University of Minnesota



R. L. M. (nom
supprimé) c. France, Communication No. 363/1989, U.N. Doc. CCPR/C/44/D/363/1989 (1992).



Comité des droits de l'homme
Quarante-quatrième session




DECISION PRISE PAR LE COMITE DES DROITS DE L'HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE
FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX
DROITS CIVILS ET POLITIQUES - QUARANTE-QUATRIEME SESSION

concernant

la communication No 363/1989



Présentée par : R. L. M. (nom
supprimé)

Au nom de : L'auteur

Etat partie : France

Date de la communication :
11 mai 1989 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 6 avril 1992,

Adopte la décision ci-après
:

Décision concernant la recevabilité


1. L'auteur de la communication est R. L. M., citoyen français né en 1946, enseignant, qui réside a Nantes, en France. Il affirme être victime de violations par la France des articles 2, 19, 26 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les faits tels qu'ils ont été présentés par l'auteur

2.1 Depuis 1968, l'auteur a enseigné dans diverses écoles relevant du Rectorat de l'Académie de Nantes; depuis 1977, il enseigne le breton, l'histoire et la géographie dans une école privée, établissement sous contrat avec le Ministère de l'éducation. Depuis 1980, l'enseignement de la langue bretonne fait officiellement partie de son emploi du temps.

2.2 De l'avis de l'auteur, le Rectorat de l'Académie de Nantes décourage et empêche systématiquement l'enseignement de la langue bretonne. Il fait notamment obstruction
:

a) En refusant systématiquement de permettre aux candidats au baccalauréat de passer les épreuves de langue bretonne dans les centres d'examens normaux;

b)En refusant d'informer les élèves et leur famille des possibilités, expressément prévues dans la réglementation pertinente, d'étudier la langue bretonne dans les établissements d'enseignement secondaire de Nantes et du Département de la Loire atlantique;

cl En refusant de créer un poste de professeur certifié de langue bretonne, prétextant l'insuffisance de la demande;

d) En refusant que soit menée une enquête officielle et objective en la matière.

2.3 L'auteur précise que les enseignants souhaitant obtenir le Certificat d'aptitude professionnelle d'enseignement secondaire (CAPES) en langue bretonne doivent aussi choisir une seconde matière. Il ajoute que les règlements pertinents de 1983, qui régissent les objectifs de l'enseignement des cultures et langues régionales, ne sont pas applicables aux enseignants qui ont obtenu le CAPES de langue bretonne; ceux-ci n'ont pas à se porter
volontaires pour enseigner la langue bretonne, dès lors qu'il existe une demande, et ont certains droits acquis d'enseigner la matière dont ils sont spécialistes.

2.4 L'auteur affirme qu'il ne peut porter plainte devant des juridictions civiles ou administratives françaises. Il fait valoir qu'il n'existe pas de voie de recours efficace dans son cas car, en tant que fonctionnaire, ses activités professionnelles sont dictées par les "exigences du service", ce qui signifie qu'on peut lui demander d'enseigner des matières autres que celles dont il est spécialiste. Il est donc vain, selon lui, de contester les décisions des autorités. Enfin, il indique que les autorités administratives refusent systématiquement de lui accorder un rendez-vous, sans doute pour ne pas avoir à examiner le problème.

La plainte

3.1 L'auteur affirme que le Rectorat de l'Académie de Nantes (et celui, de l'Académie de Rennes) ont exercé une discrimination systématique a son encontre, a la fois en faisant obstacle à ses promotions et en diminuant son traitement, d'après lui sans motif. Il ajoute qu'un cours de langue bretonne qu'il avait été chargé de donner au lycée de Vannes a été systématiquement saboté par la direction de ce lycée et que les autorités rectorales ainsi que le Ministère de l'éducation couvrent l'attitude discriminatoire de leurs subordonnés à son encontre et à l'encontre de l'enseignement du breton en général.

3.2 De manière plus générale, l'auteur affirme que l'obligation qui est faite aux professeurs certifiés d'enseigner deux matières a en réalité pour effet de faire gravement obstacle à l'enseignement de la langue bretonne. Ainsi, un cours assuré pendant l'année scolaire 1988-1989 au collège Montaigne de Vannes n'a pu être organisé l'année suivante, malgré la demande des élèves. L'auteur affirme que cela est contraire à l'article 55 de la Constitution française, comme l'a confirmé le Tribunal administratif de Rennes dans un jugement du 27 janvier 1987.

3.3 Enfin, l'auteur fait valoir que les résultats d'un sondage effectué récemment par l'Association des parents d'élèves pour l'enseignement du breton prouvent l'attitude discriminatoire du Rectorat de l'Académie de Nantes, puisqu'ils vont à l'encontre de l'affirmation du Recteur selon laquelle le petit nombre d'élèves demandant l'enseignement du breton ne justifie pas la création de postes.

Explications et observations de l'Etat partie

4.1 L'Etat partie considère que la communication est irrecevable en raison du non-épuisement des voies de recours internes. Suhsidiairement, il affirme que nombre des plaintes de l'auteur concernent la discrimination dont la langue bretonne ferait l'objet en général et que, en conséquence, l'intéressé ne saurait être considéré comme ayant été victime d'une violation, au sens de l'article premier du Protocole facultatif.

4.2 S'agissant des prétendues mesures discriminatoires qui concernent directement l'auteur, 1'Etat partie indique que R. L. M. n'a pas épuisé les voies de recours internes. Les deux lettres qu'il a adressées au Recteur de l'Académie de Rennes en février 1988 et au Recteur de l'Académie de Nantes en avril 1988 ne présentent aucune des caractéristiques d'un recours administratif. L'intéressé se borne en effet à solliciter des recteurs une audience au sujet de la création d'un poste de breton et ne présente aucune demande touchant sa situation personnelle.

4.3 L'Etat partie indique que le requérant n'a utilisé aucune des voies de recours ci-après, qui lui étaient pourtant ouvertes :

a) Le recours aux représentants de son corps à la commission administrative paritaire qui peut être saisie de toutes questions d'ordre individuel concernant le personnel (art. 25, al. 4 du décret No 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires);

b) Le recours hiérarchique au Ministre de l'éducation, ou recours
. Ce recours, qui est facultatif, a pour avantage de pouvoir être fondé, non seulement sur les données juridiques du problème, mais aussi sur des considérations d'équité et d'opportunité;

c) Enfin, si le requérant estimait illégales les décisions incriminées, il disposait de la possibilité de former un recours contentieux pour excès de pouvoir par lequel il pouvait demander au juge administratif de contrôler la légalité des actes de l'administration. Pareil recours peut être formé dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l'intéressé est informé de toute décision prise à son encontre.

4.4 L'Etat partie souligne que l'abstention ou la négligence du requérant, qui n'a pas utilisé les voies de recours internes, ne sauraient être imputées au Gouvernement français : "La faculté de présenter une communication au Comité des droits de l'homme ne saurait être utilisée comme un substitut a l'exercice normal des recours internes lorsque ceux-ci n'ont pas été exercés par la faute exclusive de l'intéressé."


4.5 En outre, 1'Etat partie considère que l'auteur n'est pas parvenu à prouver que sa plainte était compatible avec les dispositions du Protocole facultatif. Quant à la violation du paragraphe 2 de l'article 19 dont le requérant aurait été victime, 1'Etat partie affirme que l'auteur n'a démontré à aucun moment que sa liberté d'expression avait été méconnue et que, au contraire, les pièces jointes à sa communication et sa correspondance avec les autorités compétentes, des parlementaires et des responsables gouvernementaux prouvent qu'il a eu toute latitude pour faire connaître sa position. L'Etat partie ajoute que "la liberté d'expression" selon l'article 19 ne saurait englober un droit à exercer une activité d'enseignement déterminée.

4.6 S'agissant de la prétendue violation de l'article 26, 1'Etat partie affirme qu'aucun élément du dossier ne permet d'étayer la thèse de l'auteur selon laquelle le Rectorat de l'Académie de Nantes exerce une discrimination systématique à l'encontre de l'enseignement du breton et à l'encontre de l'auteur en faisant obstacle au déroulement normal de sa carrière. Il note que, dans la loi No 51-46 du 11 janvier 1951, le législateur a reconnu le breton comme langue régionale et favorisé son enseignement. Cette loi a été complétée par la circulaire No 82-261 du 21 juin 1982 relative a l'enseignement des langues et cultures régionales dans le service public de l'Education nationale, et par la circulaire No 83-547 du 30 décembre 1983 précisant les objectifs dudit enseignement. Toutefois, l'enseignement du breton s'effectue sur la base du volontariat des élèves et des enseignants. Il appartient donc aux recteurs des différentes académies d'adapter cet enseignement en fonction des caractéristiques locales et des moyens dont ils disposent.

4.7 L'auteur affirme que le CAPES dont il est titulaire le force à enseigner des matières autres que le breton. L'Etat partie précise que tous les professeurs qui obtiennent le CAPES ont une égale vocation à exercer un emploi dans toutes les académies de France. Le caractère particulier de l'enseignement du breton a donc conduit les autorités à exiger des candidats au CAPES qu'ils puissent également enseigner une autre discipline. Les professeurs de breton sont tenus d'enseigner leur deuxième discipline en complément des heures de breton, afin de satisfaire aux obligations de service définies par leur statut particulier. L'Etat partie conclut que l'auteur ne peut prétendre qu'il est victime d'une discrimination au motif de la langue parce que la direction du lycée de Vannes lui a demandé d'enseigner la géographie et l'histoire, en plus de la langue bretonne: si des cours de breton ne sont pas assurés, ce n'est nullement pour des raisons de discrimination mais parce que cette option a été choisie par un trop petit nombre d'élèves; il a simplement été fait application au cas de l'auteur de normes qui sont d'application générale.

4.8 Pour ce qui est de la prétendue violation de l'article 27, 1'Etat partie rappelle la "déclaration" faite par le Gouvernement français au moment de son adhésion au Pacte : "Compte tenu de l'article 2 de la Constitution de la République française, l'article 27 [du Pacte] n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la République".

4.9 Enfin, 1'Etat partie fait valoir que l'article 2 du Pacte ne peut être violé directement et isolément et qu'une violation de cette disposition ne saurait être que le corollaire de la violation d'un autre article du Pacte. Etant donné que l'auteur n'a pas prouvé qu'il y a eu violation de ses droits en vertu du Pacte, il ne peut invoquer l'article 2.

Questions qui se posent au Comité et procédures à suivre

5.1
Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, décider si la communication est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 En ce qui concerne la plainte de l'auteur en vertu du paragraphe 2 de l'article 19, le Comité estime que R. L. M. n'a pas prouvé que la politique des autorités françaises concernant l'enseignement du breton violait
sa liberté d'expression. A cet égard, il n'est donc pas parvenu à motiver sa plainte au sens de l'article 2 du Protocole facultatif.

5.3 A propos de l'allégation de violation de l'article 27, le Comité réitère que la "déclaration" faite par la France en ce qui concerne cette disposition équivaut a une réserve et l'empêche donc d'examiner les plaintes contre la France faisant état de violations de l'article 27 du Pacte 11.

5.4 S'agissant de la prétendue violation de l'article 26, le Comité observe que si l'auteur se plaint qu'il n'existe pas de recours utile, il ressort clairement de ses lettres qu'il ne s'est servi d'aucun recours judiciaire ou administratif. Ses lettres aux autorités compétentes et sa correspondance avec le Rectorat de l'Académie de Nantes et celui de l'Académie de Rennes ne sauraient être assimilées à un épuisement des recours administratifs et judiciaires disponibles. Le Comité rappelle que le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, où il est fait mention de 'tous les recours internes disponibles", inclut clairement les recours judiciaires 21. L'auteur n'a pas prouvé qu'il était dans l'impossibilité d'utiliser les recours judiciaires et administratifs dont il disposait -ainsi que 1'Etat partie l'a fait valoir de manière plausible -ni que de tels recours pouvaient être considérés a priori comme inefficaces. En fait il ressort des communications de l'auteur qu'il n'a pas l'intention d'utiliser ces recours. Le Comité estime que les doutes de l'auteur quant a l'existence et a l'efficacité des recours internes ne le dispensent pas d'épuiser ceux-ci, et il en conclut que la condition stipulée à l'alinéa b) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif n'est pas remplie.

5.5 L'auteur a également invoqué l'article 2 du Pacte. Le Comité rappelle que l'article 2 constitue un engagement général pris par les Etats et ne peut être invoqué isolément par des particuliers en vertu du Protocole facultatif (communication No 268/1987, M. G. B. et S. P. c. Trinité-et-Tobago, déclarée irrecevable le 3 novembre 1989, par. 6.2). Comme les allégations de l'auteur portant sur les articles 19 et 26 du Pacte sont irrecevables en vertu des articles 2 et 5 [par. 2 b)] du Protocole facultatif, il s'ensuit que R. L. M ne peut invoquer une violation de l'article 2 du Pacte.

6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en
vertu des articles 2 et 5 [par. 2 b)]du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à 1'Etat partie et à l'auteur de la communication.



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