University of Minnesota



M. Kenneth Teesdale c. Trinité‑et‑Tobago, Communication No. 677/1996, U.N. Doc. CCPR/C/74/D/677/1996 (2002).


Communication no 677/1996

Présentée par:

M. Kenneth Teesdale (représenté par le cabinet d’avocats londonien Nabarro Nathanson)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Trinité‑et‑Tobago

Date de la communication:

16 mars 1995
(date de la lettre initiale)

Références:

      Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 86 et de l’article 91, communiquée à l’État partie le 13 mars 1996 (non publiée sous forme de document)

      CCPR/C/64/D/677/1996. Décision concernant la recevabilité datée du 23 octobre 1998

Date de l’adoption des constatations:

1er avril 2002


          Le 1er avril 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 677/1996. Ce texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE
DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF
SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITITQUES

Soixante‑quatorzième session

concernant la

Communication no 677/1996**

Présentée par:

M. Kenneth Teesdale (représenté par le cabinet d’avocats londonien Nabarro Nathanson)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Trinité‑et‑Tobago

Date de la communication:

16 mars 1995
(date de la lettre initiale)

Décision concernant la recevabilité:

23 octobre 1998


          Le Comité des droits de l’homme
, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er avril 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication no 677/1996 présentée par M. Kenneth Teesdale en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte les constatations suivantes:

CONSTATATIONS AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5
DU PROTOCOLE FACULTATIF

1.       L’auteur de la communication est M. Kenneth Teesdale, citoyen trinidadien, actuellement incarcéré à la prison d’État de Port of Spain (Trinité‑et‑Tobago). Il se dit victime de violations par la Trinité‑et‑Tobago des articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par le cabinet d’avocats Nabarro Nathanson à Londres.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1     Le 28 mai 1988, l’auteur a été arrêté par la police et conduit à l’hôpital. Il en est sorti le 31 mai 1988 et, le 2 juin 1988, il a été officiellement inculpé du meurtre de son cousin «Lucky» Teesdale, commis le 27 mai 1988. À l’issue d’un procès qui a débuté le 6 octobre 1989, l’auteur a été reconnu coupable et condamné à mort, le 2 novembre 1989, par la cour d’assises de San Fernando. Il a demandé l’autorisation de faire appel de sa condamnation et de sa peine. La cour d’appel de la Trinité‑et‑Tobago l’a débouté le 22 mars 1994, exposant les motifs le 26 octobre 1994. Le 13 mars 1995, la section judiciaire du Conseil privé a rejeté sa demande d’autorisation spéciale de recours. Le 8 mars 1996, notification lui a été donnée d’un ordre d’exécution pour le 13 mars. Le 11 mars, l’auteur a déposé une requête constitutionnelle contre son exécution devant la Haute Cour, qui lui a accordé un sursis. Le Procureur général a dessaisi la Haute Cour de l’affaire et l’a soumise au Comité consultatif sur l’octroi de la grâce. Le 26 juin, l’auteur a été informé que, sur décision du Président, la peine de mort prononcée contre lui avait été commuée en une peine de 75 ans de travaux forcés. D’après l’auteur, tous les recours internes ont ainsi été épuisés.

2.2     La thèse de l’accusation était que l’auteur, en présence d’un certain E. Stewart et d’un certain S. Floyd, avait attaqué son cousin avec un coutelas dont il lui avait donné plusieurs coups et que la victime avait succombé à une hémorragie massive. Au procès, les deux témoins à charge, M. Stewart et M. Floyd, ont déclaré que, le 27 mai 1988, l’auteur s’était approché de la victime qui travaillait dans une distillerie clandestine de rhum. Les témoins étaient assis sur un tronc d’arbre à côté de la distillerie et buvaient du rhum. Apparemment sans raison, l’auteur avait tiré un coutelas et s’était mis à frapper la victime à mort. Stewart et Floyd s’étaient enfuis mais n’avaient alerté personne ni prévenu la police. Le corps de la victime avait été retrouvé plus tard à environ 300 mètres de la distillerie.

2.3     Un des policiers chargés de l’enquête a déclaré à l’audience que, dans la soirée du 27 mai 1988, après avoir reçu un rapport concernant cet incident, il avait rencontré l’auteur dans la rue, et que celui‑ci avait pris la fuite; à ce moment‑là, il n’avait pas remarqué de plaies sur le corps de l’auteur. Il l’avait revu le lendemain matin devant le poste de police, assis dans un camion, les mains attachées avec un morceau de corde; il avait une blessure qui saignait à l’arrière de la tête ainsi qu’au bras droit. L’auteur avait expliqué au policier qu’il avait été blessé un peu plus tôt ce matin‑là et que des gens du village l’avaient amené au poste de police.

2.4     L’auteur a fait une déclaration depuis le banc des accusés sans prêter serment, reconnaissant qu’il se trouvait en compagnie de la victime et des témoins l’après‑midi du 27 mai 1988. Selon sa version des faits, une querelle avait éclaté entre la victime et Stewart, et ce dernier avait alors menacé la victime en brandissant un coutelas. L’auteur avait essayé de s’interposer et avait été frappé au coude droit; il avait alors pris la fuite. Il était tombé et avait perdu connaissance et quand il avait repris conscience le lendemain matin il se trouvait en pleine campagne. Il avait alors arrêté une camionnette qui l’avait conduit au poste de police et dont le chauffeur avait pansé ses plaies avec des chiffons. Dès qu’il était arrivé, il avait été transporté à l’hôpital.

Teneur de la plainte

3.1     L’auteur se dit victime d’une violation des articles 7 et 10, paragraphe 1, du Pacte. Entre son arrestation et la date du procès, c’est‑à‑dire pendant près d’un an et demi, l’auteur est resté en détention. Il était incarcéré dans une cellule d’environ 3,5 m x 2,5 m, dans des conditions d’insalubrité totale, étant donné qu’il n’y avait pas de lumière du jour, pas de ventilation, que les détenus devaient uriner et déféquer où ils pouvaient dans la cellule, qu’il n’y avait pas de literie et aucun point d’eau pour se laver. Après avoir été condamné à mort, l’auteur a été incarcéré dans des conditions analogues (cellule de 3 m x 2,5 m), avec pour tout éclairage une ampoule au plafond allumée de jour comme de nuit. Il ne reçoit pas de visites et vit dans une grande promiscuité. Pour consulter son avocat, il est placé dans un box d’environ 1 m de côtés, menottes aux poignets. Au moins deux gardiens, qui se tiennent immédiatement derrière l’avocat, assistent à la visite. En outre, l’auteur n’a eu d’examen ophtalmologique qu’en septembre 1996 alors que ses lunettes n’étaient plus adaptées depuis 1990. L’auteur affirme que les autorités pénitentiaires l’ont empêché d’aller chercher lui‑même ses nouvelles lunettes et que celles qui lui ont été prescrites ne lui corrigeaient pas suffisamment la vue.

3.2     L’auteur fait également valoir que la durée prolongée de sa détention dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation de l’article 7.

3.3     En outre, l’auteur affirme qu’il est victime d’une violation des articles 9, paragraphe 3, et 14, paragraphe 3 c), puisqu’il a été maintenu en détention provisoire pendant près d’un an et demi avant d’être jugé le 6 octobre 1989.

3.4     Il est affirmé aussi que l’auteur a été privé des droits qui lui sont reconnus par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur fait valoir à cet égard qu’il n’aurait pas dû être poursuivi étant donné qu’il n’avait pas été enquêté sur des faits importants et que les preuves n’étaient pas suffisantes pour le condamner. Il signale en particulier qu’il n’y avait aucune trace de sang entre la distillerie et l’endroit où le cadavre avait été retrouvé. De plus, au moment de son arrestation, le 28 mai 1988, on lui avait dit qu’il était retenu pour aider la police dans son enquête.

3.5     En outre, le juge aurait donné des instructions erronées au jury au sujet du témoignage de Stewart, en s’abstenant de signaler qu’il fallait tenir compte du fait que le témoin avait de toute évidence intérêt à ce que l’auteur soit condamné. De plus, le juge n’avait pas soumis au jury la question de l’incidence de l’état d’ébriété de la victime et des témoins, alors qu’il existait des éléments suffisants permettant d’affirmer qu’ils étaient ivres au moment des faits. Par ailleurs, l’exposé final du juge aurait été nettement partial au détriment de l’auteur.

3.6     L’auteur n’aurait jamais vu d’avocat avant l’ouverture du procès. À l’audience, un avocat commis au titre de l’aide judiciaire avait été désigné et les avocats ont conseillé à l’auteur de faire une déclaration depuis le banc des accusés sans prêter serment, menaçant de renoncer à l’aider s’il ne le faisait pas. Il y aurait là violation de l’article 14, paragraphe 3 b) et d), du Pacte.

3.7     Pour l’audience en appel, un avocat aurait été commis d’office en décembre 1993, mais aurait été récusé par l’auteur, lequel arguait que cet avocat venait de finir ses études de droit et ignorait tout de l’affaire. L’auteur aurait informé le bureau de l’aide judiciaire de son opposition, mais l’avocat commis d’office aurait continué de le représenter sans jamais le consulter. L’auteur n’a pas eu la possibilité de donner des instructions à son avocat et n’a pas assisté à l’audience en appel. L’auteur n’aurait donc pas bénéficié d’un recours utile, en violation du paragraphe 5 de l’article 14.

3.8     Il est précisé que la même question n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

3.9     En ce qui concerne la commutation, en juin 1996, de la peine capitale prononcée contre lui, l’auteur se plaint que la décision du Président de le condamner à une peine de 75 ans de travaux forcés était illégale et discriminatoire. Il renvoie à la décision rendue par la section judiciaire du Conseil privé dans les affaires Earl Pratt et Ivan Morgan et Lincoln Anthony Guerra et affirme que sa peine aurait dû être commuée en une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il fait valoir que 53 autres détenus, qui étaient incarcérés dans le quartier des condamnés à mort pour meurtre depuis plus de cinq ans, avaient vu leur peine commuée en emprisonnement à perpétuité, de sorte que, selon l’auteur, ils pourraient bénéficier d’une libération conditionnelle au bout de 12 à 15 ans, alors que lui ne le pouvait pas.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

4.       La communication a été transmise à l’État partie le 12 janvier 1996, et celui‑ci a été prié de faire parvenir toutes observations concernant la recevabilité de la communication le 12 mars 1996 au plus tard. Le 4 octobre 1996, l’État partie a informé le Comité que la peine capitale avait été commuée, dans le cas de l’auteur et dans quatre autres affaires soumises au Comité, en une peine de 75 ans de travaux forcés. Le Comité n’a reçu aucune observation quant à la recevabilité de la communication, bien qu’un rappel ait été adressé à l’État partie le 20 novembre 1997.

5.1     À sa soixante‑quatrième session, en octobre 1998, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

5.2     Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3     En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, le Comité a noté que l’auteur a fait appel de sa condamnation et que la section judiciaire du Conseil privé a rejeté sa demande d’autorisation spéciale de recours; les recours internes ont été épuisés.

5.4     S’agissant de l’affirmation de l’auteur selon laquelle le juge avait mal orienté les membres du jury, le Comité a renvoyé à sa jurisprudence et réaffirmé qu’il n’appartient généralement pas au Comité mais aux juridictions d’appel des États parties d’examiner les instructions données au jury par le juge du fond, sauf s’il peut être établi qu’elles ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité et les allégations de l’auteur ne montrent pas que les instructions du juge ou la conduite du procès aient été entachées de telles irrégularités. En conséquence, cette partie de la communication, ne répondant pas aux prescriptions de l’article 2 du Protocole facultatif, était irrecevable.

6.       Le 23 octobre 1998, le Comité des droits de l’homme a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions relevant des articles 7 et 10, paragraphe 1, du Pacte, quant aux conditions de détention de l’auteur, avant et après sa condamnation; de l’article 7, concernant l’ordre d’exécution après que l’auteur eut passé plus de six ans dans le quartier des condamnés à mort et après la décision rendue par le Conseil privé dans l’affaire Pratt et Morgan; des articles 9, paragraphe 3, et 14, paragraphe 3 c), concernant la lenteur de la procédure de mise en jugement de l’auteur et de la procédure de recours; de l’article 14, paragraphes 3 b) et d) et 5, s’agissant de sa représentation au procès et en appel; et de l’article 26, pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il est victime de discrimination eu égard à la peine qui lui a été infligée après commutation.

Examen quant au fond

7.       Dans plusieurs lettres reçues après que la communication eut été déclarée recevable, l’auteur a réitéré ses allégations.

8.1     Les 27 novembre 1998, 3 août 2000 et 11 octobre 2001, l’État partie a été prié de soumettre au Comité des informations concernant le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a toujours pas reçu d’informations.

8.2     Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3     Le Comité regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information concernant le fond des allégations de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence d’une réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur, dans la mesure où elles sont étayées.

9.1     En ce qui concerne les conditions de détention de l’auteur à la prison d’État de Port of Spain, avant et après sa condamnation, le Comité note que, dans ses différentes communications, l’auteur a formulé des allégations précises au sujet des conditions déplorables dans lesquelles il a été détenu (voir plus haut le paragraphe 3.1). Rappelant ses décisions antérieures dans lesquelles il a indiqué que certaines normes minimales en matière de conditions de détention doivent être respectées, le Comité note qu’il ressort des communications de l’auteur que ces règles n’ont pas été observées durant la détention de l’auteur à partir du 28 mai 1988. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que la situation décrite par l’auteur fait apparaître une violation de l’article 10, paragraphe 1, du Pacte. Compte tenu de cette constatation au titre de l’article 10, il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur une clause du Pacte se rapportant spécifiquement à la situation de personnes privées de liberté et dont la portée s’étend, en ce qui concerne ces personnes, aux éléments généralement énoncés dans l’article 7 pour examiner de façon distincte les plaintes déposées au titre de l’article 7.

9.2     En ce qui concerne l’ordre d’exécution de l’auteur notifié après qu’il eut passé plus de six ans dans le quartier des condamnés à mort, le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle la détention prolongée d’un condamné à mort avant son exécution ne constitue pas en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant. En conséquence, le Comité estime que les faits dont il est saisi, en l’absence d’autres circonstances impérieuses, ne font pas apparaître de violation de l’article 7 du Pacte.

9.3     En ce qui concerne la lenteur de la procédure de mise en jugement de l’auteur, le Comité note que celui‑ci a été arrêté le 28 mai 1988 et formellement inculpé de meurtre le 2 juin 1988. Son procès a débuté le 6 octobre 1989 et il a été condamné à mort le 2 novembre 1989. Selon l’article 9, paragraphe 3, du Pacte, tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale devrait être jugé dans un délai raisonnable. Il ressort des minutes du procès devant la Cour d’assises de San Fernando que toutes les preuves à charge avaient été recueillies le 1er juin 1988 et qu’il n’y a pas eu d’autre enquête. Le Comité est d’avis que, compte tenu des dispositions de l’article 9, paragraphe 3, dans les circonstances particulières de l’affaire et en l’absence de toute explication de l’État partie à ce sujet, la durée de la détention provisoire n’est pas raisonnable et constitue par conséquent une violation de cette disposition.

9.4     Pour ce qui est de la lenteur de la procédure d’examen de l’appel de l’auteur, le Comité note que ce dernier a été condamné le 2 novembre 1989 et qu’il a été débouté de son appel le 22 mars 1994. Le Comité rappelle que toutes les étapes de la procédure doivent se dérouler «sans retard excessif» conformément à l’article 14, paragraphe 3 c), du Pacte. De plus, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les dispositions de l’article 14, paragraphe 3 c), doivent être strictement respectées dans toute procédure pénale. En l’absence d’explication de l’État partie, le Comité conclut par conséquent que le délai de quatre ans et cinq mois qui s’est écoulé entre la condamnation de l’auteur et le rejet de son appel est contraire à cet égard aux dispositions de l’article 14, paragraphe 3 c), du Pacte.

9.5     S’agissant de la représentation de l’auteur au procès, le Comité note que l’auteur n’a bénéficié de l’assistance d’un avocat qu’à partir de l’ouverture du procès. Il rappelle qu’aux termes du paragraphe 3 b) de l’article 14, l’accusé doit disposer de temps et des facilités adéquates à la préparation de sa défense. En conséquence, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 3 b) de l’article 14 ont été violées.

9.6     L’auteur affirme en outre qu’à l’audience en appel un avocat a été commis d’office pour le représenter mais qu’il ne l’a pas accepté comme son représentant. Le paragraphe 3 d) de l’article 14 stipule que l’accusé a le droit de se défendre lui‑même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix. Toutefois, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle un accusé ne peut pas choisir son défenseur, si un avocat est commis d’office pour l’assister et qu’il n’a pas les moyens d’engager un avocat à titre privé pour le représenter. En conséquence, le Comité estime que le paragraphe 3 d) de l’article 14 n’a pas été violé en l’espèce.

9.7     En outre, l’auteur affirme qu’il n’a pas bénéficié d’un recours utile parce que l’avocat qui le représentait ne le consultait jamais et qu’il ne pouvait lui donner des instructions. Le Comité estime que les procédures d’appel se font sur pièces et qu’il appartient à l’avocat, faisant appel à sa compétence professionnelle, de présenter des motifs d’appel et de décider s’il y a lieu de consulter l’accusé. L’État partie ne saurait être tenu pour responsable du fait que l’avocat commis d’office n’a pas consulté l’auteur. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité n’est pas en mesure de conclure à une violation des paragraphes 3 d) et 5 de l’article 14, pour ce qui est de l’examen de l’appel de l’auteur.

9.8     À propos de la plainte de l’auteur selon laquelle il est victime de discrimination du fait de la commutation de la peine capitale à laquelle il a été condamné en une peine de 75 ans de travaux forcés, le Comité note que, selon des informations fournies par l’auteur, en 1996 l’État partie a commué en peine d’emprisonnement à perpétuité les peines capitales qui avaient été prononcées contre 53 détenus incarcérés dans le quartier des condamnés à mort pour meurtre pendant plus de cinq ans, en vertu de dispositions constitutionnelles relatives à la commutation de la peine capitale. Le Comité rappelle que, conformément à sa jurisprudence établie, l’article 26 du Pacte interdit toute discrimination en droit ou en fait dans tout domaine réglementé et protégé par les pouvoirs publics. Il estime que la décision de commuer une peine capitale en peine d’emprisonnement et la détermination de la durée de celle‑ci relèvent du pouvoir discrétionnaire du Président et que ce dernier exerce ce pouvoir compte tenu de nombreux facteurs. L’auteur a bien cité 53 cas de commutation de peines de mort en réclusion à perpétuité, mais il n’a donné aucune information sur le nombre ou la nature des cas de commutation de peines de mort en travaux forcés pour une durée déterminée. Le Comité n’est donc pas en mesure de conclure que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé dans le cas de l’auteur de manière manifestement arbitraire et en violation de l’article 26 du Pacte.

10.     Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations des articles 7, 9, paragraphe 3, 10, paragraphe 1, et 14, paragraphe 3 b) et c), du Pacte.

11.     En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, M. Teesdale a droit à un recours utile, notamment à une indemnisation et à ce que les autorités compétentes envisagent une remise de peine. L’État partie est tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas dans l’avenir.

12.     En adhérant au Protocole facultatif, la Trinité‑et‑Tobago a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu violation du Pacte. La communication a été soumise à l’examen du Comité avant que la dénonciation du Protocole facultatif par la Trinité‑et‑Tobago ne prenne effet le 27 juin 2000. Conformément à l’article 12, paragraphe 2, du Protocole facultatif, les dispositions du Protocole facultatif continuent à être applicables à la communication. En application de l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

 

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]


APPENDICE

Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah

Je souscris aux constatations du Comité, mais je voudrais ajouter quelques observations relatives à la durée (75 ans) de la peine d’emprisonnement résultant de la commutation de la peine initiale.

L’auteur n’a aucunement soulevé la question des incidences possibles de la peine issue de la commutation, du fait de sa longueur, au regard des droits de l’auteur et des obligations de l’État partie en vertu des paragraphes 1 et 3 de l’article 10 du Pacte. De ce fait, sur ce point particulier, l’État partie n’a pas eu l’occasion de répondre, et le Comité n’a pas eu à se prononcer.

Il s’agit pourtant d’une question importante puisque l’article 10, en son paragraphe 1, prescrit que toute personne privée de sa liberté soit traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Une peine d’emprisonnement d’une durée de 75 ans satisfait‑elle à cette norme?

De plus, aux termes du paragraphe 3 du même article, le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. L’amendement et le reclassement social supposent que le prisonnier ait la possibilité d’être libéré avant le terme de son existence. La peine issue de la commutation répond‑elle à cette exigence?

L’État partie voudra peut‑être prendre en compte ces observations au moment d’envisager de réduire la peine de l’auteur.

(Signé) Rajsoomer Lallah

 

[Fait en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]


Opinion individuelle de MM. David Kretzmer et Ivan Shearer
(partiellement dissidente)

Dans l’affaire considérée, l’auteur affirme être victime de discrimination dans la mesure où la peine de mort prononcée à son encontre a été commuée en une peine de 75 ans de travaux forcés, alors que, la même année, l’État partie a commué les peines de mort prononcées à l’encontre de 53 personnes en peines de réclusion à perpétuité. L’État partie n’a pas contesté ces faits et n’a donné aucune explication quant à la différence de traitement alléguée entre l’auteur et les autres condamnés à mort. Certes, le pouvoir de gracier ou de commuer une peine, par sa nature même, laisse une grande part à l’appréciation et s’exerce compte tenu de nombreux facteurs; toutefois, ce pouvoir, comme tout autre pouvoir de l’État, doit s’exercer de façon non discriminatoire afin que le droit de tous les individus à l’égalité devant la loi soit respecté. Dans la mesure où l’auteur avait fait valoir qu’il avait été traité différemment d’autres personnes placées dans une situation similaire, il appartenait à l’État partie de démontrer que la différence de traitement se fondait sur des critères raisonnables et objectifs. À notre avis, en l’absence d’une telle explication par l’État partie, le Comité aurait dû considérer que le droit de l’auteur à l’égalité devant la loi en vertu de l’article 26 du Pacte avait été violé.

(Signé) David Kretzmer
(Signé) Ivan Shearer

 

[Fait en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]


Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen
(partiellement dissidente)

Je ne souscris pas à la décision du Comité, pour les raison exposées ci‑après.

L’auteur se déclare victime de discrimination parce que la peine capitale à laquelle il avait été condamné a été commuée en une peine de 75 ans de travaux forcés, alors que la même année le Président de l’État partie avait, en vertu des articles 87, 88 et 89 de la Constitution, commué la peine de mort en réclusion à perpétuité pour 53 autres détenus qui étaient comme lui incarcérés dans le quartier des condamnés à mort depuis plus de cinq ans pour assassinat. La différence entre les deux modalités de commutation tient dans le fait que les condamnés à une peine de réclusion à perpétuité peuvent obtenir la libération conditionnelle, alors que cette possibilité n’existe pas pour la peine de 75 ans. L’État partie n’a pas contesté le fond de la question, ne contestant que le nombre de commutations à la peine de réclusion à perpétuité, qui d’après lui n’était pas de 53 mais était légèrement inférieur.

Le Comité note que la décision de gracier un condamné ou de commuer la peine dans tout État partie relève du pouvoir discrétionnaire du Président de la République. La commutation de la peine ou la grâce (ou remise de peine) permettant de réduire la durée de la peine infligée pour un ou plusieurs délits ou de dispenser un condamné de l’exécuter est une institution qui a des origines très anciennes dans l’histoire du droit. Au Moyen Âge, les monarchies absolues reconnaissaient le droit de grâce dont ont hérité les rois des monarchies constitutionnelles, les présidents ou quelques autres autorités suprêmes des organes exécutifs d’un État. Mais cette faculté a subi une évolution importante avec le temps. Si nul ne conteste qu’elle est exclusive et peut aussi être exercée de façon discrétionnaire par le détenteur du pouvoir − en l’occurrence le Président de la République − le caractère discrétionnaire vise l’opportunité de la décision mais n’est pas absolu et doit reposer sur des critères raisonnables, enracinés dans l’éthique et l’équité, pour ne pas être assimilé à l’arbitraire.

Le droit de solliciter dans tous les cas la grâce (ou remise de peine) ou la commutation de la peine, reconnu par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques au paragraphe 4 de l’article 6, est un droit absolu pour qui en est titulaire − le condamné à mort − mais pour la personne qui a la faculté de l’octroyer, il ne s’agit pas d’un pouvoir absolu, puisqu’elle est tenue d’appliquer les critères mentionnés plus haut, conformément aux dispositions du Pacte. En l’espèce, le Président de la République a appliqué une différence de traitement à l’auteur par rapport aux autres condamnés qui se trouvaient dans une situation analogue, sans avoir donné la moindre explication montrant que la différence était justifiée par des critères raisonnables et objectifs. En conséquence, le Comité estime que l’auteur a été victime d’une discrimination qui représente une violation de l’article 26 du Pacte.

(Signé) Hipólito Solari Yrigoyen

 

[Fait en espagnol (version originale) et traduit en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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* Constations rendues publiques sur décision du Comité des droits de l’homme.

** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Maxwell Yalden.

          Les textes de trois opinions individuelles signés de M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Ivan Shearer et M. Hipólito Solari Yrigoyen sont joints à la présente décision.



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