University of Minnesota



Irvine Reynolds c. Jamaïqu
e, Communication No. 229/1987, U.N. Doc. CCPR/C/41/D/229/1987 (1991).



Comité des droits de l'homme
Quarante-et-unième session

CONSTATATIONS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE DU
PARAGRAPHE 4 DE L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE
RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS
CIVILS ET POLITIQUES -QUARANTE ET UNIEME SESSION

concernant la

Communication No 229/1987


Présentée Dar : Irvine Reynolds

Au nom de : L'auteur

Etat: Jamaïque

Date de la communication : 22 avril 1987

Date de la décision sur la recevabilité : 18 juillet 1989

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 8 avril 1991,

Avant achevé l'examen de la communication No 229/1987, présentée au Comité par Irvine Reynolds, en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Avant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui Ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie
intéressé,

Adopte ce qui suit :


Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif


1. L'auteur de la communication (première lettre datée du 22 avril 1987 et lettres ultérieures)est Irvine Reynolds, citoyen jamaïquain
actuellement détenu à la prison de district de Sainte-Catherine (Jamaïque)où il attend d'être exécuté. Il se déclare victime d'une
violation de ses droits de l'homme par le Gouvernement jamaïquain, sans préciser quelles dispositions du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques il estime avoir été violées; il ressort clairement de ses lettres, toutefois, que les allégations en question
relèvent essentiellement de l'article 14 du Pacte. L'auteur est représenté par un avocat.

Les faits tels qu'ils sont présentés par l'auteur

2.1 L'auteur a été arrêté le ler novembre 1982 parce qu'il était soupçonné d'avoir assassiné, à l'aube du 31 octobre 1982, Reginald
Campbell, commerçant résidant dans le district de Sanquinetti, commune de Clarendon (Jamaïque). L'auteur et un coaccusé, Errol
Johnson, ont été traduits devant la Circuit Court de Clarendon, qui les a reconnus coupables, le 15 décembre 1983, des chefs
d'inculpation retenus, et condamnés à mort. Leur appel a été rejeté le 29 février 1988 par la Cour d'appel de la Jamaïque, qui a présenté
son arrêt écrit le 14 mars 1988. Par la suite, l'avocat de l'auteur a tenté de déposer une demande d'autorisation spéciale en vue
d'engager un recours devant la Section judiciaire du Conseil privé; en janvier 1991, la demande n'avait toujours pas été déposée faute
des pièces judiciaires nécessaires.

2.2 Les éléments de preuve retenus durant le procès étaient indirects et par présomption. Le 31 octobre 1982, aux environs de 9
heures du matin, la fille de la victime a trouvé son père mort dans un couloir de sa boutique, où il avait l'habitude de passer la nuit. Il
avait été poignardé au cou et le décès était dû au sectionnement de l'artère carotide droite et de la veine jugulaire droite. Un
peu auparavant, l'un des témoins à charge, Lawrence Powell, avait vu l'auteur et son coaccusé, qui se trouvaient dans la rue en face
du magasin de M. Campbell. M. Powell connaissait l'auteur, qui lui a demandé des cigarettes. M. Powell a suggéré à l'auteur et à M.
Johnson d'attendre que le magasin de M. Campbell soit ouvert.

2.3 Un peu plus tard durant la matinée, un autre témoin à charge, Errol Carnegie, a vu l'accusé marcher sur la route venant du magasin de la victime, à environ un kilomètre et demi du lieu du crime. Errol Johnson portait un sac de voyage et l'auteur en portait deux. L'auteur a demandé à M. Carnegie de les aider à porter les sacs, qui contenaient des objets non précisés. Ils ont marché pendant près de 3 kilomètre; M. Carnegie a remarqué que l'auteur était manifestement nerveux et jouait de façon ostentatoire avec un couteau, qu'il a essayé de dissimuler à l'approche d'un autobus. M. Carnegie a identifié les accusés par la suite.

2.4 Le ler novembre, la police a fait une perquisition dans la maison habitée par les accusés. Dans une pièce occupée par l'auteur, les policiers ont trouvé un sac de cuir marron contenant plusieurs paquets de cigarettes et des chèques signés par M. Campbell. Dans la pièce occupée par M. Johnson, ils ont trouvé un sac de voyage bleu avec une paire de chaussures de sport. Le 12 novembre 1982, ces objets ont été présentés à la fille de la victime au commissariat de police de Mandeville. Elle a confirmé que les objets saisis dans la chambre de l'auteur étaient analogues à ceux qui étaient vendus dans le magasin de son père, et que les chèques appartenaient à son père, qui les avait signés en sa qualité de Président de l'Area Coffee Industry Board. A cette occasion, Errol Johnson a fait une' observation impliquant clairement l'auteur dans le crime.

2.5 Errol Johnson a fait immédiatement après une déclaration à la police. Bien qu'il ait tenté de se disculper, il a reconnu avoir été présent sur le lieu du crime et a ajouté qu'il avait été choqué de voir l'auteur agresser brutalement M. Campbell. L'auteur aurait écarté ses remontrances et se serait référé à l'appartenance politique de la victime.

2.6 Durant le procès, l'auteur et M. Johnson ont fait valoir qu'ils étaient ailleurs le matin en question et ont présenté des alibis en ce sens.


La plainte

3.1 L'auteur déclare que dans son cas la procédure judiciaire a été inéquitable, à la fois dès l'instruction et au stade du procès devant la Circuit Court de Clarendon. Il affirme ainsi ne pas avoir été assisté de son avocat lors des cinq séances d'identification auxquelles il a participé après son arrestation; d'après l'auteur, personne n'aurait été en mesure de l'identifier au cours de ces séances.

3.2 L'auteur fait valoir par ailleurs que son procès a été inéquitable en ce sens que le juge a admis comme éléments de preuve des dépositions contradictoires faites par certains des témoins à charge. C'est ainsi qu'un témoin aurait apparemment affirmé qu'il connaissait l'auteur depuis janvier alors 1981, que ce dernier peut prouver qu'il était, à l'époque, en prison pour une condamnation antérieure, et ce, jusqu'en décembre 1981. Un autre témoin a affirmé connaître l'auteur depuis 1978, ce qui s'est également révélé faux.

3.3 L'auteur affirme que son droit à un procès équitable a été violé dans la mesure où quatre des jurés avaient été des amis intimes de la victime. Il reste à savoir, toutefois, s'il a signalé ce fait à son avocat. En ce qui concerne l'assistance judiciaire, l'auteur indique qu'il a été représenté au procès par deux avocats au titre de cette assistance; il reconnaît que ceux-ci l'ont aidé comme il convenait à préparer sa défense et qu'il a eu suffisamment la possibilité de s'entretenir avec eux durant le procès.

3.4 Selon l'auteur, certains des témoins auxquels il avait demandé de déposer en sa faveur et qui avaient assisté un jour à l'audience n'ont pas témoigné parce qu'ils auraient fait l'objet de mesures d'intimidation de la part de l'un des inspecteurs de police chargés de l'enquête.

3.5 Pour ce qui est de l'appel, immédiatement après le prononcé du jugement, l'avocat de l'auteur aurait informé son client qu'il disposait de six moyens d'appel, dont le principal était les instructions insuffisantes données par le juge aux membres du jury quant aux preuves d'identification. D'après l'auteur, un fonctionnaire de l'administration pénitentiaire l'avait empêché de remplir des formulaires de recours durant sa détention. L'auteur s'en était plaint au Médiateur parlementaire, lequel lui a répondu qu'il avait fait le nécessaire. L'auteur a également essayé de contacter son avocat qui a ignoré ses demandes d'assistance. Un appel a néanmoins été introduit et rejeté, sur quoi son avocat a dit à l'auteur que la présentation d'une demande d'autorisation spéciale de recours devant la Section judiciaire du Conseil privé se justifierait.

3.6 En ce qui concerne la règle de l'épuisement des recours internes, le conseil indique qu'en dépit d'efforts réitérés et prolongés, les copies des pièces judiciaires nécessaires pour déposer effectivement une demande d'autorisation de recours devant la Section judiciaire n'ont pas été communiquées par 1'Etat partie. A cet égard, le conseil explique que l'article 4 des dispositions légales qui
régissent les recours devant la Section judiciaire stipule que tout jugement qui fait l'objet d'une demande d'autorisation d'action en appel doit être déposé au greffe du Conseil privé. De juillet 1988 à l'automne 1990, cet avocat a écrit à maintes reprises aux autorités pour leur demander des copies des pièces de mise en accusation des actes du procès et de l'arrêt de la Cour d'appel, le tout en vain. C'est seulement en décembre 1990 que plusieurs pièces judiciaires ont été communiquées par 1'Etat partie, y compris certaines parties des actes du procès: toutefois, des éléments essentiels de ces actes font défaut, notamment le résumé de l'affaire présenté par le juge du tribunal aux membres du jury. L'avocat fait valoir que sans le texte intégral des actes du procès, une demande d'autorisation
à la Section judiciaire ne peut constituer un recours utile au sens du Protocole facultatif.

Observations de 1'Etat partie

4.1 L'Etat partie déclare que la communication est irrecevable au sens du paragraphe 2 b)de l'article 5 du Protocole facultatif parce que l'auteur conserve le droit, en vertu de l'article 110 de la Constitution jamaïquaine, de demander l'autorisation d'engager un recours auprès de la Section judiciaire: il ajoute que l'auteur peut bénéficier d'une assistance judiciaire à cet effet, en vertu de l'article 3 de la loi relative à la défense des détenus nécessiteux.

4.2 L'Etat partie affirme en outre que selon le règlement intérieur de la Section judiciaire, il n'est pas indispensable de disposer au préalable du texte d'un arrêt de la Cour d'appel de la Jamaïque pour présenter une demande d'autorisation spéciale en vue d'un recours. Si l'article 4 stipule que toute personne formulant une demande d'autorisation spéciale de recours doit présenter le jugement qui fait l'objet de la demande, aux termes de l'article premier on entend par "jugement" tout "décret, ordre, sentence ou décision de tout tribunal, juge ou magistrat". L'Etat partie fait ainsi valoir qu'un ordre ou une décision de la Cour d'appel, à la différence d'un jugement motivé, constitue une base suffisante pour présenter une demande d'autorisation spéciale de recours devant la Section judiciaire. Il précise que le Conseil privé a examiné des demandes sur la base de l'arrêt ou de la décision de la Cour d'appel rejetant l'appel. L'Etat partie communique une copie de l'arrêt de la Cour d'appel, en ajoutant que celui-ci aurait été mis à la disposition de l'avocat de l'auteur, sur sa demande, dès la date de sa publication, le 14 mars 1988.

4.3 Enfin, 1'Etat partie affirme que ses autorités judiciaires ne sont pas responsables des retards qui auraient pu intervenir en l'occurrence dans les procédures de recours interne, dans la mesure où l'auteur serait dispensé de se prévaloir de recours internes pour le motif que les procédures correspondantes auraient excédé "des délais raisonnables".

Questions dont le Comité est saisi

5.1 Sur la base des renseignements dont il disposait, le Comité des droits de l'homme a conclu que les conditions prévues pour déclarer la communication recevable avaient été remplies. Il a fait observer que l'auteur ne pouvait pas être tenu pour responsable de la non-présentation d'une demande d'autorisation en vue d'engager un recours devant la Section judiciaire du Conseil privé, puisque ni lui, ni son avocat n'avaient pu avoir communication des documents judiciaires pertinents, dont la présentation était une condition préalable indispensable pour qu'une demande d'autorisation spéciale soit examinée par la Section judiciaire. Le Comité a observé, en
outre, que 1'Etat partie n'avait pas satisfait à la demande du Groupe de travail du 22 mars 1988, qui le priait de transmettre au Comité copie des décisions judiciaires pertinentes. Le Comité a conclu que puisque l'auteur et son avocat avaient échoué dans leurs efforts persistants pour obtenir que l'affaire soit examinée par la Section judiciaire, les procédures de recours interne s'étaient prolongées au-delà de délais raisonnables.

5.2 Le 18 juillet 1989, le Comité des droits de l'homme a déclaré la communicatior recevable.

5.3 Le Comité a examiné les observations faites par 1'Etat partie le 10 janvier 1990 après adoption de sa décision sur la recevabilité, dans lesquelles celui-ci réaffirmait que la communication était irrecevable parce que les recours internes n'avaient pas été épuisés. Le Comité saisit cette occasion pour expliciter ses conclusions en matière de recevabilité.

5.4 L'Etat partie affirme que la Section judiciaire du Conseil privé peut examiner une demande d'autorisation de recours même sans copie de l'arrêt de la Cour d'appel. Il se fonde sur son interprétation de l'article 4, en relation avec l'article premier, du règlement intérieur du Conseil privé. Si le règlement intérieur de la Section judiciaire n'exclut pas ce raisonnement, il ne prend pas en compte le fait qu'au regard du Protocole facultatif un recours judiciaire doit non seulement être possible en théorie, mais aussi être utile, c'est-à-dire avoir une perspective raisonnable d'aboutir. Le Comité rappelle, dans ce contexte, qu'il n'est pas nécessaire d'épuiser les recours internes si ceux-ci n'ont pas objectivement de perspective d'aboutir.

5.5 Selon 1'Etat partie, le texte de l'arrêt de la Cour d'appel aurait été mis à la disposition de l'auteur ou de son avocat, sur demande, après sa
publication le 14 mars 1988. Néanmoins, il ressort des informations dont le Comité a été saisi que l'avocat a sollicité sans succès les documents judiciaires pertinents à deux reprises au moins, le 16 décembre 1988 et le 9 février 1989, après qu'il s'était révélé impossible de les obtenir des avocats qui représentaient précédemment son client. Le Comité note que c'est seulement en décembre 1990 que l'avocat a obtenu copie de certains documents judiciaires, dont l'arrêt de la Cour d'appel. Il reste toutefois incontesté que les actes du procès sont incomplets dans certaines de leurs parties cruciales, y compris le résumé de l'affaire présenté par le juge. Comme toute demande éventuelle d'autorisation de recours devant la Section judiciaire serait fondée sur la question de l'appréciation des preuves en matière d'identification par le tribunal de première instance, il n'y avait pas de possibilité réelle de déposer une demande d'autorisation en l'absence du texte complet des actes du procès.

5.6 Après examen des éléments qui lui ont été présentés par les parties, le Comité conclut que les retards intervenus dans l'application des recours internes ne sont imputables ni à l'auteur, ni à son avocat, et què l'avocat était fondé à supposer que dans ces circonstances une demande d'autorisation de recours devant le Conseil privé n'était ni possible, ni utile au regard du Protocole facultatif. Il n'y a, en conséquence, pas lieu de réviser la décision prise par le Comité en matière de recevabilité le 18 juillet 1989.

6.1 En ce qui concerne la teneur des allégations de l'auteur, le Comité relève avec préoccupation que, nonobstant plusieurs demandes d'éclaircissements, 1'Etat partie s'est limité aux questions de recevabilité sans aborder le fond de l'affaire. Le paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif fait obligation aux Etats parties d'enquêter de bonne foi sur les allégations de violation du Pacte portées contre eux et leurs autorités judiciaires et de communiquer au Comité tous les renseignements dont ils disposent. Dans ces conditions, il convient d'accorder le poids voulu aux allégations de l'auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.

6.2 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il y aurait eu partialité et préjugé du point de vue judiciaire, le Comité rappelle que c'est généralement aux Cours d'appel des Etats parties au Pacte qu'il appartient d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire particulière. Il n'appartient pas, en principe, au Comité d'examiner les instructions données aux jurés par le juge dans un procès avec jury, sauf s'il peut être établi que lesdites instructions étaient manifestement arbitraires ou équivalaient à un déni de justice, ou si le juge a manifestement dérogé à son devoir d'impartialité.

6.3 Après avoir examiné les éléments des instructions du juge, qui lui ont été présentés, le Comité conclut que les instructions données aux jurés par le juge le 15 décembre 1983 n'étaient pas arbitraires et n'équivalaient pas à un déni de justice. Le Comité ne dispose pas d'éléments qui démontrent qu'en donnant une valeur probante à des déclarations prétendûment contradictoires des témoins a charge, le juge ait dérogé à son devoir d'impartialité. Le Comité note en outre a aucune violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.

6.4 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle les témoins à sa décharge qui auraient pu témoigner n'avaient pas été cités à comparaître, le Comité n'est
pas en mesure de déterminer si c'était en fonction de son jugement professionnel ou par négligence que l'avocat n'a pas demandé à ces personnes de témoigner ou, si nécessaire, ne les a pas citées à comparaître. Sur la base des renseignements dont il dispose, le Comité ne peut pas conclure a une violation du paragraphe 3 e)de l'article 14 du Pacte.

6.5 Quant aux affirmations de l'auteur selon lesquelles il n'aurait pas été représenté durant les séances d'identification organisées en rapport avec l'assassinat de M. Campbell et qu'il aurait été empêché par un fonctionnaire de l'administration pénitentiaire de remplir comme il convenait les formulaires de recours, le Comité note que ces affirmations n'ont pas été étayées par des éléments

de preuve suffisants pour conclure à une violation du paragraphe 3 d)de l'article 14 du Pacte.

7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits présentés au Comité ne révèlent pas de violation de l'une quelconque des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.



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