University of Minnesota



Le Grand Chef Donald Marshall, le Grand Capitaine Alexander Denny et le Conseiller Simon Marshall, membres du
Grand Conseil de la Société tribale micmaque et la Société tribale micmaque c. Canada, Communication No. 205/1986, U.N. Doc. CCPR/C/43/D/205/1986 (1991).



Comité des droits de l'homme
Quarante-troisième session

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques - quarante-troisième session

concernant la

Communication No 205/1986



Présentée par : Le Grand Chef Donald Marshall, le Grand Capitaine Alexander Denny et le Conseiller Simon Marshall, membres du
Grand Conseil de la Société tribale micmaque (avec le concours d'un avocat)

Au nom de : Les auteurs et la Société tribale micmaque

Etat partie : Canada

Date de la communication : 30 janvier 1986 (date de la première lettre)

Date de la décision concernant la recevabilité : 25 juillet 1990

Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 4 novembre 1991,

Ayant examiné la communication No 20511986, qui lui a été présentée par le Grand Chef Donald Marshall, aujourd'hui décédé, le Grand Capitaine Alexander Denny et le Conseiller Simon Marshall, membres du Grand Conseil de la Société tribale micmaque (avec le concours d'un avocat) en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par les auteurs de la communication et par 1'Etat partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif


Les auteurs

1. Les auteurs de la communication (lettre initiale datée du 30 janvier 1986 et correspondance ultérieure)sont le Grand Chef Donald Marshall, le Grand Capitaine Alexander Denny et le Conseiller Simon Marshall, membres du Grand Conseil de la Société tribale micmaque du Canada. Ils présentent cette communication tant en qualité de victimes des violations présumées qu'en qualité de défenseurs du bien-être et des droits de l'ensemble du peuple micmac. Le Grand Chef Donald Marshall est décédé en août 1991. La communication est toutefois maintenue par les autres auteurs qui restent responsables de la conduite des affaires du Grand Conseil des Micmacs. Les auteurs sont représentés par un avocat.


Rappel des faits

2.1 Les auteurs déclarent que les Micmacs sont un peuple qui vit à Mikmakik, leur territoire traditionnel en Amérique du Nord, depuis des temps immémoriaux et qu'en qualité de nation libre et indépendante, ils ont conclu avec les autorités coloniales françaises et britanniques des traités garantissant leur identité nationale distincte et leurs droits de chasse, de pêche et de commerce dans toute la Nouvelle-Ecosse. Ils déclarent en outre que, pendant plus d'un siècle, les droits territoriaux et politiques du peuple micmac ont fait l'objet d'un litige avec le Gouvernement canadien qui revendiquait la souveraineté absolue sur Mikmakik, du fait de son indépendance, depuis 1867, par rapport au Royaume-Uni. Ils affirment toutefois que le peuple micmac n'a jamais renoncé à son droit à l'autodétermination et que sa terre (Milcmakik) doit être considérée comme un territoire non autonome au sens de la Charte des Nations Unies.

2.2 Par la loi constitutionnelle de 1982, le Gouvernement canadien a "reconnu et confirmé" les "droits existants -ancestraux ou issus de traités -des peuples autochtones du Canada" (art. 35 l)), qui s'entendent des Indiens, des Inuits et des Métis (art. 35 2)). Afin d'identifier et de définir clairement ces droits, il est prévu dans la loi constitutionnelle un processus selon lequel, notamment, le Premier Ministre du Canada convoque une conférence constitutionnelle réunissant les premiers ministres provinciaux et à laquelle
"les représentants des peuples autochtones" sont invités. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux sont liés par l'engagement de principe selon lequel des débats doivent avoir lieu dans le cadre de cette conférence avant que toute modification soit élaborée et apportée à la Constitution canadienne dans des domaines intéressant directement les peuples autochtones, notamment l'identification et la définition de leurs droits (art. 35.1 et 37 1)et 2)). De fait, le Premier Ministre du Canada a convoqué au cours des années qui ont suivi plusieurs conférences constitutionnelles auxquelles il a invité quatre associations nationales à représenter les intérêts de quelque 600 groupes autochtones. I1 s'agissait de l'Assemblée des Premières Nations (représentant les intérêts des Indiens inscrits), du Conseil national des autochtones du Canada (représentant essentiellement les Indiens non inscrits), du Ralliement national des Métis (représentant les Métis)et du Comité inuit sur les affaires nationales (représentant les Inuits). En règle générale, au Canada, seuls les dirigeants élus du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux participent aux conférences constitutionnelles. Une exception a été faite dans le cas des conférences sur les questions intéressant les autochtones qui ont été consacrées à la question de l'autonomie des autochtones et à celle de savoir si et sous quelle forme un droit des autochtones à l'autonomie devait être consacré dans la Constitution canadienne. Les résultats de ces conférences n'ont pas été concluants. Aucune proposition n'a fait l'unanimité et aucun projet de modification de 1a Constitution n'a par la suite été soumis au parlement fédéral et aux parlements provinciaux pour examen et vote.

2.3 L'Etat partie a fait savoir (le 20 février 1991)qu'aucune autre conférence constitutionnelle sur les questions intéressant les autochtones n'était prévue, mais les auteurs soulignent (dans leurs observations datées du ler juin 1991)que le Ministre des affaires constitutionnelles de 1'Etat partie a annoncé, au cours de la dernière semaine de mai 1991, qu'une nouvelle série de délibérations constitutionnelles devait avoir lieu plus tard en 1991et qu'un "groupe" rassemblant jusqu'à 10 dirigeants autochtones serait invité
a y participer.


Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs ont demandé en vain l'autorisation de participer aux conférences constitutionnelles à titre de représentants du peuple micmac. Le fait que 1'Etat partie ait refusé d'autoriser les Micmacs à être spécifiquement représentés aux conférences constitutionnelles est à l'origine de la plainte.

3.2 A l'origine, les auteurs ont affirmé qu'en refusant aux représentants de la Société tribale micmaque le droit de participer awt conférences constitutionnelles, 1'Etat partie avait refusé au peuple micmac le droit à l'autodétermination, en violation de l'article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils ont ensuite modifié leur allégation et ont déclaré que ce refus constituait aussi une violation de leur droit de prendre part à la direction des affaires publiques, énoncé au paragraphe a)de l'article 25 du Pacte.

Observations de 1'Etat partie et commentaires des auteurs

4.1 L'Etat partie fait observer que les restrictions imposées à la participation aux conférences constitutionnelles n'étaient pas déraisonnables et que ces conférences n'étaient pas conduites de manière contraire au droit de participer à "la direction des affaires publiques". En particulier, 1'Etat partie fait observer que le "droit des citoyens de participer à la 'direction des affaires publiques'ne signifie pas que ceux-ci doivent être directement associés aux devoirs et responsabilités d'un gouvernement dûment élu mais plutôt que ce droit est exercé . . . lorsque des représentants librement choisis s'acquittent des responsabilités qui leur sont confiées en vertu de la Constitution et prennent des décisions dans ce cadre". Le Canada soutient que l'affaire considérée "ne ressortit pas aux activités que des particuliers sont habilités à exercer en vertu de l'article 25 du Pacte, lequel ne saurait signifier que tous les citoyens d'un pays doivent être invités à une conférence constitutionnelle".

4.2 Les auteurs soutiennent, entre autres, que ces resprictions étaient déraisonnables et que leurs intérêts n'étaient pas représentés comme il se devrait aux conférences constitutionnelles. En premier lieu, ils soulignent qu'ils n'ont pas pu choisir celle des "associations nationales" qui les représenterait, et que, de plus, ils n'ont conféré à l'Assemblée des Premières Nations (AF'N) aucun droit de les représenter. En second lieu, lorsqu'ils n'ont pas été autorisés à se faire représenter directement, les Micmacs ont essayé, en vain, d'influencer 1'AFN. Ils rappellent en particulier que, lors d'une audition organisée conjointement en 1987 pour 1'AFN et plusieurs ministères du Gouvernement canadien, les dirigeants micmacs ont présenté un ensemble de propositions constitutionnelles et se sont élevés "de la manière la plus énergique contre toute discussion des traités micmacs lors des conférences constitutionnelles en l'absence de représentation micmaque directe". Cependant, 1'AFN n'a présenté aucun des exposés de position micmacs aux conférences constitutionnelles ni ne les a intégrés à ses propres exposés.


Questions dont le Comité est saisi et procédure devant le Comité

5.1 Le 25 juillet 1990, la communication a été déclarée recevable dans la mesure où elle pouvait révéler une violation de l'article 25 a)du Pacte. Le Comité avait auparavant établi , à propos d'une autre communication, qu'il n'était pas possible d'invoquer une violation présumée de l'article premier du Pacte en s'appuyant sur le protocole facultatif .

5.2 L'article 25 du Pacte stipule :

"Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables :

a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis;

b) de voter et d'être élu au cours d'élections périodiques, honnêtes, . . . .

c) d'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques . . .".

La question qui se pose dans le cas à l'étude est de savoir si les conférences constitutionnelles constituent des occasions de "prendre part à la direction des affaires publiques" et, dans l'affirmative, si les auteurs ou d'autres représentants choisis à cette fin par la Société tribale micmaque étaient en droit, en vertu de l'article 25 a), d'y participer.

5.3 L'Etat partie a informé le Comité qu'en règle générale, les conférences constitutionnelles au Canada ne réunissaient que les dirigeants élus du gouvernement fédéral et des gouvernements des 10 provinces. Compte tenu de leur composition, de la nature et de l'importance des activités qui y sont traitées, comme l'a expliqué 1'Etat partie, le Comité ne peut que conclure que la participation à ces conférences est effectivement une façon de prendre part à la direction des affaires publiques. Le fait qu'une exception a été faite lorsque les représentants des peuples autochtones ont été invités à participer avec les représentants élus aux délibérations des conférences constitutionnelles sur les questions intéressant les autochtones ne modifie en rien cette conclusion.

5.4 Il reste à savoir quelle est la portée du droit de tout citoyen, sans restrictions déraisonnables, de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis. L'article 25 a) du Pacte ne peut sûrement pas signifier que tout citoyen peut décider soit de participer directement à la direction des affaires publiques, soit d'en laisser la responsabilité à des représentants librement choisis. Le système juridique et constitutionnel de 1'Etat partie doit fixer les modalités de cette participation.

5.5 Il ne peut faire aucun doute que la direction des affaires publiques dans les Etats démocratiques est la responsabilité des représentants du peuple, élus à cette fin , et des fonctionnaires de 1'Etat désigné6 conformément a la loi. Invariablement, la direction des affaires publiques touche les intérêts de grands secteurs de la population, ou même de la population tout entière, alors qu'elle peut parfois toucher plus directement les intérêts de certains secteurs précis de la société. Bien que des consultations préalables, par exemple sous forme d'auditions publiques , ou des consultations avec les groupes les plus directement touchés soient souvent prévues par la loi ou soient devenues habituelles dans la direction des affaires publiques, l'article 25 a)du Pacte ne peut pas être interprété comme signifiant que tout groupe directement touché, quelle que soit son importance, a le droit absolu de fixer lui-même les modalités de participation à la direction des affaires publiques. Il s'agirait en réalité d'une extrapolation du droit de participation directe des citoyens, dépassant largement la portée de 1'article 25 a).

6. Nonobstant le droit qu'a tout citoyen de prendre part à la direction des affaires publiques sans aucune discrimination et sans restrictions déraisonnables, le Comité conclut que, dans les circonstances de l'espèce, le fait que 1'Etat partie n'ait pas invité des représentants de la Société tribale micmaque aux conférences constitutionnelles, sur les questions intéressant les autochtones, qui relèvent de la conduite des affaires publiques, ne viole pas ce droit des auteurs ou d'autres membres de la Société tribale micmaque. En outre, de l'avis du Comité, ni la participation, ni la représentation à ces conférences n'ont fait l'objet de restrictions déraisonnables. En conséquence, il estime que la communication ne fait pas apparaître de violation de l'article 25 ni de toute autre disposition du Pacte.



Page Principale || Traités || Recherche || Liens