University of Minnesota



Aston Little c. Jamaïqu
e, Communication No. 283/1988, U.N. Doc. CCPR/C/43/D/283/1988 (1991).



Comité des droits de l'homme
Quarante-troisième session

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques -quarante-troisième session

concernant la

Communication No 283/1988




Présentée par : Aston Little (représenté par un avocat)

Au nom de : L'auteur

Etat partie : Jamaïque

Date de la communication : 19 janvier 1988 (date de la première lettre)

Date de la décision sur la recevabilité : 24 juillet 1989

Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le ler novembre 1901,

Avant examiné la communication No 263/1988, présentée au Comité par Aston Little, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie,

Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.

Les faits présentés par l'auteur

1. L'auteur de la communication est Aston Little, citoyen jamaïquain né le 6 février 1952 à Maroon Town (Jamaïque)et actuellement détenu a la prison du district de Sainte-Catherine (Jamaïque), où il attend d'être exécuté. Il affirme être victime d'une violation, par 1'Etat jamaïquain, des articles 6, 7, 10 et 14, par. 1, 2, 3 b), d), e)et 5, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un avocat.

2.1 Soupçonné d'avoir assassiné, le 9 janvier 1982, un certain Oswald Dawes, l'auteur a été arrêté le 12 janvier 1982. Après son arrestation, le policier qui l'avait arrêté l'aurait frappé de son pistolet. D'après le parquet, l'auteur aurait fait à l'agent de la sûreté qui l'avait arrêté, un certain caporal C., une déclaration d'après laquelle il n'était pas le seul impliqué dans cette affaire, et qu'une certaine O. B. et sa fille, L. D., étaient elles aussi au courant du crime. L'auteur a nié avoir jamais fait une telle déclaration. Par la suite, le policier chargé de l'enquête lui a conseillé de plaider coupable et lorsque l'auteur a clamé son innocence, il l'a menacé d'utiliser O. B., qui avait été inculpée en même temps que l'auteur, comme principal témoin à charge.

2.2 L'auteur est resté en détention jusqu'au 16 février 1982, date à laquelle il a été libéré sous caution; le 31 mars 1983, il a été de nouveau placé en détention provisoire. Le 24 avril 1984, il a été accusé du meurtre de M. Dawes; il est passé en jugement devant la Circuit Court of Spanish Town entre le 23 et le 25 juillet 1984. A l'issue du procès, le jury n'a tout d'abord pas rendu de verdict, mais, après avoir été invité par le juge à revoir les éléments de preuve, il s'est à nouveau retiré, et a finalement déclaré l'auteur coupable. Au cours du procès, O. B., la femme qui, dans un premier temps, avait été inculpée en même temps que l'auteur, a en fait témoigné contre lui et c'est notamment sur la base de son témoignage qu'il a été reconnu coupable.

2.3 Le 31 juillet 1984, l'auteur s'est pourvu en appel devant la Cour d'appel de la Jamaïque au motif que le juge avait induit le jury en erreur en ce qui concerne a) les preuves corroborantes et b) la validité des aveux qu'aurait faits l'auteur après son arrestation. Il a été débouté de son appel le 20 janvier 1986. Au début de l'année 1989, il a présenté une demande d'autorisation de recours à la section judiciaire du Conseil privé, mais cette demande a été rejetée le 5 mai 1989. Aussi l'auteur fait-il valoir que tous les moyens de recours internes sont épuisés.

La plainte

3.1 L'auteur affirme que le paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte a été violé au cours du procès, parce que les instructions du juge au jury concernant les "preuves corroborantes" étaient déplacées. L'auteur soutient que les instructions du juge étaient particulièrement importantes en l'espèce, étant donné que : a)le témoignage de O. B. était la seule preuve apportée contre l'auteur; b) son témoignage comportait des contradictions s'agissant de l'appartenance à l'auteur du couteau avec lequel M. Dawes avait été poignardé; et c) aucun motif n'avait pu être imputé à l'auteur. L'avocat ajoute que le juge a induit le jury en erreur en lui donnant à penser que la déclaration faite par l'auteur en présence du caporal C. (" je ne suis pas seul dans cette histoire. L. et 0. sont aussi au courant") équivalait à des aveux : or en droit, de telles paroles ne sauraient être assimilées à des aveux. De plus, le juge aurait dû mettre le jury en garde devant le fait qu'une simple "implication" dans un crime ne pouvait pas être nécessairement assimilée,
sans autres preuves, à une participation au délit suffisante pour établir la culpabilité. Conformément aux instructions du juge, le jury devait reconnaître M. Little coupable s'il était convaincu qu'il avait joué un rôle quelconque dans l'entreprise en question, mais ne pouvait pas savoir s'il en était l'auteur principal ou seulement un complice.

3.2 L'auteur affirme également qu'on ne lui a pas donné suffisamment de temps et de moyens pour préparer sa défense, en violation du paragraphe 3 b) de l'article 14, ni de facilités suffisantes pour interroger les témoins, en violation du paragraphe 3 e)de l'article 14. Il déclare que deux représentants, M. A. S. et sa collaboratrice Mme H.M., lui ont été assignés d'office; or, bien qu'ils aient été commis d'office dans cette affaire avant l'audience devant le juge d'instruction, l'auteur n'a pu s'entretenir que brièvement avec Mme H. M. avant l'audience préliminaire. De même, il n'a rencontré qu'une seule fois pendant une demiéheure environ M.A.S., à peu près un mois avant le procès. L'auteur affirme que ses représentants manquaient d'expérience et ne l'avaient pas suffisamment consulté pour préparer sa défense. Ainsi,

a) Ils n'ont pas passé en revue avec l'auteur les déclarations des témoins à charge;

b) Ils n'ont pas donné suite aux observations qu'il avait faites sur les arguments de l'accusation;

c) Pendant le procès, il n'a disposé que de 10 minutes à la fin de chaque audience pour consulter son avocat;

d) L'auteur a relevé des contradictions dans le témoignage de O. B. et les a notifiées à son avocat qui n'en a fait aucun cas;

e)L'avocat se proposait dans un premier temps d'inviter l'auteur à témoigner, puis a changé d'avis;

f) Un témoin au moins identifié par l'auteur comme pouvant fournir des éléments de preuves pertinents et dignes de foi en sa faveur n'a pas été cité à comparaître par A. S., qui a fait savoir que cette démarche ne s'imposait pas, sans fournir cependant d'explications;

e) L'auteur a fait observer que la distance entre le bar où il était en train de consommer et le lieu du crime était telle qu'il était absolument impossible qu'il pût tuer M. Dawes et arriver à temps pour prendre son travail d'équipe à 7 heures du matin. On aurait pu établir la présence de l'auteur dans le bar et à bord de l'autobus qu'il avait pris pour se rendre à son travail, mais l'avocat ne s'en était pas préoccupé, bien que l'auteur l'en eût prié.

3.3 L'auteur reconnaît que la Cour d'appel lui a assigné d'office un avocat, Me W. C., pour préparer son appel. Il affirme toutefois que ce dernier ne l'a consulté ni avant, ni pendant, ni après la procédure d'appel; il a adressé plusieurs lettres à W. C. avant et après l'audience, demandant un rendez-vous, mais ses lettres sont demeurées sans réponse. L'auteur affirme qu'il s'agit là d'une violation des paragraphes 3 b), d)et 5 de l'article 14 du Pacte.

3.4 L'avocat soutient que les retards survenus dans la procédure judiciaire reviennent à violer les articles 7, 10 et 14 (par. 3 c)et 5)du Pacte. Ainsi, deux ans et six mois se sont écoulés entre l'arrestation et le procès suivi de la condamnation, une année et sept mois entre la condamnation et le rejet de l'appel, et enfin trois ans et quatre mois entre l'appel et le rejet de la demande d'autorisation spéciale de M. Little de former recours auprès de la Section judiciaire du Conseil privé.

3.5 A ce propos, l'auteur prétend que la Cour d'appel de la Jamaïque n'a jamais rendu de jugement dûment motivé dans son cas. Ce n'est que le 31 janvier 1989 que l'avocat représentant l'auteur devant la Section judiciaire a reçu une note du greffier de la Cour d'appel de la Jamaïque, signée de l'un des juges qui s'étaient prononcés en appel. Il était simplement déclaré dans cette note que la Cour d'appel jugeait sans fondement les affirmations de l'avocat, que rien ne justifiait la demande d'autorisation de faire appel et que cette requête avait donc été rejetée verbalement. L'avocat affirme que cette note ne donne pas d'explications suffisantes sur les raisons ayant motivé le rejet de l'appel, car elle ne porte pas sur la question vitale des preuves corroborantes , c'est-à-dire sur la question de savoir si la déclaration prêtée par la police à M. Little après son arrestation pouvait corroborer la déposition du seul témoin à charge, O. B.

3.6 L'auteur prétend par ailleurs que les conditions dans lesquelles il est détenu sont inhumaines et dégradantes, en violation des articles 7 et 10 du Pacte. Il confirme les constatations faites dans un rapport récent sur les conditions pénitentiaires à la Jamaïque , y compris sur le quartier des condamnés à mort à la prison du district de Sainte-Catherine dans lequel il est détenu, établi par une organisation non gouvernementale américaine. Plus précisément, il se plaint que la prison est extrêmement insalubre, l'endroit, jonché de déchets, dégage constamment des odeurs désagréables. Le seau de toilette de sa cellule, rempli d'excréments, d'ordures et d'eau stagnante, n'est vidé qu'une fois par jour. Les détenus doivent partager leurs couverts et assiettes de plastique qui ne sont pas même lavés correctement. Enfin, ils n'ont souvent qu'une demi-heure par jour de loisir. Toutes ces conditions porteraient atteinte à la dignité de l'auteur, en violation du paragraphe 1 de l'article 10. De plus, il s'agirait là d'un traitement cruel, inhumain et dégradant au sens de l'article 7, surtout si l'on prenait
en considération l'incertitude dans laquelle se trouvait l'auteur en tant que condamné à mort, incertitude aggravée par les retards de la procédure judiciaire, dont il est question au paragraphe 3.4 ci-dessus. Enfin, l'angoisse et l'anxiété mentales dues à une détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort constitueraient en soi une violation de l'article 7.

3.7 Pour ce qui est de l'épuisement des recours internes s'agissant de la plainte de l'auteur au titre de l'article 7 du Pacte, l'avocat renvoie a la décision prise par la Section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Noel Riley et consorts c. Attorney General, qui a jugé que, quelles que soient les raisons ou la longueur du retard apporté à l'exécution d'une peine de mort prononcée conformément à la loi, ce retard ne saurait être un motif pour considérer que l'exécution est contraire à l'article 17 de la Constitution jamaïquaine (identique à l'article 7 du Pacte). Pour l'avocat, qui se fonde sur les précédents, toute requête constitutionnelle arguant de ce motif ne manquerait pas d'être rejetée.

3.8 Par ailleurs, l'avocat estime qu'une requête constitutionnelle fondée sur les violations dont le droit à un procès équitable aurait fait l'objet (articles 20 et 25 de la Constitution jamaïquaine)ne constituerait pas un recours utile dont disposerait l'auteur au sens du Protocole facultatif. Si 1'Etat partie prétend que M. Little doit saisir une instance judiciaire inférieure de la Jamaïque des problèmes qu'il a déjà portés devant la Section judiciaire du Conseil privé, alors, comme l'a fait observer la Cour internationale de Justice dans un arrêt qu'elle a rendu dernièrement, 1'Etat partie devrait étayer sa position. De façon plus précise, l'avocat constate que ni la loi relative à la défense des détenus nécessiteux de 1961, ni la loi relative aux personnes nécessiteuses (actions en justice)de 1941, dans son appendice 6 et les règles connexes , ne prévoient l'octroi d'une aide judiciaire aux auteurs de motions constitutionnelles. La loi relative à la défense des détenus nécessiteux ne prévoit que la délivrance d'un certificat d'aide judiciaire pour "tout ou partie de l'instance", c'est-à-dire pour l'instruction, le procès et d'éventuels appels. Les motions constitutionnelles ne sont pas des appels, mais des demandes en réparation formées conformément à la Constitution. Comme la loi sur les personnes nécessiteuses (actions en justice) de 1941 est antérieure à la Constitution jamaïquaine, les "actions en justice" visées dans les règles ne s'appliquent pas aux requêtes adressées à la Cour suprême. En tout état de cause, l'auteur n'a pas réussi à se faire représenter gracieusement pour présenter une requête constitutionnelle à la Jamaïque.

Observations de 1'Etat Partie

4. Dans sa réponse du 21 juin 1989, 1'Etat partie soutient que la communication est irrecevable parce que l'auteur n'a pas usé des recours dont il dispose en vertu de la Constitution jamaïquaine. Il note que les dispositions du Pacte invoquées par l'auteur vont dans le sens des droits protégés par les articles 14, 17 et 20 de la Constitution jamaïquaine. Aux termes de l'article 25 de la Constitution, quiconque estimera qu'il est, qu'il a été ou qu'il risque d'être contrevenu, en ce qui le concerne, a l'un des ses droits fondamentaux, pourra, sans préjudice de toute autre voie de recours qui lui est légalement ouverte en la circonstance, introduire un recours devant la Cour suprême.

Les considérations et la décision du Comité concernant la recevabilité

5.1 A sa trente-sixième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il a pris note du fait que 1'Etat partie faisait valoir que la communication était irrecevable parce que l'auteur n'avait pas introduit de requête constitutionnelle. Etant donné les circonstances, il a constaté que la saisine de la Cour constitutionnelle en vertu de l'article 25 de la Constitution n'était pas une voie de recours ouverte à l'auteur au sens de l'article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.

5.2 Le 24 juillet 1989, le Comité a donc déclaré la communication recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions relevant de l'article 14 du Pacte.

Les objections de 1'Etat partie a la décision de recevabilité et à la demande de nouveaux éclaicissements du Comité

6.1 Par une communication du 10 janvier 1990, 1'Etat partie rejette les conclusions du Comité sur la recevabilité et conteste le raisonnement exposé au paragraphe 5.1 ci-dessus. Il soutient en particulier que l'argumentation du Comité reflète une mauvaise compréhension de la législation jamaïquaine pertinente, en particulier de I'applicUtion des paragraphes 1 et 2 de l'article 25 de la Constitution. A son avis, la clause de sauvegarde figurant au paragraphe 2 de l'article 25 ne peut s'appliquer en l'espèce, puisque le
recours constitutionnel prévu à l'article 25 n'a rien à voir avec les voies de recours disponibles en droit pénal. L'Etat partie renvoie à l'affaire Noel Riley c. Attorney General (voir par. 3.7), dans laquelle le requérant, après avoir épuisé les voies de recours au pénal, a introduit une requête constitutionnelle alléguant de violations de certains de ses droits garantis par la Constitution. La décision prise par la Cour suprême a alors fait l'objet d'un recours devant la Cour d'appel et la Section judiciaire du Conseil privé.

6.2 Dans une nouvelle communication, datée du 10 octobre 1990, 1'Etat partie fait valoir que la clause de sauvegarde prévue au paragraphe 2 de l'article 25 ne s'appliquerait qu'à une personne dont l'appel a été soumis à la Section judiciaire du Conseil privé , si le droit dont la violation est alléguée a fait l'objet d'une décision judiciaire de la part de la Section judiciaire. Dans le cas de M. Little, 1'Etat partie note que la Section judiciaire n'a pas statué sur la question d'une violation du droit à un procès équitable. De l'avis de
1'Etat partie, la décision de recevabilité prise par le Comité "priverait de tout leur sens les droits constitutionnels difficilement
acquis des Jamaïquains et des résidents à la Jamaïque faute de faire la distinction entre le droit d'appel du verdict et de la sentence prononcés par le tribunal dans une affaire pénale et le 'tout nouveau droit' d'introduire une demande en réparation, reconnu par la Constitution en 1962".

6.3 Quant à l'affirmation de l'auteur concernant la préparation insuffisante de sa défense, 1'Etat partie note que le paragraphe 3 b)de l'article 14 du Pacte va de pair avec le paragraphe 6 b)de l'article 20 de la Constitution jamaïquaine et ajoute que l'auteur aurait dû saisir la Cour suprême de la violation alléguée des droits qui lui sont reconnus par cette disposition.

6.4 S'agissant de l'allégation de l'auteur selon laquelle on lui a refusé un procès équitable parce que le juge aurait induit le jury en erreur en ce qui concerne les "preuves corroborantes", 1'Etat partie, renvoyant aux décisions déjà prises par le Comité, déclare que l'auteur cherche à soulever en l'espèce des questions d'appréciation des faits et des preuves qu'il n'appartient pas au Comité de connaître.

6.5 En juin 1991, l'avocat a informé le Comité que la Cour suprême (constitutionnelle)avait rendu son arrêt dans les affaires Earl Pratt et Ivan Morgan, au nom desquels une requête constitutionnelle avait été présentée dans le courant de l'année 1991. A la lumière de ce jugement et afin de mieux apprécier si le recours à la Cour suprême était un moyen que l'auteur devait épuiser aux fins du Protocole facultatif, le Comité a adopté une décision interlocutoire a sa quarante-deuxième session, le 24 juillet 1991. Par cette décision, 1'Etat partie était prié de fournir au Comité des informations détaillées sur les possibilités d'assistance judiciaire ou de représentation judiciaire gratuite pour les recours formés en vertu de la Constitution, ainsi que des exemples de cas dans lesquels une assistance judiciaire aurait été accordée ou bien dans lesquels le demandeur aurait pu s'assurer une représentation judiciaire gratuite. L'Etat partie n'a pas i communiqué ces informations dans le délai imparti par le Comité, c'est-à-dire avant le 26 septembre 1991. En revanche, par sa communication du 10 octobre, 1'Etat partie a répondu qu'il n'existait pas en droit jamaïquain de disposition prévoyant une assistance judiciaire pour les requêtes constitutionnelles et que, d'ailleurs, le Pacte ne faisait nullement obligation aux Etats d'assurer cette assistance.

Examen après la décision de recevabilité et quant au fond de la communication

7.1 Compte tenu de ce qui précède, le Comité décide d'entreprendre l'examen de la communication. Il a pris note des arguments concernant la recevabilité avancés par 1'Etat partie après l'adoption de la décision du Comité qui déclarait la communication recevable dans la mesure où elle soulevait des questions se rapportant à l'article 14 du Pacte, ainsi que des affirmations ultérieures de l'auteur concernant la violation des articles 7 et 10 du Pacte, qui n'avaient été établies qu'après l'adoption de la décision.

7.2 L'Etat partie soutient que la disposition du paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution jamaïquaine ne s'applique pas dans cette affaire, étant donné que la prétendue violation du droit à un procès équitable n'avait pas été soumise à la Section judiciaire du Conseil privé, laquelle n'avait donc pu statuer à son sujet. Sur la base des renseignements présentés au Comité par l'auteur, cette affirmation paraît incorrecte. Dans sa requête à la Section judiciaire, datée du 23 janvier 1989, l'auteur fait valoir qu'il a été victime d'une erreur judiciaire. Le Comité constate que la question de savoir si une requête particulière est ou non l'objet d'un appel en droit pénal ne doit pas nécessairement dépendre de l'expression sémantique donnée à cette requête, mais plutôt de ses motifs sous-jacents. Si l'on se place dans cette perspective plus large, M. Little s'est également plaint à la Section judiciaire du Conseil privé que son procès n'avait pas été équitable, en violation de l'article 20 de la Constitution jamaïquaine. En outre, les tribunaux de tous les Etats parties devraient vérifier ex officio que les procédures des instances inférieures respectent toutes les garanties d'un procès équitable, a fortiori dans les affaires où la peine capitale est prononcée.

7.3 Le Comité rappelle que, par sa communication du 10 octobre 1991, 1'Etat partie indiquait qu'une assistance judiciaire n'était pas fournie pour les requêtes constitutionnelles. Pour le Comité, cette indication confirme la conclusion à laquelle il est parvenu, dans sa décision concernant la recevabilité, à savoir qu'une requête constitutionnelle n'est pas un recours disponible qui doit être épuisé aux fins du Protocole facultatif. Le Comité fait observer qu'en l'occurrence
, ce n'est pas l'indigence de l'auteur qui le dispense de former un tel recours, mais le refus ou l'incapacité de 1'Etat partie de lui fournir une assistance judiciaire à cet effet.

7.4 L'Etat partie fait valoir qu'il n'est pas tenu par le Pacte de fournir une assistance judiciaire pour les requêtes constitutionnelles, car ces recours ne concernent pas l'établissement d'une accusation pour infraction pénale, ainsi qu'il est prévu à l'article 14, paragraphe 3 d), du Pacte. D'ailleurs, l'affaire dont le Comité
est saisi n'a pas été soulevée au titre de l'article 14, mais seulement a propos de la question de savoir si les recours internes avaient été épuisés.

7.5 Le Comité relève que l'auteur a été arrêté en 1982, jugé et condamné en 1984, puis débouté
en appel en 1986. Il estime que, pour les besoins de l'article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif, un nouveau recours a la Cour suprême (constitutionnelle) entraînerait, en l'occurrence, une prolongation déraisonnable des procédures de recours internes.

7.6 Pour les raisons qui précèdent, le Comité conclut qu'une requête constitutionnelle ne constitue pas un recours à la fois utile et efficace au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, il n'a pas de raison d'annuler sa décision concernant la recevabilité du 24 juillet 1989, en ce qui concerne l'article 14.

7.7 Quant aux mauvais traitements que l'auteur aurait subis en détention, le Comité note que l'intéressé n'a présenté d'éléments à l'appui de ses allégations qu'après l'adoption de la décision de recevabilité pour ce qui est de l'article 14 du Pacte. De plus, il constate que les problèmes liés aux conditions de détention dans le quartier des condamnés à mort et au traitement inhumain et dégradant que représenterait une détention prolongée dans ce quartier n'ont pas été soumis aux tribunaux ni à aucune autre instance jamaïquaine compétente. Etant donné que les recours internes à cet égard n'ont pas été épuisés, le Comité est empêché d'examiner ces allégations quant au fond.

8.1 A propos de la violation de l'article 14 du Pacte dont il est fait état, trois questions se posent au Comité : a) Les instructions données par le juge au jury violaient-elles le droit de l'auteur à un procès équitable ? b) L'auteur a-t-il disposé de suffisamment de temps et de moyens pour préparer sa défense ? c) Le fait que la Cour d'appel n'a pas rendu son arrêt par écrit après avoir débouté l'auteur a-t-il entraîné une violation du Pacte ?

8.2 S'agissant de l'insuffisance des instructions données par le juge au jury ou du fait qu'il l'aurait induit en erreur, le Comité rappelle qu'il appartient généralement aux juridictions d'appel des Etats parties au Pacte d'apprécier les faits et les preuves dans une affaire donnée. Il ne revient pas en principe au Comité de procéder à cette appréciation ni d'examiner les instructions expresses données au jury, à moins qu'il puisse être établi que ces instructions étaient manifestement arbitraires ou constituaient un déni de justice, ou encore que le juge avait manifestement manqué à son devoir d'impartialité. Sur la base de la documentation dont il était saisi, le Comité estime qu'il n'y a aucun élément de preuve donnant à penser que le procès de l'auteur aurait été entaché de tels vices.

8.3 Le droit d'un accusé de disposer de suffisamment de temps et de moyens pour préparer sa défense est un élément important de la garantie d'un procès équitable et un corollaire du principe de l'égalité des armes. Dans les cas où la peine capitale peut être prononcée à l'encontre de l'accusé, il va de soi qu'il faut lui accorder ainsi qu'a son conseil suffisamment de temps pour préparer sa défense ; cette condition s'applique à toutes les étapes d'une procédure judiciaire. La définition de ce qu'il faut entendre par
"suffisamment de temps" exige une évaluation des circonstances propres à chaque cas. Dans le cas présent, il est incontesté que l'auteur a disposé d'une demi-heure seulement pour consulter son avocat avant le procès et d'environ le même laps de temps pour le consulter au cours du procès; il n'est pas contesté non plus qu'il n'a pu consulter
son avocat avant et pendant la procédure d'appel et qu'il n'a pu donner d'instructions à son représentant à cet effet.

8.4 Sur la base de la documentation dont il était saisi et compte tenu particulièrement du fait qu'il s'agit d'une affaire où la peine capitale a été prononcée et que l'auteur n'a pas pu passer en revue avec son avocat les dépositions faites par les témoins à charge, le Comité estime que le temps de consultation était insuffisant pour assurer une préparation adéquate de la défense, tant au stade du procès qu'en appel , et qu'il n'a pas été satisfait aux exigences du paragraphe 3 b)de l'article 14. De ce fait, le paragraphe 3 e)de l'article 14 a lui aussi été violé, puisque l'auteur n'a pu obtenir qu'un témoin à décharge dépose dans les mêmes conditions que les témoins à charge. En revanche, la documentation dont le Comité dispose ne lui permet pas de constater une violation du paragraphe 3 d)de l'article 14, s'agissant de la conduite de l'appel : cette disposition ne permet pas à l'accusé de choisir l'avocat dont les services lui sont attribués gratuitement et, si l'avocat doit assurer la représentation effective de l'accusé dans l'intérêt de la justice, rien ne prouve que l'avocat de l'auteur ait agi avec négligence dans la conduite de l'appel lui-même.

8.5 Il reste au Comité à décider si le fait, pour la Cour d'appel de la Jamaïque, de n'avoir pas établi d'arrêt écrit constitue une violation de l'un des droits garantis à l'auteur par le Pacte. Le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte reconnaît à toute personne reconnue coupable d'une infraction le droit de faire examiner "par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi". Pour pouvoir exercer utilement ce droit, un condamné doit pouvoir disposer, dans un délai raisonnable, des jugements écrits, dûment motivés, de toutes les instances d'appel. Dans la mesure où, plus de cinq ans après le déboutement de M. Little en appel, la Cour d'appel jamaïquaine n'a toujours pas émis de jugement motivé, le plaignant a été privé de la possibilité de s'adresser utilement à la Section judiciaire du Conseil privé et il est victime d'une violation de l'article 14, paragraphe 5, du Pacte.

8.6 Le Comité est d'avis que prononcer la peine de mort au terme d'un procès où les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue, si aucun appel ultérieur n'est possible , une violation de l'article 6 du Pacte. Comme il l'a noté dans son observation générale 6 (16), la disposition selon laquelle la peine de mort ne peut être prononcée que conformément à la législation en vigueur et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte implique que "les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d'innocence, les garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure" Il. Dans le cas présent, il faut conclure que la condamnation à mort définitive a été prononcée sans que les garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 14 aient été observées et que, de ce fait, le droit consacré à l'article 6 du Pacte a été violé.

9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits tels qu'ils ont été présentés font apparaître une violation du paragraphe 3 b) et e) et du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte, en rapport avec le paragraphe 3 c), et conséquemrnent de l'article 6.

10. Dans le cas d'un procès pouvant entraîner la peine capitale, le devoir qu'ont les Etats parties de respecter rigoureusement toutes les garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 14 du Pacte ne souffre aucune exception. Le Comité est d'avis que M. Aston Little, victime de violations de l'article 14, et conséquemment de l'article 6, est habilité, conformément à l'article 2, paragraphe 3 a)du Pacte, à former un recours utile, lequel, en l'occurrence, devrait déboucher sur sa libération; 1'Etat partie est tenu de prendre des mesures pour faire en sorte que des violations analogues ne se produisent pas à l'avenir.

11. Le Comité souhaiterait recevoir, dans un délai de 90 jours, des informations sur toutes mesures pertinentes que 1'Etat partie aura prises en rapport avec ses constatations.



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