University of Minnesota



R. A. V. N. et autres [noms omis] c. Argentine, Communication No. 343/1988, U.N. Doc. CCPR/C/38/D/343/1988 (1990).



Comité des droits de l'homme
Trente-huitième session concernant les

Communications Nos 343, 344 et 345/1988

Présentées: R. A. V. N. et autres [noms omis]

Au nom : De parents des auteurs

Etat partie intéressé : Argentine

Date d'entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif Pour 1'Argentine : 8 novembre 1986

Date de la communication : 22 novembre 1988

Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 1990,

Adopte les décisions ci-après :


A. Décision de jonction des trois communications


Le Comité des droits de l'homme,

Considérant que les communications N OS 343, 344 et 34511988 ont trait à des événements étroitement liés qui se seraient produits en Argentine en 1976, ainsi qu'à la promulgation de certaines lois en juin 1987,

Considérant en outre que ces trois communications sont de nature a être considérées conjointement,

1. Décide, en vertu du paragraphe 2 de l'article 88 de son règlement intérieur, de considérer conjointement ces trois communications;

2. Décide en outre que le texte de la présente décision sera communiqué à 1'Etat partie et aux auteurs des communications.


B. Décision sur la recevabilité


1. Les auteurs des communications sont des citoyens argentins résidant en Argentine. Ils écrivent au nom de parents, eux aussi citoyens argentins, résidant anciennement dans la province de Cordoba, et qui sont morts ou ont disparu en 1976, avant le 8 novembre 1986, date de l'entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour l'Argentine.

2.1 Les auteurs prétendent que la promulgation de la loi No 23521, du 8 juin 1987 (dite "Loi sur le devoir d'obéissance" ou "Ley de Obediencia Debida")et son application aux poursuites judiciaires engagées au nom de leurs parents constituent des violations, par l'Argentine, des articles 2, 3, 4, 6, 9, 14 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.

2.2 Les auteurs affirment que la loi No 23521 est incompatible avec les obligations qui incombent a l'Argentine en vertu du Pacte. Cette loi établit comme présomption irréfutable que les personnes qui détenaient un grade militaire subalterne au moment où les délits visés ont été commis agissaient sur l'ordre de leurs supérieurs; elles ne peuvent donc pas être punies pour ces actes. Cette immunité de poursuites s'applique également aux officiers militaires supérieurs qui n'exerçaient pas les fonctions de commandant en chef, de chef de zone ou de chef des services de sécurité, des services de police ou des services pénitentiaires, et pour autant qu'ils n'aient pas eux-mêmes pris de décisions ni participé à l'élaboration d'ordres criminels.

2.3 Pour ce qui concerne l'application du Pacte aux faits de la cause, les auteurs reconnaissent que leurs parents ont été tués ou ont disparu en 1976, alors que le précédent gouvernement argentin était encore au pouvoir et avant l'entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour l'Argentine. Ils contestent toutefois la compatibilité de la loi sur le devoir d'obéissance avec l'article 2 du Pacte, qui engage notamment les Etats parties à adopter les mesures législatives requises pour donner effet aux droits reconnus dans le Pacte. Ils affirment que, en adoptant une loi assurant d'une impunité effective les représentants des forces militaires responsables de disparitions, de tortures et d'assassinats, le Gouvernement argentin a violé les obligations qu'il a contractées en vertu du Pacte.

2.4 A propos de l'épuisement des recours internes, les auteurs font ressortir que, s'agissant de la disparition ou du décès des victimes alléguées, les tribunaux argentins compétents ont été saisis de ces affaires. Toutefois, en vertu de la loi No 23521, les affaires pénales en instance ont été classées en juin 1987 et mai 1988 et les inculpés ont donc été remis en liberté. Les auteurs concluent que les recours internes ont été épuisés.

2.5 On déclare que la
même question n'a pas été examinée et est n'pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement 21.

2.6 Les auteurs demandent expressément au Comité de conclure que l'Argentine a violé ses obligations découlant du Pacte et d'exhorter le Gouvernement argentin à abroger la loi No 23521 de manière que les personnes responsables de la disparition et/ou du décès de leurs parents puissent être poursuivies pénalement et punies.

3. Par décision datée du 4 avril 1989, le Groupe de travail du Comité des droits de l'homme, sans transmettre les communications à 1'Etat partie intéressé, a prié les auteurs, conformément a l'article 91 du règlement intérieur : a) de dire dans quelle mesure les allégations portées dans leurs communications s'inspiraient de motifs autres que leur désir de voir poursuivies pénalement 'les personnes tenues responsables de la disparition ou de la mort de leurs parents: b) de préciser, compte tenu du fait que le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l'Argentine le 8 novembre 1986, les violations qui, d'après eux, seraient survenues après cette date; c) d'indiquer s'ils avaient introduit une action en réparation devant les tribunaux compétents et, dans l'affirmative, quel en avait été le résultat.

4.1 Dans leur réponse aux questions du Groupe de travail, les auteurs déclarent que, outre le fait de châtier les coupables, le Gouvernement argentin devrait rouvrir l'enquête sur la disparition de l'une des victimes alléguées, bien qu'à l'issue des investigations menées par la CONADEP (Comision National sobre Desaparicion de Personas -Commission nationale d'enquête sur la disparition de personnes) les personnes en question aient été déclarées présumées décédées, étant donné le laps de temps écoulé depuis leur disparition. De plus, les auteurs insistent sur la nécessité d'abroger les lois garantissant l'impunité, de crainte qu'elles ne soient considérées comme une incitation à la commission de délits analogues. A cet égard, ils invoquent les principes appliqués lors des procès de Nuremberg, en particulier l'inadmissibilité de l'obéissance aux ordres des supérieurs comme argument de défense.

4.2 S'agissant des violations du Pacte qui seraient survenues après le 8 novembre 1986, date de l'entrée en vigueur de cet instrument pour l'Argentine, les auteurs prétendent que la promulgation de la loi sur le devoir d'obéissance, en juin 1987, constitue une violation, par 1'Etat partie, de son obligation de s'assurer que les délits fassent l'objet d'une enquête minutieuse et que les
coupables soient punis.

4.3 Pour ce qui concerne une action en réparation, les auteurs indiquent qu'ils ont préféré demander qu'une enquête soit ouverte, en particulier pour faire la lumière sur le sort des disparus et identifier les coupables. Bien qu'aucun d'entre eux ne semble avoir jamais introduit d'action en réparation, ils évoquent le cas d'autres personnes qui nont pas réussi à obtenir réparation devant des tribunaux civils.

5.1 Avant d'examiner les plaintes contenues dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, selon l'article 87 de son règlement intérieur, décider si la communication est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Quant à l'effet dans le temps du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Protocole facultatif dans le cas de l'Argentine, le Comité rappelle que ces instruments sont entrés en vigueur pour ce pays le 8 novembre 1986. Il fait observer que le Pacte ne saurait agir rétroactivement, et que lui-même est ainsi empêché ratione temporis d'examiner les prétendues violations survenues avant l'entrée en vigueur du Pacte pour 1'Etat partie.

5.3 Il reste au Comité à déterminer s'il y a eu violation des dispositions du Pacte après l'entrée en vigueur de cet instrument. Les auteurs invoquent l'article 2 du Pacte et affirment que leur droit de recours a été violé. A ce propos, le Comité, se référant à sa jurisprudence, rappelle qu'il a décidé précédemment que l'article 2 du Pacte constitue pour les Etats un engagement de caractère général et ne saurait être invoqué isolément par des particuliers au titre du Protocole facultatif (M. G. B. et S. P. c. Trinité-et-Tobaao, par. 6.2 de la communication No 268/1987, déclarée irrecevable le 3 novembre 1989). Dans la mesure où les auteurs invoquent l'article 2 conjointement avec d'autres dispositions du Pacte, le Comité fait observer que le Pacte dispose, au paragraphe 3 a) de l'article 2, que les Etats parties s'engagent à "garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile..." (non souligné dans le texte). Ainsi, en vertu de l'article 2, il n'y a droit à recours qu'après que la violation d'un droit stipulé dans le Pacte a été établie. Or, les disparitions et les décès visés, qui auraient pu constituer des violations de plusieurs articles du Pacte et pour lesquels des recours auraient pu être invoqués, sont survenus avant l'entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour l'Argentine. En conséquence, le Comité ne peut examiner la question, cet élément de la communication étant irrecevable ratione temporis.

5.4 Le Comité juge nécessaire de rappeler à 1'Etat partie que, pour les violations survenant ou continuant après 1'entrée en vigueur du Pacte, il a l'obligation d'enquêter de manière approfondie sur les prétendues violations et d'ouvrir s'il y a lieu un recours aux victimes ou à leurs personnes à charge.

5.5 A propos de l'affirmation des auteurs selon laquelle la promulgation de la loi No 23521 les aurait privés de leur droit de faire poursuivre certains agents du Gouvernement, le Comité, se référant encore à sa jurisprudence, rappelle qu'il a décidé précédemment que le Pacte ne prévoit pas le droit pour un particulier d'exiger que 1'Etat poursuive une autre personne au pénal (H. C. M. A. C. Pays-Bas, No 213/1986, par. 11.6; communication déclarée irrecevable le 30 mars 1989). Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae comme étant incompatible avec les dispositions du Pacte.

5.6 Pour ce qui concerne la réparation, le Comité note que, dans leur réponse aux questions posées par le Groupe de travail, les auteurs ont expliqué que ce n'était pas là la réparation qu'ils recherchaient.

6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :

a) Que les communications sont irrecevables;

b) Que cette décision sera communiquée aux auteurs par l'intermédiaire de leur conseil, et, pour information, à 1'Etat partie.



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