University of Minnesota



Paul Kelly c. Jamaïque
, Communication No. 253/1987, U.N. Doc. CCPR/C/41/D/253/1987 (1991).



Comité des droits de l'homme
Quarante-et-unième session





CONSTATATIONS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE
L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE
INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
QUARANTE ET UNIEME SESSION

concernant la

Communication No 253/1987




Présentée par : Paul Kelly (représenté par un conseil)

Au nom de : L'auteur

Etat partie intéressé : Jamaïque

Date de la communication : 15 septembre 1987

Date de la décision sur la recevabilité : 17 octobre 1989

Le Comité des droits de l'homme, institué conformément a l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 8 avril 1991,

Ayant achevé l'examen de la communication No 253/1987, présentée au Comité par M. Paul Kelly, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie intéressé,

Adopte ce qui suit :


Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

1. L'auteur de la communication (première lettre datée du 15 septembre 1987 et correspondance ultérieure)est Paul Kelly, citoyen jamaïquain actuellement détenu à la prison du district de Sainte-Catherine (Jamaïque), où il attend d'être exécuté. Il affirme être victime de la violation, par le Gouvernement jamaïquain, du paragraphe 2 de l'article 6, de l'article 7, des paragraphes 3 et 4 de l'article 9, de l'article 10 et des paragraphes 1 et 3 a)à e)et g)de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.


Les faits tels qu'ils sont présentés par l'auteur


2.1 L'auteur a été arrêté et placé en garde à vue le 20 août 1981. Il est resté en détention jusqu'au 15 septembre 1981 sans qu'aucun acte d'inculpation ne soit lancé officiellement contre lui. A la suite d'une déposition faite à la police le 15 septembre 1981, il a été inculpé du meurtre, le 2 juillet 1981, d'un certain Owen Jamieson. Il est passé en jugement en même temps qu'un coaccusé, Trevor Collins, devant la Circuit Court de Westmoreland entre le 9 et le 15 février 1983. M. Kelly et M. Collins ont été reconnus coupables de meurtre et condamnés à mort. Le 23 février 1983, l'auteur a fait appel de sa condamnation; le 28 avril 1986, la cour d'appel de la Jamaïque l'a débouté sans produire de jugement motivé. En appel, le Conseil de l'auteur a simplement déclaré qu'il ne voyait aucune raison justifiant ce recours. Faute de jugement motivé de la cour d'appel, l'auteur s'est abstenu de s'adresser à la section judiciaire du Conseil privé pour demander l'autorisation de former un recours devant cette instance.

2.2 Les éléments de preuve sur lesquels s'est fondée l'accusation tenaient au fait que le ler juillet 1981, l'auteur et M. Collins avaient vendu une vache à Basil Miller auquel ils avaient donné un reçu. Or, d'après le ministère public, la vache avait été volée à M. Jamieson. Ce dernier s'était rendu chez M. Miller dans l'après-midi du ler juillet et avait reconnu la vache comme lui appartenant. L'auteur et M. Collins auraient alors tué M. Jamieson, pensant qu'il avait obtenu de M. Miller le reçu les impliquant dans le vol de la vache.

2.3 Au cours du procès, le ministère public a fourni certaines preuves contre l'auteur et son coaccusé : a)la découverte de vêtements tachés de sang dans les latrines de la maison où vivaient les accusés: b)la présence d'un motif: et c)le témoignage verbal de la soeur de l'auteur et du frère de Trevor Collins. Le témoignage de la soeur de l'auteur a été particulièrement important puisqu'il a permis d'identifier les vêtements trouvés dans les latrines. D'après le ministère public, l'auteur et M. Collins ont fui le district après le meurtre: le frère de M. Collins a déclaré que les accusés lui avaient emprunté une valise aux petites heures du jour qui a suivi le meurtre.

2.4 L'auteur a contesté l'affirmation du ministère public selon laquellé il aurait fait la déclaration du 15 septembre 1981 de son plein gré. Du banc des accusés, alors qu'il n'était pas sous serment, il a déclaré avoir été frappé par des policiers qui ont essayé de le contraindre à passer aux aveux. Il affirme que les policiers voulaient lui faire signer une déposition "cousue de fil blanc", mais qu'il a résisté aux coups et refusé de signer les documents qui lui étaient présentés. Il soutient par ailleurs qu'il n'a jamais fait de déclaration à la police et qu'il ne savait rien des conditions dans lesquelles M. Jamieson a trouvé la mort.

3.1 L'auteur se dit victime d'une violation de l'article 7 et du paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte, au motif qu'il a fait l'objet de menaces et de brutalités de la part des policiers qui cherchaient à le faire avouer et signer une déposition. Bien que la police se soit efforcée de contester cette version au procès, l'auteur affirme que plusieurs éléments confirment ses dires : ainsi, ses "aveux spontanés" n'ont été obtenus que près de quatre semaines après son arrestation: aucun témoin indépendant n'était présent au moment OÙ il aurait avoué et signé sa déposition, et les éléments de preuve apportés par le ministère public concernant la façon dont sa déposition a été obtenue se contredisaient sur bien des points.

3.2 L'auteur ajoute qu'il s'est écoulé 26 jours entre son arrestation, le 20 août 1981, et le dépôt d'un acte formel d'inculpation contre lui, le 15 septembre 1981. Pendant cette période, il prétend qu'il n'a pas été autorisé à contacter sa famille ni à consulter un avocat, bien qu'il ait demandé à en voir un. Après son inculpation, il s'est écoulé encore une semaine avant qu'il soit déféré devant un juge; pendant ce temps, il se trouvait détenu sous la seule responsabilité de la police et n'a pu contester sa garde à vue. Cet état de choses, allègue-t-il, atteste la violation des paragraphes 3 et 4 de l'article 9 : il n'a pas été 'traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires" et s'est vu refuser la possibilité de contester la légalité de sa détention pendant les cinq premières semaines qui ont suivi son arrestation.

3.3 D'après l'auteur, 1'Etat partie a violé le paragraphe 3 a)de l'article 14, parce qu'il n'a pas été informé dans le plus court délai et de façon détaillée, de la nature de l'accusation portée contre lui. Lors de son arrestation, il a été détenu pendant plusieurs jours, à la maison d'arrêt de Kingston, en attendant que la police de Westmoreland vienne le chercher et on lui a simplement dit qu'il était recherché dans le cadre d'une enquête criminelle. On ne lui a donné aucune autre précision, même après son transfert à Westmoreland. Ce n'est que le 15 septembre 1981 qu'il a été informé qu'il était inculpé du meurtre d'Owen Jamieson.

3.4 L'auteur soutient que le paragraphe 3 b)et, d)de l'article 14 a été violé en l'espèce, car on lui a refusé le temps et les facilités nécessaires pour préparer sa défense, qu'il n'a pratiquement pas pu communiquer avec le conseil qui devait le représenter en première instance et en appel, ni avant, ni pendant le procès en première instance et en appel et qu'il n'a pas été en mesure de se défendre en recourant à l'assistance du défenseur de son choix. Il a donc rencontré d'énormes difficultés pour se faire représenter par un avocat. Le conseil qui lui a été commis d'office en première instance ne s'est entretenu avec lui que le jour même de l'ouverture du procès, et ce, une quinzaine de minutes seulement, pendant lesquelles il a été pratiquement impossible au conseil de préparer utilement la 'défense de l'auteur. Pendant le procès, il n'a pas pu consulter l'avocat plus de sept minutes au total; autrement dit, la préparation de la défense avant et pendant le procès n'a pas duré plus de 22 minutes. Il fait observer que le manque de temps pour préparer le procès lui a été extrêmement préjudiciable, son puisque avocat n'a pas pu préparer correment sa défense sur le point de la recevabilité de ses "aveux" et en ce qui concerne le contre-interrogatoire des témoins. Pour ce qui est de la procédure d'appel, l'auteur soutient qu'il n'a jamais rencontré son conseil, qu'il ne lui a pas même donné d'instructions, et qu'il n'était pas présent à l'audience.

3.5 L'auteur prétend également que les dispositions du paragraphe 3 d)de l'article 14 ont été violées. A cet égard, il note qu'étant pauvre il a dû recourir aux services d'avocats désignés d'office dans l'action engagée contre lui. S'il reconnaît que cette situation ne révèle pas en soi un manquement au paragraphe 3 d)de l'article 14, il affirme que l'insuffisance du système d'assistance judiciaire jamaïquain qui explique pourquoi il s'est produit un retard non négligeable avant qu'il puisse obtenir de se faire représenter convenablement, revient bel et bien à une violation de cette disposition. Il ajoute que, comme il n'a pas eu la possibilité de s'entretenir de son affaire avec l'avocat désigné d'office pour le défendre en appel, il n'avait aucun moyen de savoir que son avocat se proposait de retirer son recours et qu'il n'a donc pas pu s'y opposer. Il ajoute que, s'il avait été mis au courant de la situation, il aurait demandé les services d'un autre conseil.

3.6 L'auteur affirme qu'il a été victime d'une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14, puisqu'il n'a pas été jugé sans retard excessif. Ainsi, il s'est écoulé près de 18 mois entre son arrestation et l'ouverture du procès. Pendant toute cette période, il se trouvait placé en garde à vue. De ce fait, il n'a pas pu mener sa propre enquête, ce qui lui aurait permis de préparer lui-même sa défense, n'ayant pu bénéficier immédiatement des services d'un avocat commis d'office.

3.7 De l'avis de l'auteur, il s'est vu refuser le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, en violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Il affirme que, en premier lieu, il a été mal représenté par les deux avocats désignés d'office chargés de le défendre en première instance et en appel. Pendant le procès, son représentant n'aurait jamais été en mesure de présenter sa défense de façon constructive. Il a procédé au contre-interrogatoire des témoins à charge de façon superficielle et n'a pas invité de témoins à décharge à déposer, alors que l'auteur note que sa tante, une certaine Mme Black, aurait pu corroborrer son alibi. Par ailleurs, le conseil a omis de citer à comparaître la propriétaire de la maison où résidait l'accusé. Or, cette femme avait donné à la police les renseignements qui avaient conduit a l'arrestation de l'auteur. Il s'agit là, aux dires de l'auteur, d'une violation du paragraphe 3 e)de l'article 14. Deuxièmement, l'auteur se plaint du parti pris et du manque d'impartialité dont le juge aurait fait preuve. Ce dernier, en effet, aurait accepté les témoignages, fondés sur la rumeur publique, de Basil Miller et d'autres témoins. Lorsque le conseil de l'auteur a commencé sa plaidoirie, le juge a manifesté le désir d'en finir rapidement avec cette affaire, alors qu'il s'était abstenu de faire pareille déclaration dans le cas du réquisitoire. Il aurait tenu des propos désobligeants à l'égard de-la défense, au détriment de la présomption d'innocence. Enfin, le juge aurait mené l'interrogatoire préliminaire (procédure de voir dire) pour savoir si l'auteur avait avoué spontanément, de façon "foncièrement inéquitable".

3.8 Enfin, l'auteur affirme qu'il est victime d'une violation de l'article 10 du Pacte, puisque le traitement auquel il a été soumis dans le quartier des condamnés à mort est incompatible avec le respect de la dignité inhérente de la personne humaine. A cet égard, il joint copie d'un rapport sur les conditions de détention dans le quartier des condamnés à mort à la prison de Sainte-Catherine, rédigé par une organisation non gouvernementale des Etats-Unis, qui décrit les conditions de vie déplorables des condamnés à mort. L'auteur précise que ces conditions ont mis sa santé en péril, ajoutant qu'on ne lui donne pas suffisamment à manger, que la nourriture est de très faible valeur nutritive, qu'il n'a jamais accès aux installations récréatives ou sportives et qu'il est enfermé dans sa cellule pratiquement 24 heures sur 24. Il ajoute que les autorités pénitentiaires n'assurent pas même le minimum nécessaire à une bonne hygiène, un régime alimentaire suffisant, des soins médicaux ou dentaires, ni aucune formation. Considérées dans leur ensemble, ces conditions porteraient atteinte à l'article 10 du Pacte. L'auteur renvoie aux décisions déjà prises par le Comité en la matière.

3.9 S'agissant de la condition relative à l'épuisement des recours internes, l'auteur soutient que, bien qu'il n'ait pas fait recours devant la section judiciaire du Conseil privé, il devrait être considéré comme s'étant acquitté des conditions requises au paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif. Il note que, conformément à l'article 4 du règlement du Conseil privé, la section judiciaire doit être saisie d'un jugement écrit de la cour d'appel pour pouvoir connaître d'un recours.

3.10 L'auteur fait observer par ailleurs que c'est pratiquement trois ans après le rejet de son appel qu'il a appris l'existence de la note de jugement oral. Le Conseil ajoute que les minutes, obtenues en octobre 1989, sont incomplètes en ce qui concerne les aspects matériels, y compris la récapitulation du juge, ce qui ne fait qu'entraver les efforts pour former valablement un recours auprès du Conseil privé. Il fait aussi valoir subsidiairement que, comme près de huit ans se sont déjà écoulés depuis la condamnation de l'auteur, la poursuite de recours internes s'est prolongée déraisonnablement. Enfin, il affirme qu'une motion constitutionnelle auprès de la Cour suprême (constitutionnelle)de la Jamaïque échouerait immanquablement, à la lumière du précédent créé par les décisions
rendues par la section judiciaire dans l'affaire Ministère public c. Nasralla 21 et Rilev et consorts c. Ministère public de la Jamaïque, aux termes desquelles la Constitution jamaïquaine visait à empêcher non pas les traitements inéquitables en vertu de la loi, mais l'adoption d'une loi injuste.

Les observations de 1'Etat partie

4.1 L'Etat partie soutient que la communication est irrecevable parce que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes, attendu qu'il conserve le droit, aux termes de l'article 110 de la Constitution jamaïquaine, de s'adresser à la section judiciaire du Conseil privé pour demander l'autorisation de faire appel. Dans ces conditions, ,ll fait observer que le règlement intérieur de la section judiciaire ne fait pas de la soumission d'un jugement écrit de la cour d'appel une condition préalable à l'examen d'une demande d'autorisation spéciale de recours. Tandis que l'article 4 prévoit que toute personne demandant l'autorisation spéciale de faire appel doit soumettre le jugement contesté, l'article premier stipule qu'il faut entendre par "jugement", tout "arrêt, ordonnance, sentence ou décision d'un tribunal, d'un magistrat ou d'une autorité judiciaire". Ainsi, pour 1'Etat partie, un arrêt ou une décision de la cour d'appel, pour différent qu'il soit d'un jugement motivé, représente une base suffisante pour demander l'autorisation spéciale de se pourvoir devant la section judiciaire. L'Etat partie ajoute que le Conseil privé a eu à connaître de requêtes qui se fondaient sur l'arrêt ou la décision de la cour d'appel rejetant le recours.

4.2 S'agissant des allégations de l'auteur quant au fond, 1'Etat partie affirme que les faits, tels qu'ils sont présentés par l'auteur "soulèvent des questions ayant trait aux faits de la cause et aux preuves, que le Comité n'est pas compétent pour apprécier". Il renvoie aux décisions prises par le Comité à propos des communications 290/1988 et 369/1989, aux termes desquelles "l'article 14 . . .
garantit le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, mais c'est aux cours d'appel des Etats parties au Pacte qu'il appartient d'apprécier les faits et les preuves dans une affaire particulière".

Les questions dont le Comité est saisi et la procédure

5.1 Se fondant sur les renseignements dont il était saisi, le Comité des droits de l'homme a conclu que les conditions à remplir pour déclarer la communication recevable étaient réunies, y compris celle de l'épuisement des recours internes. A cet égard, le Comité a estimé que, pour pouvoir demander l'autorisation spéciale de faire appel à la section judiciaire du Conseil privé, il fallait disposer d'un arrêt écrit de la cour d'appel de la Jamaïque. Il a constaté qu'en l'espèce le conseil de l'auteur était en droit de supposer que toute demande d'autorisation spéciale de recours échouerait immanquablement faute d'un jugement motivé de la cour d'appel. Il a rappelé par ailleurs qu'il n'était pas nécessaire d'épuiser les recours internes si, en toute objectivité, ils n'avaient aucune chance d'aboutir.

5.2 Le 17 octobre 1989, le Comité des droits de l'homme a déclaré la communication recevable.

5.3 Le Comité a pris acte des observations de 1'Etat partie en date des 8 mai et 4 septembre 1990, formulées après qu'il se soit prononcé sur la recevabilité, dans lesquelles 1'Etat partie insiste sur l'irrecevabilité de la communication au motif du non-épuisement des recours internes. Le Comité saisit cette occasion pour développer ses conclusions s'agissant de la recevabilité à la lumière des nouvelles observations de 1'Etat partie. L'Etat partie a fait valoir que la section judiciaire du Conseil privé pouvait connaître d'une requête d'autorisation spéciale de faire appel, même en l'absence d'arrêt écrit de la cour d'appel; il se fonde sur son interprétation de l'article 4 et en même temps de l'article premier du règlement intérieur du Conseil privé. Il est vrai que le Conseil privé a connu de plusieurs requêtes concernant la Jamaïque en l'absence d'un jugement motivé de la cour d'appel mais, à la connaissance du Comité, ces requêtes ont été toutes rejetées, en raison de l'absence d'un jugement motivé de la cour. Le Comité n'a donc aucune raison de revenir sur sa décision du 17 octobre 1989 concernant la recevabilité de la communication.

5.4 Pour ce qui est des allégations de violation du Pacte formulées par l'auteur, quant au fond, le Comité note avec préoccupation que bien que 1'Etat partie ait été prié à plusieurs reprises de fournir des éclaircissements, il s'est contenté de faire observer que tels qu'ils avaient été présentés, les faits tendaient a soulever des questions ayant trait aux faits de la cause et aux preuves, que le Comité n'était pas compétent pour apprécier; il n'a pas répondu aux allégations spécifiques de violation des articles 7, 9, 10 et 14 (par. 3)du Pacte formulées par l'auteur. Aux termes du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, un Etat partie est tenu d'enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte portées contre lui et ses autorités judiciaires, et de soumettre au Comité toutes les informations dont il dispose. Le rejet pur et simple des allégations de l'auteur ne répond pas, dans l'ensemble, aux prescriptions du paragraphe 2 de l'article 4. Dans ces conditions, il y a lieu de prêter aux allégations de l'auteur toute l'attention qu'elles méritent, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.

5.5 S'agissant de la plainte dénonçant la violation de l'article 7 et du paragraphe 3 g)de l'article 14 du Pacte, le Comité note qu'il faut comprendre le paragraphe 3 g)de l'article 14, qui veut que toute personne ait droit "à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable", comme l'obligation pour les autorités chargées de l'enquête de s'abstenir de toute pression physique ou psychologique directe ou indirecte sur l'inculpé, en vue d'obtenir une reconnaissance de culpabilité. Aussi est-il d'autant plus inacceptable de traiter l'inculpé d'une manière contraire à l'article 7 du Pacte pour le faire passer aux aveux. Dans le cas présent, 1'Etat partie n'a pas contesté la plainte de l'auteur. Il est toutefois du devoir du Comité de s'assurer que l'auteur a suffisamment étayé ses allégations, bien que 1'Etat partie ne les ait pas examinées. Après avoir soigneusement examiné ces informations et compte tenu du fait que les allégations de l'auteur ont été rejetées par le ministère public au tribunal, le Comité n'est pas en mesure de conclure que les agents chargés de l'enquête ont contraint l'auteur à se reconnaître coupable, en violation de l'article 7 et du paragraphe 3 g)de l'article 14.

5.6 S'agissant des allégations de violation des paragraphes 3 et 4 de l'article 9, 1'Etat partie n'a pas contesté que l'auteur a été détenu pendant cinq semaines environ avant d'être déféré devant un juge ou une autorité habilitée a statuer sur la légalité de sa détention. Le retard de plus d'un mois est contraire à l'exigence faite au paragraphe 3 de l'article 9 de traduire toute personne arrêtée du chef d'une infraction pénale "dans le plus court délai" devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Pour le Comité, le fait que, pendant toute cette période, on ait refusé à l'auteur l'accès à un avocat et tout contact avec sa famille, constitue une circonstance aggravante. Le droit qui lui est reconnu au paragraphe 4 de l'article 9 a donc été également violé, attendu qu'il n'a pas pu de sa propre initiative faire statuer sur la légalité de sa détention dans le plus court délai.

5.7 Pour ce qui est de la plainte de l'auteur concernant l'article 10, le Comité réaffirme que l'obligation de traiter les individus avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine s'entend notamment de la fourniture, entre autres, de soins médicaux suffisants au cours de la détention. L'obligation d'assurer aux détenus le minimum nécessaire à leur hygiène relève également du champ d'application de l'article 10. De plus, le Comité estime que, sauf circonstances exceptionnelles, le fait de ne pas assurer aux détenus une alimentation suffisante et de les priver de toute activité récréative va à l'encontre de l'article 10. Dans le cas présent, 1'Etat partie n'a pas réfuté l'allégation de l'auteur qui a 'affirmé que ses problèmes de santé résultaient de l'absence de soins médicaux lémentaires, et qu'il n'est autorisé à quitter sa cellule que 30 minutes par jour. Le droit reconnu à l'auteur au paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte a donc été violé.

5.8 Le paragraphe 3 a)de l'article 14 veut que toute personne accusée d'une infraction pénale soit informée dans le plus court délai et de façon détaillée de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle. Mais ce n'est qu'après avoir été officiellement inculpée d'une infraction pénale qu'une personne peut se prévaloir du droit à être informée dans le plus court délai. Cette disposition ne s'applique pas aux personnes placées en garde à vue en attendant le résultat de l'enquête de police; celles-ci peuvent en revanche faire valoir le droit qui leur est reconnu au paragraphe 2 de l'article 9 du Pacte. Or, 1'Etat partie n'a pas contesté que l'auteur n'avait pas été informé en détail avant plusieurs semaines des raisons de son arrestation, non plus que des faits qui avaient valu son arrestation, ni de l'identité de la victime. Le Comité conclut cependant qu'il n'a pas été satisfait aux conditions requises au paragraphe 2 de l'article 9.

5.9 Le droit de toute personne accusée de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense est un élément important de la garantie d'un procès équitable et un aspect important du principe de l'égalité des armes. Dans les cas où la peine capitale peut être prononcée à l'encontre de l'accusé, il va de soi qu'il faut accorder à ce dernier et à son conseil suffisamment de temps pour préparer sa défense. Pour savoir ce qu'il faut entendre par "temps nécessaire", il faut évaluer les circonstances propres à chaque cas. L'auteur soutient également qu'il n'a pu obtenir la comparution des témoins. On notera, cependant, que d'après les informations dont il dispose, le Comité ne peut déterminer si le Conseil ou l'auteur s'est plaint au juge de ne pas avoir disposé du temps ou des services nécessaires. En outre, rien ne permet de dire que le Conseil a décidé, en toute connaissance de cause, de ne pas citer de témoins ou qu'il en a fait la demande, mais que le juge l'a rejetée. Le Comité estime donc qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 3 b)et e)de l'article 14.

5.10 Pour ce qui est de la représentation de l'auteur, en particulier devant la cour d'appel, le Comité rappelle qu'il va de soi qu'un prisonnier sur qui pèse une condamnation à mort doit pouvoir bénéficier de l'assistance judiciaire. Cette règle vaut pour toutes les étapes de la procédure judiciaire. Dans le cas de l'auteur, il est clair qu'il a pu s'en prévaloir en deuxième instance. Reste à savoir si son conseil avait le droit de renoncer à faire recours sans consulter l'auteur au préalable. Il ressort de sa demande d'autorisation de se pourvoir devant la cour d'appel, datée du 23 février 1983, que l'auteur ne tenait pas à assister aux audiences de la cour d'appel, mais qu'il désirait bénéficier du concours d'un avocat. Or sans consulter l'auteur au préalable, le conseil a pensé qu'il n'y avait pas matière à recours, le laissant ainsi sans représentation judiciaire effective. Le Comité est d'avis que, si le paragraphe 3 d)de
l'article 14 ne donne pas à l'accusé le droit de choisir le défenseur qui lui est attribué d'office sans frais, des dispositions doivent être prises pour que celui-ci, une fois commis d'office, représente effectivement l'accusé dans l'intérêt de la justice. Cela s'entend de la consultation de l'accusé et de son information s'il a l'intention de reconnaître sa culpabilité ou de retirer une requête ou de faire valoir devant la cour d'appel que le recours est dénué de fondement.

5.11 La plainte de l'auteur dénonçant le "délai déraisonnable" survenu dans la procédure engagée contre lui soulève deux problèmes. L'auteur prétend que le droit qui lui est reconnu au paragraphe 3 c)de l'article 14 d'être jugé "sans retard excessif" a été violé parce qu'il s'est écoulé près de 18 mois entre son arrestation et l'ouverture du procès. Tandis que le Comité réaffirme, comme il l'a fait dans son observation générale sur l'article 14, que toutes les étapes de la procédure judiciaire devraient avoir lieu sans retard excessif, il ne peut conclure que les 18 mois qui se sont écoulés entre l'arrestation et l'ouverture du procès constituaient un "retard excessif" étant donné que rien n'indique que l'instruction aurait pu être achevée plus tôt ou que l'auteur s'en soit plaint auprès des autorités.

5.12 Cependant, faute d'arrêt écrit de la cour d'appel, qui l'a débouté de son appel en 1986, près de cinq ans se sont écoulés pendant lesquels l'auteur n'a pas été en mesure de s'adresser effectivement à la section judiciaire du Conseil privé, ainsi qu'on l'a vu au paragraphe 5.3 ci-dessus. De l'avis du Comité, il s'agit là d'une violation du paragraphe 3 c)de l'article 14 ainsi que du paragraphe 5 de l'article 14. Le Comité réaffirme que dans toutes les affaires, et surtout dans les affaires où la peine capitale est en jeu, les accusés ont droit à un procès et à la possibilité de se pourvoir en appel sans retard excessif, quelle que soit l'issue de ces procédures judiciaires.

5.13 Enfin, pour ce qui est du manque d'impartialité de la justice dont se plaint l'auteur, le Comité rappelle qu'il revient généralement aux cours d'appel des Etats parties au Pacte d'apprécier les faits de la cause et les preuves dans une affaire particulière. Il n'appartient pas en principe au Comité de remettre en question les instructions spécifiques données au jury par le juge ni de sanctionner la conduite des audiences par le juge, sauf s'il peut être établi que lesdites instructions étaient incontestablement tendancieuses ou équivalaient à un déni de justice, ou encore que le juge a manifestement violé son obligation d'impartialité. Or le Comité ne dispose pas de preuves suffisantes que tel a été le cas.

5.14 Le Comité est d'avis que prononcer la peine de mort au terme d'un procès où les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées, constitue, si aucun appel ultérieur n'est possible, une violation de l'article 6 du Pacte. Comme il l'a noté dans son observation générale 6(16), la disposition selon laquelle la peine de mort ne peut être prononcée que selon la législation en vigueur et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte implique que "les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d'innocence, les garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure". Dans le cas présent, s'il est toujours possible en théorie de se pourvoir devant la section judiciaire, il n'en demeure pas moins qu'il ne s'agit pas là d'un recours disponible au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif, pour les raisons indiquées au paragraphe 5.3 ci-dessus. En conséquence, il faut conclure que la condamnation à mort définitive a été prononcée sans que les garanties énoncées à l'article 14 aient été observées et que de ce fait le droit consacré à l'article 6 du Pacte a été violé.

6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l'article 6, des paragraphes 2, 3 et 4 de l'article 9, de l'article 10 et des paragraphes 3 c)et d), et 5 de l'article 14 du Pacte.

7. Le Comité considère que, en cas de condamnation à mort, il est impératif que les Etats parties observent rigoureusement toutes les garanties d'un procès équitable qui sont énoncées à l'article 14 du Pacte. Le Comité considère que M. Paul Kelly, victime d'une violation des paragraphes 3 c)et d)et 5 de l'article 14 du Pacte, a droit à une mesure de réparation [impliquant sa libération].

8. Le Comité souhaiterait recevoir des informations sur toutes mesures pertinentes que 1'Etat partie aura prises en rapport avec ses constatations.



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