University of Minnesota



Kamel Singh Bhinder c. Canada, Communication No. 208/1986, U.N. Doc. CCPR/C/37/D/208/1986 (1989).



Comité des droits de l'homme
Trente-septième session

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques -Trente-septième session

Concernant

La communication No 208/1986


Présentée par : Kamel Singh Bhinder

Au nom de: L'auteur

Etat partie intéressé: Canada

Date de la communication : 9 juin 1986

Date de la décision concernant la recevabilité : 25 octobre 1988

Le Comité des droits de l'homme créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 9 novembre 1989,

Ayant achevé l'examen de la communication No 208/1986 présentée au Comité par M. Kamel Singh Bhinder en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant mis en considération tous les renseignements écrits qui lui ont été fournis par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie,

Adopte le texte suivant :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif


1. L'auteur de la communication (datée du 9 juin 1986) est M. Kamel Singh Bhinder, citoyen canadien par naturalisation, né en Inde
en 1942 et ayant émigré au Canada en 1974. Il affirme être victime d'une violation par le Canada de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En tant qu'adepte de la religion sikh, il porte un turban dans la vie quotidienne et a refusé de porter un casque de sécurité pendant son travail, ce qui a entraîné son licenciement.

LES FAITS PRESENTES

2.1 En avril 1974, l'auteur était employé par la Société des chemins de fer nationaux du Canada en qualité d'électricien chargé de l'entretien au sein d'une équipe de nuit à la gare de triage de Toronto.

2.2 La Société des chemins de fer nationaux du Canada est une société de la Couronne, ses parts sont détenues par la Couronne et elle est responsable devant le Parlement canadien de la conduite de ses affaires.


2.3 Avec effet au ler décembre 1978, la Société a décrété que la gare de triage de Toronto serait une zone dans laquelle tous les salariés devaient porter des casques de sécurité.

2.4 A l'époque, la législation canadienne en la matière était ainsi rédigée :

a) Code canadien du travail, chapitre L-l, article 81, paragraphe 2):

Quiconque dirige une entreprise fédérale doit adopter et faire appliquer des méthodes et techniques raisonnables destinées à prévenir ou diminuer le risque de lésion professionnelle (...).


b) Article 82 :

Quiconque est employé dans le cadre d'une entreprise fédérale doit, dans son travail,


c) Article 83, paragraphe 1 :

Le fait qu'un employeur ou un employé s'est conformé ou non à l'une ou l'autre des dispositions de la présente Partie ou des règlements ne doit pas s'interpréter comme portant atteinte au droit à compensation que possède un employé en application de toute loi relative à la réparation des lésions professionnelles, ni comme modifiant la responsabilité ou l'obligation d'un employeur ou d'un employé aux termes d'une telle loi.

d) Chapitre 1007 (Règlement du Canada sur les vêtements et l'équipement protecteurs), article 3 :

Dans le cas où

e) Chapitre 1007, article 8, paragraphe 1 :

Il est interdit à un employé d'entreprendre une tâche ou de pénétrer dans un lieu de travail lorsque, pour ce faire, le présent règlement prescrit le port ou l'utilisation de tout genre d'équipement de protection individuelle, à moins a) qu'il ne porte ou n'utilise ce genre d'équipement de protection individuelle de la manière prescrite par le présent règlement (...).


f) Chapitre 998 (Règlement du Canada sur la protection contre les dangers de l'électricité), article 17 : Il est interdit à un employeur de permettre à un employé de travailler, et à un employé de travailler , sur une installation électrique

g) Article 18 :

Il est interdit à un employeur de permettre à un employé de travailler, et à un employé de travailler , sur une installation électrique lorsque les saines pratiques de protection contre les dangers de l'électricité exigent le port d'un casque protecteur, à moins de porter un casque protecteur (...).

2.5 Au cours des cinq années qui ont précédé l'introduction du port obligatoire d'un casque de protection, 20 personnes ont été blessées à la tête à la gare de triage de Toronto sur un effectif de 487 salariés, dont 52 étaient employés en qualité d'électriciens.

2.6 Le travail de l'auteur consistait à vérifier la nuit l'état des châssis de wagons de chemins de fer à partir d'une fosse située entre les rails et à accomplir divers travaux d'entretien à l'intérieur et à l'extérieur du train, notamment à contrôler les moteurs.

2.7 Comme l'un des dogmes fondamentaux de la religion sikh fait obligation aux hommes de porter sur la tête uniquement un turban, l'auteur a refusé de se conformer à la prescription relative au port du casque de sécurité. Il a également refusé d'être muté à un autre poste. En conséquence, il a été licencié de son emploi à la Société des chemins de fer nationaux du Canada le 6 décembre 1978.

2.8 Le 7 décembre 1978, l'auteur a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne, affirmant qu'il y avait eu pratique discriminatoire de la part de la société qui l'employait en raison de sa religion. Dans sa décision du 31 août 1981, un tribunal des droits de l'homme constitué conformément a la loi canadienne sur les droits de la personne a abouti entre autres aux conclusions suivantes :


a) "rien ne prouve que les autres employés ou le public pâtiront du fait que M. Bhinder continuera à travailler sans porter de casque" (par. 5167);

b) "(. ..)(l'auteur)sera davantage exposé s'il ne se conforme pas aux prescriptions concernant le port du casque. Il est indéniable que le turban de M. Bhinder offre une protection inférieure à celle d'un casque contre les chocs et les décharges électriques (...). Il y a donc une augmentation effective du risque si M. Bhinder ne porte pas de casque, même si ce surcroît de risque est infime" (par. 5177);

c) "(. ..)(la Société des chemins de fer nationaux du Canada) verse des indemnités directement à ses employés lorsqu'ils sont blessés et si le risque auquel un employé est exposé augmente, la probabilité qu'il se trouve en situation de recevoir une indemnité s'accroît d'autant, et de ce fait les obligations de l'employeur de verser des indemnités augmentent également" (par. 5332 (37)).

2.9 En ce qui concerne l'application de la prescription concernant l'obligation du port du casque à M. Bhinder, le tribunal a constaté que la loi canadienne sur les droits de la personne avait été violée car la règle imposant l'obligation du port du casque "avait pour effet de refuser à une personne pratiquant la religion sikh . . . un emploi au service du défendeur en raison de la religion du plaignant" (par. 5332 (3)). Cette conclusion reposait sur les considérations suivantes
:

a) Une politique d'emploi peut être considérée comme discriminatoire au regard de la loi canadienne sur les droits de la personne, même si l'employeur n'a pas l'intention d'exercer une discrimination (par. 5332 (3)).

b)Dans la loi canadienne sur les droits de la personne qui admet des exigences professionnelles valables, il est implicitement considéré que les employeurs doivent tenir compte des convictions religieuses de leurs salariés, dans la mesure où cela n'entraîne pas d'inconvénient majeur pour eux (par. 5332 (29 à 32)).

2.10 Le tribunal a reconnu qu "'une dérogation accordée à M. Bhinder aura pour effet de dégager tous les Sikhs de l'obligation de respecter les règlements en matière de port du casque dans tous les secteurs industriels auxquels s'applique la loi sur les droits de la personne (...)", et que "la conséquence pourrait être un accroissement du taux global d'accidents dans les secteurs industriels en question et, partant, des indemnités à
verser aux travailleurs" (par. 5332 (36)). Toutefois, il a estimé qu'un tel risque supplémentaire
devait être considéré comme inhérent à l'emploi et être donc pris en charge par l'employeur (par. 5332 (38)).

2.11 La Société des chemins de fer nationaux a fait appel de cette décision et le 13 avril 1983 la Cour d'appel fédérale a infirmé la décision du tribunal des droits de l'homme pour le motif que la Charte canadienne des droits de la personne n'interdisait que les discriminations directes et délibérées et ne
faisait pas intervenir le principe de la satisfaction raisonnable.

2.12 Le recours formé par l'auteur devant la Cour suprême du Canada a été rejeté le 17 décembre 1985. La Cour suprême a estimé que toute discrimination involontaire ou indirecte était interdite par la loi canadienne sur les droits de la personne , mais elle a conclu que la politique de la Société des chemins de fer nationaux du Canada était raisonnable et fondée sur des considérations de sécurité et constituait donc une exigence professionnelle valable. La Cour a également estimé que la loi n'imposait pas à l'employeur l'obligation d'appliquer le principe de la "satisfaction raisonnable".

LA PLAINTE

3. L'auteur soutient que l'application de la prescription relative au port du casque a porté atteinte à son droit de manifester ses convictions religieuses, qui est garanti par le paragraphe 1 de l'article 18 du Pacte et que cette restriction n'est pas conforme aux dispositions du paragraphe 3 de l'article 18. Il fait valoir en particulier que la restriction n'était pas nécessaire à la protection de la sécurité publique, car le risque qu'entraînait son refus de porter un casque de sécurité était limité à lui-même.

OBSERVATIONS ET EXPLICATIONS DE L'ETAT PARTIE

4.1 L'Etat partie soutient que l'auteur n'a pas été licencié de son
emploi en raison de sa religion en tant que telle, mais en raison de son refus de porter un casque, et il affirme qu'une prescription légale neutre imposée pour des raisons légitimes et appliquée à tous les membres du personnel concerné sans viser plus particulièrement tel ou tel groupe religieux, ne saurait violer le droit défini au paragraphe 1 de l'article 18 du Pacte. A cet égard, il évoque la décision prise par le Comité des droits de l'homme concernant la communication No 185/1984 (L. T. K. c. Finlande) où le Comité a fait observer que "(...) (1 'auteur) n'a pas été poursuivi ni condamné pour ses convictions ou ses opinions en tant que telles, mais parce qu'il a refusé d'accomplir le service militaire".

4.2 L'Etat partie invoque également l'obligation qui lui incombe au titre de l'article 7 b) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels d'assurer "la sécurité et l'hygiène du travail", et fait valoir que l'article 18 du Pacte ne saurait être interprété d'une manière qui reviendrait à contrecarrer la mise en application du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels au moyen de règles de sécurité uniformément appliquées.

4.3 L'Etat partie fait valoir que l'auteur avait la possibilité de se soustraire à l'obligation de porter un casque en cherchant un autre emploi et renvoie à une décision de la Commission européenne des droits de l'homme (affaire Ahmad c. Rovaume-Uni [1982] 4 E. H. R. R. 126, par. 11 et 13); celle-ci, pour déterminer la portée de la liberté de religion telle qu'elle est garantie par l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a fait observer que -outre les restrictions énoncées dans ledit article -des obligations contractuelles particulières pouvaient influer sur l'exercice du droit à la liberté de religion et que le plaignant était resté libre de démissionner s'il jugeait que son emploi était incompatible avec ses devoirs religieux.

4.4 Selon 1'Etat partie, il n'y avait pas eu violation de l'article 18 du Pacte relatif aux droits civils et politiques puisque la réglementation sur le port du casque constituait un critère raisonnable et objectif qui n'était en rien incompatible avec l'article 26 de ce même Pacte.

4.5 L'Etat partie estime en outre que l'article 18 n'impose pas l'obligation de "satisfaction raisonnable", et que la notion de liberté de religion comprend seulement le droit d'être protégé contre toute ingérence de l'Etat, mais ne fait aucunement aux Etats parties l'obligation positive de fournir une assistance spéciale ni d'accorder des dispenses à des membres de groupes religieux pour leur permettre de pratiquer leur religion.

4.6 L'Etat partie pense également que s'il s'avérait qu'il y avait eu violation apparente du paragraphe 1 de l'article 18 du Pacte dans le cas de M. Bhinder, la restriction était autorisée par le paragraphe 3. Selon 1'Etat partie, cette disposition vise également la protection des personnes soumises aux dispositions restrictives.

DELIBERATIONS DU COMITE

5.1 Sur la base des renseignements qui lui ont été fournis, le Comité a conclu que toutes les conditions requises pour déclarer la communication recevable, y compris le critère de l'épuisement des recours internes prévu au paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif étaient réunies.

5.2 Le 25 octobre 1988, le Comité des droits de l'homme a déclaré que la communication était recevable.

6.1 Le Comité note que dans l'affaire en question, il est prétendu qu'une loi apparemment neutre, en ce sens qu'elle s'applique à toutes les personnes sans distinction, est appliquée de façon discriminatoire contre les personnes de religion sikh. L'auteur a affirmé être victime d'une violation de l'article 18 du Pacte. Le Comité a également examiné la question en relation avec l'article 26 du Pacte.

6.2 Que l'on aborde la question sous l'angle de l'article 18 ou de l'article 26, on doit, de l'avis du Comité , parvenir à la même conclusion. Si l'on considère que l'obligation de porter un casque soulève des questions relatives à l'article 18 du Pacte, il s'agit d'une restriction justifiée au sens des dispositions du paragraphe 3 de cet article. Si l'on considère que l'obligation de porter un casque est une discrimination de fait contre les personnes de religion sikh au sens de l'article 26, on doit, selon les critères maintenant bien établis dans la jurisprudence du Comité, considérer que la loi obligeant les employés fédéraux à porter un casque pour se protéger des blessures et des chocs électriques est raisonnable et tend à des fins objectives compatibles avec le Pacte.

7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits qui lui ont été soumis ne font apparaître aucune violation de l'une ou l'autre des dispositions dudit Pacte.



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