University of Minnesota



Yelena Pavlovna Smirnova c. Russian Federation, Communication No. 712/1996, U.N. Doc. CCPR/C/81/D/712/1996 (2004).


 


Convention Abbreviation: CCPR
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 5 juillet 2004,

Ayant achevé l'examen de la communication no 712/1996 présentée au nom de Yelena Pavlovna Smirnova au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:



Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif


1. L'auteur de la communication est Mme Yelena Pavlovna Smirnova, ressortissante russe, née en 1967. (1) Elle dit avoir été victime de violations par la Fédération de Russie des articles 9 et 14 du Pacte. Elle est représentée par un conseil.


Rappel des faits présentés par l'auteur

2.1 Le 5 février 1993, des poursuites pénales ont été engagées contre l'auteur en vertu de l'article 93 a) du Code pénal russe, au motif qu'elle aurait escroqué une banque moscovite en essayant de garantir un prêt au moyen d'un appartement qui ne lui appartenait pas. Elle n'a été informée de l'enquête que le 14 septembre 1994, lorsqu'elle a été arrêtée par la police de Moscou, qui l'a relâchée 36 heures plus tard.

2.2 Le 26 août 1995, l'auteur a de nouveau été arrêtée et placée en détention préventive à la prison Butyrskaya de Moscou. Elle n'a été informée officiellement des charges retenues contre elle que le 31 août 1995. Elle n'a pas bénéficié de l'assistance d'un conseil. Il ressort des pièces jointes que, malgré plusieurs demandes, le conseil n'a été autorisé à la voir que le 2 novembre 1995.

2.3 Selon l'auteur, son arrestation et sa détention étaient illégales parce qu'elle n'a été placée en détention qu'après l'expiration du délai prévu pour l'enquête préliminaire. Elle a expliqué que, selon les règles de procédure pénale russe, un suspect ne peut être arrêté qu'après une enquête officielle. En l'espèce, l'enquête a commencé le 5 février 1993 et, selon le paragraphe 1 de l'article 133 du Code de procédure pénale, elle aurait dû prendre fin le 5 avril 1993. Le paragraphe 4 du même article autorise une prolongation d'un mois en cas de suspension de l'enquête. Dans le cas de l'auteur, l'enquête préliminaire a été prolongée six fois, dont trois fois illégalement, comme l'a reconnu le Procureur de la ville de Moscou.

2.4 Le 27 août 1995, l'auteur a déposé auprès de l'enquêteur une plainte en vertu du paragraphe 1 de l'article 220 du Code de procédure pénale, dans laquelle elle contestait la légalité de son arrestation et de sa détention. L'enquêteur n'a déposé la plainte au tribunal intermunicipal de Tver que le 1er septembre 1995, violant ainsi la loi, qui prévoit que de telles plaintes doivent être déposées au tribunal dans les 24 heures. Le 13 septembre 1995, le tribunal s'est déclaré incompétent sans avoir entendu les parties et l'a déboutée de sa plainte au motif que l'enquête était terminée. C'est sur cet élément que l'auteur fait reposer son argument selon lequel son arrestation était illégale. Elle soutient que le tribunal aurait dû recevoir sa plainte, parce que l'enquête, qui avait été prolongée, était encore en cours, même si une telle prolongation était elle-même illégale. L'auteur n'a pas pu former de recours contre la décision du tribunal, étant donné que l'article 331 du Code de procédure pénale ne prévoit aucune possibilité de recours contre une décision portant sur une plainte présentée en vertu de l'article 220.

2.5 L'auteur a indiqué que, depuis la date de sa première lettre, la date du procès n'avait pas encore été fixée et que, selon le tribunal, elle ne le serait pas avant septembre 1996. L'auteur a fait valoir que cette situation était contraire aux dispositions de l'article 223 du Code de procédure pénale, selon lequel la date du procès doit être fixée dans les 14 jours suivant la présentation de l'affaire au tribunal.

2.6 L'auteur a en outre indiqué qu'elle souffre d'une grave maladie de la peau, la vascularite hémorroïdale, aggravée par les mauvaises conditions de détention. À ce sujet, elle a déclaré que la prison ne disposait pas des aliments et des médicaments nécessaires et que les cellules, conçues pour 24 personnes, en contenaient 60. De plus, certaines de ses codétenues avaient déjà été condamnées. L'auteur soutient que, comme elle n'avait pas de casier judiciaire et que les faits qui lui étaient reprochés n'étaient pas des infractions graves ou violentes, elle n'aurait pas dû être placée en détention. À propos des conditions d'incarcération dans la prison de Butyrskaya, elle renvoie au rapport présenté le 16 novembre 1994 par le Rapporteur spécial sur la torture de la Commission des droits de l'homme. (2) En mars 1996, l'auteur a été transférée à l'hôpital de la prison, où elle est restée jusqu'au 17 mai 1996, date à laquelle elle a été reconduite dans sa cellule.

2.7 Pour ce qui est de l'épuisement des recours internes, l'auteur fait valoir que le Code de procédure pénale n'autorise aucun recours contre des décisions prises en vertu de l'article 220. Puisqu'il n'existe pas de recours en révision, l'auteur a contesté la légalité de la décision du juge auprès du Procureur de la ville de Moscou, du Procureur du district de Moscou, du Procureur général de la Fédération de Russie, du Département de la justice de Moscou, du tribunal municipal de Moscou et du Conseil de la magistrature, qui ont confirmé que la décision du juge ne pouvait pas faire l'objet d'un recours. De plus, le Ministère de la justice a reconnu que la décision du juge était erronée, mais qu'il ne pouvait rien faire, faute de preuve d'une infraction pénale de la part du juge. Tout en reconnaissant que l'enquête avait subi des retards bureaucratiques, le Procureur de la ville n'a pas autorisé la remise en liberté de l'auteur. Aucun autre recours ne serait possible.


La teneur de la plainte

3. L'auteur soutient que son maintien en détention préventive constitue une violation des articles 9, 10 et 14 3) du Pacte; qu'elle a été privée de liberté en violation du Code russe de procédure pénale; qu'elle n'a pas été informée dans le plus court délai des motifs de son arrestation ou des charges retenues contre elle; qu'elle n'a pas été déférée promptement devant un juge ou une autre autorité judiciaire et qu'elle a été placée en détention préventive alors qu'elle n'avait pas de casier judiciaire, qu'elle n'était pas accusée d'une infraction grave et qu'il n'y avait pas de raison de croire qu'elle ne se présenterait pas aux interrogatoires ou à l'audience. De plus, elle n'a pas eu la possibilité de contester devant un tribunal la décision relative à la légalité de son arrestation. Elle invoque en outre les droits protégés par le Pacte aux articles 7 et 10 à propos des conditions de sa détention et du manque de soins médicaux.


Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond

4. Dans une note datée du 4 avril 1997, l'État partie a présenté sa «réponse préliminaire», dans laquelle il indiquait que des poursuites pénales avaient été engagées contre l'auteur qui était mise en cause dans une affaire de détournement de fonds. En raison de la gravité des accusations, elle avait été arrêtée et placée en détention. L'enquête était terminée et, depuis le 8 avril 1996, le tribunal intermunicipal de Tver avait été saisi, procédure qui était encore en cours. L'État partie affirmait que, la communication n'était donc pas recevable, puisque les recours internes n'avaient pas été épuisés.


Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie

5. Dans ses commentaires du 24 avril 1997, l'auteur a fait valoir que l'État partie n'avait pas répondu à ses griefs, à savoir que son arrestation et sa détention étaient illégales et qu'elle n'avait pas eu la possibilité d'introduire un recours en révision de la légalité de sa détention, en violation des articles 9 et 14 3) du Pacte. Elle reconnaissait que son procès s'était ouvert le 8 avril 1996, précisant toutefois qu'il était en cours depuis plus d'un an sans que la légalité de la procédure soit respectée et que le tribunal avait l'intention de renvoyer l'affaire pour complément d'enquête. L'auteur faisait observer que, dans sa réponse, l'État partie avait évoqué les poursuites pénales engagées contre elle, qui ne faisaient pas l'objet de sa communication au Comité. Elle a de nouveau fait valoir que les recours internes n'avaient pas été épuisés quant à l'illégalité de son arrestation et qu'elle n'avait pas eu la possibilité de saisir les tribunaux pour contester la légalité de sa détention. Elle indiquait en outre que les tribunaux avaient persisté dans leur refus de se prononcer sur la légalité de son arrestation et qu'elle n'avait pas eu la possibilité de demander la révision de la décision initiale du tribunal intermunicipal de Tver.


Décision sur la recevabilité

6. À sa soixante-deuxième session, le Comité a décidé que la communication était recevable, en notant que l'État partie n'avait pas répondu en ce qui concernait la recevabilité des allégations de l'auteur sur les conditions de sa détention et que la communication de l'auteur ne concernait pas le procès en cours, mais l'illégalité de son arrestation et de sa détention et le fait que les recours internes n'avaient pas été épuisés à cet égard. Le Comité a en outre indiqué que la communication pouvait soulever des questions au titre des articles 7, 9, 10 et 14 3) du Pacte et qu'elle devait être examinée quant au fond. Il a prié l'État partie de lui présenter par écrit des explications ou des déclarations éclaircissant les questions soulevées dans la communication. La décision du Comité a été communiquée à l'État partie le 27 avril 1998.


Nouvelle lettre de l'auteur et observations de l'État partie

7.1 Le 17 août 1998, l'auteur a adressé une deuxième lettre au Comité pour lui demander de se prononcer sur d'autres violations du Pacte qui auraient été commises par l'État partie. Cette lettre ne portait pas sur les questions soulevées dans la première, mais sur des événements qui s'étaient produits par la suite. L'auteur indiquait que, le 21 mars 1997, le tribunal intermunicipal de Tver avait ordonné qu'elle soit maintenue en détention jusqu'à la fin du complément d'enquête. Elle faisait valoir que, dans une décision du 2 juillet 1998, la Cour constitutionnelle avait frappé de nullité l'article 331 du Code pénal, ce qui impliquait qu'elle avait le droit de former un recours contre la décision du tribunal de procéder à un complément d'enquête; ce nonobstant, en se fondant sur une interprétation étroite de la décision de la Cour constitutionnelle, le tribunal intermunicipal de Tver l'avait déboutée de son recours. Il ressort des pièces du dossier que l'auteur a été remise en liberté le 9 décembre 1997, même si les circonstances de sa libération ne sont pas expliquées.

7.2 Dans une note datée du 29 mars 1999, l'État partie a indiqué qu'une enquête avait été ouverte le 5 février 1993 sur la participation présumée de l'auteur à d'importants détournements de fonds, infraction considérée comme grave par la législation russe. L'État partie précisait que, comme l'auteur avait essayé d'échapper à l'enquête, un mandat d'amener avait été délivré et l'enquête avait été suspendue jusqu'à l'arrestation de l'intéressée. L'État partie faisait valoir que l'enquête avait été prolongée conformément à l'article 133 3) du Code de procédure pénale et que cette prorogation n'était en aucune façon contraire au droit russe. Il ajoutait que les règles de procédure pénale ne prévoyaient pas que les personnes en garde à vue soient déférées devant un juge ou une autre autorité judiciaire. Selon l'État partie, l'auteur avait été informée, au moment de son arrestation, des raisons de son arrestation, des charges retenues contre elle et des motifs pour lesquels il avait été décidé de la placer en détention préventive. Suite à la plainte introduite par l'auteur auprès du Bureau du Procureur, la procédure avait fait l'objet d'un examen qui n'avait fait apparaître aucune violation de la législation nationale. L'État partie notait qu'en décembre 1997, l'auteur avait été remise en liberté, la détention ayant été remplacée par une assignation à résidence. Il précisait que la procédure devant le tribunal intermunicipal de Tver était encore en cours, le tribunal n'ayant pas pu se prononcer du fait que l'auteur n'avait pas comparu à l'audience.

7.3 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, qui n'étaient pas datés, le conseil a répété que la détention de l'auteur en 1995 était intervenue après l'expiration de la période d'enquête et que les tribunaux avaient refusé de recevoir sa plainte contestant l'illégalité de son arrestation. Des précisions étaient apportées sur la lente progression du dossier dans le système judiciaire de l'État partie, sur d'autres violations présumées du Pacte que l'État partie aurait commises entre décembre 1997 et mai 1999 (longueur de la procédure) ainsi que sur la deuxième arrestation de l'auteur à laquelle les autorités russes ont procédé le 30 mars 1999 (il ressort du dossier qu'elle a été remise en liberté le 4 octobre 1999). Le conseil faisait valoir que l'auteur aurait dû être remise en liberté pour raisons médicales.

7.4 Le 16 mars 2000, l'auteur a fait savoir au Comité que les autorités russes l'avaient arrêtée pour une troisième fois, le 10 novembre 1999; elle invoquait d'autres violations du Pacte par l'État partie ayant trait à la longueur de la procédure et à la décision du tribunal de la remettre en détention. Il ressort des pièces du dossier qu'elle a été remise en liberté le 25 avril 2000.

7.5 Dans une note datée du 23 novembre 2000, l'État partie répétait que l'auteur avait essayé de se soustraire à la justice et que l'acte d'accusation lui avait été présenté in absentia le 5 avril 1993. Pendant qu'on la recherchait, l'enquête avait été suspendue, conformément aux dispositions pertinentes du Code de procédure pénale. L'État partie précisait que l'auteur avait été interrogée en qualité d'accusée le 9 mars 1995. À cette occasion, on lui avait remis copie de l'acte d'accusation, auquel était jointe une note manuscrite indiquant qu'elle avait pris connaissance de l'acte d'accusation, qu'elle contestait. L'État partie faisait valoir que l'arrestation de l'auteur le 26 août 1995 se justifiait en raison de la gravité des charges de fraude retenues contre elle et du fait qu'elle avait essayé de se soustraire à la justice lors de l'enquête initiale. Il affirmait en outre que, le 27 août 1995, l'auteur avait été informée de son droit de contester sa détention devant les tribunaux, ce qu'elle avait effectivement fait dans une plainte datée du 27 août 1995, qui était parvenue au tribunal intermunicipal de Tver à Moscou le 1er septembre 1995 et que le juge l'avait rejetée. Une deuxième plainte concernant sa détention avait été examinée par le tribunal intermunicipal de Lyubinsky, le 9 décembre 1997 et, par ordre d'un juge fédéral, la détention préventive avait été remplacée par une assignation à résidence. L'État partie soutenait également que, pendant sa détention, l'intéressée a reçu tous les soins médicaux nécessaires. Il confirmait que la maladie dont elle était atteinte pouvait constituer un motif de remise en liberté, mais seulement si cette affection en était à un stade avancé. L'État partie indiquait qu'il ne pouvait pas vérifier si, en août 1995, l'intéressée partageait une cellule avec des condamnées, la documentation correspondante ayant été détruite dans les délais prévus. Il indiquait en outre que l'auteur avait été mise en détention pour une quatrième fois, le 28 août 2000, parce qu'elle ne s'était pas présentée à l'audience.

7.6 Le 22 mai 2002, l'auteur a adressé au Comité une autre lettre, dans laquelle elle reprochait de nouveau à l'État partie de ne pas avoir expliqué pourquoi elle n'avait pas pu avoir accès à la justice le 13 septembre 1995, à savoir pourquoi le tribunal avait rejeté sa demande, et qualifiait ses conditions de détention d'inhumaines. L'auteur faisait savoir au Comité que, le 9 avril 2002, la procédure engagée contre elle était enfin close.


Procédure engagée par l'auteur devant la Cour européenne des droits de l'homme

8.1 Bien que la question n'ait été soulevée ni par l'auteur ni par l'État partie, le Comité a appris que, le 9 novembre 1998, à la suite de sa décision sur la recevabilité du 2 avril 1998, l'auteur a saisi la Cour européenne des droits de l'homme (Cour européenne), qui a enregistré sa requête sous le numéro 46133/99. La Cour européenne s'est penchée sur la recevabilité de la plainte le 3 octobre 2002. Dans sa décision, la Cour européenne a tenu compte, aux fins de satisfaire ses propres critères de recevabilité, du fait que l'auteur avait saisi le Comité des droits de l'homme. Évoquant les arguments présentés par l'auteur pour étayer la recevabilité de sa requête, la Cour européenne a indiqué:

8.2 La Cour a noté que la communication que l'auteur a adressée au Comité des droits de l'homme portait: 8.3 Le Comité a également eu connaissance de la décision de la Cour européenne du 24 juillet 2003, dans laquelle celle-ci a conclu que les articles 5, 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Convention européenne) avaient été enfreints et ordonnait à l'État partie d'indemniser l'auteur à concurrence de 6 500 euros.


Délibérations du Comité

9.1 La décision du Comité sur la recevabilité de la communication de l'auteur porte uniquement sur les questions soulevées dans la première plainte qui lui a été adressée. Après cette décision, l'auteur a communiqué au Comité des informations relatives à des événements postérieurs au 2 avril 1996. Le Comité doit donc, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette deuxième plainte est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.2 Plusieurs considérations entrent en jeu pour déterminer la recevabilité de la deuxième plainte. Premièrement, étant donné que la Cour européenne a été saisie, le Comité doit s'assurer que «la même question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement», conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif. Dans la mesure où les questions soulevées dans les lettres que l'auteur a adressées au Comité ont trait à des événements qui se sont produits après la date de la lettre initiale, ces questions semblent être les «mêmes» que celles dont est saisie la Cour européenne. Cela ressort d'ailleurs de l'arrêt de la Cour européenne, dans laquelle celle-ci décrit en détail les circonstances dont l'auteur fait état dans sa requête, à savoir le fait qu'elle a été arrêtée et détenue par les autorités de l'État partie à quatre reprises. La plainte de l'auteur devant la Cour européenne se fondait sur l'article 5 de la Convention européenne (droit à la liberté et à la sûreté) et sur l'article 6 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable). (6) La Cour européenne ayant déjà statué dans cette affaire, on peut dire que la même question n'est pas «en cours d'examen» devant une autre instance internationale. Cependant, le Comité note qu'au moment où l'auteur lui a adressé ses autres lettres, datées du 17 août 1998, du 16 mars 2000 et du 22 mai 2002, ainsi que sa lettre non datée présentée en 1999, la même question était bien en cours d'examen devant la Cour européenne. Aux termes du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole, le Comité doit, au moment où il examine la question de la recevabilité, s'assurer que la question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale. (7) Contrairement aux réserves d'autres États parties, la réserve formulée par la Fédération de Russie au sujet du Protocole facultatif n'empêche pas le Comité d'examiner des plaintes portant sur une question qui a déjà été examinée par une autre instance internationale.(8) Par conséquent, au vu des circonstances, le Comité considère que le paragraphe 2 a) de l'article 5 ne fait pas obstacle à la recevabilité.

9.3 Le fait que la Cour européenne a examiné l'affaire influe sur la question de la recevabilité à d'autres égards. Aux termes de l'article premier du Protocole, le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d'une violation de l'un des droits énoncés dans le Pacte. Le Comité a déjà déterminé que la qualité de victime aux fins du Protocole peut évoluer au fil du temps et que des événements intervenus après une décision sur la recevabilité peuvent mettre fin à une violation. (9) Dans la présente affaire, il apparaît que l'auteur n'est plus en détention et que la principale forme de réparation serait d'indemniser l'auteur. La Cour européenne a octroyé une indemnisation à la requérante pour des faits survenus après le 19 juin 1998 (la date de la lettre initiale au Comité). Aux termes de l'article 41 de la Convention européenne, une telle indemnisation vise à accorder «à la partie lésée une satisfaction équitable». De ce fait, le Comité considère que l'auteur ne peut plus être considérée comme «une victime», au sens de l'article premier du Protocole, de violations du Pacte qui auraient été commises après le 19 juin 1998.

9.4 Par conséquent, le Comité considère que les plaintes de l'auteur qui portent sur des événements ultérieurs au 19 juin 1998 sont irrecevables en vertu de l'article premier du Protocole. Il passe donc à l'examen au fond du reste de la communication.


Examen au fond

10.1 Concernant la plainte de l'auteur selon laquelle le droit de contester la légalité de sa détention devant un tribunal lui a été refusé le 27 août 1995, le Comité note que, dans ses observations datées du 23 novembre 2000, l'État partie s'est borné à mentionner que la plainte de l'auteur datée du 27 août 1995 concernant la légalité de sa détention est parvenue au tribunal intermunicipal de Tver à Moscou le 1er septembre 1995 (et qu'elle n'a été examinée que le 13 septembre), et que le juge a débouté l'auteur de sa plainte. Il ressort des pièces du dossier que le juge a fondé cette décision sur le fait que, comme l'enquête était close, le tribunal n'était pas compétent pour recevoir la plainte. Le droit d'un détenu d'engager une procédure judiciaire pour contester la légalité de sa détention est un droit substantiel, qui ne recouvre pas seulement le droit d'introduire un recours mais aussi celui d'obtenir qu'un tribunal statue sur la légalité de la détention. De ce fait, le Comité considère qu'il y a eu violation de l'article 9 4). De même, étant donné que le juge a décidé ex parte de débouter l'auteur de sa requête du 13 septembre, le Comité estime que l'auteur n'a pas été traduite devant un juge dans le plus court délai, en violation de l'article 9 3). À ce propos, le Comité note avec préoccupation que, dans sa réponse du 29 mars 1999, l'État partie a indiqué que ses règles de procédure pénale, du moins à l'époque, ne prévoyaient pas qu'une personne placée en garde à vue soit déferrée devant un juge ou une autre autorité judiciaire.

10.2 L'argument de l'auteur selon lequel elle n'aurait pas dû être placée en détention préventive soulève une question au titre de l'article 9 3), qui dispose que la détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle. Cependant, au vu de sa conclusion concernant une violation de l'article 9 3) ci-dessus, le Comité considère qu'il n'est pas nécessaire d'examiner ces allégations.

10.3 En ce qui concerne la plainte de l'auteur selon laquelle elle n'a pas été informée dans le plus court délai des accusations portées contre elle, le Comité n'est pas convaincu qu'il y ait eu violation des articles 9 2) et 14 3) du Pacte. Il semble que l'intéressée n'a pas été notifiée des accusations portées contre elle le 26 août 1995, date à laquelle elle a été arrêtée, mais seulement le 31 août 1995. Cependant, elle a été informée de ces charges lors de l'interrogatoire qu'elle a subi en septembre 1994. L'État partie soutient que l'auteur a été informée des raisons de son arrestation et des motifs pour lesquels elle était placée en détention préventive. Dans ces circonstances, le Comité considère qu'il n'est pas en mesure d'établir qu'il y a eu violation des obligations que l'État partie a souscrites en vertu de l'article 9 2) et 14 3) a) du Pacte.

10.4 En ce qui concerne la plainte de l'auteur selon laquelle elle n'a pas été jugée sans retard excessif, le Comité note qu'il doit limiter son examen à la période comprise entre l'ouverture des poursuites pénales contre l'auteur en février 1993 et la date à laquelle l'auteur a saisi le Comité, soit le 19 juin 1996 (voir par. 9.3 ci-dessus). Cette période excède trois ans. Cependant, l'auteur n'a pas contesté l'allégation de l'État partie selon laquelle elle s'était soustraite à la justice pour une bonne partie de ce temps. Le Comité considère donc qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 3) c) du Pacte.

10.5 La lettre initiale soulevait des questions quant à l'article 7 et au paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, dans la mesure où l'auteur prétend que les conditions de sa détention équivalaient à une peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant. L'auteur a fourni une description détaillée de ses conditions de détention. Dans sa réponse, l'État partie a indiqué que l'auteur avait bénéficié d'une assistance médicale au cours de sa détention. Il ne donnait aucun détail sur les conditions de détention de l'auteur. Dès lors, le Comité ne peut qu'accorder le crédit voulu aux arguments de l'auteur. Conformément à sa jurisprudence, il considère que la charge de la preuve ne peut reposer uniquement sur l'auteur de la communication, étant donné que l'auteur et l'État partie n'ont pas toujours les mêmes possibilités d'accès aux preuves. Dans ces circonstances, le Comité est d'avis que les conditions de détention décrites par l'auteur dans sa communication sont incompatibles avec les obligations souscrites par l'État partie en vertu du paragraphe 1 de l'article 10 de la Convention. Étant donné que l'article 10 du Pacte porte spécifiquement sur la situation des personnes privées de liberté et inclut les éléments énoncés d'une manière générale à l'article 7, il n'est pas nécessaire d'examiner séparément les plaintes présentées au titre de l'article 7.

11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclut à une violation, par l'État partie, des paragraphes 3 et 4 de l'article 9 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.

12. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, le Comité considère que l'auteur a droit à réparation et doit être dûment indemnisée du préjudice qu'elle a subi du fait des violations susmentionnées. L'État partie est également tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas.

13. En adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à leur assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. C'est pourquoi le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également prié de rendre publiques les présentes constatations.


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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Water Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Roman Wieruszewski.


Notes

1. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 1er janvier 1992.

2. E/CN.4/1995/34/Add.1, par. 70 et 71.

3. En fait, la communication est datée du 19 juin 1996.

4. P. 10 de la décision.

5. P. 11 de la décision.

6. L'auteur invoquait également l'article 8 (droit au respect de la vie privée).

7. Communication no 349/1988 (Wright c. Jamaïque).

8. Ladite réserve se lit comme suit: «L'Union soviétique part également du principe que le Comité n'examinera aucune communication sans s'être assuré que la même question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement et que le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles.».

9. Communication no 50/1979 (Van Duzen c. Canada).

 



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