University of Minnesota



Hervé Barzhig c. France, Communication No. 327/1988, U.N. Doc. CCPR/C/41/D/327/1988 (1991).



Comité des droits de l'homme
Quarante et unième session

CONSTATATIONS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L'ARTICLE 5
DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX
DROITS CIVILS ET POLITIQUES - QUARANTE ET UNIEME SESSION
concernant la
Communication No. 327/1988

Présentée par : Hervé Barzhig

Au nom de : L'auteur

Etat partie intéressé : France

Date de la communication : 9 septembre 1988 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité : 28 juillet 1989

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 11 avril 1991,

Ayant achevé l'examen de la communication No 327/1988 présentée au Comité par Hervé Barzhig en vertu du Protocole facultatif se
rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par les auteurs de la communication et par 1'Etat partie
intéressé,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole


1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 9 septembre 1988 et correspondance ultérieure) est Hervé Barzhig, citoyen français, né en 1961 et résidant à Rennes, en Bretagne (France). Il affirme être victime d'une violation par la France des articles 2, 14, 19, 26 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

2.1 Le 7 janvier 1988, l'auteur a comparu devant le tribunal correctionnel de Rennes pour avoir dégradé 21 panneaux de signalisation routière le 7 août 1987. Il a demandé au tribunal l'autorisation de s'exprimer en breton, sa langue maternelle selon lui, et l'aide d'un interprète. Le tribunal a rejeté cette demande et reporté l'examen de l'affaire quant au fond.

2.2 L'auteur a fait appel de la décision de ne pas lui fournir un interprète. Par une décision du 20 janvier 1988, le Président de la chambre des appels correctionnels du tribunal correctionnel de Rennes l'a débouté. Le 3 mars 1988, l'affaire a été entendue sur le fond; l'auteur s'est exprimé en français. Il a été condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 5 000 francs français. Le ministère public a fait appel de cette décision.

2.3 Le 4 juillet 1988, la cour d'appel de Renne6 a confirmé le jugement du tribunal de première instance. En'appel, l'auteur s'est exprimé en français.

Teneur de la plainte

3.1 L'auteur affirme que le refus, de la part de 1'Etat partie, de respecter le droit des Bretons de parler leur langue maternelle constitue une violation de l'article 2 du Pacte ainsi qu'une discrimination au sens de l'article 26, car les citoyens de langue maternelle française ont le droit de parler leur propre langue alors que ce droit est refusé aux Bretons simplement parce qu'ils sont censés bien connaître le français. De l'avis de l'auteur, cela reflète une politique ancienne de 1'Etat partie consistant à supprimer ou à éliminer les langues régionales parlées en France.

3.2 A propos de la déclaration faite par la France au titre de l'article 27, l'auteur affirme que le refus, de la part de 1'Etat partie, de reconnaître l'existence de l'entité linguistique bretonne et d'appliquer cet article du Pacte viole la Déclaration universelle des droits de l'homme. Dans ce contexte, il invoque une résolution que le Parlement européen a adoptée le 30 octobre 1987 sur la nécessité de protéger les langues et les cultures régionales et minoritaires en Europe.

3.3 Bien que l'auteur n'invoque pas expressément l'article 14 du Pacte, ses observations montrent clairement qu'à son avis le refus des services d'un interprète viole l'alinéa f)du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte. Il affirme que par principe les tribunaux français refusent l'aide d'un interprète aux accusés de langue maternelle bretonne pour le motif qu'ils sont censés bien connaître le français.

3.4 A propos de l'exigence de l'épuisement des recours internes, l'auteur soutient qu'il n'a pas de recours utile après la décision prise par la cour d'appel de Rennes le 4 juillet 1988, étant donné que le système judiciaire français refuse d'admettre l'emploi de la langue bretonne.

Observations de 1'Etat partie

4.1 En ce qui concerne la recevabilité, 1'Etat partie affirme que la communication est irrecevable pour le motif du non-épuisement des recours internes, étant donné que l'auteur n'a pas fait appel devant la cour d'appel de Rennes de la décision prise par le Président de la chambre des appels correctionnels du tribunal correctionnel, le 20 janvier 1988, de ne pas l'autoriser a s'exprimer en breton.


4.2 A propos des allégations formulées par l'auteur au titre de l'article 14, 1'Etat partie fait valoir que la notion de procès équitable énoncée au paragraphe 1 de l'article 14 ne peut pas être comprise dans l'abstrait, mais doit être examinée à la lumière des circonstances de chaque affaire. Pour ce qui est de la procédure judiciaire dans l'affaire Barzhig, 1'Etat partie affirme que l'auteur et les témoins qu'il a cités à sa décharge étaient parfaitement capables de s'exprimer en français.

4.3 L'Etat partie estime qu'une procédure pénale est un contexte inapproprié pour exprimer des revendications liées à la promotion des langues régionales. Le seul but d'une procédure pénale est d'établir la culpabilité ou l'innocence de l'accusé. Dans cette perspective, il importe de faciliter un dialogue direct entre le juge et l'accusé; l'intervention d'un interprète créant un risque de déformation des déclarations de l'accusé, elle devrait être réservée à des cas de stricte nécessité, notamment si l'accusé ne comprend pas ou ne parle pas suffisamment la langue du tribunal.

4.4 Compte tenu de ces considérations, le Président de la chambre des appels correctionnels du tribunal correctionnel de Rennes avait, de manière justifiée, refusé d'appliquer l'article 407 du Code de procédure pénale français à la demande de l'auteur. Conformément à cette disposition, le président d'un tribunal peut, d'office, ordonner le recours à un interprète. Dans l'application de l'article 407, le juge a une grande latitude, et il se fonde sur une analyse détaillée de l'affaire et de toutes les pièces pertinentes. Cela a été confirmé par la chambre criminelle de la Cour de cassation à plusieurs occasions.

4.5 L'Etat partie confirme que l'auteur et les témoins cités à sa décharge étaient francophones, fait confirmé par l'auteur lui-même dans des observations au Comité des droits de l'homme datées du 21 janvier 1989. En conséquence, 1'Etat partie affirme qu'il ne saurait être question d'une violation de l'alinéa f)du paragraphe 3 de l'article 14.

4.6 De l'avis de 1'Etat partie, l'auteur interprète la notion de "liberté d'expression", au paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte, d'une manière excessivement large et abusive; 1'Etat partie ajoute que la liberté d'expression de M. Barzhig n'a été restreinte en aucune manière au cours de son procès, et qu'il a toujours eu la possibilité de présenter les arguments de sa défense en français.

4.7 A propos de la prétendue violation de l'article 26, 1'Etat partie rappelle que l'interdiction de la discrimination est énoncée a l'article 2 de la Constitution française. En particulier, l'article 407 du Code de procédure pénale, loin d'imposer une discrimination linguistique au sens de l'article 26, assure un traitement égal à tous les accusés et aux témoins, devant les juridictions pénales , puisque tous sont tenus de s'exprimer en français. En outre, 1'Etat partie affirme que le principe venire factum oroprium est applicable au comportement de l'auteur : ce denier ne voulait pas s'exprimer en français devant les tribunaux sous le prétexte qu'il ne maîtrisait pas suffisamment cette langue, mais ses lettres au Comité étaient rédigées dans un français "irréprochable".

4.8 A propos de l'allégation de violation de l'article 27 du Pacte, 1'Etat
partie rappelle qu'en adhérant à cet instrument, le Gouvernement français a présenté la réserve suivante : "Le Gouvernement français déclare, compte tenu de l'article 2 de la Constitution de la République française, que l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la République". De l'avis de 1'Etat partie, la notion de minorité ethnique, religieuse ou linguistique invoquée par l'auteur n'est pas pertinente en l'espèce, et n'est pas opposable au Gouvernement français, qui ne reconnaît pas l'existence de "minorités" dans la République, définie aux termes de l'article 2 de la Constitution comme "indivisible, laïque, démocratique et sociale . ..".

Questions et délibérations soumises au Comité

5.1 Le Comité a noté l'affirmation de 1'Etat partie selon laquelle la communication était irrecevable, parce que l'auteur n'avait pas fait appel de la décision prise par le juge du tribunal correctionnel de Rennes de ne pas l'autoriser à s'exprimer en breton. Il a constaté que l'auteur cherchait, en fait, a faire reconnaître le breton comme moyen d'expression devant les tribunaux, et rappelé qu'il n'était pas nécessaire d'épuiser les voies de recours internes s'il n'y avait objectivement aucune chance de les voir aboutir : tel est le cas lorsque, en vertu de la législation interne applicable, la plainte serait immanquablement rejetée, ou lorsque la jurisprudence des juridictions nationales supérieures excluait que le plaignant ait gain de cause. Tenant compte de la législation française pertinente ainsi que de l'article 2 de la Constitution française, le Comité a conclu qu'aucun recours utile ne restait ouvert à l'auteur : de lege lata, l'auteur ne pouvait réaliser son objectif en usant des voies de recours internes.

5.2 Pour ce qui est de la violation de l'article 27 du Pacte dont l'auteur affirme être victime, le Comité a pris note de la "déclaration" de la France, mais ne s'est pas penché sur la question de son champ d'application car les allégations contenues dans les communications ne relevaient pas des dispositions de cet article 21. Le Comité n'a pas estimé en outre que la communication soulevait des questions au titre de l'article 19 du Pacte.

5.3 En conséquence, le 28 juillet 1989, le Comité des droits de l'homme a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle paraissait soulever des questions en rapport avec les articles 14 et 26 du Pacte.

5.4 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication à la lumière de tous les renseignements qui lui avaient été soumis par les parties. Il fonde ses constatations sur les considérationsqui suivent.

5.5 Le Comité a noté l'affirmation de l'auteur selon laquelle le refus d'un interprète à lui-même et à un témoin disposé à témoigner a sa décharge constituerait une violation de l'article 14 du Pacte. Le Comité fait observer,
comme il l'a fait à d'autres occasions , que l'article 14 a trait à l'égalité dans les procédures; il énonce notamment le principe d'une protection égale dans les procédures pénales. En prévoyant l'emploi d'une seule langue officielle devant les tribunaux, les Etats parties au Pacte n'en violent pas l'article 14. La garantie d'un procès équitable n'impose pas non plus aux Etats parties d'assurer à un individu dont la langue maternelle diffère de la langue officielle des tribunaux les services d'un interprète, si l'intéressé est capable de comprendre cette langue et de s'exprimer de manière correcte dans cette langue. C'est seulement si l'accusé ou les témoins de la défense ont des difficultés à comprendre la langue du tribunal, ou a s'exprimer dans cette langue, que l'assistance d'un interprète doit être assurée.

5.6 Sur la base des renseignements dont il dispose, le Comité considère que les tribunaux français se sont acquittés de leurs obligations en vertu de l'article 14. L'auteur n'a pas démontré que lui-même et le témoin cité à sa décharge étaient incapables de comprendre le français et de s'adresser au tribunal dans cette langue. Dans ce contexte, le Comité note que la notion de procès équitable, telle qu'elle est énoncée au paragraphe 1 de l'article 14, en relation avec l'alinéa f) du paragraphe 3 de cet article, ne suppose pas qu'il faille donner à l'accusé la possibilité de s'exprimer dans la langue qu'il parle normalement ou le plus facilement. Si le tribunal est certain, comme cela ressort de la décision du tribunal correctionnel de Rennes, que l'accusé maîtrise la langue de l'audience, il n'est pas tenu de vérifier s'il serait préférable pour l'accusé de s'exprimer dans une autre langue.

5.7 La loi française ne confère pas expressément à toute personne le droit de parler sa propre langue devant un tribunal. Ceux qui sont incapables de comprendre le français ou de s'exprimer dans cette langue sont assistés par un interprète, conformément à l'article 407 du Code de procédure pénale. Cette assistance aurait été fournie à l'auteur si les faits l'avaient justifié; comme tel n'était pas le cas, l'auteur n'a pas subi de discrimination selon l'article 26 à cause de sa langue.

6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits qui lui ont été exposés ne révèlent aucune violation d'une disposition quelconque du Pacte.



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