University of Minnesota



R. T. [nom supprimé] c. Franc
e, Communication No. 262/1987, U.N. Doc. CCPR/C/35/D/262/1987 (1989).



Comité des droits de l'homme
Trente-cinquième session

Décision du Comité des droits de l'homme créé en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
civils et politiaues -trente-cinquième session

concernant la

Communication No 262/1987



Présentée par : R. T. [nom supprimé]

Au nom de : L'auteur

Etat partie concerné : France

Date de la communication :
14 octobre 1987 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 1989,

Adopte la décision ci-après
:

Décision concernant la recevabilité

1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 14 octobre 1987: res ultérieures datées des 30 juin, 10 septembre et 20 octobre 1988) est R. T., citoyen français, né en 1942, résidant actuellement à Sevran (France), qui prétend être victime de violations, de la part du Gouvernement français, des articles 2 (par. 1 à 3), 19 (par. 2), 26 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

2.1 L'auteur déclare qu'il a enseigné le breton dans plusieurs lycées de Paris au cours des 10 dernières années. L'Administration française refuserait de lui reconnaître le droit d'enseigner le breton et aurait exercé des pressions sur lui, exemple en réduisant son salaire. L'auteur affirme que ces pressions sont injustifiées étant donné qu'il y a plus d'un million de Bretons dans la région sienne et que le nombre d'élèves des écoles secondaires qui souhaitent apprendre le breton ne cesse d'augmenter.

2.2 L'auteur déclare enseigner le breton -et uniquement cette matière -depuis 10 ans et être le seul professeur dans sa spécialité dans l'Académie de Paris.L'Administration française n'a jamais officiellement reconnu cet état de choses et l'aurait classé comme "adjoint d'enseignement" en anglais (langue que l'auteur affirme ne jamais avoir enseignée)et "maître auxiliaire" d'arménien (langue que l'auteur déclare ignorer). L'Administration voulait le contraindre à enseigner
l'anglais au début de l'année scolaire 1987/88. L'auteur ayant refusé, l'Académie de Paris l'aurait menacé de considérer qu'il avait abandonné son poste, ce qui signifierait qu'il n'aurait pas droit aux allocations de chômage. L'Académie de Paris ayant déjà suspendu l'enseignement d'autres langues régionales, dont le basque et le catalan, l'auteur déclare se sentir particulièrement menacé.

2.3 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, l'auteur transmet copie des lettres échangées avec les autorités compétentes de l'éducation nationale, qui illustrent ses efforts tendant à obtenir un règlement à l'amiable (et qu'il présente sous la rubrique "recours amiables").

3. Par une décision datée du 15 mars 1988, le Groupe de travail du Comité des droits de l'homme a transmis la communication à 1'Etat partie concerné en le priant, conformément à l'article 91 du règlement intérieur provisoire, de soumettre des renseignements et observations se rapportant à la question de la recevabilité de la communication. L'auteur a été prié de préciser s'il avait soumis son affaire à un tribunal administratif ou à une instance judiciaire et, dans l'affirmative, d'indiquer le résultat.

4.1 Dans les observations qu'il a présentées en application de l'article 91, datées du 30 juin 1988, l'auteur réaffirme que les faits dénoncés sont l'illustration d'une volonté des autorités françaises de faire disparaître l'enseignement de la langue bretonne et ajoute que, depuis l'envoi de sa communication initiale au Comité, cette question a été largement évoquée par de nombreux élus de l'Assemblée nationale française et par des élus du Parlement européen. S'agissant des obligations qui lui incombent en tant qu'enseignant, il indique qu'il est tenu, en principe, d'effectuer un service de 18 heures par semaine. Depuis 1982183, il effectuait un service à temps plein de 18 heures hebdomadaires dans trois lycées de la région parisienne où, affirme-t-il, son travail a été régulièrement perturbé par des entraves d'ordre administratif et des retards de plusieurs mois avant que l'autorisation de donner des cours de breton ne soit accordée. Pour l'année scolaire 1987188, 1'Administration de l'éducation nationale s'est tout d'abord opposée à la reprise de son enseignement en septembre 1987. Finalement, en décembre 1987, il a été à nouveau autorisé à enseigner le breton, mais uniquement à raison de 10 heures par semaine: huit heures -qui étaient, d'après lui, garanties par un accord avec le rectorat de l'Académie de Paris -auraient été "supprimées arbitrairement". Selon l'auteur, les arguments avancés par l'idministration pour justifier la restriction de l'enseignement du breton à 10 heures ne sont pas fondés.

4.2 L'auteur affirme que la décision de réduire considérablement le nombre des cours de breton va à l'encontre des engagements pris par le Ministre de l'éducation nationale le 15 juin 1987, lorsque ce dernier a déclaré que "les moyens tant en nombre d'heures qu'en postes d'enseignant mis à la disposition des recteurs d'académie [en ce qui concerne les langues régionales parlées en France] ont été reconduits pour l'année 1987/88". En outre, des responsables de l'éducation nationale auraient affirmé qu'il n'existait pas de demande de cours de breton de la part des élèves à Paris. L'auteur soutient que cette assertion contredit la tendance observée depuis le milieu des années 80.

4. 3 Pour ce qui est de l'épuisement des recours internes, l'auteur explique que, jusqu'à la date de sa communication au Comité, ses démarches ont été de nature administrative. Depuis le changement de gouvernement en France, en mai 1988, il a krit au nouveau Ministre de l'éducation nationale pour dénoncer les mesures iiscriminatoires décrites ci-dessus. L'auteur indique qu'il n'a pas saisi de tribunal administratif ni d'autres instances judiciaires: il ajoute qu'il s'agit là l'une éventualité qu'il ne saurait désormais exclure.

5.1 Dans les observations qu'il a présentées en application de l'article 91, datées du 5 août 1988, 1'Etat partie conteste la recevabilité de la communication en raison du non-épuisement des voies de recours internes et de l'incompatibilité le ladite communication avec les dispositions du Pacte.

5.2 S'agissant du premier argument, 1'Etat partie affirme que la correspondance avec des associations ou des parlementaires ne saurait être qualifiée de recours en droit français et que seules deux lettres adressées par l'auteur respectivement au recteur de l'Académie de Paris, le 9 septembre 1987, et au Ministre de l'éducation nationale, le 8 octobre 1987, présentent certaines caractéristiques d'un recours administratif. Plusieurs possibilités de recours étaient également offertes à l'auteur en ce qui concerne sa titularisation en qualité d'enseignant d'anglais depuis 1984. L'Etat partie explique que, pour que cette mesure soit rapportée, il pouvait former un recours gracieux ou hiérarchique. Un tel recours a pour avantage de pouvoir être fondé non seulement sur les données juridiques du problème mais aussi sur des considérations d'équité et d'opportunité. Par ailleurs, s'il considérait qu'une décision quelconque portait atteinte à ses droits, l'intéressé avait la possibilité de former un recours contentieux pour excès de pouvoir, par lequel il pouvait demander au juge administratif d'annuler cette décision. Ce recours devait être exercé dans un délai de deux mois à compter de la date où notification lui avait été faite de la mesure individuelle le concernant. Toutefois, vu que l'auteur n'a pas exercé un tel recours dans les délais prescrits, la décision en cause est devenue définitive.

5.3 L'Etat partie souligne que, si l'intéressé ne dispose plus de la possibilité d'obtenir du juge administratif l'annulation pour inégalité éventuelle de la décision contestée, cette situation résulte de son seul fait et que son abstention ou sa négligence ne peuvent pas être imputées aux organes de 1'Etat : "La faculté de présenter une communication au Comité des droits de l'homme ne saurait être utilisée comme un substitut à l'exercice normal de recours internes lorsque ceux-ci n'ont pas été exercés par la faute exclusive de l'intéressé."

5.4 L'Etat partie fait valoir en outre que l'auteur aurait pu saisir la juridiction administrative pour excès de pouvoir, en invoquant des violations du Pacte résultant de la décision explicite ou implicite par laquelle le Ministre de !'éducation nationale a rejeté sa demande du 8 octobre 1987, tendant a "la reprise des cours de breton à Paris". De plus, bien que l'auteur ne puisse plus demander au juge de se prononcer sur la légalité de la mesure contestée, il peut toujours invoquer les préjudices résultant pour lui du fait qu'il n'ait pas été titularisé en qualité d'enseignant de breton et former un recours fondé sur ce grief et tendant à l'obtention d'une indemnité en réparation des préjudices qu'il prétend avoir subis. En conclusion, 1'Etat partie affirme que l'auteur "n'a exercé aucun recours juridictionnels dont il disposait".

5.5 Par ailleurs, 1'Etat partie considère que la communication devrait être déclarée irrecevable comme étant incompatible avec les dispositions du Pacte. En ce qui concerne la prétendue violation de l'article 19, paragraphe 2, il fait valoir que l'auteur n'a avancé aucun grief permettant d'étayer une telle allégation et que, bien au contraire, les pièces qu'il a fournies constituent autant de
preuves qu'il a eu toute latitude pour faire connaître sa position. L'Etat partie affirme en outre que la "liberté d'expression au sens de l'article 19 ne saurait englober un prétendu droit à exercer une activité d'enseignement déterminée.

5.6 S'agissant de la violation de l'article 26 invoquée par l'auteur, 1'Etat partie rappelle que, en vertu des lois et règlements en vigueur,
la titularisation en qualité d'enseignant de breton ne peut être accordée que sous deux conditions : a) l'existence d'un corps dans lequel peut être intégrée la personne à titulariser; et b) l'existence d'un poste budgétaire permettant la rémunération de l'agent titularisé. Etant donné que ces deux conditions n'étaient pas remplies lors
de l'examen du cas de l'auteur, 1'Administration n'a pas pu faire droit à sa demande. Un tel fait résulte donc non pas d'une discrimination à son égard, mais simplement de l'application des règlements existants à son cas.

5.7 Pour ce qui est de l'article 27 du Pacte, 1'Etat partie rappelle la déclaration faite par la France lors de son adhésion au Pacte, a savoir : "Compte tenu de l'article 2 de la Constitution de la République française, . . . l'article 27 [du Pacte] n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la République."

5.8 Enfin, 1'Etat partie affirme qu'une violation de l'article 2 ne peut pas être commise directement ni isolément, et ne peut donc être que le corollaire d'une violation d'un autre article du Pacte. N'ayant pas démontré qu'il avait été lésé dans un des droits sauvegardés par le Pacte, l'auteur ne peut donc pas invoquer l'article 2.

6.1 Dans ses commentaires sur les observations présentées par 1'Etat partie en application de l'article 91 du règlement intérieur provisoire, l'auteur, par une lettre datée du 10 septembre 1988, soutient que ses griefs sont bien fondés. Il conteste l'assertion de 1'Etat partie selon laquelle il n'a fait l'objet d'aucune discrimination et réaffirme que son enseignement du breton s'est heurté à des obstacles réguliers et nombreux. Ainsi, l'année scolaire 1987188 a conunencé pour lui en décembre au lieu de septembre et la moitié de ses cours ont été supprimés, en contradiction avec des accords antérieurs. Il déclare avoir connu une situation analogue en 1985186 et 1986187. L'auteur estime que "la volonté délibérée d'interdire ou de retarder considérablement l'enseignement de la langue d'une minorité ethnique constitue une atteinte aux droits culturels de l'homme", et qu'il s'agit d'une discrimination d'ordre non seulement linguistique mais encore professionnel. Au sujet de l'article 27, il fait valoir que 1'Etat partie ne peut pas être dispensé, du fait d'une simple déclaration, de respecter les personnes appartenant à une de ses minorités ethniques.

6.2 S'agissant de l'épuisement des recours internes, l'auteur soutient que l'argumentation de 1'Etat partie sur ce point doit être réfutée, car celui-ci a lui-même démontré, dans ses observations, que l'auteur ne pouvait pas contester sa titularisation en qualité d'enseignant d'anglais dans les deux mois suivant son changement de statut, en 1984. Il explique en particulier qu'un corps restreint d'enseignants de breton, dans lequel il avait souhaité être intégré, n'a été créé que deux ans plus tard, en 1986. En outre, il affirme que le juge administratif n'avait pas les moyens de demander à 1'Administration de le titulariser en breton et que, pour épuiser les voies de recours, il aurait fallu que 1'Etat français lui en eût donné les moyens juridiques. Dans ces circonstances, il était, à son avis, plus raisonnable pour lui de multiplier ses interventions pour être titularisé en breton et non en anglais en effectuant des démarches de recours gracieux et hiérarchique, plutôt que de se laisser "enfermer dans un cercle vicieux législatif et juridique vide". Il soutient que, du fait de la manière dont fonctionne le système juridique de 1'Etat partie, celui-ci ne lui a pas garanti les moyens de contester ses décisions à égalité de droit avec les autres citoyens, et notamment avec ses confrères enseignants de langues vivantes étrangères. Il fait valoir qu'il n'a pas pu bénéficier d'une protection juridique égale et efficace pour avoir voulu continuer à enseigner sa propre langue, la langue d'une minorité ethnique de France.

6.3 Par une lettre supplémentaire datée du 20 octobre 1988, l'auteur fait remarquer que, depuis que la France a adhéré au Pacte, l'Assemblée nationale n'a adopté aucune loi permettant à la minorité bretonne d'employer sa langue sans discrimination et il en conclut que l'article 2, paragraphe 2, du Pacte n'est pas irespecté. Il demande l'avis du Comité sur la question de savoir si le fait que la France a adhéré à un instrument international condamnant toute discrimination de
langue n'implique pas qu'elle doive modifier sa législation de manière à garantir aux Bretons le droit à leur langue à tous les niveaux.

7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur Provisoire, décider si la communication est ou n'est pas recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du Paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'est Pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

7.3 En ce qui concerne l'observation de 1'Etat partie selon laquelle la communication devrait, en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif, être déclarée irrecevable comme étant incompatible avec les dispositions du Pacte, le Comité constate que l'auteur ne peut pas invoquer une violation du droit à la liberté d'expression qui lui est garanti par l'article 19, paragraphe 2, du Pacte au motif qu'il n'a pas été titularisé en qualité d'enseignant de breton. Pour ce qui est de la prétendue violation de l'article 26, le Comité estime que l'auteur a entrepris des efforts raisonnables pour étayer suffisamment ses affirmations, aux fins de recevabilité, concernant la discrimination dont il aurait été victime pour une raison de langue. Pour les raisons exposées ci-après, le Comité juge inutile de se prononcer sur la déclaration faite par la France au sujet de l'article 27 du Pacte.

7.4 Le Comité constate que l'auteur n'a utilisé aucun recours juridictionnel interne. Il croit comprendre que la volonté affirmée par l'auteur de
ne pas s'engager "dans un cercle vicieux législatif et juridique vide" reflète sa conviction que l'utilisation de tels recours serait inefficace et prend note de s argument suivant lequel, dans les circonstances de l'affaire. il était plus raisonnable pour lui de tenter des démarches extrajudiciaires en présentant à 1'Administration de l'éducation nationale une demande en révision de sa situation Le Comité fait cependant remarquer que l'expression "tous les recours internes disponibles", au sens de l'article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif, vise au premier chef les recours juridictionnels. Même si l'on admettait l'argument de l'auteur selon lequel un tribunal administratif n'aurait pas pu enjoindre à 1'Administration de l'éducation nationale de procéder à sa titularisation en qualité d'enseignant de breton, il n'en demeure pas moins que 1 décision contestée par l'auteur aurait pu être annulée. L'auteur n'a pas démontr qu'il était dans l'impossibilité d'utiliser les recours juridictionnels dont il disposait -ainsi que 1'Etat partie l'a fait valoir de manière plausible -ni que de tels recours pouvaient être considérés a priori comme inefficaces. Le Comité note que l'auteur lui-même mentionne qu'il n'exclut pas la possibilité de soumettre son cas à un tribunal administratif. Le Comité estime que, dans les circonstances exposées dans la communication, les doutes de l'auteur quant à l'efficacité des recours internes ne le dispensaient pas d'épuiser ceux-ci, et en conclut que la condition stipulée à l'alinéa b)du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif n'est pas remplie.

8. En conséquence, le Comité des droits de l'homme decide :

a) Que la communication est irrecevable;

b) Que cette décision sera communiquée à 1'Etat partie et à l'auteur.



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