University of Minnesota



T. W. M. B (nom supprimé)
c. Pays-Bas, Communication No. 403/1990, U.N. Doc. CCPR/C/43/D/403/1990 (1991).



Comité des droits de l'homme
Quarante-troisième session

Décision prise par le Comité des droits de l'homme en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques - Quarante-troisième session

concernant la

Communication No 403/1990


Présentée var : T. W. M. B (nom supprimé)

Au nom de : L'auteur

Etat partie : Pays -Bas

Date de la communication : 11 avril 1990 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 7 novembre 1991,

Adopte la décision ci-après :


Décision concernant la recevabilité

1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 11 avril 1990 et correspondance ultérieure)est T. W. M. B, citoyen néerlandais, né le 29 juin 1965 et résidant à Hengelo (Pays-Bas). Il est objecteur de conscience à la fois au service militaire et au service civil de remplacement, et affirme être victime de violations, par 1'Etat partie, des articles 6, 7 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. I1 est représenté par un conseil.

Les faits présentés par l'auteur

2.1 L'auteur ne s'est pas présenté pour faire son service militaire au jour fixé pour son incorporation. Il a été arrêté et conduit dans une caserne, où il a refusé d'obéir aux ordres et de prendre l'uniforme et l'équipement militaire, faisant valoir qu'il était objecteur de conscience au service militaire et au service civil de remplacement en raison de ses convictions pacifistes. Le 2 février 1987, il a été traduit en cour martiale et reconnu coupable par le tribunal militaire d'bmhem (Arrondissementskrijgsraad) d'avoir violé les articles 23 et 114 du Code pénal militaire (Wetboelr van Militair Strafrecht), condamné à six mois de prison et relevé de ses obligations militaires.

2.2 L'auteur et le ministère public ont l'un et l'autre présenté un recours devant la Haute Cour militaire (Hoog Militair Gerechtshof), laquelle, le 6 mai 1987, a déclaré l'auteur coupable d'avoir violé les articles 23, 114 et 150 du Code pénal militaire et l'article 57 du Code pénal, l'a condamné à un an de prison et l'a renvoyé de l'armée. Le 9 février 1988, la Cour suprême (Hoge Raad)a rejeté le recours présenté par l'auteur.

La plainte

3.1 L'auteur soutient que les délibérations des tribunaux ont été caractérisées par diverses irrégularités de procédure et notamment que les tribunaux n'ont pas correctement appliqué le droit international et n'ont pas considéré, entre autres, les conventions et principes généraux suivants :

- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques;

- la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales;

- la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide;

- la quatrième Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre;

- le Protocole de Genève de 1925 concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz toxiques ou de moyens bactériologiques;

- le Statut de Londres du Tribunal militaire international de Nuremberg;

- la quatrième Convention de Genève du ler août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre;

- le principe selon lequel les populations civiles ne doivent jamais être prises pour cible lors d'opérations militaires;

- le principe selon lequel il faut toujours distinguer les populations civiles des combattants et les objectifs civils des objectifs militaires;

- le principe de la proportionnalité;

- le principe selon lequel la violence susceptible de causer des dommages inutiles doit être évitée.

3.2 La défense de l'auteur reposait sur l'argument qu'en faisant son service militaire, il concourrait à la perpétration de crimes contre la paix et du crime de génocide parce qu'il serait contraint de participer aux préparatifs d'utilisation d'armes nucléaires. A cet égard, l'auteur considère la stratégie de "riposte graduée" et de "défense avancée" de l'OTAN, ainsi que les plans d'opérations militaires fondés sur cette stratégie, qui envisage le recours aux armes nucléaires en cas de conflit armé , comme une conspiration pour
commettre un crime contre la paix et/ou le crime de génocide.


3.3 Selon l'auteur, l'armée néerlandaise, intégrée comme elle l'est aux structures de l'OTAN, prépare une guerre nucléaire , ce qui doit être considéré comme illégal au regard du droit international.

3.4 La Haute Cour militaire a rejeté ce moyen de défense. Elle a soutenu que la question de la participation de l'auteur à une conspiration pour commettre un génocide ou un crime contre la paix ne se posait pas car les règles et les principes internationaux invoqués par l'auteur, de l'avis de la Cour, ne concernaient pas la question du déploiement d'armes nucléaires et que, de plus, il ne pouvait y avoir conspiration parce que la doctrine de 1'OTAN n'impliquant pas automatiquement leur utilisation sans de plus amples consultations.


3.5 L'auteur affirme en outre que la Haute Cour militaire ne s'est pas montrée impartiale au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte ou de l'article 6 de la Convention européenne des droit6 de l'homme. Il explique que la majorité des membres de la Haute Cour militaire étaient des membres des forces armées de grade supérieur dont on ne pouvait attendre, étant donné leur profession, qu'ils rendent une décision impartiale.


3.6 L'auteur estime que la nomination de membres civils à la Haute Cour militaire est une "farce", soulignant que les membres "civils" désignés conformément à son règlement intérieur avaient, en réalité, fait carrière dans l'armée où ils détenaient des grades supérieurs avant de devenir, à leur retraite, membres "civils" de la Haute Cour militaire.

Observations de 1'Etat partie et éclaircissements de l' auteur

4.1 L'Etat partie note que le droit qu'a un Etat de faire obligation à ses citoyens d'accomplir le service militaire, ou des formes de service de remplacement dans le cas des objecteurs de conscience dont il admet les raisons, n'est pas contesté en tant que tel (voir art. 8, par. 3 c) ii), du Pacte).


4.2 Le Gouvernement de 1'Etat partie est d'avis que la Haute Cour militaire des Pays-Bas est un tribunal dont l'indépendance et l'impartialité sont garanties par les procédures et dispositions suivantes :

- Le président et le jurisconsulte de la Haute Cour militaire sont des juges de la Cour d'appel (Gerechtshof)de La Haye et ils demeurent en fonctions aussi longtemps qu'ils sont membres de la Cour d'appel;

- Les membres militaires de la Haute Cour militaire sont nommés par la Couronne. Leurs fonctions prennent fin lorsqu'ils atteignent l'âge de 70 ans;

- Les membres militaires de la Haute Cour militaire n'ont aucune autre fonction dans la hiérarchie militaire. Leurs émoluments sont a la charge du Ministère de la justice;

- Le président et les membres de la Haute Cour militaire doivent, avant d'entrer en fonctions, faire serment d'agir de manière juste et impartiale;

-Le président et les membres de la Haute Cour militaire n'ont aucune allégeance et ne sont comptables devant personne de leurs décisions;

- En règle générale, les audiences de la Haute Cour militaire sont publiques.

4.3 L'Etat partie souligne que des jugements nationaux et internationaux ont confirmé l'impartialité et l'indépendance des tribunaux militaires des Pays-Bas. Il est fait référence à l'affaire Enne (Cour européenne des droits de l'homme)1/et au jugement de la Cour suprême des Pays-Bas du 17 mai 1988. 4.4 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, 1'Etat partie affime que la loi sur l'objection de conscience au service militaire (Wet Gewetensbezwaren Militaire Dienst) est, pour beaucoup de personnes
se prévalant d'objections péremptoires au service militaire, un recours efficace. L'Etat partie prétend que l'auteur n'a pas invoqué cette loi et, de ce fait, n'a pas épuisé les recours internes.


4.5 L'Etat partie considère que les autres éléments de la communication ne sont pas fondés. Il conclut que l'auteur n'a donc pas de droit à faire valoir au titre de l'article 2 du Protocole facultatif et que sa communication devrait être, en conséquence, déclarée irrecevable.


5.1 Dans sa réponse aux observations de 1'Etat partie, l'auteur prétend que la loi sur l'objection de conscience a une portée limitée et peut seulement être invoquée par des conscrits remplissant les conditions énoncées à l'article 2. Il rejette l'affirmation que l'article 2 est suffisamment large pour couvrir les objections maintenues par 1'" objecteur intégral" à l'égard de la conscription et du service civil de remplace. ment. L'auteur soutient que la question est de savoir, non pas s'il aurait dû invoquer la loi sur l'objection de conscience, mais si 1'Etat partie a le droit de le contraindre à se faire complice de la commission d'un crime contre la paix en exigeant qu'il fasse son service militaire.


5.2 L'auteur affirme que 1'Etat partie ne peut pas prétendre que la Cour européenne des droits de l'homme a confirmé l'impartialité et l'indépendance de la procédure de cour martiale néerlandaise (tribunaux militaires).

5.3 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, l'auteur explique qu'il a été condamné par un tribunal de première instance et que ses appels à la Haute Cour militaire des Pays-Bas ont été rejetés. Il en conclut donc qu'il s'est entièrement conformé à l'exigence concernant l'épuisement des recours internes.

Questions à régler et procédure à suivre


6.1 Avant d'examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l'homme, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, décide si la communication est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Conformément au paragraphe 2 a)de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité ne peut examiner une communication si la même question est en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Il s'est assuré que la question n'était pas examinée dans d'autres instances. Il a noté que la Commission européenne des droits de l'homme avait déjà examiné la même question en 1988-1989; cependant, cela n'excluait pas sa compétence, 1'Etat partie n'ayant pas formulé de réserve à cet effet.

6.3 Au regard de l'alinéa b)du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif, 1'Etat partie prétend que l'auteur, n'ayant pas demandé à accomplir un service civil de remplacement en invoquant la loi sur l'objection de conscience au service militaire, n'a pas épuisé, faute de ce faire, les recours internes. Le Comité ne peut pas conclure que cette loi peut être considérée comme un recours utile pour un individu qui refuse non seulement le service militaire, mais aussi le service civil de remplacement. L'auteur a été condamné deux fois et a fait appel devant la Haute Cour militaire des Pays-Bas. Le Comité conclut que, dans ces conditions, il n'y a pas de recours utile dont l'auteur puisse encore se prévaloir au sens de l'alinéa b)du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif.

6.4 L'auteur a contesté l'indépendance et l'impartialité de la Haute Cour militaire. Compte tenu des observations de 1'Etat partie, le Comité conclut que l'auteur n'a pas suffisamment étayé cet argument, aux fins de la recevabilité, et que cette partie de sa plainte ne peut pas être retenue au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.

6.5 Pour ce qui est de l'objection de l'auteur au droit qu'aurait 1'Etat d'exiger de lui qu'il accomplisse un service militaire ou un service civil de remplacement, le Comité fait observer que le Pacte n'exclut pas l'institution du service militaire obligatoire par les Etats parties et se réfère à cet égard à la disposition pertinente (par. 3 c)ii)) de l'article 8. En conséquence, en ce qui concerne l 'obligation du service militaire, ou aussi bien, d 'un service civil de remplacement, l'auteur ne peut pas prétendre être victime d 'une violation des articles 6 et 7 du Pacte. Cette partie de la communication est, par conséquent, irrecevable en vertu de l 'article 3 du Protocole facultatif, car elle est incompatible avec les dispositions du Pacte.

7. En conséquence, le Comité des droits de l 'homme décide :

a) que la communication est irrecevable en vertu des articles 2
et 3 du Protocole facultatif;

b) que la présente décision sera communiquée à 1'Etat partie, à l'auteur et à son conseil.



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