University of Minnesota



Dominique Guesdon c. Franc
e, Communication No. 219/1986, U.N. Doc. CCPR/C/39/D/219/1986 (1990).



Comité des droits de l'homme
Trente-neuvième session

CONSTATATIONS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4
DE L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE
INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
TRENTE-NEUVIEME SESSION

concernant la

Communication No 219/1986



Présentée par : Dominique Guesdon (représenté par un avocat)

Au nom de : L'auteur

Etat partie intéressé : France

Date de la communication : 11 décembre 1986 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité : 25 juillet 1989

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 1990,

Ayant
achevé l'examen de la communication No 219/1986 présentée au Comité par M. Dominique Guesdon en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie intéressé,

Adopte ce qui suit :


Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif


1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 11 décembre 1986 et courrier ultérieur)est Dominique Guesdon, citoyen français, né en 1959, employé en qualité d'électricien et demeurant à Paimpont (France), qui affirme être victime de violations, commises par la France, des articles 14 11, 14 3) e) et f), 19 21, 26, et 27 du Pacte. Il est représenté par un avocat.

2.1 L'auteur dit qu'il est breton et que sa langue maternelle est le breton, langue dans laquelle il s'exprime avec le plus d'aisance, bien qu'il parle également le français. Le 11 avril 1984, avant que le Protocole facultatif n'entre en vigueur pour la France (17 mai 1984), il a comparu devant le tribunal correctionnel de Rennes prévenu de déprédations d'objets d'utilité publique pour avoir dégradé des panneaux indicateurs en français. Il reconnaît que des militants bretons qui revendiquent l'emploi de la langue bretonne ont recouvert de peinture plusieurs panneaux indicateurs pour manifester leur désir que ces panneaux soient dorénavant bilingues. Il n'a jamais reconnu avoir pris part aux délits dont il était prévenu, et affirme avoir été condamné en l'absence de toute preuve.

2.2 Le jour de l'audience, le 11 avril 1984, il a fait citer 12 témoins à décharge. Il a indiqué que l'ensemble des témoins et lui-même désiraient déposer en breton, langue pratiquée quotidiennement par la plupart d'entre eux et dans laquelle ils pouvaient beaucoup plus aisément déposer. Il a donc demandé qu'ils fassent leur déposition avec l'assistance d'un interprète. Cette requête a été rejetée par le tribunal. Il a fait appel auprès du Président de la Cour d'appel de la décision de refuser l'assistance d'un interprète. Le 24 avril 1984, sa requête a été rejetée au motif qu'il était en mesure de se défendre sans se faire assister d'un interprète devant le tribunal. Le tribunal correctionnel a examiné l'affaire au fond le 20 juin 1984 (après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la France)et le défendeur et les témoins cités par lui ont de nouveau demandé en vain l'autorisation de s'exprimer en breton. Le tribunal a refusé de les entendre s'ils ne s'exprimaient pas en français, et l'auteur a été condamné à quatre mois de prison avec sursis et 2 000 francs d'amende. En appel, il a de nouveau demandé à faire entendre ses témoins. La Cour d'appel a refusé leur audition et l'a condamné, le 25 mars 1985, à quatre mois de prison avec sursis et 5 000 francs d'amende. L'auteur s'est alors pourvu en cassation en invoquant une violation des droits de la défense. Par arrêt du 2 octobre 1985, la Cour de cassation a rejeté son pourvoi.

2.3 L'auteur affirme que la justice française a violé à son égard les droits suivants : le droit à un procès équitable, le droit de faire entendre les témoins à décharge, le droit à se faire assister d'un interprète, le droit à la liberté d'expression, le droit à l'égalité de traitement et le droit de jouir des droits reconnus aux minorités, comme le droit d'utiliser la langue d'un groupe minoritaire.

3. Avant de transmettre la communication à 1'Etat partie, le Comité a demandé à l'auteur, par une décision prise le 9 avril 1987 en application de l'article 91 du règlement intérieur, de préciser si chacun des témoins a décharge qui voulaient déposer devant le tribunal correctionnel et la Cour d'appel et lui-même comprenaient et parlaient le français. Par une lettre datée du 2 juin 1987, l'avocat de l'auteur a répondu par l'affirmative en ajoutant toutefois que quelques-uns des témoins cités préféreraient peut-être s'exprimer en breton.

4. Par une autre décision, en date du 20 octobre 1988, le Groupe de travail du Comité des droits de l'homme a transmis la communication à 1'Etat partie en le priant, en vertu de l'article 91 du règlement intérieur, de fournir des renseignements et des observations concernant la recevabilité de la communication.

5.1 Dans ses observations présentées conformément à l'article 91, datées du 15 janvier 1989, 1'Etat partie fait un compte rendu détaillé des faits et reconnaît qu'il faut considérer que les recours internes ont été épuisés, la Cour de cassation ayant rejeté le 2 octobre 1985 le recours formé par l'auteur.

5.2 Au sujet de la violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte dont l'auteur prétend avoir été victime, 1'Etat partie affirme que c'est de son propre fait que le requérant n'a pas été entendu ni assisté par son défenseur devant les juges de première instance , puisqu'il a refusé de s'exprimer en français. Il ajoute qu'en cour d'appel, lors de l'audience du 5 mars 1985, l'auteur s'est exprimé sans difficultés en français et son conseil a fait sa plaidoirie en français.

5.3 S'agissant de l'allégation de violation des alinéas e) et f) du paragraphe 3 de l'article 14, 1'Etat partie affirme que ces dispositions
ne sauraient être interprétées comme reconnaissant à un accusé le droit de s'exprimer dans la langue de son choix. Aussi l'auteur ne peut-il pas prétendre que son droit "d'obtenir la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge" a été méconnu, dans la mesure où le refus de ces témoins de s'exprimer en français a mis le juge dans l'impossibilité de les entendre. En ce qui concerne l'alinéa f) du paragraphe 3 de l'article 14, 1'Etat partie rappelle que cette disposition permet seulement à l'accusé de se faire assister d'un interprète s'il "ne comprend ou ne parle pas la langue employée à l'audience". L'Etat partie affirme que non seulement il était évident que l'auteur et les témoins à décharge étaient parfaitement capables de s'exprimer en français, mais qu'en outre l'article 407 du Code de procédure pénale, qui stipule que la langue officielle des juridictions pénales est le français, est parfaitement conforme à l'alinéa f) du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte et protège même plus efficacement les droits de l'accusé, puisqu'il prévoit la désignation d'office par le juge d'un interprète si le prévenu ou le témoin ne parle pas suffisamment la langue française.

5.4 A propos de l'allégation de violation du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte, 1'Etat partie objecte que l'auteur fait une interprétation "abusive" de la notion de "liberté d'expression". Il ajoute que l'auteur n'a jamais été empêché de s'exprimer devant les tribunaux : dans un premier temps, c'est de propos délibéré qu'il a refusé de parler pour présenter sa défense. Ensuite, devant la Cour d'appel, le 25 mars 1985, l'auteur a fait usage du droit consacré au paragraphe 2 de l'article 19, comme il lui a toujours été possible
de le faire pendant la durée de l'instance.

5.5 A propos de l'allégation de violation de l'article 26 du Pacte, 1'Etat partie affirme que, s'il y a eu discrimination en l'espèce, elle est imputable directement et uniquement au comportement de l'intéressé à l'audience. L'Etat partie explique que la non-discrimination garantie par l'article 26 du Pacte ne signifie pas le droit de l'accusé d'employer à l'audience la langue de son choix; elle implique au contraire que les justiciables et les prévenus se soumettent aux mêmes contraintes, en l'occurrence des contraintes linguistiques, et parlent la seule langue reconnue devant les juridictions, en vertu des dispositions du Code de procédure pénale.

5.6 Enfin, concernant l'allégation de violation de l'article 27 du Pacte, l'Etat partie rappelle qu'au moment où la France a ratifié le Pacte, le Gouvernement français a fait la réserve suivante : "Le Gouvernement français déclare, compte tenu de l'article 2 de la Constitution de la République française, que l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la République". Aussi l'Etat partie affirme-t-il que "la notion d'appartenance à une 'minorité ethnique, religieuse ou linguistique' dont se prévaut le requérant n'est pas pertinente en l'espèce, et n'est pas opposable au Gouvernem,ent français, qui ne reconnaît pas l'existence de 'minorités' dans la République, définie aux termes de l'article 2 de la Constitution, comme 'indivisible, laïque, démocratique et sociale...'."


6.1 Dans sa réponse datée du 8 mai 1989, l'avocat de l'auteur relève que 1'Etat partie ne conteste pas la recevabilité de la communication. Il affirme que les dégradations de panneaux de signalisation reprochées à l'auteur devraient être considérées comme ayant été réalisées pour protester contre le refus systématique de 1'Etat partie de prendre en considération la langue bretonne. L'avocat rappelle que, dans la Déclaration de San José, adoptée en décembre 1981, 1'UNESCO a qualifié des politiques de ce genre d" 'ethnocide", et soutient donc que les actes délictueux imputés à l'auteur sont des actes de légitime défense face à un délit de droit international.

6.2 L'avocat réaffirme que l'auteur n'a pas eu droit à un procès équitable, en violation du paragraphe 1 de l'article 14, puisqu'il n'a pas pu faire entendre ses témoins, sa version des faits et ses défenseurs. Il n'a pas davantage eu un procès équitable devant la Cour d'appel, puisqu'il n'a pas pu faire entendre ses témoins. A propos des alinéas e)et f)du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte, l'avocat soutient que le tribunal correctionnel et la Cour d'appel n'ont pas même demandé aux témoins s'ils acceptaient de s'exprimer en français. En outre, il affirme que c'est à tort qu'un interprète a été refusé à l'auteur et à ses témoins. L'avocat affirme à ce propos que la notion de procès équitable suppose que les intervenants puissent s'exprimer "avec le maximum d'aisance" et dans la langue qu'ils parlent normalement. D'après l'auteur, certains témoins auraient éprouvé des difficultés à s'exprimer en français; cependant, le tribunal n'aurait pas cherché à vérifier leur connaissance de cette langue.

6.3 S'agissant de l'interdiction générale de toute discrimination devant la loi énoncée à l'article 26, l'avocat fait valoir que de nombreuses conventions internationales interdisent toute forme de discrimination devant les tribunaux. Il cite l'article 5 a)de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui reconnaît le droit à un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice. Il rappelle également que l'article premier de la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement, adoptée par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture le 14 décembre 1960 (entrée en vigueur le 22 mai 1962, à laquelle la France est partie), définit la "discrimination" comme "toute distinction, exclusion, limitation ou préférence qui, fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la condition économique ou la naissance, a pour objet de détruire ou d'altérer l'égalité de traitement . ..". Il évoque en outre l'article 1 c)de la résolution adoptée par le Parlement européen sur la Charte communautaire des langues et cultures régionales, par lequel les gouvernements sont invités à garantir aux minorités la possibilité de s'exprimer dans leur propre langue, notamment devant les organes judiciaires. Enfin, il renvoie au paragraphe 2 de l'article 20 du projet de convention internationale relative à la protection des groupes nationaux ou ethniques ou minorités (soumis par l'organisation non gouvernementale Groupement pour les droits des minorités a la Commission des droits de l'homme en janvier 1979 -document E/CN. 4/NG0/231), aux termes duquel "l'autonomie linguistique devrait faire l'objet de mesures toutes particulières concernant les droits de liberté individuelle, d'équité en matière de procédure judiciaire , et dans tous les domaines relatifs au bien public".

6.4 S'agissant du paragraphe 2 de l'article 19, l'auteur affirme à nouveau qu'il n'a pas pu exercer le droit de s'exprimer librement, faute d'avoir été autorisé à parler en breton. Le Gouvernement français, dit-il, semble considérer que le droit à la "liberté d'expression" n'englobe pas le droit de s'exprimer dans la langue de ses ancêtres. Il cite le nom de plusieurs hommes politiques qui auraient fait des déclarations dans ce sens, et ajoute que de telles déclarations sont incompatibles avec les instruments internationaux ratifiés par le Gouvernement français et avec d'autres déclarations de personnalités françaises , accusées de tenir un double langage. Il soutient que la notion de "liberté d'expression" ne peut être définie que par rapport aux conventions internationales et aux déclarations approuvées par 1'Etat partie, et non en fonction des déclarations de quelques personnalités, L'avocat cite plusieurs instruments adoptés par le Conseil de l'Europe, le Parlement européen et l'Assemblée générale des Nations Unies, où est reconnu le droit des minorités de s'exprimer dans leur propre langue.

6.5 A propos de la "réserve" de la France relative à l'article 27 du Pacte, l'avocat affirme que la France a fait une "déclaration" au sujet de cette disposition. Il ajoute que, bien que le Gouvernement français soutienne qu'il n'existe pas de minorités sur son territoire, un projet de loi relatif à la promotion des langues et cultures de France a recueilli l'adhésion d'un grand nombre de parlementaires, et que le Président de la République lui-même a déploré la destruction des cultures minoritaires, en affirmant que toutes les formes de bilinguisme étaient à encourager.

7.1 Lorsqu'il a examiné la question de la recevabilité de la communication, comme il est tenu de le faire en vertu de l'article 87 de son règlement intérieur, le Comité a noté que les conditions prévues au paragraphe 2 a) et b) de l'article 5 étaient remplies.

7.2 Au sujet du droit à la liberté d'expression qui aurait été violé, le Comité a considéré que le fait que l'auteur n'avait pu s'exprimer dans la langue de son choix devant les tribunaux français ne relevait pas des dispositions du paragraphe 2 de l'article 19. Aussi le Comité a-t-il estimé que sur ce point la communication était irrecevable aux termes de l'article 3 du Protocole facultatif, comme étant incompatible avec les dispositions du Pacte. Pour ce qui est des allégations de violation des articles 14 et 26, le Comité a estimé que l'auteur avait suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations.

7.3 Pour ce qui est de la violation de l'article 27 du Pacte dont l'auteur affirme être victime, le Comité n'a pas jugé utile dans cette affaire de se pencher sur la question du champ d'application de la "déclaration" de la France concernant l'article 27 car les allegations contenues dans la communication ne concernaient pas la violation de cet article .


7.4 Le 25 juillet 1989, le Comité des droits de l'homme a donc déclaré la communication recevable en ce qui concerne les allégations de violation des articles 14 et 26 du Pacte.

8.1 Dans ses observations présentées conformément au paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, datées du 17 avril 1990, 1'Etat partie réaffirme que les allégations de violation des paragraphes 1 et 3 e) et f) de l'article 14 sont dénuées de fondement. Il soutient que la notion de "procès équitable", au sens du paragraphe 1 de l'article 14, ne saurait être appréciée dans l'abstrait mais doit être examinée au vu des circonstances particulières de l'espèce. En ce qui concerne le jugement, il affirme qu'il est inexact de prétendre que le tribunal correctionnel de Rennes n'a pas cherché à vérifier si les témoins cités par la défense parlaient et comprenaient le français; au contraire, le président de cette juridiction a expressément souhaité savoir si les témoins maîtrisaient suffisamment le français. L'Etat partie affirme que les représentants de l'auteur ont répondu soit qu'ils l'ignoraient, soit que certains des témoins préféraient s'exprimer en breton. Cela a conduit le tribunal à conclure qu'il n'était pas démontré que le prévenu ou les témoins cités ne maîtrisaient pas la langue française et que la seule raison pour laquelle ils avaient demandé un interprète résidait dans leur désir de s'exprimer en breton afin de promouvoir cette langue. L'Etat partie réaffirme qu'à diverses occasions au cours de la procédure judiciaire, l'auteur a clairement montré qu'il était parfaitement capable de s'exprimer en français. Il l'avait fait notamment lors de l'enquête qui a abouti à sa condamnation par la Cour d'appel le 23 mars 1985.

8.2 L'Etat partie fait observer que l'audience d'une juridiction pénale n'est pas le lieu approprié pour l'expression de revendications en faveur de la promotion d'une langue régionale. L'unique objet d'un procès pénal est la détermination de la culpabilité ou de l'innocence du prévenu. A cet égard, il importe de faciliter l'instauration d'un dialogue direct entre celui-ci et le juge; l'intervention d'un interprète , qui présente toujours le risque de ne pas restituer exactement les propos du prévenu, doit être réservée aux cas où elle est strictement nécessaire, c'est-à-dire lorsque le prévenu ne parle pas ou ne comprend pas suffisamment la langue employée à l'audience.

8.3 L'Etat partie affirme qu'au vu des considérations qui précèdent, le président du tribunal de Rennes était parfaitement en droit de ne pas appliquer l'article 407 du Code pénal français, comme l'avait demandé l'auteur. Cet article stipule que, dans le cas où le prévenu ou un témoin
ne maîtrise pas suffisamment le français, le président du tribunal doit demander qu'un interprète soit désigné d'office. La mise en oeuvre de l'article 407 repose sur le pouvoir souverain d'appréciation du président du tribunal, qui se fonde sur une analyse minutieuse de chaque cas d'espèce et de toutes les pièces versées au dossier. Cela a été confirmé par la chambre criminelle de la Cour de cassation à plusieurs occasions.

8.4 L'Etat partie rappelle que l'auteur et tous les témoins à décharge qu'il a fait citer sont francophones, fait qui a été confirmé dans une lettre de son avocat au Comité des droits de l'homme, en date du 2 juin 1987 (voir ci-dessus par. 3). En conséquence, déclare 1'Etat partie, il ne peut y avoir de violation du paragraphe 3 f) de l'article 14.


8.5 L'Etat partie rejette l'argument selon lequel l'auteur n'aurait pas bénéficié, en violation des dispositions du paragraphe 3 e)de l'article 14 du Pacte, d'un procès équitable dans la mesure où le tribunal a refusé d'entendre les témoins à décharge qu'il avait fait citer. En fait, M. Guesdon a pu obtenir du tribunal la comparution de ces témoins et c'est de leur propre volonté que ces derniers n'ont pas déposé. Usant de son pouvoir d'appréciation, le président du tribunal a estimé qu'il n'était ni allégué ni prouvé que les témoins étaient incapables de s'exprimer en français et qu'ils avaient demandé l'assistance d'un interprète uniquement dans le but
de promouvoir la cause de la langue bretonne. C'est donc en raison du comportement même des témoins que le tribunal a renoncé à les entendre.

8.6 En ce qui concerne la violation présumée de l'article 26, 1'Etat partie rappelle que l'interdiction de la discrimination est un principe inscrit dans l'article 2 de la Constitution française. Il affirme que l'argument consistant à faire état d'une maîtrise imparfaite du français juridique pour refuser de s'exprimer en français devant un tribunal n'est pas pertinent aux fins de l'article 26 : l'auteur a été seulement prié de s'exprimer en français "courant". En outre, l'article 407 du Code de procédure pénale, loin d'opérer une discrimination fondée sur la langue conformément aux termes de l'article 26 du Pacte, assure l'égalité de traitement des prévenus et des témoins devant les juridictions correctionnelles, puisque tous doivent employer la langue française. Enfin, 1'Etat partie fait valoir que le principe venire contra factum proprium est applicable au comportement de l'auteur, qui a refusé de s'exprimer en français devant les tribunaux internes en prétextant une méconnaissance de cette langue, mais qui soumet au Comité des communications rédigées en un français irréprochable.

9.1 Dans ses observations, datées du 11 mai 1990, l'avocat de l'auteur conteste la façon dont 1'Etat partie présente les faits. Il fait remarquer notamment que le tribunal correctionnel a demandé seulement aux représentants de l'auteur et non pas aux témoins si ces derniers parlaient le français. Il rappelle que , selon le règlement intérieur du Barreau de Rennes, les avocats ne peuvent conseiller ou influencer des témoins au nom de leurs clients (interdiction de solliciter des témoins)et que seul le prévenu peut faire citer des témoins ou indiquer à son représentant le nom des témoins à citer. D'après lui, il aurait dû être évident que le tribunal ne pouvait qu'obtenir des réponses évasives des représentants de l'auteur sur la question de savoir si les témoins parlaient le français; s'il en avait été autrement, les avocats auraient reconnu implicitement qu'ils avaient violé leur code déontologique. L'avocat de l'auteur soutient qu'il était du devoir du tribunal de vérifier par d'autres moyens si les témoins connaissaient suffisamment le français.

9.2 L'avocat réaffirme que la notion de "procès équitable" suppose qu'un témoin qui ne s'exprime pas avec aisance dans la langue officielle du tribunal doit être autorisé à s'exprimer dans sa langue maternelle. En outre, ce droit doit pouvoir être exercé à tous les stades de la procédure judiciaire. Il rappelle que, devant la Cour d'appel, le prévenu a demandé à nouveau que les témoins à décharge qu'il avait fait citer soient entendus. La Cour d'appel n'a pourtant pas fait droit à cette demande et n'a pas cherché à savoir si les témoins accepteraient, à ce stade, de s'exprimer en français. L'avocat en conclut que la Cour a privé l'auteur du droit de faire entendre
des témoins à décharge.

10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication à la lumière des renseignements fournis par les parties. Il fonde ses constatations sur les considérations suivantes.

10.2 Le Comité
a noté que l'auteur affirme que la notion de "procès équitable" au sens de l'article 14 du Pacte suppose que l'accusé doit être autorisé, lors d'un procès pénal, à s'exprimer dans la langue qu'il parle normalement et que le refus de lui fournir l'assistance d'un interprète ainsi qu'aux témoins qu'il a fait citer constitue une violation du paragraphe 3 e) et f) de l'article 14. Le Comité observe, comme il l'a fait à une précédente occasion, que l'article 14 traite de l'égalité en matière de procédure; il consacre, notamment, le principe de "l'égalité des armes" lors des procès pénaux. Le fait qu'yne seule langue soit reconnue devant les juridictions d'Etats parties au Pacte ne constitue pas, de l'avis du Comité, une violation de l'article 14. L'obligation de respecter le droit à un procès équitable n'oblige pas non plus les Etats parties à mettre les services d'un interprète à la disposition d'un citoyen dont la langue maternelle n'est pas la même que la langue officielle du tribunal, si l'intéressé peut s'exprimer convenablement dans cette langue. C'est uniquement si l'accusé ou les témoins à décharge ont des difficultés à comprendre ou à parler la langue employée à l'audience que les services d'un interprète doivent leur être fournis.

10.3 Sur la base des renseignements qui lui ont été communiqués, le Comité estime que les tribunaux français ont respecté les obligations qui leur incombent en vertu du paragraphe 1 de l'article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 e)et f). L'auteur n'a pas prouvé que lui-même ou les témoins à décharge qu'il avait fait citer étaient incapables de s'exprimer devant le tribunal dans un français simple mais suffisant. A cet égard, le Comité note que la notion de procès équitable énoncée au paragraphe 1 de l'article 14 lu conjointement avec le paragraphe 3 f) ne suppose pas que l'on doive donner à l'accusé la possibilité de s'exprimer dans la langue qu'il parle normalement ou qu'il parle avec le maximum d'aisance. Si le tribunal est certain, comme il ressort des décisions du tribunal correctionnel et de la Cour d'appel de Rennes, que l'accusé connaît suffisamment la langue employée à l'audience, il n'est pas tenu de vérifier s'il aurait été préférable que celui-ci s'exprime dans une autre langue.

10.4 La législation française en tant que telle ne confère pas à chacun le droit de s'exprimer dans sa propre langue devant les tribunaux. Les personnes qui ne parlent ni ne comprennent le français bénéficient des services d'un interprète. L'auteur aurait pu bénéficier de ces services si la situation l'avait exigé; tel n'ayant pas été le cas, l'auteur n'a pas été victime d'une discrimination fondée sur la langue au sens de l'article 26 du Pacte.

11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits exposés ne révèlent pas, comme l'affirme l'auteur, une violation des paragraphes 1 et 3 e) et f) de l'article 14 ou de l'article 26 du Pacte.



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