, il avait déclaré avoir vu Bharatraj et Lallman Mulai en train d'agresser M. Seeram, alors qu'au premier procès il avait affirmé qu'il n'avait rien pu voir parce qu'il faisait trop sombre. De plus, il avait déclaré que Bharatraj et Lallman Mulai avaient donné plusieurs coups de couteau à M. Seeram alors que l'enquêteur avait dit que les blessures constatées sur le corps avaient été causées par un instrument contondant. Par ailleurs, selon M. Baksh, Bharatraj et Lallman Mulai avaient frappé M. Seeram pendant plusieurs minutes, alors que le médecin n'avait pas constaté de fractures, ce qui aurait été une blessure caractéristique pour de tels coups. Enfin, le médecin avait établi que la cause du décès était la noyade.

3.3 L'auteur fait valoir également que, normalement, la victime aurait dû essayer de parer les coups avec les mains et les pieds alors que le corps de M. Seeram ne présentait aucune blessure, hormis l'amputation de la main droite. Elle souligne que Bharatraj Mulai, que M. Baksh avait identifié comme étant celui qui avait donné les coups de couteau, est droitier et que c'est donc la main gauche qui aurait dû être coupée si M. Seeram s'en était servi pour parer un coup de couteau donné par Bharatraj Mulai. L'auteur reconnaît que l'avocat de la défense n'a pas développé ces arguments au procès.

3.4 Enfin, l'auteur dit que M. Baksh a donné deux versions différentes à la police. Dans sa première déposition, le 8 septembre 1992, il a déclaré n'avoir rien vu de l'incident, alors que le 10 décembre 1992, il a fait la déclaration mentionnée au paragraphe 3.2 ci-dessus. Les témoignages de M. Baksh et du fils de M. Seeram ne concordaient pas non plus au sujet de la présence d'arbres sur les lieux, ce dernier indiquant qu'il y en avait beaucoup à proximité.


Délibérations du Comité

4. Par lettres datées du 9 avril 1998 et des 30 décembre 1998, 14 décembre 2000, 13 août 2001 et 11 mars 2003, l'État partie a été invité à fournir au Comité des renseignements sur le fond de la communication. Le Comité note qu'il n'a toujours rien reçu. Il regrette que l'État partie n'ait pas fourni d'informations concernant la recevabilité ou le fond de la plainte. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties doivent lui communiquer toutes les informations dont ils disposent. En l'absence de réponse de l'État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l'auteur, dans la mesure où elles sont dûment étayées. (3)


Examen de la recevabilité

5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

5.3 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur relative au fait que M. Baksh n'était pas crédible et que les témoignages du médecin et des autres témoins n'étaient pas concluants, le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme que c'est généralement aux juridictions des États parties au Pacte et non au Comité qu'il appartient d'apprécier les faits dans un cas d'espèce. Les renseignements dont le Comité est saisi et les arguments avancés par l'auteur ne montrent pas que l'appréciation des faits par les tribunaux et l'interprétation de la loi par ces derniers étaient manifestement arbitraires ou représentaient un déni de justice. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

5.4 Le Comité déclare l'autre allégation concernant la tentative d'influencer le jury recevable en ce qu'elle semble soulever des questions au regard du paragraphe 1 de l'article 14, et procède à son examen quant au fond, à la lumière de toutes les informations communiquées par l'auteur, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.


Examen quant au fond

6.1 Le Comité note que l'indépendance et l'impartialité d'un tribunal sont des éléments importants du droit à un procès équitable au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Dans un procès avec jury, l'obligation d'apprécier les faits et les preuves de façon indépendante et impartiale s'applique également au jury; il importe que tous les jurés soient dans une position telle qu'ils puissent apprécier les faits et les preuves de façon objective, afin de rendre un verdict juste. Par ailleurs, le Comité rappelle que, si l'une des parties a connaissance de démarches destinées à influencer le jury, elle doit soulever la question de ces irrégularités devant le tribunal. (4)

6.2 En l'espèce, l'auteur soutient que le président du jury du deuxième procès a informé, le 26 février 1996, la police et le président du tribunal que quelqu'un avait cherché à l'influencer. L'auteur fait valoir que le juge avait l'obligation d'ordonner une enquête sur la question pour vérifier si une injustice avait pu être commise au détriment de Bharatraj et de Lallman Mulai, rendant leur procès inéquitable. En outre, l'auteur affirme que l'incident n'a pas été communiqué à la défense alors que le juge et le procureur en avaient été informés par le président du jury, et que, contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres affaires, le procès intenté contre les deux frères n'a pas été remis en cause suite à l'incident. Le Comité observe que, bien qu'il ne soit pas en mesure d'établir que l'action du jury et du président, et les conclusions auxquelles ils sont parvenus, aient été effectivement empreintes de partialité et aient dénoté un parti pris à l'encontre de Bharatraj et Lallman Mulai, et bien qu'il ressorte des informations qui lui ont été communiquées que la cour d'appel a abordé la question de la partialité éventuelle, la cour n'a pas examiné la partie du recours ayant trait au droit de Bharatraj et Lallman Mulai à l'égalité devant les tribunaux et les cours de justice, consacré au paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, et sur le fondement duquel la défense aurait pu demander que le procès soit remis en cause. Le Comité considère par conséquent que le paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte a été violé.

6.3 Conformément à la pratique qu'il a constamment suivie, le Comité estime que le verdict de condamnation à mort prononcé à l'issue d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue une violation de l'article 6 du Pacte. En l'espèce, l'État partie a violé les droits dont Bharatraj et Lallman Mulai pouvaient se prévaloir en vertu de l'article 6 du Pacte.

7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi révèlent des violations du paragraphe 1 de l'article 14 et de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

8. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'assurer à MM. Bharatraj et Lallman Mulai un recours utile, sous la forme d'une commutation de leur peine. L'État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.

9. Étant donné qu'en devenant partie au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant

sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.


____________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.


Notes

1. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour l'État partie, sur adhésion, le 10 août 1993. Le 5 janvier 1999, le Gouvernement guyanien a notifié le Secrétaire général qu'il avait décidé de dénoncer le Protocole facultatif avec effet au 5 avril 1999, c'est-à-dire après la présentation de la communication. Le même jour, il y a adhéré de nouveau en formulant la réserve suivante: «Le Gouvernement du Guyana adhère à nouveau au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, moyennant une réserve à l'article 6 du Pacte à l'effet que le Comité des droits de l'homme n'est pas compétent pour recevoir et examiner les communications émanant de quiconque est condamné à la peine de mort pour les crimes de meurtre et de trahison, concernant toute matière en rapport avec les poursuites exercées contre l'intéressé, sa détention, son jugement, sa condamnation, la peine prononcée ou l'exécution de la peine de mort, ou toute autre matière connexe. Acceptant le principe que les États ne peuvent généralement pas utiliser le Protocole facultatif comme un moyen d'émettre des réserves au Pacte international relatif aux droits civils et politiques lui-même, le Gouvernement du Guyana souligne que sa réserve au Protocole facultatif ne porte en rien atteinte à ses obligations ou engagements en vertu du Pacte, y compris de respecter et d'assurer à tous les individus se trouvant sur le territoire du Guyana et soumis à sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte (pour autant qu'ils ne font pas déjà l'objet d'une réserve), comme prévu par l'article 2 du Pacte, et son engagement de soumettre des rapports au Comité des droits de l'homme conformément au mécanisme du suivi établi par l'article 40.».

2. Le dossier comprend un exemplaire de l'arrêt de la cour d'appel, dans lequel l'incident est traité comme une question soulevée en appel visant à dénoncer une procédure inéquitable. La cour d'appel a rejeté le recours au motif que l'intégrité du président du jury n'avait pas été viciée.

3. Voir J. G. A. Diergaardt et consorts c. Namibie, communication no 760/1997, constatations adoptées le 25 juillet 2000, par. 10.2.

4. Voir Willard Collins c. Jamaïque, communication no 240/1987, constatations adoptées le 1er novembre 1991, par. 8.4.

 

 



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