University of Minnesota



Clifton Wright c. Jamaïque, Communication No. 349/1989, U.N. Doc. CCPR/C/45/D/349/1989 (1992).




Comité des droits de l'homme
Quarante-cinquiéme session


CONSTATATIONS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4
DE L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE
INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES-
QUARANTE-CINQUIEME SESSION

concernant la

Communication No 349/1989



Présentée par : Clifton Wright [représenté par un conseil]

Au nom de : L'auteur

Etat partie concerne : Jamaïque

Date de la communication
: 12 janvier 1989

Date de la décision sur la recevabilité
: 17 octobre 1990

Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 juillet 1992,

Ayant achevé l'examen de la communication No 349/1989, présentée au Comité des droits de l'homme au nom de M. Clifton Wright en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie intéressé,

Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.

Les faits selon l'auteur

1. L'auteur de la communication datée du 12 janvier 1989 est Clifton Wright, citoyen jamaïquain actuellement détenu à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque), où il attend d'être exécuté. Il déclare être victime de violations par la Jamaïque des paragraphes 1 et 3 b)et e)de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

2.1 L'auteur a été jugé et condamné à mort le 29 mars 1983 par la Home Circuit Court de Kingston pour le meurtre de Louis McDonald. D'après les témoignages recueillis par l'accusation, la victime a été vue pour la dernière fois par sa famille dans l'après-midi du 28 août 1981. Ce soir-là, un dénommé Silvester Cole, témoin dans l'affaire, faisait de l'auto-stop à un carrefour à Kingston. L'auteur et son codéfendeur, Wincron Phillips, attendaient également, au même endroit, qu'une voiture s'arrête pour les prendre à bord. Les trois hommes sont montés ensemble dans une Ford Cortina jaune; M. Cole et M. Phillips sont descendus du véhicule au bout de 3 kilomètres environ. Au tribunal, M. Cole a témoigné qu'après qu'ils furent descendus de voiture, M. Phillips était demeuré à proximité du véhicule, scrutant les deux côtés de la route, pendant que l'auteur, qui était resté dans la voiture, tenait un revolver braqué sur la nuque du chauffeur. Se rendant compte qu'il assistait à une attaque à main armée, M. Cole s'est tout d'abord éloigne discrètement des lieux, avant de s'enfuir en courant. Il avait vu ensuite la voiture s'éloigner tous feux éteints.

2.2 L'auteur a eté arrêté le 29 août 1981, vers 18 heures, en même temps que Winston Phillips. Un ami de M. McDonald l'avait vu au volant de la voiture, dont le vol avait été signalé le jour même. Tant l'auteur que M. Phillips ont été emmenés au commissariat de police de Waterford, où ils ont été fouillés: on a trouvé sur eux plusieurs bijoux que l'épouse de la victime a identifiés plus tard comme ayant appartenu à son mari. L'auteur soutient qu'au moment où ils ont été arrêtés, la police ne pouvait pas avoir eu connaissance du meurtre, puisque le corps de la victime n'avait été découvert que le lendemain après-midi dans un champ de canne à sucre, non loin de l'endroit où l'automobiliste avait déposé MM. Cole et Phillips.

2.3 Aucune confrontation n'a été organisée après l'arrestation des accusés, le 29 août 1981, parce qu'une foule déchaînée voulait s'en prendre à eux au commissariat de police en apprenant que l'on avait trouvé sur eux les bijoux de la victime. Les auteurs ont été transférés au commissariat de police de Spanish Town et M. Phillips a été admis a l'hôpital. Il n'y a pas eu non plus de séance d'identification à Spanish Town, les policiers a qui l'enquête avait été confiée estimant qu'en raison des événements survenus au commissariat de police de Waterford, il serait inutile, voire suspect, de procéder à une confrontation.

2.4 Le docteur Lawrence Richards a effectué une autopsie le ler septembre 1981 vers 13 heures. D'après sa déposition au procès, qui n'a pas été contestée, le décès était survenu environ 47 heures auparavant, vers 14 heures, le 30 août 1981, des suites de blessures par balle dont la victime aurait été atteinte 10 à 20 minutes tout au plus avant de décéder. Ainsi, la mort se serait produite peu de temps avant la découverte du corps, alors que l'auteur était déjà en garde à vue depuis près de 20 heures.

2.5 Le 3 septembre 1981, M. Cole a été emmené au commissariat de police de Spanish Town, où l'auteur se trouvait alors en garde a vue. L'auteur, que l'on a fait sortir d'une cellule, a été identifié par M. Cole comme étant l'homme qui tenait l'arme et menaçait le chauffeur de la Cortina jaune. On n'a pas invité l'auteur à identifier M. Phillips avant le procès, et l'intéressé a indiqué qu'il n'aurait pas été en mesure de l'identifier; il n'a d'ailleurs pas pu le faire au cours du procés.

2.6 Pendant le procès, l'auteur a fait une déposition, sans avoir prêté serment, depuis le box des accusés. Il a affirmé avoir emprunté la voiture de la victime à un ami, afin d'emmener son amie à Spanish Town. Il a nié avoir été pris en auto-stop à bord de cette voiture le 28 août 1981 et a affirmé ne pas savoir qu'elle avait été volée. Il a ajouté qu'il travaillait au garage, où il était employé en tant que réparateur de batteries jusque vers minuit le soir du crime. Enfin, il a nié avoir été en possession de l'un quelconque des bijoux de la victime.

2.7 L'auteur a été jugé. en même temps que Winston Phillips. A l'issue du procès, le jury n'a pu rendre un verdict unanime en ce qui concerne M. Phillips, qui a donc été libéré sous caution en attendant d'être a nouveau jugé. L'auteur a été reconnu coupable et condamné à mort. Il a fait appel devant la cour d'appel de la Jamaïque, qui l'a débouté le 11 juillet 1986. Le 24 septembre 1986, la cour d'appel a rendu sa décision par écrit. Le 8 octobre 1987, la Section judiciaire du Conseil privé a rejeté la demande d'autorisation spéciale de recours présentée par l'auteur.

2.8 Le 13 février 1984, l'auteur a saisi la Commission interaméricaine des droits de l'homme, se déclarant victime d'une erreur judiciaire. La Commission a enregistré l'affaire sous le No 9260 et elle l'a examinée le 24 mars 1988. L'Etat partie a fait valoir que l'auteur n'avait pas épuisé les recours internes, puisqu'il n'avait pas formé de recours constitutionnel en Jamaïque. La Commission a demandé de plus amples renseignements pour s'assurer que ce recours était efficace au sens de l'article 46 de la Convention américaine
des droits de l'homme; 1'Etat partie n'a pas répondu à cette demande. Le 14 septembre 1988, elle a adopté la résolution No 29/88, déclarant que "la condamnation et la peine n'étant pas justifiées par le dossier de l'affaire, et que la procédure de recours ne permettant pas d'y remédier, le Gouvernement jamaïquain avait violé les droits fondamentaux de l'auteur" aux termes de l'article 25 de la Convention américaine des droits de l'homme. L'Etat partie a contesté cette résolution dans une lettre du 4 novembre 1988.

La plainte

3.1 Le conseil de l'auteur soutient que 1'Etat partie a violé plusieurs des droits conférés à l'auteur par le Pacte. Il affirme en premier lieu que l'auteur a été soumis par la police à des mauvais traitements (on lui aurait entre autres envoyé un jet de liquide corrosif, de l'Ajax, dans les yeux), qui lui ont occasionné des blessures.

3.2 Le conseil affirme en outre que l'auteur n'a pas eu un procès équitable au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Il apparaît en particulier, d'après les minutes du procès, que les conclusions incontestées du médecin légiste, présentées par l'accusation, ont été négligées par la défense et soit négligées, soit délibérément passées sous silence par le juge de l'affaire. Ainsi, fait-on observer, le jury n'a pas eu réellement la possibilité d'évaluer comme il se doit les conclusions du médecin légiste, ce qui lui aurait probablement permis de se prononcer en faveur de l'acquittement de l'auteur. En effet, selon le rapport du médecin légiste, le décès était survenu le 30 août 1981 vers 14 heures, alors que M. Wright était détenu par la police depuis le 29 août vers 18 heures. Le conseil soutient par conséquent qu'on ne peut considérer comme équitable un procès au cours duquel il n'est tenu aucun compte d'éléments de preuve d'une telle importance et que l'auteur a été victime d'un déni de justice grave et appréciable.

3.3 Le conseil fait aussi valoir que tout au long du procès, le juge a fait preuve d'hostilité et d'injustice à l'égard de l'auteur et de la défense. Le juge aurait fait des observations partiales et souvent teintées de malveillance et donné des instructions tout aussi peu objectives touchant l'identification et la détention d'objets volés depuis peu. Il a souligné à cet égard qu'aucune confrontation n'avait eu lieu et que, dans ses conclusions, le juge avait approuvé l'accusation, pour qui il n'était pas utile en l'espèce de procéder à une confrontation. Le juge aurait aussi fait des remarques extrêmement tendancieuses au sujet des antécédents de l'auteur et critiqué avec virulence la façon dont la défense menait le contre-interrogatoire des témoins à charge. Le conseil affirme que le comportement méprisant du juge à l'égard de la défense ainsi que son refus de suspendre l'audience pendant 10 minutes, ce qui a privé la défense de la possibilité de faire comparaître un témoin qui pouvait être important, donnent à penser qu'il y a eu violation du paragraphe 3 e)de l'article 14 du Pacte, dans la mesure où l'auteur n'a pu obtenir que les témoins à décharge soient interrogés dans les mêmes conditions que les témoins à charge.

3.4 Enfin, l'auteur se dit victime d'une violation du paragraphe 3 b)de l'article 14 puisque ni lui-même ni son représentant n'ont eu suffisamment de temps pour préparer la défense. Il affirme en particulier qu'il ressort des minutes du procès que l'avocat commis d'office pour défendre l'auteur n'a été informé que le jour même où a commencé le procès. Il a donc eu moins d'un jour pour étudier le dossier, ce qui, selon le conseil de l'auteur, est tout a fait insuffisant pour préparer la défense d'un accusé passible de la peine de mort. Les faiblesses de la défense seraient dues en partie au manque de temps dont a disposé l'avocat pour la préparer et en partie au manque d'expérience de l'un des deux avocats commis d'office pour assister l'auteur.

3.5 En ce qui concerne la question des recours internes, le conseil récuse l'argument de 1'Etat partie selon lequel la communication est irrecevable au motif que les recours internes n'auraient pas été épuisés et que l'intéressé aurait le droit d'introduire un recours devant la Cour suprême (constitutionnelle), conformément à la Constitution jamaïquaine. Le conseil ajoute que cet argument ne résiste pas à un examen minutieux de la Constitution. Il indique que le chapitre III de la Constitution jamaïquaine traite des droits des individus et le paragraphe 5 de l'article 20 du droit à un procès équitable. Il souligne notamment que l'article 25 prévoit des mesures d'application; le paragraphe 2 de l'article 25 stipule que la Cour suprême a compétence pour "connaître de toutes requêtes et statuer sur elles", tout en précisant que la Cour suprême n'exercera pas ses pouvoirs si elle est convaincue que l'intéressé a disposé, par toute autre voie de droit, de moyens appropriés d'obtenir réparation. L'affaire en question entrerait dans le cadre de la réserve énoncée au paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine : sans cette disposition, tout délinquant condamné a la Jamaïque qui prétendrait ne pas avoir eu un procès équitable aurait le droit d'introduire parallèlement ou successivement des recours devant la cour d'appel et le Conseil prive, en vertu à la fois du droit pénal et de la Constitution.

3.6 Enfin, le conseil de l'auteur fait observer que 1'Etat partie n'a pas indiqué qu'une assistance judiciaire pouvait être fournie à l'auteur en vue de l'introduction d'un recours constitutionnel. Quand bien même 1'Etat partie aurait en théorie raison lorsqu'il affirme qu'un tel recours existe, l'auteur ne peut, dans la pratique, y avoir accès car il ne dispose ni de moyens financiers suffisants ni de l'assistance judiciaire nécessaire. Le conseil conclut qu'une voie de recours qui ne peut, dans la pratique, être exploitée n'est pas une voie de recours disponible.

Informations fournies par 1'Etat partie et observations

4. L'Etat partie affirme que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. Il soutient que les droits conférés à M. Wright par l'article 14 du Pacte concordent avec les droits fondamentaux garantis par l'article 20 de la Constitution jamaïquaine. Or, celle-ci dispose que quiconque estime qu'il est ou risque d'être victime d'une violation de l'un de ces droits fondamentaux peut introduire un recours devant la Cour suprême (constitutionnelle) pour obtenir réparation. L'Etat partie conclut que, l'auteur n'ayant formé aucun recours devant la Cour suprême, sa communication est irrecevable.

Considérations et décision du Comité concernant la recevabilité

5.1 Avant d'examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, décider si la communication est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 A sa quarantième session, en octobre 1990, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Conformément au paragraphe 2 a)de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité s'est assuré que l'affaire dont l'auteur a saisi la Commission interaméricaine des droits de l'homme n'était plus en cours d'examen devant cette instance.

5.3 Le Comité a pris note du fait que 1'Etat partie soutient que la communication est irrecevable parce que l'auteur ne s'est pas prévalu de tous les recours constitutionnels qui lui sont ouverts en vertu de la Constitution jamaïquaine. A cet égard, le Comité observe qu'au paragraphe 1 de son article 20, la Constitution jamaïquaine garantit le droit a un procès équitable et, en son article 25, prévoit l'application des dispositions garantissant les droits de l'individu. Le paragraphe 2 de l'article 25 dispose que la Cour suprême (constitutionnelle) a compétence pour connaître de toute requête concernant le non-respect des garanties constitutionnelles, et statuer sur elle, mais limite sa juridiction aux cas où les plaignants n'ont pas déjà disposé de "moyens adéquats d'obtenir réparation des violations alléguées" (art. 25, par. 2, in fine). Le Comité note que, dans un certain nombre de décisions de caractère interlocutoire, 1'Etat partie a été prié de préciser si la Cour suprême (constitutionnelle) avait eu l'occasion de décider si des recours devant la cour d'appel et la Section judiciaire du Conseil privé constituent "des moyens adéquats d'obtenir réparation" au sens du paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine. L'Etat partie a répondu par la négative. Dans ces conditions, le Comité estime qu'un pourvoi devant la Cour constitutionnelle conformément à l'article 25 de la Constitution jamaïquaine n'est pas un moyen de recours dont l'auteur aurait pu se prévaloir au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif.

5.4 Le Comité a noté que l'auteur se plaignait, entre autres, que le j. uge avait fait preuve de partialité et avait donné des instructions insuffisantes au jury. Le Comité a réaffirmé que, généralement, il n'avait pas compétence pour déterminer si les instructions données par le juge au jury étaient suffisantes ou non, sauf s'il pouvait être établi que ces instructions étaient incontestablement tendancieuses ou équivalaient à un déni de justice ou qu'il pouvait être prouvé que le juge avait manifestement violé son devoir d'impartialité. Le Comité a estimé en l'espèce que les circonstances qui avaient abouti à la condamnation de l'auteur méritaient un examen plus approfondi eu égard aux allégations de l'auteur concernant une violation des dispositions des paragraphes 1 et 3 b) et e) de l'article 14 du Pacte.

5.5 Le Comité a enfin noté que l'auteur affirmait avoir été soumis à des mauvais traitements par la police et a constaté que 1'Etat partie n'avait pas répondu à la question de savoir si cette partie de la communication devait être jugée recevable.

5.6 Le 17 octobre 1990, le Comité a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions relevant de l'article 10 et des paragraphes 1 et 3 b)et e)de l'article 14 du Pacte.

Objections de 1'Etat partie à la décision de recevabilité

6.1 Par une communication datée du 12 février 1991, 1'Etat partie conteste les conclusions du Comité sur la recevabilité et soulève des objections au raisonnement exposé au paragraphe 5.3 ci-dessus. Il fait valoir en particulier que ce raisonnement reflète "une très mauvaise compréhension" de la législation jamaïquaine pertinente, tout particulièrement de l'application àes paragraphes 1 et 2 de l'article 25 de la Constitution. Le droit de demander réparation en vertu du paragraphe 1 de l'article 25 de la Constitution est exerce aux termes de cette disposition même "sans préjudice de toute autre voie de recours qui est légalement ouverte en la circonstance". La seule limitation est exprimée au paragraphe 2, qui, de l'avis de 1'Etat partie, n'est pas applicable dans cette affaire, étant donné que la prétendue violation du droit à un procès équitable n'était pas mentionnée dans l'appel en droit pénal adressé à la cour d'appel et à la Section judiciaire : ". . . Si la prétendue violation n'était pas l'objet des appels en droit pénal, ex hvoothesi, ces appels ne pouvaient pas constituer des recours utiles contre cette violation. La décision du Comité priverait de tout leur sens les droits constitutionnels difficilement acquis des Jamaïquains..., en omettant de distinguer entre le droit d'appel contre le verdict et la sentence du tribunal dans une affaire pénale, et le 'tout nouveau droit' de demander la réparation constitutionnelle accordée en 1962."

6.2 L'Etat partie estime que la décision de recevabilité attache une importance excessive au fait que les tribunaux jamaïquains n'ont pas encore eu l'occasion de se prononcer sur l'application de la clause limitative du paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution dans des circonstances où l'appelant a déjà épuisé ses recours en droit pénal. Il note que dans l'affaire Noel Riley et consorts c. La Reine (A. G. (1982)3 AER 469), M. Riley a pu, après que son appel en droit pénal eut été rejeté par la cour d'appel et le Conseil privé, demander réparation à la Cour suprême (constitutionnelle)et par la suite a la cour d'appel et au Conseil privé, bien que sans succès. De l'avis de 1'Etat partie, ce précédent illustre le fait que les appels en droit pénal ne rendent pas la disposition du paragraphe 2 de l'article 25 applicable dans des situations où, après des recours en droit pénal, un individu demande une réparation constitutionnelle.

6.3 En ce qui concerne l'absence d'assistance juridique pour présenter des motions constitutionnelles, 1'Etat partie fait valoir que rien dans le Protocole facultatif ni dans le droit international coutumier ne vient étayer l'argument qu'un particulier est dégagé de l'obligation d'épuiser les recours internes pour le simple motif de l'absence d'arrangements d'assistance juridique et que son indigence l'a empêché d'exercer un recours utile. A cet égard, 1'Etat partie fait observer que le Pacte impose seulement le devoir d'assurer une assistance juridique aux personnes accusées d'infractions pénales [art. 14, par. 3 d)]. Qui plus est, les conventions internationales relatives aux droits économiques, sociaux et culturels n'imposent pas aux Etats l'obligation absolue d'appliquer ces droits : l'article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit une réalisation progressive des droits économiques en fonction de la "capacité d'application" des Etats. Aussi 1'Etat partie soutient-il qu'il est incorrect de déduire de l'indigence de l'auteur et de l'absence d'assistance juridique pour exercer le droit de demander une réparation constitutionnelle que nécessairement ce recours n'existe pas ou n'est pas disponible.


6.4 Quant à l'allégation de mauvais traitements de la part de la police, 1'Etat partie fait observer que cette question n'a pas été portée à son attention dans la lettre initiale et que le Comité n'aurait pas dû déclarer la communication recevable au titre de l'article 10, sans avoir auparavant informé 1'Etat partie de cette plainte. Il ajoute qu'en tout état de cause, la communication est aussi irrecevable sur ce point, puisque l'auteur ne s'est pas prévalu des recours constitutionnels qui lui étaient ouverts aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 et du paragraphe 1 de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine
: toute personne qui prétend avoir été torturée ou avoir subi des traitements inhumains et dégradants ou d'autres peines peut exercer son droit de demander une réparation constitutionnelle auprès de la Cour suprême.

6.5 A la lumière des considérations ci-dessus, 1'Etat partie invite le Comité à revoir sa décision sur la recevabilité.

Considérations après la décision de recevabilité et examen quant au fond de la communication

7.1 Le Comité a pris note de la requête de 1'Etat partie, datée du 12 février 1991, de revoir sa décision sur la recevabilité, ainsi que des critiques suscitées par le raisonnement sur lequel il a fondé sa décision du 17 octobre 1990.

7.2 Le Comité a déjà examiné les mêmes questions concernant la recevabilité dans ses constatations sur les communications Nos 230/1987 (Raphael Henry c. Jamaïaue)et 28311988 (Aston Little c. Jamaïuue). Dans ces deux cas, le Comité a conclu qu'une motion constitutionnelle n'était pas un recours disponible et utile au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif et qu'en conséquence, il n'était pas empêché d'examiner lesdites communications quant au fond.

7.3 Le Comité a pris bonne note du fait que, suite à sa décision sur la recevabilité, la Cour suprême (constitutionnelle)de la Jamaïque avait eu la possibilité de statuer sur la question de savoir si un appel formé devant la cour d'appel de la Jamaïque et la Section judiciaire du Conseil privé constituait "une voie de recours adéquate" au sens du paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine. La Cour suprême (constitutionnelle)a depuis répondu a cette question par la négative en acceptant d'examiner la motion constitutionnelle de Earl Pratt et de Ivan Morgan (jugement rendu le 14 juin 1991). Le Comité constate que si la question est réglée au regard du droit constitutionnel jamaïquain, différentes considérations régissent l'application du paragraphe 2 b) de l'article 5
du Protocole facultatif, notamment la durée de la procédure judiciaire et la possibilité de bénéficier de l'aide judiciaire.

7.4 En l'absence d'aide judiciaire pour les motions constitutionnelles et compte tenu du fait que l'auteur a été arrêté en aout 1981, condamné en mars 1983 et que ses appels ont été rejetés en juillet 1986 par la cour d'appel de la Jamaïque et en octobre 1987 par la Section judiciaire du Conseil privé, le Comité estime qu'en l'espèce, l'intéressé n'est pas tenu de former un recours devant la Cour suprême (constitutionnelle)au titre du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif et qu'il n'y a aucune raison pour qu'il revoie sa décision sur la recevabilité du 17 octobre 1990.


7.5 S'agissant de l'allégation concernant les mauvais traitements subis par l'auteur aux mains de la police, le Comité note qu'il est fait état de cette plainte dans la résolution 29/88 approuvée par la Commission interaméricaine des droits de l'homme, dont le Comité a transmis copie a 1'Etat partie le 28 avril 1989. Par ailleurs, si l'allégation de violation de l'article 10 ne figure pas expressément sous la rubrique "violations alléguées du Pacte international relttif aux droits civils et politiques" (p. 8 de la première lettre de l'auteur), en revanche, il est fait référence aux mauvais traitements infligés à l'auteur par la police aux pages 51 et 52 de cette communication, laquelle a été transmise dans son intégralité au Gouvernement jamaïquain 18 mois avant que le Comité se prononce sur la recevabilité. Dans ces conditions, 1'Etat partie ne peut prétendre ne pas avoir
été informé de l'allégation de mauvais traitements, non plus que le Comité n'est empêché d'examiner la communication de l'auteur dans sa totalité, ni de procéder à sa propre appréciation de la question de savoir si les faits tels qu'ils sont présentés soulèvent des questions au titre de telle ou telle disposition du Pacte, même si ces dispositions n'ont pas été invoquées spécifiquement.

8.1 S'agissant des violations présumées du Pacte, quatre questions se posent au Comité : a) le juge s'est-il montré partial dans son appréciation des éléments de preuve ou dans les instructions qu'il a données au jury ? b) le fait d'avoir négligé l'importance de l'heure du décès constitue-t-il une violation du droit de l'auteur à un procès équitable ? c) l'auteur a-t-il disposé de suffisamment de temps pour préparer sa défense et a-t-il pu obtenir que les témoins à décharge soient interrogés dans les mêmes conditions que les témoins à charge ? et d)les mauvais traitements dont il aurait fait l'objet aux mains de la police constituent-ils une violation des droits qui lui sont reconnus à l'article 10 ?

8.2 A propos de la première question, le Comité réaffirme sa jurisprudence constante selon laqueile il appartient généralement aux juridictions d'appel des Etats parties au Pacte d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. En principe, il ne revient pas au Comité de procéder à cette appréciation ni d'examiner les instructions expresses données au jury par le juge, à moins qu'il puisse être établi que ces instructions étaient manifestement arbitraires ou constituaient un déni de justice, ou encore que
le juge avait manifestement manqué a son devoir d'impartialité. En l'espèce, le Comité a eté prié d'examiner des questions relevant de cette dernière catégorie.

8.3 A propos de la question de l'importance de l'heure du décès de la victime, le Comité note en premier lieu que l'autopsie a été pratiquée le ler septembre 1981 vers 13 heures et que le médecin légiste a conclu que le décès était survenu 47 heures plus tôt. La conclusion du médecin légiste, qui n'a pas été contestée, signifie que l'auteur était déjà en garde a vue lorsque la victime a été assassinée. Le tribunal disposait de cet élément d'information: étant donné la gravité de ce que cette information impliquait, le tribunal aurait dû en faire part au jury, même si le conseil n'en a pas fait mention. En outre, même si elle avait décidé de se fonder sur les faits tels qu'ils apparaissaient à la suite de l'autopsie, la Section judiciaire du Conseil privé n'aurait pas pu examiner la question puisque celle-ci a été soulevée pour la première fois à ce moment-là. Dans ces conditions et étant donne en particulier que l'auteur était passible de la peine capitale, le Comité estime que cette omission doit être considérée comme un déni de justice, constituant une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Cette violation a été commise, même si, en l'occurrence, la présentation de cette preuve au jury n'aurait modifié ni le verdict rendu ni la décision finale prise dans l'affaire.

8.4 Le droit d'un accusé de disposer de suffisamment de temps et de moyens pour préparer sa défense est un élément important de la garantie d'un procès équitable et un corollaire du principe de l'égalité des armes. Dans les cas où la peine capitale peut être prononcée à l'encontre de l'accusé, il va de soi qu'il faut lui accorder ainsi qu'à son conseil suffisamment de temps pour préparer sa défense: cette condition s'applique à toutes les étapes d'une procédure judiciaire. La définition de ce qu'il faut entendre par "suffisamment de temps" exige une évaluation des circonstances propres à chaque cas. Des pressions considérables ont été exercées pour que le procès s'ouvre comme prévu le 17 mars 1983, en particulier à cause du retour des Etats-Unis de l'épouse de la victime pour venir témoigner: de plus, il est incontesté que le conseil de M. Wright n'a reçu ses instructions que le matin même du jour où le procès devait s'ouvrir et, en conséquence, n'a pas même disposé d'une journée pour préparer la défense de son client et le
contre-interrogatoire des témoins. Toutefois, il est également incontesté que ni l'un ni l'autre des avocats de l'auteur n'a demande l'ajournement du procès. En conséquence, le Comité n'estime pas que l'insuffisance de la préparation de la défense puisse être imputable aux autorités judiciaires de 1'Etat partie; si la défense estimait ne pas être suffisamment bien préparée, il lui appartenait de demander un ajournement du procès. En conséquence, le Comité estime qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 3 b)de l'article 14.

8.5 Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 3 e) de l'article 14, il est incontesté que le juge a refusé de faire comparaître un témoin en faveur de M. Wright comme la défense le lui avait demandé. Mais on ne voit pas clairement si la déposition atendue de ce témoin aurait étayé la défense s'agissant de l'inculpation de meurtre, puisqu'elle concernait simplement la nature des blessures qui auraient été infligées à l'auteur par une foule massée devant le poste de police de Waterford. Dans ces conditions, le Comité estime qu'il n'y a pas eu violation de cette disposition.

8.6 Enfin, le Comité a examiné l'allégation de l'auteur selon laquelle il aurait été maltraité par la police. Alors que seule la recevabilité de cette plainte a été mise en question par 1'Etat partie, le Comité est d'avis que l'auteur n'a pas corroboré sa plainte, que ce soit par des preuves documentaires ou médicales. De fait, la question semble avoir été soulevée au tribunal de première instance, qui n'a pu se prononcer et l'a portée à l'attention de la cour d'appel. Dans ces conditions et en l'absence de complément d'information, le Comité n'est pas en mesure de conclure qu'il y a eu violation de l'article 10.

8.7 Le Comité est d'avis que prononcer la peine de mort au terme d'un procès où les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue, si aucun appel ultérieur n'est possible, une violation de l'article 6 du Pacte. Comme il l'a noté dans son observation générale 6 (16), la disposition selon laquelle la peine de mort ne peut être prononcée que conformément a la législation en vigueur et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte implique que "les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit a un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d'innocence, les garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure". Dans le cas présent, il faut conclure que la condamnation à mort définitive a été prononcée sans que les garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 14 aient été observées et que, de ce fait, le droit consacré à l'article 6 du Pacte a été violé.


9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits tels qu'ils ont été présentés font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte et, par conséquent, de l'article 6.

10. Dans le cas d'un procès pouvant entraîner la peine capitale, le devoir qu'ont les Etats parties de respecter rigoureusement toutes les garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 14 du Pacte ne souffre aucune exception. Le Comité est d'avis que M. Clifton Wright, victime de violations de l'article 14, et par conséquent de l'article 6, est habilité, conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, à former un recours utile, lequel, en l'occurrence, devrait déboucher sur sa libération, considérant les nombreuses années qui se sont écoulées depuis sa condamnation.

11. Le Comité souhaiterait recevoir, dans un délai de 90 jours, des informations sur toutes mesures pertinentes que 1'Etat partie aura prises en rapport avec ses constatations.



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