University of Minnesota



Juan Fernando Terán Jijón c. Equateur, Communication No. 277/1988, U.N. Doc. CCPR/C/44/D/277/1988 (1992).



Comité des droits de l'homme
Quarante-quatrième session

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif
aux droits civils et politiques - quarante-quatrième session

concernant la

Communication No 277/1988



Présentée par : Marieta Terán Jijón, a laquelle s'est ultérieurement joint son fils Juan Fernando Terán Jijón


Au nom de : Juan Fernando Terán Jijón

Etat partie : Equateur

Date de la communication :
21 janvier 1988

Date de la décision concernant la recevabilité
: 4 juillet 1990

Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 1992,

Ayant achevé l'examen de la communication No 277/1988, que lui a présentée Mme Marieta Terán Jijón, à laquelle s'est ultérieurement joint son fils, Juan Fernando Terán Jijón, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été
fournies par les auteurs de la communication et par 1'Etat partie,

Adopte, au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif, les constatations suivantes.

Les faits tels que présentés par l'auteur

1.1 L'auteur de la communication est Marieta Terán Jijón, citoyenne équatorienne née en 1929 et résidant a Quito (Equateur). Elle soumet la communication au nom de son fils Juan Fernando Teran Jijon, citoyen équatorien né en 1966, qui, au moment où la communication a été présentée (21 janvier 1988), était détenu a la prison Garcia Moreno à Quito.

1.2 Au bout de deux années de détention, Juan Fernando Terán Jijón a été remis en liberté et il a quitté l'Equateur en août 1988. Il réside actuellement à Mexico, où il fait des études à l'université. Apres sa remise en liberté, M. Terán Jijón a confirmé l'exactitude des faits exposés par sa mère et s'est joint à elle en tant que coauteur de la communication, exprimant le souhait que le Comité examine l'affaire.

1.3 Juan Fernando Terán Jijón a été arrêté le 7 mars 1986 à Quito par des membres de l'unité de police antisubversion connue sous le nom de "Escuadron Volante"; selon l'auteur, il se rendait chez un parent. Il aurait été gardé au secret pendant cinq jours, enchaîné et les yeux bandés, et il aurait été soumis à des tortures physiques et mentales: il aurait été contraint de signer plus de 10 feuilles de papier blanches. Il a ensuite été transféré à la prison Garcia Moreno. Selon le rapport d'un examen médical effectue a l'infirmerie de la prison le 13 mars 1986, il avait des hématomes et des lésions superficielles
sur tout le corps.

1.4 L'auteur a été accusé d'avoir participé le 7 mars 1986 à une attaque a main armée contre deux banques (Banco de Pichincha et Caja de Crédito Agricola de Sangolqui). Il nie toute participation à cette attaque.

1.5 Le 27 janvier 1987, le Tribunal Segundo Penal (deuxième tribunal pénal) de Pichincha l'a reconnu coupable des faits et l'a condamné a un an d'emprisonnement. Bien que la peine se soit éteinte le 7 mars 1987 et que le tribunal ait ordonné sa libération le 9 mars 1987, il n'a pas été libéré et a été poursuivi une deuxième fois pour les mêmes faits et pour la même infraction.

1.6 En ce qui concerne la règle de l'épuisement des recours internes, Mme Terán Jijón indique qu'elle a introduit un recours en amparo et fait appel auprès du Tribunal des garanties constitutionnelles et du Congrès national. Le 18 mars 1988, son
fils a été remis en liberté en attendant d'être jugé a nouveau pour d'autres chefs d'inculpation, dont la détention illégale d'armes à feu. Le 22 août 1989, la quatrième chambre de la Cour supérieure a conclu à un non-lieu: elle a estimé que les nouvelles poursuites engagées contre l'auteur en janvier 1987 constituaient une violation de l'article 160 du Code de procédure pénale, selon lequel nul ne peut être jugé ou reconnu coupable Plusieurs fois pour la même infraction.

La plainte

2. Il est affirmé que Juan Terán Jijón est victime d'une violation par l'Equateur de l'article 7 du Pacte parce
qu'on lui a fait subir des tortures et des mauvais traitements après son arrestation, en partie pour lui extorquer des aveux et pour l'obliger à signer des feuilles de papier blanches dont on ne lui a jamais dit à quoi elles serviraient ultérieurement; l'auteur ajoute qu'il s'est vu refuser l'accès à un avocat. La communication affirme en outre que Juan Terán Jijón a été victime d'une violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte, ayant été arrêté et détenu arbitrairement alors qu'il n'était pas impliqué dans l'attaque de la banque; à ce sujet, la communication indique que le rapport de police incriminant Juan Terán Jijón a été falsifié par le Ministère de l'intérieur (Ministerio de Gobierno y Policia). Elle prétend en outre qu'il y a eu violation du paragraphe 3 de l'article 9 du fait que Juan Terán Jijón n'a pas été présenté devant le juge dans les plus Courts délais. Le fait d'avoir été poursuivi à nouveau pour les mêmes faits et la même infraction équivaut, selon les auteurs, à une violation du principe non bis in idem.

Renseignements fournis par 1'Etat partie et observations

3.1 L'Etat partie affirme que, le 7 mars 1986, Juan Terán Jijón, en compagnie d'un groupe d'hommes armés appartenant au mouvement terroriste "Alfaro vive", a attaqué la banque de Pichincha et la Caja de Crédito Agricola de Sangolqui.

3.2 D'après le rapport de police, huit personnes ont participé au hold-up des deux banques et se sont enfuies à bord d'une camionnette conduite par Juan Terán Jijón. Une voiture de police a pris les cambrioleurs en chasse et trois d'entre eux ont été arrêtés à la suite d'un échange de coups de feu. Les cinq autres ont été appréhendés par la suite. Le rapport ne précise pas où et quand M. Terán Jijón a été appréhendé.

3.3 L'Etat partie conteste que M. Terán Jijón ait jamais été soumis à des mauvais traitements pendant sa détention. Il affirme que la procédure judiciaire suivie contre l'auteur a été à tout moment conduite dans le respect de la loi équatorienne.

3.4 En ce qui concerne les nouvelles poursuites dont M. Terán Jijón a fait l'objet, 1'Etat partie explique que
ce n'est pas pour le même délit, a savoir le hold-up, mais pour détention illégale d'armes à feu.

Délibérations du Comité

4.1 A sa trente-neuvième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication et a noté que 1'Etat partie avait traité du fond de l'affaire mais n'avait pas indiqué si une enquête sur les tortures dont il était fait état avait été ouverte ou était en cours ni affirmé que des recours internes effectifs restaient ouverts à l'auteur. Dans ces conditions, le Comité a conclu que les conditions énoncées à l'alinéa 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif étaient remplies.


4.2 Le Comité a noté de plus que les faits, tels qu'ils avaient été présentés dans la communication, semblaient soulever des questions au titre de dispositions du Pacte qui n'avaient pas été expressément invoquées par les auteurs. Il a réaffirmé que, si les auteurs de communications doivent invoquer les droits fondamentaux énoncés dans le Pacte, ils ne sont pas nécessairement tenus, aux fins du Protocole facultatif, de mentionner pour cela des articles précis du Pacte. Pour l'aider à préparer la réponse prévue au paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, le Comité a demandé à 1'Etat partie de considérer qu'il était affirmé a)que Juan Terán Jijón avait été soumis à des mauvais traitements pendant sa détention, ce qui relevait de l'article 10 du Pacte, b) qu'il s'était vu refuser l'accès à un avocat après son arrestation, ce qui relevait de l'alinéa 3 b) de l'article 14, c) qu'il avait été contraint de signer des feuilles de papier blanches destinées a être utilisées comme aveux, ce qui relevait de l'alinéa 3 g) de l'article 14, et d) qu'il avait fait l'objet en janvier 1987 de nouvelles poursuites pour le même délit que celui pour lequel il avait déjà été jugé et condamné, ce qui semblait révéler une violation du paragraphe 7 de l'article 14.

4.3 Le 4 juillet 1990, le Comité a donc déclaré la communication recevable, dans la mesure où elle semblait révéler des violations des articles 7, 9, 10 et 14 au Pacte.

4.4 L'Etat partie n'a pas répondu à la demande d'informations et d'observations du Comité, bien que celui-ci lui eût adressé un rappel
le 29 juillet 1991.

5.1 Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les deux parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. En ce qui concerne le fond des allégations de l'auteur, le Comité note avec préoccupation que 1'Etat partie s'est contenté de faire des déclarations de caractère général, niant catégoriquement que l'auteur ait été à un moment ou à un autre soumis à des
mauvais traitements et affirmant que la procédure suivie dans l'affaire a été conforme à la législation équatorienne. En vertu du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, 1'Etat partie est tenu d'enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte portées contre lui et contre ses autorités judiciaires et de fournir au Comité des renseignements suffisamment détaillés sur les mesures qu'il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. Il ne suffit pas, pour se conformer au paragraphe 2 de l'article 4, de réfuter en termes généraux les allégations, comme l'a fait 1'Etat partie en l'espèce. Dans ces conditions, il faut prendre dûment en considération les allégations de l'auteur, dans la mesure où elles ont été étayées.

5.2 M. Terán Jijón prétend avoir été soumis à des tortures et à des mauvais traitements pendant sa détention, notamment en
étant maintenu enchaîné et les Yeux bandés pendant cinq jours; 1'Etat partie rejette cette allégation. Le Comité note que M. Teraán a apporté ubne preuve à l'appui de son allégation : le rapport médical établi le 13 mars 1986, c'est-à-dire peu après l'arrestation, fait état d'hématomes et de nombreuses lésions superficielles (" escoriaciones") sur tout le corps. L'auteur déclare en outre qu'on l'a forcé à signer plus de 10 feuilles de papier blanches. De l'avis du Comité, ce document est suffisant pour permettre de conclure que l'auteur a été soumis à un traitement interdit par l'article 7 du Pacte, et qu'il n'a pas été traité dans le respect de la dignité inhérente à l'être humain, en violation du paragraphe 1 de l'article 10.

5.3 Concernant l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 9, le Comité n'a pas assez d'éléments pour déterminer que l'arrestation de M. Terán était arbitraire et n'était pas fondée sur des motifs prescrits par la loi. En revanche, le Comité note que M. Terán a été maintenu en détention entre le 9 mars
1987 et le 18 mars 1988 en vertu d'une seconde inculpation, par la suite annulée. Dans ces circonstances, le Comité constate que son maintien en détention pendant un an après l'ordonnance de mise en liberté du
9 mars 1987 constitue une détention illégale au sens du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte. De plus, M. Terán a affirmé, et 1'Etat partie n'a pas nié, qu'il avait été maintenu au secret pendant cinq jours sans être présenté devant un
juge et sans pouvoir s'entretenir avec un avocat. Le Comité estime que cet élément entraîne une violation du paragraphe 3 de l'article 9.

5.4 En ce qui concerne
l'affirmation de M. Terán selon laquelle 1'Etat partie a violé le paragraphe 7 de l'article 14 du Pacte, du fait que le plaignant a été l'objet de nouvelles poursuites pour les faits mêmes qui avaient servi de base au premier jugement et à la première condamnation, le Comité note que le paragraphe 7 de l'article 14 prescrit que nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné. Dans le cas présent, bien que la seconde inculpation concerne effectivement un élément spécifique de la même affaire, déjà examiné lors du premier procès, M. Terkán n'a été ni jugé ni condamné une seconde fois, la quatrième chambre de la Cour supérieure ayant annulé l'inculpation en vertu du principe non bis in idem De ce fait, le Comité ne constate pas de violation du paragraphe 7 de l'article 14 du Pacte.

6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation de l'article 7, des paragraphes 1 et 3 de l'article 9 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.

7. Le Comité est d'avis que Juan Fernando Terán Jijón a droit à une réparation, y compris à une indemnisation appropriée. L'Etat partie est tenu d'ouvrir une enquête sur l'usage qui a été fait des feuilles blanches -plus de 10 - que M. Terán Jijón a été contraint à signer, d'ordonner que ces documents lui soient rendus ou soient détruits et de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.

8. Le Comité souhaiterait recevoir, dans les 90 jours, des informations sur les mesures que 1'Etat partie aura prises pour donner suite aux présentes constatations.



Page Principale || Traités || Recherche || Liens