University of Minnesota



Z. P. (nom supprimé) c. Canada, Communication No. 341/1988, U.N. Doc. CCPR/C/41/D/341/1988 (1991).



Comité des droits de l'homme
Quarante et unième session

DECISION PRISE PAR LE COMITE DES DROITS DE L'HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE
FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX
DROITS CIVILS ET POLITIQUES -QUARANTE ET UNIEME SESSION

concernant

La communication No 341/1988


Présentée par : Z. P. (nom supprimé)

Au nom de : L'auteur

Etat partie intéressé : Canada

Date de la communication : 12 avril 1988 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homrne, créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le ll avril 1991,

Adopte la décision ci-après :


Décision concernant la recevabilité

1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 12 avril 1988 et correspondance ultérieure)est 2. P., un citoyen yougoslave qui résidait et travaillait à l'époque à Montréal, au Canada, et qui réside aujourd'hui en Yougoslavie. Il affirme être victime d'une violation de ses droits fondamentaux par le Canada. Bien que l'auteur ne se réfère pas expressément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ses allégations ont trait aux articles 9 et 14 du Pacte.

Rappel des faits tels qu'ils ont été présentés par l'auteur

2.1 L'auteur, un technicien du génie civil, a vécu de septembre 1970 a décembre 1981 au Canada, où il était employé comme dessinateur industriel dans une société d'ingénierie de Montréal. En décembre 1981, il a eté expulsé à destination de la Yougoslavie.

2.2 L'auteur a été accusé d'avoir violé deux Canadiennes, F. B. et H. R.. en 1978 et en 1979, respectivement. Le 30 avril 1979, il a été condamné à trois ans de prison pour le vio1 de F. B., et le 26 mars 1980, à sept ans de prison pour le vio1 de H. R. Dans les deux cas, Z. P. a affirmé être innocent.

2.3 Dans l'affaire F. B., l'auteur a été formellement inculpé de vio1 par la Police de. la Communauté urbaine de Montréal le ll juillet 1978. Un avocat, Me J. C., a été commis d'office et 2. P. a demandé un procès avec jury. Le 20 décembre 1978, il a changé d'avis et demandé à être jugé sans jury. Son procès devant la Cour des sessions de la paix de Montréal a commencé le 29 mars 1979. Il a été reconnu coupable le 10 avril 1979 et condamné le 30 avril 1979. Le 8 mai 1979, 2. P. a demandé l'autorisation de faire appel de ce jugement auprk de la Cour d'appel de Québec; deux jours plus tard, la Cour d'appel a donné son autorisation. Le 21 mars 1980, les procès-verbaux d'audience et de preuves apportées en première instance ont été soumis à la Cour d'appel, qui a examiné l'affaire le 19 janvier 1981 et rejeté l'appel le 13 février 1981. Le 13 mars 1981, 2. P. a demandé l'autorisation d'introduire un recours auprès de la Cour suprême du Canada, mais cette autorisation lui a été refusée le 22 juin 1981.

2.4 Dans l'affaire H. R., l'auteur a été arrêté le 25 mars 1979 et inculpé de vio1 le lendemain, soit trois jours avant le début de son procès dans l'affaire F. B. Z. P. était représenté par le même avocat qui assurait sa défense dans l'affaire F. B., et a de nouveau commencé par demander un procès avec jury. Le 23 avril 1979, il a changé d'avis et demandé à être jugé sans jury. Un procès à huis clos a été ordonné à la demande du procureur. Le 26 avril 1979, l'avocat de l'auteur, Me J. C., a demandé a être dessaisi de l'affaire du vio1 de H. R., et plusieurs avocats se sont succédé au cours des étapes ultérieures du proces. 2.5 Le 15 novembre 1979, Z. P. a demandé l'autorisation d'assurer sa propre défense et a plaidé non coupable. Un avocat représentant l'ambassade de Yougoslavie au Canada est intervenu à titre de conseil de l'accusé. L'affaire a été entendue du 15 novembre 1979 au 28 février 1980. Z. P. a eté déclaré coupable le 29 février 1980 et condamné le 26 mars 1980. Le 16 mai 1980, l'auteur a déposé officiellement une demande d'autorisation d'interjeter appel du jugement demandé, une prorogation des délais d'appel et une révision judiciaire. Cette dernière requête a été examinée le 15 septembre 1980 mais a été rejetée le 26 septembre 1980. L'auteur a alors demandé l'autorisation d'introduire un recours auprès de la Cour suprême du Canada, qui lui a été refusée le 22 juin 1981.

Allégations de l'auteur

3.1 L'auteur affirme qu'aucun des deux procès intentes centre lui n'a eté équitable et maintient qu'il est en droit d'être à nouveau jugé par les tribunaux canadiens.

3.2 En ce qui concerne la première inculpation pour viol, l'auteur affirme :

a) Qu'il a été jugé coupable en l'absence de preuve concluante à son encontre;

b) Que le juge de Premiere instance a eu tort d'accepter comme preuve le témoignage relatif à un fait similaire concernant H. R., la victime de la seconde inculpation pour viol;


c) Que le juge de première instance a eu tort d'accepter comme preuve les déclarations contradictoires de la victime;

d) Que le juge de première instance a interprété à tort comme des menaces les paroles adressées par l'auteur à F. B.:

e) Que les juges de la Cour d'appel n'auraient pas non plus relevé que les paroles qualifiées de menaces qu'il avait adressées à F. B. ne pouvaient être utilisées comme preuve centre lui, puisque F. B. n'était plus en mesure de préciser à la Cour quelle était la teneur de ces prétendues menaces;

f) Que le juge de première instance et les juges de la Cour d'appel ont eu tOrt d'accepter comme preuve le témoignage d'une amie de F. B., qui n'a fait que rapporter à la Cour qu'elle avait été informée du vio1 de F. B.

g) Que le tribunal de Première instance et la Cour d'appel auraient dû lui fournir un interprète car il ne maîtrisait pas suffisamment l'anglais et le français;

h) Que le juge de première instance, à. la conclusion du procès, a agi en réalité en tant qu'" avocat défendeur" de F. B., jugeant l'auteur coupable sur la base de simples "suppositions".

3.3 En ce qui concerne la seconde inculpation pour viol, l'auteur affirme :

a) Que les preuves accumulées centre lui ont eté montées par la police, qui l'a arrêté une minute après que H. R. eut quitté son appartement. Il ajoute à cet égard que la police etait deja arrivée devant son immeuble lorsque H. R. a quitté son appartement;

b) Qu'il a été arrêté pour voie de fait. mais qu'il a été inculpé par la suite pour une autre infraction, à savoir pour viol;

c) Que le juge de Premiere instance a eu tort d'accepter conune preuve plusieurs déclarations contradictoires de H. R.:

d) Que le juge de Premiere instance a mal interpreté et, par conséquent, mal utilisé une déclaration de H. R. selon laquelle l'auteur aurait usé d'un pretexte pour l'attirer dans son appartement:

e) Que le juge de première instance a eu tort d'accepter comme preuve les déclarations contradictoires du policier qui a arreté l'auteur et du médecin qui a examiné H. R. après l'infraction, une fois que l'on eut comparé leurs témoignages avec celui de H. R.;

f) Que le tribunal de Première instance et la Cour d'appel auraient dû lui fournir un interprète, car il ne maîtrisait pas suffisamment l'anglais et le francais:

g) Que le Bureau d'aide juridique de Montreal lui a refusé a tort l'assistance d'un avocat pendant le procès concernant H. R. et pour préparer son recours;

h) Que le juge de première instance a eu tort d'accepter comme preuve le témoignage relatif à un fait similaire mettant en cause F. B., la prétendue victime de la première accusation de viol;

i) Qu'il n'a pas disposé ds tous les procèsverbaux d'audience, qui auraient dû être mis gratuitement à sa disposition:

j) Que le juge de première instance lui a refusé un procès public avec jury.

Observations de 1'Etat partie

4.1 L'Etat partie estime que la cwmnunication n'est pas recevable au titre des articles premier, 2 et 3 du Frotocole facultatif. Il affirme que Z. P. n'a pas suffisamment étayé ses allégations de faits tendant à établir qu'il y aurait eu violation des dispositions du Pacte et qu'il se contente d'alléguer que le droit canadien et le droit relatif aux droits de l'homme ont eté violés, ce qui ne répond pas aux critères de recevabilité énoncés à l'article 2 du Protocole facultatif. L'Etat partie indique en outre que l'auteur demande en réalité un réexamen des faits et des témoignages appréciés par les tribunaux canadiens et, se référant a la jurisprudence du Comité, ajoute que celui-ci n'a pas compétence pour réexaminer les conclusions factuelles auxquelles sont parvenues les juridictions nationales. C'est
la raison pour laquelle 1'Etat partie estime que la communication n'est pas recevable car elle est incompatible avec les dispositions du Pacte.

4.2 S'agissant du pro&de l'auteur dans l'affaire F. B., 1'Etat partie fait observer que les allégations de l'auteur portent presque toutes sur des points de fait et des éléments de preuve. Seule l'allégation selon laquelle les tribunaux ne lui auraient pas assuré les services d'un interprete pourrait constituer une violatiom de l'article 14, paragraphe 3 f), du Pacte. L'Etat partie affirme cependant que l'auteur n'a pas suffisamment étayé cette allégation. Il fait observer que l'auteur aurait pu demander l'assistance d'un interprete ou que son avocat aurait pu le faire en son nom. Il ressort cependant des procès-verbaux des deux procès qu'aucune demande d'interprète n'a été formulée. En outre. les procès-verbaux montrent que l'auteur était parfaitement capable de suivre le déroulement de ses procès et de s'exprimer en anglais et en frangais.

4.3 Quant au jugement de l'affaire H. R., 1'Etat partie invoque les mêmes arguments qu'au paragraphe 4.2 ci-dessus au sujet de l'allégation de l'auteur relative au défaut de services d'interprétation. Pour ce qui est de l'allégation concernant l'absence de toute assistance juridique au cours du second procès, 1'Etat partie fait observer que l'auteur a demandé d'assurer lui-même sa défense au cours de son procès en première instance: en outre, les procès-verbaux montrent que Z. P. a été conseillé par un avocat en vertu d'une ordonnance d'aide juridique et qu'en conséquence il a reçu une assistance en application de la loi sur l'aide juridique. L'Etat partie conclut donc que l'auteur se peut se plaindre d'avoir eu à se défendre seul.


4.4 En ce qui concerne une aide juridique pour interjeter appel dans le second procès, 1'Etat partie explique que l'aide juridique demandée par l'auteur lui a 6th refusée compte tenu des arguments invoqués devant le Comité d'aide juridique, des témoignages apportés pendant le procès et du verdict du tribunal de première instance. Dans la mesure où l'auteur n'a pas établi qu'il était fondé à former un recours, le Comité a conclu qu'il n'était pas en droit, selon la loi sur l'aide juridique, de bénéficier de cette aide aux fins pour lesquelles il l'avait demandée. L'Etat partie ajoute qu'aux termes de l'article 14, paragraphe 3 d), il n'est pas nécessaire que le requérant soit présent k l'audience pour déterminer s'il a droit &une aide juridique; dans le cas de l'auteur, une communication téléphonique a suffi.

4.5 Au sujet de l'allégation selon laquelle l'auteur n'aurait pas été en mesure de bien préparer sa Béfense parce qu'il n'aurait pas disposé des documents judiciaires pertinents, 1'Etat partie affirme que l'auteur ne se plaint que d'une omission de sa propre part. En fait, après avoir épuisé les recours internes, 2. P. a souhaité, par lettre datée du 31 aoft 1981 et rédigée dans un frangais correct, obtenir copie des procès-verbaux et transcription des bandes d'audience. L'Etat partie estime que si l'auteur considérait qu'il était essentiel pour sa défense de disposer desdits procès-verbaux, il aurait dû en faire la demande.

4.6 Pour ce qui a trait à l'allégation de l'auteur selon laquelle il était en droit de faire l'objet d'un procès public avec jury, 1'Etat partie fait observer que Z. P. a lui-même opté, le 23 avril 1979, pour un procès sans jury. En outre, 1'Etat partie indique qu'aux termes de l'article 14, paragraphe 1, le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt des bonnes moeurs -une requête frequemment formulée et accordée lorsqu'il s'agit d'affaires ayant trait à des sévices sexuels -et considere que l'auteur n'a apporté aucun argument en faveur d'un procès public.

4.7 Enfin, en ce qui concerne l'allégation selon laquelle il y aurait une contradiction entre l'accusation portée centre l'auteur au moment de son arrestation et le motif pour lequel il a été jugé, 1'Etat partie considere que les articles 9, paragraphe 2, et 14, paragraphe 3 a), du Pacte Ont ete respectés, puisque les informations qui ont permis de qualifier l'infraction sur le plan juridique sont celles qui figuraient dans le rapport de police établi après l'arrestation. La demande d'intenter une action en justice contre Z. P., datée du 25 mars 1979 (le jour de l'arrestation), et les informations écrites présentées au juge le 26 mars 1979 font toutes deux état d'un viol.

Questions qui se posent au Comité et procédures à suivre

5.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son rhglement intérieur, décider si la communication est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité note que bon nombre des allégations de l'auteur, qu'elles aient trait à l'affaire F. B. ou à l'affaire H. R., portent sur l'évaluation des faits et des témoignages par le juge du fond. En règle générale, il appartient aux tribunaux d'appel des Etats parties au Pacte, et non au Comité, de se prononcer sur les faits et les éléments de preuve portés devant les tribunaux nationaux et d'apprécier la facon dont ceux-ci ont interprété le droit interne. De même , il appartient aux tribunaux d'appel, et non au Comité,
de faire la critique des instructions particulières données au jury par le juge, à moins qu'il ressorte clairement de la communication de l'auteur que ces instructions étaient arbitraires ou revenaient à un déni de justice ou que le juge contrevenait manifestement à son devoir d'impartialité. Il ne ressort pas de l'allégation de l'auteur que les instructions du juge ou le déroulemeat du procès aient en l'occurrence été entachés de tels vices. A cet égard la plainte de l'auteur, telle qu'elle est présentée, ne relève donc pas de la compétence du Comité et, en ce sens, est exclue du champ de la protection prévue au paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Cette
partie de la communication est donc irrecevable comme incompatible avec les dispositions du Pacte, conformément à l'article 3 du Protocole facultatif.

5.3 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle l'auteur se serait vu refuser les services d'un interprete, le Comité estime que Z. P. n'a pas suffisamment étayé son allégation aux fins de la recevabilité. Les documents dont dispose le Comité montrent que l'auteur était capable de s'exprimer correctement en anglais et en frangais et qu'il n'a pas demandé à être assisté d'un interprete au cours du procès. Le Comité réaffirme dans ces conditions que la nécessité de garantir un procès équitable n'oblige pas les Etats parties à assurer d'office ou sur demande les services d'un interprete a une personne dont la langue maternelle diffère de la langue officielle employée à l'audience si l'intéressé est capable de s'exprimer correctement dans ladite langue officielle.

5.4 S'agissant de l'allégation selon laquelle l'auteur se serait vu refuser une assistance juridique pour interjeter appel dans l'affaire concernant H. R., le dossier judiciaire montre que le Comité d'aide juridique de Montreal a bien examiné la demande de l'auteur, mais a conclu que l'intérêt de la justice n'exigeait pas l'attribution d'une aide juridique. Par conséquent, rien ne tend à montrer que l'article 14, paragraphe 3 d), du Pacte ait eté violé et l'auteur ne peut donc présenter de plainte en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

5.5 Quant à la prétendue violation de l'article 14, paragraphe 3 b), le Comité note que l'auteur s'est plaint pour la Premiere fois de l'absence des procès-verbaux d'audience plus de deux mois après avoir été débouté de sa demande d'autorisation de former un recours auprès de la Cour suprême. Dans ces conditions, il ne peut alléguer une violation ex post facto de son droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Le Comité conclut que llallégation de l'auteur n'est pas suffisamment étayée pour être jugée recevable et que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l'article 2 du Protocole facultatif.

5.6 S'agissant enfin des prétendues violations de l'article 14, paragraphe 1 (droit à ce que toute cause soit entendue publiquement), et de l'article 9, paragraphe 2, l'auteur n'a pas suffisamment étayé ses allégations tendant à fonder la connnunication aux fins de la recevabilité et cette partie de la comnunication est également irrecevable au regard de l'article 2
du Protocole facultatif.

6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à 1'Etat partie et à l'auteur de la communication.



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