University of Minnesota



L. E. S. K. (nom supprimé) c. Pays-Bas, Communication No. 381/1989, U.N. Doc. CCPR/C/45/D/381/1989 (1992).



Comité des droits de l'homme
Quarante-cinquième session

Décision prise par le Comité des droits de l'homme en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques - Quarante-cinquième session

concernant

la communication No 381/1989



Présentée par : L. E. S. K. (nom supprimé)

Au nom de : L'auteur

Etat partie : Pays-Bas

Date de la communication : 28 juillet 1988 (date de la première lettre)

Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 juillet 1992,

Adopte la décision ci-après :



Décision concernant la recevabilité

1. L'auteur de la communication (première lettre datée du 28 juillet 1988 et lettres ultérieures)est L. E. S. K., citoyenne néerlandaise résidant en France, qui affirme être victime de violation par les Pays-Bas des articles 2 (par. 3 a)), 14 (par. l), 17 (par. l), 18, 19, 23 (par. 4)et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les faits selon l'auteur

2.1 L'auteur, qui exerce la profession d'illustrateur et de peintre, s'est mariée en 1972. Elle et son mari étaient membres du Conseil de la fondation "Stichting Verbindingsgroep 2000-3000" à vocation idéale et mystique, qui avait été fondée par le père de l'auteur. Celle-ci vit à présent dans une communauté autosuffisante dans la section française de cette fondation.

2.2 Le 15 février 1978, le mari de l'auteur a déposé une demande de divorce ou de séparation judiciaire, à laquelle l'auteur a répondu en déniant que le .. mariage soit irrémédiablement rompu, affirmant subsidiairement que le différend conjugal était essentiellement imputable à son mari qu'elle suspectait de demander le divorce pour l'obliger à vendre leur maison afin de pouvoir lancer sa propre affaire à Amsterdam. Elle a, de son côté, déposé une demande de pension alimentaire au cas où son mari obtiendrait gain de cause pour l'une ou l'autre de ses demandes.

2.3 Le 9 octobre 1980, le tribunal de première instance de Zutphen, admettant l'argument de la "rupture irrémédiable" du mariage du fait que l'auteur avait déclaré ne plus s'opposer au divorce, prononçait celui-ci et rejetait la demande de pension alimentaire de l'auteur. Le tribunal avait également déduit de cette déclaration que l'auteur ne prétendait plus que la rupture du mariage était essentiellement imputable à son mari, argument valable au regard de la loi néerlandaise pour faire opposition à une demande de divorce.

2.4 Par jugement interlocutoire du 2 décembre 1981, la Cour d'appel d'Arnhem maintenait la décision du tribunal de première instance, considérant qu'il avait prononcé le divorce après avoir déterminé les raisons qui y avaient conduit. La Cour a jugé que, du point de vue de l'une et l'autre partie, la rupture du mariage était due à des "conceptions radicalement différentes de la vie" et qu'elle pouvait être considérée comme définitive à partir de mars 1977, au moment où l'épouse avait abandonné le domicile conjugal. L'auteur a déposé ensuite une nouvelle demande visant à faire admettre la responsabilité de son mari dans l'échec du mariage, arguant que celui-ci avait eu des liaisons extraconjugales depuis 1977, demande que la Cour d'appel a rejetée. La Cour d'appel a ordonné de réunir les renseignements concernant deux autres demandes de l'auteur portant sur la perte des droits à pension et le rejet de la demande de pension alimentaire et fixé une nouvelle audience pour les examiner.

2.5 Le 15 octobre 1982, la Cour suprême a rejeté un nouvel appel de l'auteur, qui arguait que la Cour d'appel, dans ses attendus, avait injustement estimé qu'elle avait abandonné le domicile conjugal en mars 1977 et que les liaisons de son mari témoignaient simplement de la rupture irrémédiable du mariage.

2.6 Lors du procès, la date à laquelle l'auteur avait quitté le domicile conjugal a été déterminée sur la base d'une lettre datée du 20 août 1980. adressée par l'auteur à l'avocat qui la représentait devant le tribunal de première instance de Zutphen. L'auteur soutient que son avocat a commis une faute en dévoilant le contenu de cette lettre dont il ne devait pas être fait état au cours du procès et que les jugements prononcés par la suite devaient être considérés comme nuls et non avenus.

2.7 La Cour d'appel a rejeté ces arguments le 22 juin 1983, statuant, entre autres choses, que l'action de l'avocat n'avait pas porté préjudice à l'auteur, étant donné que la date précise de l'abandon du domicile conjugal ne pouvait pas être considérée comme un facteur déterminant, le départ de l'auteur témoignant simplement de la rupture irrémédiable du mariage sans en être la cause. Le 3 février 1984, la Cour suprême a rejeté l'appel qu'avait fait l'auteur de cette dernière décision.

2.8 La Cour d'appel a rendu un nouveau jugement interlocutoire le 27 février 1985, rejetant la plainte de l'auteur concernant la prétendue perte de ses droits &pension, confirmant par là le jugement du Tribunal de première instance de Zutphen en date du 9 octobre 1980. La Cour d'appel a toutefois fixé une nouvelle audience avant de se prononcer sur la question de la demande de pension alimentaire.


2.9 Le 13 novembre 1985, la Cour d'appel a rejeté la demande de pension alimentaire de l'auteur. L. E. S. K. a alors porté l'affaire devant la Commission européenne des droits de l'homme. Le 17 décembre 1987, celle-ci a conclu que l'auteur n'avait pas épuisé les recours internes, dans la mesure où elle aurait pu faire appel du jugement du 27 février 1985. La plainte portée contre son avocat pour manquement à la déontologie professionnelle a été jugée irrecevable pour incompatibilité ratione oersonae. L'allégation de violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, à propos de la production au procès de la lettre du 20 août 1980, a été rejetée comme manifestement non fondée.

La plainte

3.1 L'auteur prétend qu'on lui a dénié la protection qu'elle est en droit d'attendre de la loi, ce qui a entraîné diverses violations de ses droits fondamentaux. Elle soutient que les autorités judiciaires néerlandaises ont eu une attitude discriminatoire à son égard "en ne tenant pas compte, durant le procès, de son point de vue et de sa position sur le plan éthique". Plus précisément, elle soutient que l'on n'a pas dûment tenu compte de ce qu'elle arguait qu'il n'y avait jamais eu de sa part abandon du domicile conjugal a proprement parler, mais que la procédure de divorce avait été entamée par son mari afin de l'obliger à vendre leur maison. L'auteur soutient en outre que la lettre du 20 août 1980 a été utilisée comme preuve qu'elle avait délibérément abandonné le domicile conjugal, alors que cette lettre n'avait pas été versée au dossier. Elle réitère que le passage en question de ladite lettre a influé sur le cours du procès à
son détriment. Bien que l'auteur ne précise pas quels sont les articles auxquels se réfère cette partie de sa plainte qui, de son point de vue, auraient été violés, ce qui précède semblerait indiquer qu'elle invoque l'article 14 (par. 1) et l'article 17 (par. 1)du Pacte.

3.2 L'auteur soutient en outre que le domicile conjugal a été vendu illégalement le 15 juin 1978 avec la collaboration de membres de la fonction publique, à savoir un notaire et un fonctionnaire de l'enregistrement. L'auteur se plaint que la maison ait été vendue sans qu'elle en eût connaissance et, à plus forte raison, sans son approbation, avant même que le divorce soit prononcé. D'après l'ensemble de sa communication, il apparaîtrait qu'elle considère qu'il s'agisse là d'une violation des articles 2 (par. 3 a)) et 23 (par. 4) du Pacte.

3.3 Enfin, l'auteur affirme que son droit à la liberté d'expression, consacré à l'article 19, ainsi que son droit à la liberté de croyance et de religion, consacré à l'article 18, ont été violés du fait que les tribunaux néerlandais ont jugé que son mariage était irrémédiablement rompu pour la seule raison que les époux avaient une conception radicalement différente de la vie.

Les observations de 1'Etat partie

4.1 L'Etat partie note que, bien que l'auteur n'ait pas fait appel devant la Cour suprême du jugement interlocutoire du 27 février 1985 ni du jugement définitif du 13 novembre 1985 de la Cour d'appel, il ne conteste pas la recevabilité au motif que les recours internes n'ont pas été épuisés. Il explique que, tous les appels de l'auteur ayant été rejetés, son avocat lui a conseillé de ne plus en appeler du rejet de sa demande de pension alimentaire, considérant que sa cause n'était pas fondée.

4.2 Pour ce qui est de savoir si l'avocat de l'auteur a connnia une faute professionnelle en dévoilant le contenu d'une correspondance privée, 1'Etat partie se réfère aux dispositions du Code de procédure civile régissant la *'procédure de désaveu". Il note que bien que l'avocat ne puisse pas être tenu pour responsable, l'auteur avait la possibilité de porter plainte en vertu de la loi concernant les avocats (Advocatenwet), qui prévoit, le cas échéant, des mesures disciplinaires à leur encontre. L'Etat partie précise
en outre qu'il ne saurait être tenu pour responsable des actions d'un avocat. Il considère, par conséquent, que cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable ratione Dersonae, conformément à l'article 3 du Protocole facultatif, dans la mesure où elle concerne un particulier.


4.3 L'Etat partie estime que les deux appels de l'auteur ont été rejetés et par la Cour d'appel et par la Cour suprême, L. E. S. K. ayant elle-même renoncé à faire valoir en sa faveur le fait que, de son point de vue, son mariage n'était pas irrémédiablement rompu. Cette rupture étant donc consommée au moment où elle a abandonné le domicile conjugal, la teneur de sa lettre du 20 août 1980 ne pouvait plus avoir aucune conséquence dans la procédure de divorce.

4.4 En outre, 1'Etat partie soutient que les autres demandes de l'auteur ne sont pas étayées par les faits, que ceux-ci ne font apparaître aucune violation d'aucun des droits protégés par le Pacte et que cette partie de la communication doit donc être déclarée irrecevable conformément à l'article 2 du Protocole facultatif.

Questions qui se posent au Comité et procédure à suivre

5.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, décider si la communication est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 L'article 5 (par. 2 a))du Protocole facultatif interdit au Comité d'examiner une communication si la
même affaire est en cours d'examen dans le cadre d'une autre procédure d'enquête ou de règlement international. Le Comité a vérifié qu'aucune autre instance internationale n'était saisie de l'affaire en question. Le fait qu'elle ait été examinée en 1987 par la Commission européenne des droits de l'homme ne diminue en rien la compétence du Comité en la matière.

5.3 Le Comité note que la plainte de l'auteur concernant la vente du domicile conjugal a trait essentiellement à une prétendue violation de son droit à la propriété. Ce droit, toutefois, n'est pas protégé par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En conséquence, les allégations de l'auteur pour ce qui concerne ce point sont irrecevables ratione materiae, conformément à l'article 3 du Protocole facultatif, comme étant incompatibles avec les dispositions du Pacte.

5.4 Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle elle aurait été victime d'une procédure inéquitable et de partialité de la part des tribunaux, le Comité note qu'il s'agit là essentiellement de l'évaluation Par les tribunaux néerlandais des faits et des éléments preuve. Il se réfère à cet égard à sa jurisprudence en vertu de laquelle il est établi que c'est aux tribunaux des Etats parties au Pacte qu'il appartient d'une manière générale d'évaluer les faits et les éléments de preuve dans quelque affaire que ce soit. Il n'appartient pas, en principe, au Comité de revoir les. faits et les éléments de preuve présentés aux tribunaux nationaux et évalués par eux, à moins qu'il soit avéré que la procédure a été conduite de façon manifestement arbitraire, qu'elle a donné lieu à un certain nombre d'irrégularités équivalentes à un déni de justice ou que le juge a manifestement contrevenu à son obligation d'impartialité. Après avoir examiné attentivement le dossier dont il était saisi, le Comité a constaté que la procédure n'était entachée d'aucun de ces défauts. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.

5.5 Pour ce qui est des violations alléguées des articles 17, 18, 19, 23 et 27, le Comité note que l'auteur n'a pas pu étayer ses allégations du point de vue de la recevabilité. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif:

b) Que la présente décision sera communiquée à 1'Etat partie et à l'auteur de la communication.



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