University of Minnesota



A. A. [nom omis] c. Jamaïqu
e, Communication No. 251/1987, U.N. Doc. CCPR/C/37/D/251/1987 (1989).



Comité des droits de l'homme
Trente-septième session
Décision prise par le Comité des droits de l'homme en application du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques - trente-septième session
Communication No. 251/1987


Présentée par : A. A. [nom omis]


Au nom: L'auteur

Etat partie intéressé : Jamaïque

Date de la communication : 24 août 1987 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 1989,


Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 24 août 1987 et communications ultérieures)est A. A., citoyen jamaïquain, détenu à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque)où il attend d'être exécuté. Il est représenté par un conseil.


2. L'auteur déclare que le 15 juillet 1979, alors qu'il rentrait de son travail dans la paroisse de St. Ann, il a été attaqué par un individu armé qui l'aurait blessé aux mains, au dos et à la poitrine. Il aurait mortellement blessé son agresseur en tentant de se défendre. Il a été soigné pour ses blessures et on lui aurait fait plusieurs points de suture "au-dessus du coeur". Il a été ensuite arrêté et accusé de meurtre.


2.2 Le 27 mai 1981, l'auteur a été reconnu coupable et condamné à mort par la Circuit Court de St. Ann. En ce qui concerne les conditions dans lesquelles le procès s'est déroulé, l'auteur prétend qu'il n'a pas eu suffisamment l'occasion de s'entretenir avec l'avocat qu'on lui avait assigné d'office. En outre, deux des témoins à charge, qui auraient "payé" la victime pour qu'elle agressât l'auteur, auraient fait de faux témoignages. Certains éléments de preuve produits par la police (apparemment, les agents qui l'avaient arrêté) auraient également été "inventés". Plusieurs personnes voulaient témoigner en faveur de l'auteur. L'une d'elles, J. B., aurait fait l'objet de mesures d'intimidation de la part de la police après sa déposition et ne se serait pas représentée devant le tribunal. L'auteur affirme que la police a ainsi "saboté" les efforts des témoins à décharge.

2.3 Le 22 septembre 1982, l'appel formé par l'auteur a été rejeté par la Cour d'appel de la Jamaïque. Il ressort de la notification de la décision (" note Qf oral judgement")de la Cour d'appel, transmise à l'auteur sous couvert d'une lettre du Ministère de la justice en date du 2 novembre 1988, que l'avocat qui lui avait été désigné d'office ne se serait pas présenté devant la Cour et que l'appel aurait été rejeté sans que l'auteur eût été représenté. Cette décision orale est ainsi conçue :


"La Cour a examiné le dossier selon lequel l'appel formé personnellement par le requérant est fondé sur les deux moyens suivants :

i) procès inéquitable;

ii) preuves insuffisantes pour justifier une condamnation; le requérant ayant ajouté : 'D'autres moyens d'appel seront présentés par mon avocat, M. E. S., Brown's Town P. O., St. Ann. 'Ces moyens n'ont pas été présentés. Aucun autre moyen d'appel n'a en fait été présenté. Le Président de la Cour a estimé que, vu les preuves à charge, il s'agissait incontestablement d'un meurtre. A sa décharge, l'accusé a déclaré à l'audience avoir agi en état de légitime défense. La Cour a déclaré que le juge de première instance avait établi les faits et correctement appliqué la loi. La demande a été rejetée comme dénuée de fondement."

2.4 L'auteur affirme qu'il a été victime d'un déni de justice en première instance et en appel, et qu'il aurait dû être acquitté comme ayant agi en état de légitime défense. Il cite à cet égard une décision de la section judiciaire du Conseil privé qui, selon lui , aurait abouti à son acquittement si elle avait été appliquée en l'espèce. Il ne donne pas de détail sur cette décision, mais soutient que certains des principes qui y sont formulés n'ont pas été appliqués dans son affaire.

3. Par décision datée du 12 novembre 1987, le Comité des droits de l'homme a transmis le texte de la communication à 1'Etat partie pour information et lui a demandé, conformément à l'article 86 de son règlement intérieur, de ne pas donner suite à la condamnation à mort de l'auteur avant que le Comité eût eu la possibilité d'examiner la question de la recevabilité de la connnunication. Il a demandé à l'auteur, conformément à l'article 91 du règlement intérieur, d'apporter diverses précisions sur le déroulement de son procès en première instance et en appel, et de fournir au Comité le texte des décisions écrites rendues à son encontre. Dans une lettre datée du 21 mars 1988, l'auteur a donné certaines des précisions demandées par le Comité et a indiqué qu'il bénéficiait du concours d'un avocat de Londres pour la présentation d'une demande d'autorisation spéciale de recours devant la section judiciaire du Conseil privé.

4. Par une autre décision, datée du 22 mars 1988, le Groupe de travail du Comité des droits de l'homme a transmis le texte de la communication à 1'Etat partie en le priant, en vertu de l'article 91 du règlement intérieur du Comité, de fournir des renseignements et observations concernant la question de la recevabilité de la communication. L'Etat partie était notamment invité à communiquer au Comité le texte des décisions écrites rendues dans cette affaire et à préciser si l'auteur pouvait encore demander l'autorisation de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé. L'Etat partie était en outre prié , en vertu de l'article 86 du règlement intérieur, de ne pas donner suite à la peine de mort prononcée contre l'auteur tant que la communication de ce dernier serait en cours d'examen devant le Comité.

5.1 Dans des lettres datées du 10 juillet et du 21 août 1988, l'auteur indique qu'il n'a pu obtenir copie du texte de l'arrêt de la Cour d'appel le concernant et affirme que le greffier de la Cour d'appel l'a informé que ce texte n'existait pas. L'auteur estime être victime d'un traitement inhumain et dégradant, étant donné qu'il attend d'être exécuté depuis mai 1981 et qu'il faut présenter le texte de l'arrêt de la Cour d'appel à la section judiciaire du Conseil privé pour que celle-ci prenne en considération une demande d'autorisation de recours. Son avocat à Londres n'aurait pu déposer une telle demande en l'absence de ce texte.

5.2 Dans une autre lettre, l'auteur réaffirme qu'il a été représenté de façon tout à fait inadéquate pendant toute la procédure, et que son avocat n'a pas même présenté d'autres moyens d'appel , comme il le lui avait demandé. D'une manière générale, par suite de l'insuffisance des honoraires versés aux avocats désignés d'office au titre de l'aide judiciaire, rares sont les avocats qui défendent sérieusement les intérêts de leurs clients exposés a la peine capitale; de ce fait, beaucoup de détenus ont perdu confiance en un système qui leur permet théoriquement de demander l'autorisation de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé.


6. Dans les renseignements et observations qu'il a présentés le 7 décembre 1988 en vertu de l'article 91, 1'Etat partie fait valoir que la communication est irrecevable, étant donné que tous les recours internes n'ont pas été épuisés et que l'auteur a encore le droit, en application de l'article 110 de la Constitution jamaïquaine, de demander l'autorisation de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé. Il ajoute que l'auteur peut bénéficier d'une aide judiciaire à cette fin, conformément au paragraphe 1 de l'article 3 de la loi relative à la défense des prisonniers nécessiteux. L'auteur n'a pas fait de commentaire sur cette communication de 1'Etat partie.


7. Le 21 décembre 1988, le cabinet d'avocats représentant l'auteur a informé le secrétariat que l'avocat principal chargé de donner son avis sur les chances de succès d'une demande d'autorisation de recours devant la section judiciaire du Conseil privé avait conclu six mois auparavant qu'une telle demande serait inutile. Par la suite, le cabinet avait reçu d'un tiers aux Etats-Unis une copie de la notification de décision (" note of oral judgement") de la Cour d'appel de la Jamaïque datée du 22 septembre 1982; sur la base de ce document, une avocate avait été chargée de donner également son avis sur les chances de succès d'une demande d'autorisation. Le 5 septembre 1989, l'avocate a confirmé que son cabinet s'employait toujours à porter l'affaire de l'auteur devant la section judiciaire du Conseil privé et a informé le Comité qu'une demande d'autorisation de recours pourrait être fondée sur deux moyens : l'absence de motivation dans l'arrêt de la Cour d'appel, et l'âge de l'auteur au moment du meurtre.


8.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.


8.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu de l'alinéa a) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.


8.3 S'agissant de la règle de l'épuisement des recours internes, le Comité note que 1'Etat partie fait valoir que la communication est irrecevable, l'auteur n'ayant pas présenté à la section judiciaire du Conseil privé de demande d'autorisation de former un recours. Il constate que l'auteur, après avoir présenté sa communication au Comité des droits de l'homme, a obtenu de se faire représenter à cette fin par des avocats de Londres et que ces derniers continuent à préparer une demande d'autorisation de recours en son nom. Bien que profondément préoccupé par le délai qui s'est écoulé avant que l'auteur
ne reçût copie de la notification de décision (" note of oral judgment) de la Cour d'appel de la Jamaïque , en novembre 1988, le Comité ne peut pas conclure qu'une demande d'autorisation de recours devant la section judiciaire du Conseil privé doive être considérée comme vaine a priori.

Il estime donc que les conditions prévues à l'alinéa b)du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif ne sont pas remplies.

9. Le Comité des droits de l'homme décide en conséquence :

a) Que la communication n'est pas recevable en vertu de l'alinéa b) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif;

b) Qu'étant donné qu'il peut, conformément au paragraphe 2 de l'article 92 de son règlement intérieur, reconsidérer cette décision s'il
est saisi par l'auteur ou en son nom d'une demande écrite contenant des renseignements d'où il ressortirait que les motifs d'irrecevabilité ont cessé d'exister, 1'Etat partie sera prié, compte tenu de l'esprit et de l'objet de l'article 86 du règlement intérieur du Comité, de surseoir à la peine capitale prononcée contre l'auteur tant que ce dernier n'aura pas eu raisonnablement le temps, après avoir épuisé les recours internes utiles qui lui sont ouverts, de demander au Comité de reconsidérer la présente décision;

c) Que la présente décision sera communiquée à 1'Etat partie, a l'auteur de la communication et à son conseil.



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