University of Minnesota



L. R. et T. W. (noms supprimés)
c. Jamaïque, Communication No. 258/1987, U.N. Doc. CCPR/C/39/D/258/1987 (1990).



Comité des droits de l'homme
Trente-neuvième session


DECISION PRISE PAR LE COMITE DES DROITS DE L'HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE
FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS
CIVILS ET POLITIQUES -TRENTE-NEUVIEME SESSION

concernant la

Communication No. 258/1987



Préentée Dar : L. R. et T. W. (noms supprimés)

Au nom de: Les auteurs

Etat partie intéressé : Jamaïque

Date de la communication : Non datée (reçue le 15 décembre 1987)

Le Comité des droits de 1 , homme , créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 13 juillet 1990,

Adopte la décision ci-après :



Décision concernant la recevabilité


1. Les auteurs de la communication (première lettre reçue le 15 décembre 1987 et communications ultérieures datées des 9 mars, 9 juin
et 4 octobre 1988)sont L. R. et T. W., deux citoyens jamaïquains détenus à la prison du district de Ste-Catherine (Jamaïque)où ils attendent d'être exécutés.

2.1 Les auteurs déclarent que le 4 juillet 1980, ils ont été arrêtés et soumis à une confrontation pour identification parce qu'ils étaient soupçonnés d'être impliqués dans un meurtre. L. R. n'a pas été reconnu alors que T. W. l'a été. La police les a informés qu'un dénommé D. J. les avait accusés de complicité. Les auteurs affirment que la police aurait exercé des pressions sur lui pour qu'il donne leurs noms. Ils ont été passés en jugement, déclarés coupables et condamnés à mort le 17 mai 1982 par la Home Circuit Court
de Kingston.

2.2 La cour d'appel de la Jamaïque a rejeté l'appel des deux auteurs le 24 octobre 1984. Ceux-ci affirment qu'on ne leur a pas fait savoir s'il leur était encore possible de demander l'autorisation de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé. S'ils le pouvaient, il faudrait qu'ils puissent bénéficier d'une aide judiciaire en raison de la précarité de leur situation financière. Ils déclarent que les autorités jamaïquaines le savent bien, puisqu'elles ont dû désigner un avocat d'office pour les assister pendant leur procès. Depuis le rejet de leur appel, les autorités ont omis de désigner un avocat d'office pour les aider bien qu'ils aient à plusieurs reprises manifesté l'intention d'introduire un nouveau recours, ce qui montre selon eux que le Gouvernement jamaïquain n'a pas rempli les obligations qui lui incombent en vertu des alinéas c) et d) du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, pour ce qui est notamment de l'obligation de 1'Etat partie de les faire passer en jugement sans retard excessif.

3. Dans sa décision du 15 janvier 1988, le Rapporteur spécial du Comité des droits de l'homme chargé des affaires pouvant entraîner la peine de mort a transmis la communication à 1'Etat partie pour information, en le priant, en vertu de l'article 86 du règlement intérieur du Comité, de ne pas exécuter la sentence de mort prononcée contre les auteurs avant que le Comité n'ait eu la possibilité d'examiner plus avant la question de la recevabilité de leur communication. Les auteurs ont été priés de fournir certains éclaircissements concernant cette affaire.

4.1 Dans une lettre datée du 9 mars 1988, les auteurs déclarent que, lorsqu'ils ont comparu devant la Home Circuit Court de Kingston, ils étaient accusés du meurtre d'un certain S. H., commis le 20 juin 1980 à St. Agnew. Un témoin à charge a certifié n'avoir pas vu qui était l'auteur du coup de feu mortel. La police leur avait signalé, toutefois, . qu'un certain D. J. avait fait une déclaration affirmant qu'ils étaient bien les auteurs du crime et que c'était sur la foi de cette déclaration qu'ils avaient été arrêtés. Lors de la séance 'identification, le témoin avait reconnu T. W., mais non L. R. Les auteurs ne se souviennent ni de la date de cette séance ni de celle à laquelle ils ont été déférés pour la première fois devant un tribunal après avoir été inculpés de meurtre. T. W. précise qu'il n'était pas représenté au moment de la séance d'identification. L. R. prétend qu'au commissariat les policiers l'auraient amené par la ruse à signer une déclaration les impliquant, lui et T. W., dans le crime présumé. Il affirme n'avoir, en réalité , jamais fait de déclaration à la police. A l'époque, il ne savait ni lire ni écrire; ce fait était connu du fonctionnaire de police, qui n'a pas donné lecture à L. R. de la déclaration qu'il avait signée. Les auteurs déclarent que la police a fait comparaître D. J. devant la Gun Court pour l'audience préliminaire. D. J. a indiqué au tribunal qu'il n'avait fait aucune déclaration à la police et qu'il avait été malmené au commissariat. Les auteurs signalent que, par la suite, la police n'a pas fait comparaître D. J. devant la Home Circuit Court de Kingston pour témoigner.

4.2 Les deux auteurs déclarent n'avoir pas eu de possibilités suffisantes de consulter leurs avocats avant que leur appel soit entendu, les autorités jamaïquaines ne leur ayant communiqué la date de l'audience et le nom des avocats commis pour les défendre que le jour même de l'audience. Il apparaît que ni les auteurs ni leurs représentants n'ont demandé la comparution de témoins à décharge. Depuis le rejet de leur appel, le 24 octobre 1984, les auteurs n'ont pas encore eu communication du texte de l'arrêt. Les deux auteurs reconnaissent avoir été représentés en première instance et en appel. 4.3 Les auteurs déclarent aussi que, depuis le rejet de leur appel, ils n'ont Pas été informés d'un éventuel droit à une assistance juridique pour solliciter l'autorisation de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé, bien qu'ils aient demandé par deux fois qu'une aide judiciaire leur soit accordée à cette fin.

5. Le 22 mars 1988, 1'Etat partie a informé le Comité que la communication était irrecevable au motif que les auteurs n'avaient pas épuisé les voies de recours internes, sans toutefois préciser de quels recours il s'agissait. Dans une décision prise le même jour, le Groupe de travail du Comité, en vertu de l'article 91 de son règlement intérieur, a prié 1'Etat partie de fournir des informations et des observations complémentaires relatives à la recevabilité de la communication. Conformément à l'article 86, il l'a prié de ne pas exécuter la sentence de mort prononcée contre les deux auteurs tant que leur communication était examinée par le Comité.

6. Dans sa communication du 20 juillet 1988, présentée en vertu de l'article 91, 1'Etat partie réaffirme que les auteurs n'ont pas épuisé toutes les voies de recours internes, comme l'exige le paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. Il ajoute qu'ils ont le droit de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé en vertu de l'article 110 de la Constitution de la Jamaïque. Il affirme en outre que les auteurs peuvent bénéficier d'une aide judiciaire pour former ce recours en vertu de l'article 3 1)de la Poor Prisoners' Defence Act (loi sur la défense des détenus sans ressources).

7. Dans une lettre datée du 4 octobre 1988 concernant les renseignements soumis par 1'Etat partie, les auteurs réaffirment qu'ils ne savent toujours pas s'ils ont la possibilité de solliciter l'autorisation spéciale de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé. On leur aurait notamment indiqué qu'un recours de leur part ne serait pas fondé. En outre, 1'Etat partie ne leur a jamais fait savoir qu'ils pourraient bénéficier d'une aide judiciaire pour former un recours devant le Conseil privé. Ils estiment que, si 1'Etat partie reconnaît maintenant l'existence de cette possibilité, c'est uniquement parce qu'ils ont porté leur affaire devant le Comité des
droits de l'homme.

8. Dans des communications ultérieures datées des 27 janvier et 15 août 1989, les auteurs affirment qu'ils s'efforcent d'obtenir l'assistance d'un cabinet d'avocats à Londres pour pouvoir former un recours devant le Conseil privé. Ils demandent en conséquence au Comité de reporter l'examen de leur affaire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande.

9.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, se prononcer sur la recevabilité de la communication au sens du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a)de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

9.3 En ce qui concerne la règle de l'épuisementdes recours internes, le Comité a noté que 1'Etat partie soutient que la communication est irrecevable, les auteurs n'ayant pas adressé à la section judiciaire du Conseil privé une demande d'autorisation spéciale de recours conformément à l'article 110 de la Constitution jamaïquaine. Il constate que, tout en affirmant qu'une telle demande n'avait aucune chance d'aboutir, les auteurs s'étaient assuré à cette fin, après avoir soumis leur communication au Comité des droits de l'homme, les services pro bono d'un cabinet d'avocats londonien, et que ce dernier continue à examiner la possibilité de présenter une demande d'autorisation spéciale de recours en leur nom. Bien que profondément préoccupé par l'absence apparente d'arrêt motivé de la cour d'appel de la Jamaïque dans cette affaire, le Comité ne peut pas conclure qu'une demande d'autorisation spéciale de recours devant la section judiciaire du Conseil privé, même si elle n'est pas accompagnée du texte de l'arrêt rendu par la cour d'appel, doive être considérée comme a Priori inutile. Il estime donc que les conditions prévues au paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif n'ont pas été remplies.

10. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :

a) que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif;

b) qu'il faut prier 1'Etat partie de communiquer sans nouveau retard le texte de l'arrêt rendu par la cour d'appel aux auteurs, afin qu'ils puissent former un recours utile devant la section judiciaire du Conseil privé et de faire en sorte qu'une aide suffisante leur soit accordée à cette fin;

c) qu'étant donné que le Comité peut, conformément au paragraphe 2 de l'article 92 de son règlement intérieur, reconsidérer cette décision s'il est saisi par les auteurs ou en leur nom d'une demande écrite contenant des renseignements d'où il ressortirait que les motifs d'irrecevabilité ont cessé d'exister, 1'Etat partie est prié , compte tenu de l'esprit et de l'objet de l'article 86 du règlement intérieur du Comité, de surseoir à la peine capitale prononcée contre les auteurs tant que ces derniers n'auront pas eu raisonnablement le temps, après avoir épuisé les recours internes utiles qui leur sont ouverts, de demander au Comité de reconsidérer la présente décision;

d) que la présente décision sera communiquée à 1'Etat partie et aux auteurs de la communication.



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