University of Minnesota



Ilmari Länsman et consorts c. Finlande, Communication No. 511/1992, U.N. Doc. CCPR/C/52/D/511/1992 (1994).


de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

- Cinquante-deuxième session -

Communication No 511/1992

Présentée par : Ilmari Länsman et consorts

[représentés par un avocat]

Au nom de : Les auteurs

Etat partie : Finlande

Date de la communication : 11 juin 1992 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité : 14 octobre 1993

Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 octobre 1994,

Ayant achevé l'examen de la communication No 511/1992, présentée au Comité des droits de l'homme par M. Ilmari Länsman et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication, leur avocat et l'Etat partie,

Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.

1. Les auteurs de la communication sont Ilmari Länsman et 47 autres personnes membres du Comité Muotkatunturi des éleveurs et de la communauté locale d'Angeli. Ils affirment être victimes de violations, par la Finlande, de l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un avocat.

Rappel des faits présentés par les auteurs :

2.1 Les auteurs sont tous d'ethnie sami et éleveurs de rennes dans la région d'Angeli et d'Inari; ils contestent la décision prise par la Direction centrale des forêts de passer en 1989 un contrat avec une entreprise privée, Arktinen Kivi Oy (Arctic Stone Company); ce contrat prévoit, jusqu'en 1993, l'exploitation d'une carrière de pierres sur une superficie de 10 hectares, sur le flanc de la montagne Etelä-Riutusvaara.

2.2 Les membres du Comité Muotkatunturi des éleveurs occupent une zone qui s'étend de la frontière norvégienne, à l'ouest, à Kaamanen, à l'est, des deux côtés de la route qui relie Inari à Angeli. Ce territoire qui, traditionnellement, leur appartient, est officiellement administré par la Direction centrale des forêts. Pour l'élevage du renne, des clôtures et des parcs spéciaux ont été aménagés autour du village d'Angeli. Ces clôtures et ces parcs permettent, par exemple, de diriger les rennes vers tel ou tel pâturage ou endroit. Les auteurs notent que la question de la propriété des terres traditionnellement utilisées par les Samis fait l'objet d'un litige entre l'Etat et la communauté sami.

2.3 Les auteurs affirment que le contrat signé par l'Arctic Stone Company et la Direction centrale des forêts autoriserait non seulement l'entreprise privée à extraire de la pierre mais aussi à la transporter à travers le système complexe de clôtures jusqu'à la route qui relie Inari à Angeli. Ils signalent qu'en janvier 1990, l'entreprise a obtenu des autorités municipales d'Inari un permis d'extraction portant sur 5 000 m3 de pierre de taille et qu'elle a également perçu à cette fin une subvention du Ministère du commerce et de l'industrie.

2.4 Les auteurs reconnaissent que, jusqu'à présent, les opérations d'extraction se sont limitées à quelques essais; en septembre 1992, à peu près 100 000 kg de pierre (environ 30 m3) avaient été extraits. Les auteurs ont conscience de l'importance économique considérable de la roche concernée, l'anorthocite, qui pourrait remplacer le marbre, notamment dans les édifices publics en raison de sa plus grande résistance à la pollution atmosphérique.

2.5 Les auteurs affirment que le village d'Angeli est le dernier endroit en Finlande qui abrite une population sami homogène et bien établie. L'extraction et le transport d'anorthocite nuiraient à leurs activités d'élevage et au réseau complexe de clôtures élevées en tenant compte de l'environnement naturel. Ils affirment également que le transport de la pierre extraite s'effectuerait à proximité d'un abattoir moderne déjà en construction où devra se faire tout abattage des rennes, à partir de 1994, pour répondre à des critères d'exportation rigoureux.

2.6 En outre, les auteurs soutiennent que l'emplacement de la carrière, le mont Etelä-Riutusvaara, est un lieu sacré selon l'ancienne religion sami : jadis, les rennes y étaient abattus; il semble cependant que les Samis qui vivent actuellement dans cette région n'observent plus ces pratiques traditionnelles depuis plusieurs dizaines d'années.

2.7 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, les auteurs font remarquer que 67 membres de la localité d'Angeli se sont opposés en vain à la délivrance du permis d'extraction, portant l'affaire devant la Commission administrative de la province de Laponie et le Tribunal administratif suprême / Il y a donc lieu de faire observer que les auteurs de la communication dont le Comité est saisi n'ont pas tous porté l'affaire devant le Tribunal administratif suprême. où ils ont expressément invoqué l'article 27 du Pacte. Le 16 avril 1992, le Tribunal administratif suprême a rejeté l'appel des auteurs sans faire mention de la question de la violation du Pacte. Selon les auteurs, il n'existerait aucun autre recours sur le plan interne.

2.8 Enfin, au moment où la communication a été soumise en juin 1992, les auteurs, craignant une reprise imminente des travaux d'extraction, ont réclamé l'adoption, en application de l'article 86 du règlement intérieur du Comité, de mesures provisoires de protection pour éviter des dommages irréparables.

Teneur de la plainte :

3.1 Les auteurs affirment que l'extraction de la pierre du flanc de l'Etelä-Riutusvaara et son transport à travers leurs terres de pâturages constituent une violation de leurs droits tels qu'ils sont énoncés à l'article 27 du Pacte, en particulier de leur droit de jouir de leur propre culture qui, traditionnellement, repose essentiellement sur l'élevage du renne.

3.2 A l'appui de leurs allégations faisant état d'une violation de l'article 27, les auteurs se réfèrent aux constatations du Comité des droits de l'homme dans les affaires Ivan Kitok (No 197/1985) et B. Ominayak et les membres de la bande du lac Lubicon c. Canada (No 167/1984) ainsi qu'à la Convention No 169 de l'OIT concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants.

Renseignements et observations de l'Etat partie et commentaires de l'avocat:

4.1 L'Etat partie confirme que le conseil municipal d'Angeli a délivré, le 8 janvier 1990, en application de la loi No 555/1981 relative aux ressources minérales extractibles, un permis d'extraction de pierre dans le secteur qui fait l'objet de la plainte déposée par les auteurs. Ce permis est à l'origine d'un contrat passé entre la Direction centrale des forêts et une entreprise privée, qui est valable jusqu'au 31 décembre 1993.

4.2 L'Etat partie reconnaît que les auteurs de la communication, qui ont porté l'affaire tant devant la Commission administrative de la province de Laponie que devant le Tribunal administratif suprême ont épuisé tous les recours internes disponibles. Etant donné toutefois que le nombre de ceux qui ont porté l'affaire devant le Tribunal administratif suprême est inférieur au nombre de ceux qui ont saisi le Comité, l'Etat partie estime que la communication est irrecevable au motif que les recours internes n'ont pas été épuisés par ceux des auteurs de la communication qui n'ont pas porté l'affaire devant le Tribunal administratif suprême.

4.3 L'Etat partie admet que les "voies extraordinaires de recours" contre la décision du Tribunal administratif suprême n'auraient aucune chance d'aboutir et que, du point de vue de la procédure, rien d'autre ne s'oppose à ce que la communication soit déclarée recevable. En revanche, il juge que la requête des auteurs tendant à obtenir l'adoption de mesures provisoires de protection est "tout à fait prématurée", étant donné que les opérations d'extraction sur le site contesté se sont limitées à quelques essais.

5.1 Dans ses commentaires, l'avocat rejette l'argument de l'Etat partie selon lequel les auteurs qui n'ont pas signé personnellement la requête présentée au Tribunal administratif suprême n'auraient pas épuisé les recours internes disponibles. Il fait valoir que "les signataires des recours internes comme ceux de la communication ont tous invoqué les mêmes arguments tant sur le plan interne que devant le Comité des droits de l'homme. Leur nombre et leur identité n'ont eu aucune incidence sur l'arrêt rendu par le Tribunal suprême puisque le problème juridique soulevé est le même pour tous les signataires de la communication ...".

5.2 L'avocat soutient que, compte tenu de la décision prise par le Comité dans l'affaire Sandra Lovelace c. Canada, il y a lieu de considérer que tous les auteurs ont satisfait aux exigences énoncées à l'alinéa b) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif. Il rappelle que dans cette affaire, le Comité a décidé que le Protocole n'impose pas aux auteurs l'obligation de saisir les tribunaux nationaux si la plus haute instance du pays a déjà statué en substance sur la question considérée. Il affirme en outre que, dans l'affaire Länsman et consorts, le Tribunal administratif suprême a déjà statué à l'égard de tous les auteurs.

5.3 Dans des observations plus récentes (datées du 16 août 1993), l'avocat constate que le contrat d'amodiation passé avec Arktinen Kivi Oy vient à expiration à la fin de 1993, et que des négociations portant sur un contrat de plus longue durée sont en cours. Si ces négociations aboutissent, Arktinen entend procéder à des investissements considérables, notamment pour la construction d'une route. L'avocat fait en outre remarquer que même les essais limités qui ont été effectués jusqu'à ce jour ont laissé de profondes balafres sur le mont Etelä-Riutusvaara et que les cicatrices laissées par la route provisoire risquent de marquer le paysage pendant plusieurs siècles en raison des conditions climatiques extrêmes. Les conséquences pour l'élevage du renne sont donc plus importantes et plus durables que la quantité totale de pierre extraite (5 000 m3) ne le laisserait supposer. Enfin, l'avocat rappelle que de par leur situation géographique - à proximité du nouvel abattoir et du lieu de rassemblement des rennes - la carrière et la route qui permet d'y accéder revêtent une importance cruciale pour les activités du Comité Muotkatunturi des éleveurs.

Décision du Comité concernant la recevabilité :

6.1 Pendant sa quarante-neuvième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il a noté que l'Etat partie ne voyait pas d'objection à ce que la communication soit déclarée recevable en ce qui concerne les auteurs qui avaient formé, auprès de la Commission administrative de la province de Laponie et du Tribunal administratif suprême un recours contre le permis d'extraction. C'est seulement à l'égard des auteurs qui n'avaient pas personnellement porté l'affaire devant le Tribunal administratif suprême que l'Etat faisait valoir que les recours internes disponibles n'avaient pas été épuisés.

6.2 Le Comité n'a pas souscrit aux arguments de l'Etat partie et a rappelé que les faits sur lesquels avait statué le Tribunal administratif suprême (décision du 16 avril 1992) et ceux sur lesquels portait la communication dont le Comité était saisi étaient les mêmes; si les auteurs qui n'avaient pas signé personnellement le recours formé auprès du Tribunal administratif suprême l'avaient fait, ils auraient été déboutés de la même manière que les autres requérants. Il n'était pas raisonnable de penser que s'ils intentaient alors une action devant le Tribunal administratif suprême pour les mêmes faits et en s'appuyant sur les mêmes arguments juridiques, celui-ci modifierait sa décision. Le Comité a réaffirmé sa thèse selon laquelle lorsque l'affaire a été réglée par la plus haute instance du pays - excluant de ce fait, pour les recours intentés devant les autres tribunaux nationaux, toute chance d'aboutir - les auteurs ne sont pas tenus d'avoir épuisé les recours internes aux fins du Protocole facultatif. Le Comité a conclu, en conséquence, que les obligations énoncées à l'alinéa b) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif étaient satisfaites.

6.3 Le Comité a estimé que les allégations des auteurs relatives à l'article 27 du Pacte avaient été étayées aux fins de la recevabilité et qu'il fallait les examiner quant au fond. Pour ce qui était de la demande de mesures provisoires de protection faite par les auteurs, le Comité a noté que l'application de l'article 86 du règlement intérieur serait prématurée mais que les auteurs conservaient le droit d'adresser une autre demande au Comité en vertu dudit article s'il existait des raisons plausibles de s'inquiéter d'une reprise probable des opérations d'extraction.

6.4 En conséquence, le 14 octobre 1993, le Comité a déclaré que la communication était recevable dans la mesure où elle paraissait soulever des questions relevant de l'article 27.

Observations de l'Etat partie quant au fond et commentaires de l'avocat :

7.1 Dans les explications datées du 26 juillet 1994 qu'il a soumises en vertu du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, l'Etat partie complète et corrige les renseignements concernant les faits à l'origine de l'affaire. En ce qui concerne la question de la propriété de la zone en question, il note qu'elle est propriété de l'Etat car elle lui a été attribuée lors d'un remembrement général. Elle est inscrite comme propriété de l'Etat au registre foncier et considérée comme telle dans la jurisprudence de la Cour suprême (jugement du 27 juin 1984 concernant la détermination des limites des eaux dans la municipalité d'Inari). Le Service finlandais de la foresterie et des parcs (ancienne Direction centrale des forêts) a le droit, entre autres, de construire des routes en vertu des prérogatives inhérentes à la propriété.

7.2 L'Etat partie fournit en outre des renseignements sur une autre affaire impliquant un projet d'exploitation forestière et de construction de routes dans le district d'Inari sur laquelle le tribunal du district d'Inari et la cour d'appel de Rovaniemi se sont prononcés. Ces juridictions ont examiné les points en litige en tenant compte de l'article 27 du Pacte mais ont conclu que les activités contestées n'empêchaient pas les plaignants de se livrer à l'élevage du renne.

7.3 Quant au bien-fondé des allégations des auteurs au titre de l'article 27, l'Etat partie reconnaît que la notion de "vie culturelle", dans cet article, englobe aussi l'élevage du renne en tant que "composante essentielle de la culture sami". Il examine si le permis d'extraction, son exploitation et le contrat entre la Direction centrale des forêts et Arktinen Kivi Oy violent les droits qui reviennent aux auteurs en vertu de l'article 27. A cet égard, plusieurs dispositions de la loi No 555/1981 relative aux ressources minérales extractibles sont pertinentes. Ainsi, l'article 6 stipule qu'un permis d'extraction peut être délivré si certaines conditions énoncées dans la loi sont remplies. L'article 11 définit ces conditions comme les "ordres que le requérant doit suivre afin d'éviter ou de limiter les dommages causés par le projet en question". Aux termes de l'alinéa 1 de l'article 9, l'entrepreneur est tenu d'indemniser le propriétaire du bien immobilier pour toute extraction de ressources du sol causant des dommages (environnementaux ou autres), qui ne peuvent être qualifiés de mineurs. L'alinéa 3 de l'article 16 autorise les services officiels à modifier les conditions du permis initial ou à le retirer, en particulier lorsque l'extraction de ressources du sol a eu des effets préjudiciables imprévisibles sur l'environnement.

7.4 En ce qui concerne le permis délivré à Arktinen Kivi Oy, l'Etat partie note qu'il est valide jusqu'au 31 décembre 1999 mais uniquement si le Service finlandais de la foresterie et des parcs le confirme jusqu'à cette date. Une autre condition prévoit que pendant et après l'extraction, la zone considérée doit rester "dégagée et sûre". Aux termes de la condition No 3, chaque année les opérations d'extraction doivent s'effectuer entre le 1er avril et le 30 septembre, ainsi que l'a demandé le Comité Muotkatunturi des éleveurs dans la lettre du 5 novembre 1989 qu'il a adressée à la municipalité d'Inari. C'est parce que les rennes ne paissent pas dans cette zone au cours de cette période. Il est également stipulé que les moyens de communication (de transport) à destination et à l'intérieur de cette zone doivent être organisés en coordination avec le Comité des éleveurs et qu'il doit être tenu dûment compte de toute demande du Comité de la communauté d'Angeli.

7.5 En octobre 1989, la Direction centrale des forêts et la société ont conclu un contrat donnant à cette dernière le droit d'utiliser et d'extraire des pierres dans une zone de 10 ha, à concurrence de 200 m3. Ce contrat était valide jusqu'à la fin de 1993. D'après le contrat, les moyens de transport/de communication devaient être convenus avec le garde forestier du district. Les bordures des excavations devaient être arrondies pendant l'extraction et, après celle-ci, les pentes devaient être remodelées de façon à ne pas présenter de danger pour les animaux et les hommes et à ne pas défigurer le paysage. En mars 1993, la société a demandé un nouveau contrat d'amodiation; le 30 juillet 1993, une inspection des lieux a eu lieu en présence de représentants du district forestier, de la société, du Comité de la communauté d'Angeli et du Comité des éleveurs et de l'inspecteur des bâtiments de la communauté d'Inari. Les représentants de la société ont fait observer qu'il était indispensable de construire une vraie route pour assurer la rentabilité du projet; le représentant du district forestier a répondu que le Comité des éleveurs et la société devaient parvenir à une solution négociée. L'Etat partie ajoute que le Service de la foresterie et des parcs a fait savoir au gouvernement qu'aucune décision sur un nouveau contrat possible avec la société ne serait prise avant que le Comité n'adopte ses constatations dans l'affaire considérée.

7.6 Quant aux opérations d'extraction elles-mêmes, l'Etat partie fait observer que l'activité de la société dans la région a été insignifiante, tant en ce qui concerne la quantité de pierres extraites (30 m3) que la superficie (10 ha) de la zone d'extraction sur le mont Riutusvaara. Par comparaison, la superficie totale utilisée par le Comité Muotkatunturi des éleveurs est de 2 586 km2, tandis que la surface d'extraction clôturée ne couvre qu'un hectare environ et est située à 4 kilomètres seulement de la route principale. Dans les déclarations de deux experts, en date du 25 octobre 1991, soumises au Tribunal administratif suprême, il est noté que "l'extraction de ressources du sol sur le mont Etelä-Riutusvaara n'a, compte tenu de son importance, aucune incidence sur la capacité de charge des pâturages du Comité Muotkatunturi des éleveurs". De l'avis de l'Etat partie, elle ne peut pas avoir d'autres effets négatifs sur l'élevage du renne. Le gouvernement n'est pas d'accord avec l'affirmation des auteurs selon laquelle les essais limités d'exploitation effectués jusqu'ici ont déjà laissé de profondes balafres sur le mont Etelä-Riutusvaara.

7.7 Dans le contexte susmentionné, l'Etat partie note qu'il ressort d'une opinion du Bureau de l'environnement de la Commission administrative de la province de Laponie (en date du 8 mai 1991) que seuls des explosifs à faible pression de détonation sont utilisés pour extraire la roche : "L'extraction se fait en sciant et en fendant la roche afin qu'elle s'effrite le moins possible". De ce fait, les dégâts éventuels à l'environnement restent minimes. En outre, il ressort d'une déclaration datée du 19 août 1990 que le Conseil municipal exécutif d'Inari a adressée à la Commission administrative de la province que celui-ci, comme la société, s'efforcent tout particulièrement d'éviter de perturber l'élevage du renne dans la région. L'Etat partie renvoie à l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi sur l'élevage du renne, aux termes duquel les zones qui sont la propriété de l'Etat situées tout au nord du pays ne doivent pas être utilisées d'une manière qui nuise sérieusement à l'élevage du renne; il ajoute que les obligations imposées par l'article 27 ont été respectées lors de l'octroi du permis.

7.8 Pour ce qui est de la question de la construction d'une route dans la zone d'extraction, l'Etat partie note que les blocs extraits lors des essais ont été initialement transportés avec l'aide d'un des auteurs en suivant le tracé d'une route qui existait déjà. La société n'a prolongé ce tracé que sur un kilomètre environ dans une autre direction (et non à travers les clôtures mises en place par les auteurs) et a emprunté la route qui existe déjà pour transporter la roche jusqu'à la route principale. L'Etat partie fait observer que le tracé de la route a donc été décidé par les auteurs eux-mêmes. Lors d'une réunion du Conseil consultatif d'Inari qui a eu lieu le 15 octobre 1993, la société a déclaré que la construction d'une vraie route améliorerait la rentabilité du projet, et, comme l'a reconnu le Conseil municipal d'Inari dans une déclaration écrite adressée au Tribunal administratif suprême en août 1991, il est techniquement possible de construire cette route sans perturber l'élevage du renne.

7.9 L'Etat partie estime que, compte tenu de ce qui précède et étant donné que 30 m3 de roche seulement ont été en fait extraits, l'activité de la société a été insignifiante par rapport aux droits qui reviennent aux auteurs en vertu de l'article 27, en particulier en matière d'élevage de rennes. Des conclusions analogues s'appliqueraient à l'extraction éventuelle de la quantité totale autorisée et à son transport sur une véritable route jusqu'à la route principale. Dans ce contexte, l'Etat partie rappelle les constatations du Comité dans l'affaire Lovelace c. Canada selon lesquelles "on ne saurait non plus considérer qu'il y a systématiquement déni de droits au sens de l'article 27 ... [mais] les restrictions ... doivent être raisonnablement et objectivement justifiées et être compatibles avec les autres dispositions du Pacte ...". Ce principe, selon l'Etat partie, s'applique au cas considéré.

7.10 L'Etat partie reconnaît que "la notion de vie culturelle au sens de l'article 27 comporte une certaine protection des moyens traditionnels d'existence des minorités nationales et peut être considérée comme englobant les sources de revenus et les conditions connexes dans la mesure où elles jouent un rôle essentiel dans la culture et sont indispensables à sa survie. Cela signifie que toute mesure et tout effet d'une mesure qui, d'une certaine manière, modifie les conditions antérieures, ne peuvent être interprétés comme une atteinte au droit des minorités de jouir de leur propre vie culturelle en vertu de l'article 27". Des références pertinentes à la question ont été faites par le Comité parlementaire du droit constitutionnel au sujet du projet de loi 244/1989; il en résulte que l'élevage du renne auquel se livrent les Samis ne doit pas faire l'objet de restrictions évitables.

7.11 Ce principe, relève l'Etat partie, a été souligné par les auteurs eux-mêmes dans le recours qu'ils ont adressé à la Commission administrative de la province de Laponie. Ainsi, devant les autorités finlandaises, les auteurs eux-mêmes ont émis l'avis que seules des atteintes évitables et importantes à leurs moyens de subsistance, en particulier à l'élevage du renne, soulèveraient la question d'une violation possible du Pacte.

7.12 L'Etat conteste l'affirmation faite par l'avocat des auteurs devant le Tribunal administratif suprême (10 juin 1991) selon laquelle, eu égard aux constatations du Comité dans l'affaire B. Ominayak et les membres de la bande du lac Lubicon c. Canada / Constatations adoptées par le Comité à sa trente-huitième session, 26 mars 1990. , toute mesure, même peu importante, qui fait obstacle à l'élevage du renne ou l'entrave doit être interprétée comme interdite par le Pacte. Dans ce contexte, l'Etat partie cite un extrait du paragraphe 9 de l'observation générale du Comité sur l'article 27, où il est dit que les droits énoncés à l'article 27 visent "à assurer la survie et le développement permanent de l'identité culturelle, religieuse et sociale des minorités concernées ...". En outre, la question des "inégalités historiques" qui a été soulevée dans l'affaire de la bande du lac Lubicon ne se pose pas dans l'affaire considérée. L'Etat partie rejette comme non pertinent le fait que les auteurs se basent sur certaines interprétations abstraites de l'article 27 et sur les décisions de certains tribunaux nationaux. Il estime que les constatations du Comité des droits de l'homme dans l'affaire Kitok / Cas No 197/1985, constatations adoptées à la trente-troisième session du Comité, le 27 juillet 1988, par. 9.3. impliquent que le Comité souscrit au principe selon lequel les Etats jouissent d'une certaine "latitude dans l'application de l'article 27 - ce qui, selon l'Etat partie, est normal lorsqu'il s'agit de réglementer des activités économiques". Ce point de vue est étayé par les décisions des instances les plus hautes des Etats parties au Pacte et de la Commission européenne des droits de l'homme.

7.13 L'Etat partie conclut "que les autorités nationales ont constamment tenu compte [des conditions posées par l'article 27] lorsqu'elles ont appliqué les lois internes et les mesures en question". Il réitère qu'il faut laisser aux autorités nationales une marge de liberté d'appréciation, même dans l'application de l'article 27 : "Comme l'a confirmé la Cour européenne des droits de l'homme dans de nombreuses affaires ..., le juge national est mieux placé que le juge international pour prendre une décision. Dans l'affaire considérée deux autorités administratives et ... le Tribunal administratif suprême ont examiné l'octroi du permis et les mesures connexes et ont estimé qu'ils étaient légaux et appropriés". L'Etat partie estime que les auteurs peuvent continuer à pratiquer l'élevage du renne et ne sont pas forcés d'abandonner leur mode de vie. L'extraction des pierres et l'utilisation du tracé de la vieille route forestière ou la construction éventuelle d'une véritable route sont des aspects insignifiants ou qui n'ont, tout au plus, qu'une influence très limitée sur ce moyen de subsistance.

8.1 Dans ses commentaires, datés du 31 août 1994, l'avocat fait savoir au Comité que, depuis la présentation initiale de la plainte, le Comité Muotkatunturi des éleveurs a quelque peu modifié ses méthodes d'élevage du renne. Depuis le printemps de 1994 les petits ne restent plus avec leurs mères à l'intérieur de clôtures si bien que maintenant les rennes pâturent plus librement et durant une plus grande partie de l'année dans des zones situées au nord de la route qui relie Angeli et Inari, notamment sur le mont Etelä-Riutusvaara. Les rennes pâturent maintenant aussi dans la zone en avril et en septembre. L'avocat ajoute que le mont Etelä-Riutusvaara n'est certainement pas une zone impropre au pacage des rennes, comme l'affirme l'Etat partie, car les rennes y trouvent des lichens comestibles.

8.2 Quant aux renseignements supplémentaires communiqués par l'Etat partie, les auteurs notent que jusque-là les sociétés qui extraient la roche sur le mont Etelä-Riutusvaara n'ont pas couvert les excavations ni aplani les bords et les pentes après l'expiration de leurs contrats. Les auteurs attachent une importance particulière à l'observation de l'Etat partie selon laquelle le contrat d'amodiation entre la Direction générale des forêts et Arktinen Kivi Oy était valide jusqu'à la fin de 1993. Cela implique qu'aucune obligation contractuelle ne serait violée si le Comité des droits de l'homme estimait que d'autres opérations d'extraction seraient inacceptables à la lumière de l'article 27.

8.3 Quant à la route menant à la carrière, les auteurs rejettent en le qualifiant de fallacieux l'argument de l'Etat partie selon lequel la route contestée a été ou aurait été construite en partie "par l'un des auteurs". Ils expliquent que le tracé de la route a été fait par les deux sociétés désirant extraire la roche dans la région. L'avocat reconnaît cependant que la première société a utilisé un Sami comme "employé ou sous-traitant pour faire le tracé de la route. C'est probablement la raison pour laquelle la personne en question ... n'a pas voulu signer la communication adressée au Comité des droits de l'homme".

8.4 Les auteurs critiquent le fait que, selon eux, l'Etat partie a fixé un seuil par trop élevé pour l'application de l'article 27 du Pacte. Ils notent que les autorités finlandaises semblent suggérer que c'est seulement une fois qu'un Etat partie a explicitement reconnu qu'une certaine minorité a souffert d'injustices historiques, qu'il est possible de conclure que des faits nouveaux qui affectent sa vie culturelle constituent une violation de l'article 27. De l'avis des auteurs cette interprétation des constatations du Comité dans l'affaire de la bande du lac Lubicon est erronée. Ils affirment que ce qui a été décisif, dans l'affaire Ominayak, c'est qu'une série d'événements de plus en plus défavorables pouvait constituer une "injustice historique" qui équivalait à une violation de l'article 27 / Dans ce contexte les auteurs renvoient à l'analyse des constatations dans l'affaire de la bande du lac Lubicon faite par le professeur Benedict Kingsbury (25 Cornell International Law Journal (1992)) et par le professeur Manfred Nowak (Commentaire de 1993 relatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques). .

8.5 Selon l'avocat, la situation des Samis dans la région d'Angeli peut être comparée à des "pratiques d'assimilation", ou tout du moins à une menace pesant sur la cohésion de leur groupe du fait de l'extraction de roche, d'opérations d'exploitation forestière et autres formes d'exploitation des terres samis traditionnelles à des fins autres que l'élevage du renne.

8.6 Les auteurs reconnaissent que la question de la propriété des terres considérées ne constitue pas en soi l'objet de l'affaire, mais ils font observer a) que bien que la Finlande ne l'ait pas encore ratifiée, la Convention No 169 de l'OIT a pour les autorités finlandaises une pertinence comparable à l'effet de traités qui ont été conclus (avis No 30 de 1993 du Comité parlementaire du droit constitutionnel) et b) que ni le remembrement général ni les inscriptions au registre foncier ne peuvent avoir d'effet constitutif en ce qui concerne la propriété de territoire sami traditionnel. Dans ce contexte, les auteurs relèvent que le législateur envisage une proposition tendant à créer un système de propriété collective des terres pour les villages samis :



Page Principale || Traités || Recherche || Liens