University of Minnesota



Antti Vuolanne c. Finland
e, Communication No. 265/1987, U.N. Doc. CCPR/C/35/D/265/1987 (1989).



Comité des droits de l'homme
Trente-cinquième session

Constatations du Comité des droits de l'homne présentées en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques -trente-cinquième session

concernant la

communication No 265/1987




Présentée par : Antti Vuolanne (représenté par un avocat)

Au nom de : L'auteur

Etat partie concerné : Finlande

Date de la communication :
31 octobre 1987

Date de la décision concernant la recevabilité
: 8 juillet 1988

Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 7 avril 1989,

Ayant achevé l'examen de la communication No 265/1987 que lui a adressée M. Antti Vuolanne en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Tenant compte de tous les éléments d'information que lui ont communiqués par écrit l'auteur de la communication et 1'Etat partie,

Adopte le texte suivant
:



Constatations formulées en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif



1. L'auteur de la conununication (lettre initiale datée du 31 octobre1937, puis nouvelle comnunication datée du 25 février 1989) est un citoyen finlandais, Antti Vuolanne, âgé de 21 ans, qui réside à Pori (Finlande). M. Vuolanne affirme que le Gouvernement finlandais a enfreint en ce qui le concerne les dispositions des articles 2, paragraphes 1 à 3, 7 et 9, paragraphe 4, du Pacte international relatif aux droits Civils et politiques M. Vuolanne est représenté par un avocat.

2.1 L'auteur déclare avoir commencé son service militaire le 9 juin 1987. Les obligations militaires lui ont causé une qrave dépression nerveuse. A son retour d'un hôpital militaire, en juillet 1987, il s'est rendu compte qu'il ne pouvait rester dans l'infanterie. Devant l'impossibilité de s'entretenir de ses problèmes avec le commandant de son unité, il a décidé, le 3 juillet, de quitter sa garnison sans permission, hanté par le souvenir de son frère qui, environ un an plus tôt, s'était suicidé dans des circonstances analogues. Sa permission de fin de semaine devait cormnencer le 4 juillet à midi pour se terminer le 5 juillet à minuit. Le 5 juillet, il est retourné à l'hôpital militaire et a denrandé à parler à un médecin, mais il lui a été conseillé de rejoindre sa compagnie, où il s'est présenté pour repartir immédiatement sans permission. Sur les conseils d'un aumônier militaire, il a réintégré son unité le 7 juillet et, après un entretien avec un médecin, il a de nouveau été hospitalisé. Il a décidé plus tard de demander une affectation au service non armé et a obtenu un transfert.

2.2 Le 14 juillet, à l'issue d'une action disciplinaire, l'auteur a été condamné à 10 jours d'emprisonnement "de rigueur" (réclusion au poste de garde sans service à accomplir). Il prétend qu'il n'a pas été entendu avant le prononcé de la sanction, rendue immédiatement exécutoire. 11 ne savait pas alors qu'il pouvait se prévaloir d'un recours. Au poste de garde, il a appris que la loi sur la procédure disciplinaire militaire permettait de déposer une "requête en révision" auprès d'un officier supérieur. L'auteur a déposé cette requête le jour même (il affirme avoir des éléments attestant que celle-ci n'a été enregistrée que le lendemain, 15 juillet) en faisant valoir que la
sanction était excessive (à savoir que l'auteur avait été puni pour être parti sans autorisation pendant plus de quatre jours alors qu'il fallait tenir compte de sa permission de fin de semaine de 36 heures, que sa brève apparition à la garnison avait été considérée comme une circonstance aggravante, que le motif pour lequel il était parti n'avait absolument pas été pris en considération).

2.3 L'auteur déclare qu'après le dépôt de sa requête écrite auprès de l'officier supérieur, la sanction a été maintenue par une décision
du 17 juillet 1987, sans qu'il ait été entendu. D'après lui, la loi finlandaise ne lui offre plus aucun recours interne, la loi sur la procédure disciplinaire militaire interdisant expressément, en son article 34, de faire appel d'une décision de l'officier supérieur.

2.4 L'auteur décrit en détail ce qu'est, selon la loi finlandaise, la procédure disciplinaire militaire,. qui est régie par le chapitre 45 du Code pénal de 1983. Le fait d'abandonner son unité sans permission peut entraîner, en tant qu'absence non autorisée, une sanction de nature disciolinaire ou une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à six mois. L'emprisonnement de rigueur entre dans la catégorie des sanctions disciplinaires les plus graves. Dans le cadre d'une procédure disciplinaire, sa durée ne peut dépasser 15 jours et 15 nuits. Seul le chef d'une compagnie ou un officier de rang supérieur est habilité à prononcer cette sanction et seul le commandant d'un régiment peut l'imposer pendant une période supérieure à 10 jours et 10 nuits.

2.5 Lorsque l'emprisonnement de rigueur est imposé dans le cadre d'une procédure disciplinaire, il n'existe pas de possibilité de recours autre que devant les instances militaires. L'interdiction de recours prévue à l'article 34 1) de la loi précitée vaut pour les tribunaux civils (la Cour suprême en dernière instance) et les tribunaux administratifs (la Cour suprême administrative en dernière instance). La légalité de la sanction ne peut donc être examinée par un tribunal ou un autre organe judiciaire. Le seul recours disponible est la requête en révision auprès d'un officier supérieur. Or, affirme l'auteur, la possibilité de déposer une requête auprès soit d'une autorité militaire supérieure soit du médiateur parlementaire ne constitue pas un recours efficace dans le cas considéré. C'est ainsi que le médiateur n'a pas le pouvoir d'ordonner la libération d'une personne déjà en prison, même Si une requête lui arrive suffisarmnent à temps et s'il estime que la détention est illégale.

2.6 En ce qui concerne son incarcération dans la prison militaire, l'auteur considère que, "à l'évidence, la réclusion militaire en Finlande imposée sous forme d'emprisonnement de rigueur à l'issue d'une procédure disciplinaire constitue une privation de liberté "par arrestation ou détention'au sens du paragraphe 4 de l'article 9 du Pacte". L'auteur estime avoir été doublement puni : il a été enfermé dans une cellule de 2 mètres sur 3, à peine éclairée, qui n'avait qu'une minuscule fenêtre et qui avait pour seuls meubles un lit de camp, une petite table et une chaise. I1 n'était autorisé à quitter sa cellule que pour prendre ses repas, aller aux toilettes et prendre l'air (une demi-heure par jour). Il lui était interdit de parler aux autres détenus ou de faire du bruit dans sa cellule. L'auteur déclare avoir été maintenu dans un isolement presque complet. Par ailleurs, pour alléger sa détresse, il avait entrepris d'écrire des notes personnelles sur ses relations avec des proches; une nuit, ces notes lui ont été subtilisées par des gardes, qui s'en sont donné lecture les uns aux autres, et ce n'est qu'après avoir demandé à rencontrer plusieurs autorités qu'il a pu les récupérer.

2.7 Enfin, l'auteur considère qu'une mise au cachot pendant 10 jours était une sanction excessivement sévère par rapport au délit commis. Il fait valoir, notamment, qu'aucun cas n'a été fait des motifs de son absence temporaire alors que, selon lui, le Code pénal finlandais aurait offert plusieurs possibilités d'en tenir compte. I1 estime que la possibilité d'en appeler devant un tribunal ou une autre instance indépendante aurait produit des effets, car la peine aurait pu être réduite.

3. Par sa décision du 15 mars 1988, le Groupe de travail du Comité des droits de l'homme a transmis la communication à partie, 1'Etat en le priant, conune l'y autorise l'article 91 de son règlement intérieur provisoire, de présenter des renseignements et observations se rapportant à la question de la recevabilité de la communication.

4. Dans les observations, en date du 28 juin 1988, qu'il a présentées en vertu de l'article 91 du règlement intérieur provisoire, 1'Etat partie ne soulève aucune objection quant à la recevabilité de la conuwnication et déclare, en particulier, que l'auteur a épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts en déposant sa requête en révision (tarkastuspyyntö), conformément à la loi sur la procédure disciplinaire militaire. En vertu du paragraphe 1 de l'article 34 de cette loi, il ne peut être fait appel des décisions prises sur les requêtes en révision.


5.1 Avant d'examiner une plainte, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur provisoire, décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. En l'occurrence, le Comité note que 1'Etat partie n'a soulevé aucune objection quant à la recevabilité de la communication.

5.2 Le Comité a décidé le 18 juillet 1988 que la communication était recevable. Comme l'y autorise le paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, il a prié 1'Etat partie de présenter par écrit, dans les six mois suivant la date à laquelle cette décision lui serait communiquée, les explications et déclarations qui pourraient éclairer l'affaire, en indiquant, le cas échéant, les mesures qu'il avait prises.

6.1 Dans les observations qu'il a présentées en vertu du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, 1'Etat partie explicite comme suit les dispositions de son droit interne en la matière :


"Les dispositions de la procédure disciplinaire appliquée par les forces de défense finlandaises sont exposées dans la loi relative à la procédure disciplinaire militaire (331/83), adoptée le 25 mars 1983, et dans l'ordonnance 969/83, adoptée le 16 décembre 1983, qui étaient l'une et l'autre en vigueur au ler janvier 1984. Ces textes contiennent des dispositions détaillées sur les sanctions disciplinaires, la compétence en matière de discipline, la manière dont doivent être traitées les affaires de cette nature et la procédure d'appel.

Dans une action disciplinaire, la sanction la plus grave est l'emprisonnement 'de rigueur', au poste de garde ou en un autre lieu de réclusion en cachot, généralement sans qu'il y ait de service à accomplir. En ce qui concerne la durée de cet emprisonnement, un
commandant d'unité ne peut l'imposer pour plus de cinq jours et nuits, Un commandant de bataillon pour plus de 10 jours et nuits et un Commandant de régiment pour plus de 15 jours et nuits. Avant d'imposer une sanction disciplinaire, l'officier responsable doit soumettre sa décision au conseiller juridique militaire afin que celui-ci rédige une déclaration.

La personne qui est l'objet de la sanction peut présenter dans les trois jours une 'requête en révision'de la décision prise il son
encontre. Une requête se rapportant à la décision d'un commandant d'unité ou d'un comnandant de bataillon peut être présentée à un
commandant de régiment, et il peut être fait appel de la décision de ce dernier auprès du commandant de la Division militaire ou d'un Officier disciplinaire supérieur. Si la requête en révision est traitée par un officier disciplinaire d'un grade supérieur à celui de commandant, l'affaire doit être présentée par un conseiller juridique.

La peine de mise au cachot ne prend effet qu'après l'expiration du délai durant lequel un appel peut être engagé, ou après l'examen de la demande en révision, à moins que la personne concernée n'ait fait une déclaration écrite par laquelle elle accepte que la sanction soit immédiatement exécutée, ou lorsqu'un comandant de régiment a ordonné cette exécution immédiate parce qu'il le juge absolument nécessaire pour maintenir la discipline, l'ordre et la sécurité dans les troupes.

6.2 En ce qui concerne les faits de l'affaire, 1'Etat partie déclare ce qui suit : "M. Vuolanne a fait au cours de l'enquête préliminaire,
le 8 juillet 1987, une déposition au sujet de son absence loin de son unité du 3 au 7 juillet 1987. Le conseiller juridique militaire de
la Division militaire du sud-ouest de la Finlande a conrnuniqué le 10 juillet 1987 sa déclaration écrite à l'officier disciplinaire.

Le 13 juillet 1987, le commandant de l'unité a rendu sa décision, concluant que M. Vuolanne était coupable de s'être absenté pendant une certaine durée sans permission (Code pénal 45: 4.1 et 7:2)et lui imposant 10 jours et nuits de cachot.

M. Vuolanne a été informé de cette décision le 14 juillet 1987. En signant l'accusé de réception, il a déclaré par écrit qu'il acceptait que la sanction soit immédiatement exécutée. Il a donc été mis au cachot le jour même,
14 juillet 1987. Lorsque M. Vuolanne a été informé de la décision le concernant, il lui a égalemnt été remis copie du texte de celle-ci, où figuraient des instructions, énoncées clairement et sans ambiguïté, sur la manière dont il pouvait faire appel de cette décision en déposant une requête en révision. La requête présentée par M. Vuolanne le 15 juillet 1987 a été examinée sans délai par le commandant du régiment, qui a décidé qu'il n'y avait pas lieu de modifier la sanction disciplinaire imposée.

Durant leur instruction de base, tous les appelés sont informés des recours juridiques qu'ils peuvent présenter contre la procédure disciplinaire, y compris la requête en révision. Un livret contenant des renseignements utiles leur est également distribué à tous à la fin de cette période d'entraînement élémentaire."

6.3 Sur la question de l'applicabilité du paraqraphe 4 de l'article 9 du Pacte au cas examiné, 1'Etat partie allègue ce qui suit
: "Il n'appartient pas à une personne détenue à l'issue d'une action disciplinaire militaire (voir plus haut) de saisir un tribunal de l'affaire. Le seul recours disponible est la requête en révision. En d'autres termes, les autorités finlandaises considèrent que le paragraphe 4 de l'article 9 du Pacte relatif aux droits civils et politiques ne s'applique pas à la détention à l'issue d'une procédure militaire... Dans son observation générale 8 (16)du 27 juillet 1982, concernant l'article 9, le Comité a eu l'occasion de préciser quels étaient les cas de détention visés au paragraphe 4 de l'article 9. Il a rrrentionné, à titre d'exemple, 'les maladies mentales, le vagabondage, la toxicomanie, les mesures d'éducation, le contrôle de l'immigration, etc. '. La privation de liberté à l'issue d'une action disciplinaire militaire est notoirerrront absente de cette liste. Le point commun des cas de détention énumérés est la possibilité d'une détention prolongée, illimitée. En outre, dans la plupart de ces cas, la détention n'est pas rigoureusement réglementée mais plutôt adaptée au but recherché (guérison, par exemple), une plus grande discrétion étant laissée aux autorités en cause. mutefois, la situation est entièrement différente si la détention fait suite à une action disciplinaire militaire : la loi prévoit alors clairement les motifs, la durée et les modalités de la détention. Dans les cas où les autorités militaires outrepassent les limites fixées par la loi, une procédure normale de recours peut être engagée. En d'autres termes, il est possible que le Comité n'ait pas inclus l'action disciplinaire militaire dans sa liste des différents cas de 'détention' parce qu'il s'est rendu compte de la différence importante qui existait entre ce type de détention et les autres sous l'angle de la nécessité de protéger un individu.

Il est clair qu'un officier -un conrnandant -agit de manière judiciaire ou quasi judiciaire lorsqu'il ordonne une détention dans le cadre d'une action disciplinaire militaire. De même, l'examen d'une requête en révision est comparable à l'examen judiciaire d'un appel. Comme on l'a expliqué, les conditions et modalités d'une détention militaire disciplinaire sont clairement énoncées par la loi. La discrétion laissée aux autorités est considérablement moindre que la discrétion observée dans certaines des affaires énumérées par le Comité. Là aussi, la nécessité d'un contrôle judiciaire est, sinon totalement superflue, en tout cas bien moindre pour une action disciplinaire militaire que pour une détention ordonnée par exemple pour cause de maladie mentale."


Néanmoins, après ces considérations concernant la non-applicabilité du paraqraphe 4 de l'article 9 au cas de M. Vuolanne, 1'Etat partie signale qu'un amendement au Code de procédure disciplinaire, visant à permettre le recours devant un tribunal en cas de détention à l'issue d'une action disciplinaire, est en préparation.

6.4 A propos des affirmations de l'auteur concernant une violation de l'article 7 du Pacte, 1'Etat partie note ce qui suit : "M. Vuolanne prétend que le traiteront auquel il a été soumis était dégradant parce qu'il constituait une 'sanction excessivement sévère par rapport au délit commis'. Il prétend que l'officier responsable n'a Pas dûment tenu compte des lois finlandaises relatives aux circonstances atténuantes et à la mesure des peines. Toutefois, sur ce point, le Comité n'est pas compétent, ainsi qu'il l'a lui-même déclaré, c'est-à-dire qu'il n'est pas une quatrième instance habilitée à examiner la conformité des mesures et décisions des autorités nationales avec la loi nationale. L'Etat partie fait observer en outre que 10 jours d'arrêt de rigueur ne constituent pas en soi un type de châtiment interdit par l'article 7; il ne s'agit pas de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. On considère généralement que les termes 'torture', 'traitements inhumains'et '[traitements]dégradants'utilisés à l'article 7 correspondent à une gradation, depuis les violations les plus graves ('torture') jusqu'aux moins graves -mais graves néanmoins ('traitements dégradants'). Il n'est jamais clairement indiqué en quoi consiste un 'traitement dégradant' (ou une 'peine dégradante'). Dans la pratique, les cas où le traitement a été jugé 'dégradant'comportaient généralement une forme de châtiment corporel. Or, M. Vuolanne ne prétend pas avoir été soumis à un tel châtiment. Il reste à savoir si l'incarcération de M. Vuolanne peut être considérée conane un cas de détention au secret constituant une violation de l'article 7 selon l'interprétation donnée Par le Comité dans l'observation générale 7 (16). Le Comité a jugé que la réponse dépendait des circonstances. Dans le cas à l'étude, celles-ci montrent clairement que l'on ne peut considérer la détention de M.
Vuolanne comne Peine ou traitement dégradant. En premier lieu, la détention. de M. Vuolanne a été relativement brève (10 jours et 10 nuits)et, de plus, elle a été divisée en deux Périodes, de huit jours et de deux jours. En deuxième lieu, son isolement n'était Qas total : il sortait pour prendre les repas et faire un peu d'exercice tous les jours, même s'il n'était pas autorisé à comnuniquer avec les autres détenus. En troisième lieu, il n'y avait aucun obstacle officiel à sa correspondance; le fait que les gardes de service ont pu manquer à leurs devoirs en lisant ses lettres ne constitue pas une violation de la part du Gouvernement finlandais. Bien entendu, Y. Vuolanne aurait pu se plaindre du traitement infligé par ses gardes. Or, il semble ne pas avoir porté plainte officiellement. Bref, on ne peut pas considérer les circonstances de la détention de M. Vuolanne comme un 'traitement dégradant' (ou peine dégradante)au sens de l'article 7 du Pacte."

7.1 Dans ses observations datées du 25 février 1989, l'avocat de l'auteur affirme notamment que, si le Comité juge les preuves présentées par M. Vuolanne insuffisantes pour conclure à une violation de l'article 7, l'article 10 pourrait s'appliquer. Il souligne en outre que IlEtat partie a tort d'indiquer que le comportement des gardes de M. Vuolanne ne relevait pas de sa responsabilité. Pour lui, ces gardes étaient des "personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles" au sens du paragraphe 3 a)de l'article 2 du Pacte. Il ajoute : "I1 est vrai que M. Vuolanne aurait pu porter plainte contre eux au civil. Toutefois, dans sa communication, il ne décrit pas leur comportement comme Une violation distincte du Pacte, mais plutôt comme des preuves établissant que la détention militaire a été imposée de façon humiliante ou dégradante. L'Etat partie semble d'ailleurs avoir accepté ce raisonnement : si le gouvernement avait considéré gue le comportement des gardes de M. Vuolanne était exceptionnel, il aurait sûrement présenté dans sa réponse des informations sur quelque enquête sur les faits. Or, rien n'a été fait à propos du comportement des gardes de M.
Vuolanne."

7.2 S'agissant du paragraphe 4 de l'article 9, l'auteur fait observer à propos des commentaires de 1'Etat partie sur l'observation générale 8 (16) du Comité qui porte sur l'article 9, que 1'Etat partie ne mentionne jamais que, selon cette Observation générale, le paragraphe 4 de l'article 9 "[s'applique] à toutes les personnes qui se trouvent privées de leur liberté par arrestation ou détention". Il ajoute :

"L'incarcération militaire est une peine qui peut être ordonnée soit par un tribunal, soit à l'issue d'une action disciplinaire. Sa durée est comparable à celle des peines de prison les plus courtes en droit pénal normal (le minimum en Finlande est 14 jours)et dépasse la durée de la détention préventive acceptable selon le Pacte. Ceci montre qu'il n'existe pas, entre ces formes de détention, de différence fondamentale en termes de nécessité de protéger l'individu. Il est vrai que la dernière phrase du paragraphe 1 de l'observation générale du Comité est quelque peu ambiguë. Peut-être est-ce là-dessus que se fonde 1'Etat partie pour dire que le paragraphe 4 de l'article 9 ne s'applique pas à l'incarcération militaire. Toutefois, le paragraphe 3 de l'article 2 serait applicable même dans ces conditions."

L'auteur présente ensuite les observations suivantes pour montrer que la procédure disciplinaire finlandaise n'est pas conforme non plus aux dispositions du paragraphe 3 de l'article 2 :

"a ) Selon 1'Etat partie, dans les cas où les autorités militaires outrepassent les limites fixées par la loi, une procédure normale de recours peut être engagée. Cette affirmation est trompeuse. Il est absolument impossible qu'une personne punie d'incarcération militaire puisse porter la question de la légalité de sa peine devant un tribunal. Ce qu'elle peut contester en principe, c'est le comportement des autorités militaires en cause. Cela voudrait dire engager une procédure au civil devant un tribunal et non présenter un 'recours' quelconque. Il ne s'agit nullement d'une procédure 'normale' et, même si cette procédure était engagée, le tribunal ne pourrait pas ordonner la libération de la victime.


b) Certaines autres affirmations sont également trompeuses. L'officier qui ordonne une détention et celui qui examine la requête en révision n'agissent pas 'à titre judiciaire ni même quasi judiciaire'. Ces officiers n'ont aucune formation juridique. Même les conditions les plus élémentaires d'une procédure judiciaire ne sont pas remplies : le demandeur n'est pas entendu et la décision finale est prise par une personne qui n'est pas indépendante et qui a déjà été consultée avant le châtiment. on lit par ailleurs que, lorsqu'il a été informé de la décision de le mettre aux arrêts de rigueur, M. Vuolanne a indiqué par écrit qu'il acceptait que la sanction soit immédiatement exécutée . Cette affirmation est quelque peu trompeuse car M. Vuolanne n'a signé qu'un accusé de réception sur un formulaire non rempli. Il est vrai que celui-ci comportait une mention imprimée en petits caractères selon laquelle, en signant l'accusé de réception, on acceptait que la sanction soit exécutée immédiatement."

7.3 Quant à l'amendement proposé au Code (voir par. 6.3), M. Vuolanne fait observer que la formule proposée pourrait être une solution en ce qui concerne le paragraphe 4 de l'article 9, mais non en ce qui concerne l'article 7. Selon lui, la seule proposition acceptable à cet égard serait de modifier le Code de procédure disciplinaire de façon à ce qu'une partie seulement (8 ou 10 jours au maximum) soit exécutoire sous la forme d'arrêts de rigueur, le reste de la peine étant une détention moins rigoureuse (par exemple, avec activité de service).

8. Conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l'homme a examiné cette communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties. Les faits ne sont pas contestés.

9.1 L'auteur de la communication affirme qu'il y a eu des infractions aux paragraphes 1 et 3 de l'article 2, de l'article 7, du paragraphe 4 de l'article 9 et de l'article 10 du Pacte.

9.2 Le Comité rappelle que l'article 7 interdit la torture et les autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il constate que la détermination de ce qui constitue un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 7 dépend de toutes les circonstances, par exemple la durée et les modalités du traitement considéré, ses conséquences physiques et mentales ainsi que le sexe, l'âge et l'état de santé de la victime. Un examen approfondi de la communication n'a révélé aucun fait à l'appui des plaintes de l'auteur concernant la violation de ses droits en vertu de l'article 7. Jamais des peines ou souffrances graves, physiques ou mentales n'ont été infligées à
M. Vuolanne par les pouvoirs publics ou à leur instigation; il ne semble pas non plus que la détention cellulaire qui a été imposée à l'auteur ait eu sur lui des effets physiques ou mentaux négatifs de par sa rigueur, sa durée et le but recherché. Il n'a pas été établi non plus que M. Vuolanne ait été humilié ou qu'il n'y ait eu atteinte à sa dignité, indépendamment du fait que la mesure disciplinaire qui lui a été imposée était embarrassante en soi. A cet égard, le Comité considère qu'une peine n'est dégradante que si l'humiliation ou l'abaissement qui en résulte dépasse un certain seuil et, en tout état de cause, si elle comporte des éléments qui dépassent le simple fait d'être privé de liberté. De plus, il considère que les faits qui lui ont été soumis ne permettent pas de dire que pendant sa détention, M. Vuolanne n'a pas été traité avec l'humanité et le respect de la dignité inhérente à la personne humaine exigés au paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.


9.3 Le Comité note que d'après 1'Etat partie, le cas de M. Vuolanne ne relève pas du champ d'application du paragraphe 4 de l'article 9 du Pacte. Il estime que, pour répondre à cette question, il faut se référer aux termes exacts du Pacte ainsi qu'à l'objectif recherché par celui-ci. Il note, à titre de remarque générale, que le Pacte ne contient aucune disposition exemptant certaines catégories de personnes de son application. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 2, "les Etats parties au présent Pacte s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation'. Le caractère global de cette disposition ne permet pas de distinguer entre différentes catégories de personnes, par exemple les civils et les membres des forces armées, et ainsi de considérer que le Pacte serait applicable dans un cas mais non dans l'autre. Qui plus est, il ressort des travaux préparatoires
ainsi que des observations générales du Comité, que le Pacte avait pour objectif de proclamer et de définir certains droits de l'homme appartenant à tous et de garantir la jouissance de ces droits. Il est donc clair que l'objet du Pacte n'est pas et ne doit pas être de définir les personnes dont les droits doivent être protégés mais de définir les droits qui doivent être garantis et la mesure dans laquelle ils doivent l'être. En conséquence, l'application du paragraphe 4 de l'article 9 ne peut être exclue dans le cas présent.

9.4 Le Comité reconnaît qu'il est normal que la liberté de mouvement des personnes faisant leur service militaire soit soumise à certaines restrictions. Il est évident que ces restrictions ne relèvent pas du paragraphe 4 de l'article 9. Qui plus est, le Comité reconnaît qu'une sanction ou une mesure disciplinaire qui, si elle était appliquée à un civil, serait considérée comne le privant de sa liberté par détention, peut être perçue différemnent si elle est imposée à un militaire. Néanmoins, une sanction ou une mesure de cet
ordre peut relever du champ d'application du paragraphe 4 de l'article 9 si elle prend la forme de restrictions allant au-delà des impératifs militaires normaux et si elle place l'intéressé dans une situation qui s'écarte des conditions de vie normales dans les forces
armées de 1'Etat partie intéressé. Pour déterminer s'il en est ainsi, il faut tenir compte de toute une série de facteurs, tels que la nature, la durée, les effets et le mode d'exécution de la sanction ou de la mesure en question.

9.5 L'exécution de la mesure disciolinaire prise contre M. Vuolanne a consisté à l'empêcher de s'acquitter de ses activités normales et à le forcer à rester nuit et jour pendant une période de 10 jours dans une cellule de 2 mètres sur 3. Il n'était autorisé à quitter sa cellule que pour prendre ses repas, aller aux toilettes et prendre l'air une demi-heure par jour. Il lui était interdit de parler aux autres détenus ou de faire du bruit dans sa cellule. Sa correspondance et ses notes personnelles avaient été subtilisées. Il a purgé une peine comme le ferait un prisonnier. Cette peine était d'une durée non négligeable, presque aussi longue que la plus légère des peines d'emprisonnement prévues en droit pénal finlandais. Vu les circonstances, le Comité estime que cette détention cellulaire pendant
10 jours et 10 nuits se situe hors des conditions ordinaires de la vie militaire et dépasse les restrictions normalement pratiquées dans ce cadre. Cette sanction disciplinaire précise a abouti à un degré d'isolement social normalement associé à l'arrestation et à la détention au sens du paragraphe 4 de l'article 9. Elle doit donc être considérée comme une mesure privant une personne de sa liberté par détention au sens du paragraphe 4 de l'article 9. A ce propos, le Comité rappelle son observation générale No 8 (16) selon laquelle la plupart des dispositions de l'article 9 s'appliquent à tous les cas de privation de liberté, qu'il s'agisse d'infractions pénales ou d'autres cas de détention liés par exemple à des maladies mentales, au vagabondage, à la toxicomanie, à des mesures d'éducation, au contrôle de l'immigration, etc. Le Comité ne peut accepter l'argumentation de 1'Etat partie selon laquelle la détention prescrite dans le cadre d'une procédure disciplinaire militaire est soumise à des règles de droit rigoureuses, les garanties de forme et de fond énoncées au paragraphe 4 de l'article 9 étant donc inutiles.

9.6 Le Comité note en outre que lorsqu'un organe ou une autorité administrative prend une décision privant une personne de sa liberté, le paragraphe 4 de l'article 9 oblige incontestablement 1'Etat partie intéressé à permettre au détenu d'introduire un recours devant un tribunal. En l'espèce, peu importe que ce tribunal soit civil ou militaire; mais le Comité n'accepte pas l'argument de 1'Etat partie suivant lequel la demande de révision par un officier de rang supérieur en vertu de la loi sur la procédure disciplinaire militaire, actuellement en vigueur en Finlande, équivaut à l'examen judiciaire d'un pourvoi en appel et suivant lequel les autorités ordonnant la détention exercent des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires. La procédure suivie M. Vuolanne ne peut être considéré comme étant un "tribunal" au sens du paragraphe 4 de l'article 9; par conséquent, les autorités de 1'Etat partie n'ont pas rempli les obligations énoncées dans ce paragraphe.

9.7 Le Comité note que le paragraphe 1 de l'article 2 représente un engagement d'ordre général souscrit par les Etats parties, sur lequel une constatation concernant l'auteur de cette communication a été faite en ce qui concerne l'obligation visée par le paragraphe 4 de l'article 9. En conséquence, aucune autre constatation n'est requise au titre du paragraphe 1 de l'article 2.

10. Le Comité des droits de l'homme, se référant au paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte relatif aux droits civils et politiques, estime que la conrnunication révèle une violation du paragraphe 4 de l'article 9 du Pacte, du fait que M. Vuolanne n'a pas été en mesure d'introduire un recours devant un tribunal.

11. En conséquence, le Comité estime que 1'Etat partie est tenu de prendre des mesures efficaces pour remédier, conformément au paragraphe 3 a)de l'article 2, à la violation dont M. Vuolanne a été victime et de prendre des dispositions pour éviter toute répétition de violations de ce genre.



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