University of Minnesota



Michel Dumont v. Canada, Communication No. 1467/2006, U.N. Doc. CCPR/C/98/D/1467/2006 (2010).



 


CCPR/C/98/D/1467/2006

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. Restreinte* 21 mai 2010

Original: français

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8 – 26 mars 2010

Constatations

Communication No. 1467/2006

Présentée par: Michel Dumont (non représenté par un conseil)

Au nom de: L’auteur

État partie: Canada

Date de la communication: 17 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Références: Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 mai 2006 (nonpubliée sous forme de document) CCPR/C/90/D/1467/2006 - décision sur la recevabilité datée du 13 juillet 2007

Date de l’adoption des constatations: 16 mars 2010

 

* Rendue publique sur décision du Comité des droits de l’homme.

Objet: Droit d’être indemnisé après l’annulation d’une condamnation

Questions de procédure: Non-épuisement des voies de recours internes

Questions de fond: Indemnisation pour erreur judiciaire

Article du Pacte: 14, paragraphe 6

Article du Protocole facultatif: 5, paragraphe 2 b)

Le 16 mars 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1467/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.


Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no 1467/2006**

Présentée par: Michel Dumont (non représenté par un conseil)

Au nom de: L’auteur

État partie: Canada

Date de la communication: 17 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Décision sur la recevabilité: 13 juillet 2007

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 mars 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1467/2006 présentée par Michel Dumont (non représenté par un conseil) en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication, datée du 17 mars 2006, est Michel Dumont, de nationalité canadienne. Il se déclare victime d’une violation par le Canada du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2 Le 28 juillet 2006, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité de la communication devait être examinée séparément du fond.

Rappel des faits tels que présentés par l’auteur

2.1 Le 25 juin 1991, l’auteur a été déclaré par la Cour du Québec coupable d’un viol dans la ville de Boisbriand et condamné à 52 mois d’emprisonnement. Il a fait appel de cette décision devant la Cour d’appel du Québec qui, le 14 février 1994, a rejeté son appel parce que l’auteur n’a invoqué aucune erreur de droit. Même avant que son appel soit entendu, la victime du viol a signé le 23 juin 1992 une déclaration formelle mentionnant qu’elle s’était trompée sur l’identité de son agresseur, mais cette déclaration ne fut pas mentionnée durant l’audience en appel. L’auteur demeura en prison jusqu’en mai 1997 quand il fut admis à une libération conditionnelle. Il fut donc emprisonné durant 34 mois. Un rapport d’une commission d’enquête a été ordonné par le Gouvernement sur la demande de révision faite par l’auteur au titre de l’article 690 du Code Criminel. Le rapport, publié le 15 juillet 1998, conclut que la déclaration faite par la victime soulevait un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’auteur. L’affaire a donc été renvoyée à la Cour d’appel du Québec. Le 22 février 2001, la Cour d’appel du Québec a annulé la condamnation prononcée par la Cour du Québec et a acquitté l’auteur de tous les chefs d’accusation portés contre lui.

2.2 Le 21 août 2001, l’auteur a intenté une poursuite civile devant la Cour supérieure du Québec contre notamment le Procureur général du Québec pour compensation financière pour les dommages subis par lui et sa famille. Le Québec a produit sa défense au dossier le 13 août 2002 et répondu aux allégations de l’auteur. La déclaration initiale de l’auteur a été précisée et amendée de telle sorte que son argumentaire définitif est celui de la déclaration amendée du 17 février 2004. Finalement, la cause a été inscrite le 15 juin 2006 pour enquête et audition devant la Cour. L’auteur a également envoyé de très nombreuses lettres à diverses instances pour obtenir une indemnisation pour l’erreur judiciaire dont il a été victime.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur se considère victime d’une violation de l’article 14, paragraphe 6, du Pacte. Malgré le fait que sa condamnation pénale ait été annulée parce qu'un fait nouveau ou nouvellement révélé a prouvé qu'il s'est produit une erreur judiciaire, il n’a pas été indemnisé, conformément aux « Lignes directrices d’indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées à tort ». Ces lignes directrices adoptées en 1988 par les Ministères de la Justice et les procureurs fédéraux et provinciaux exigent que le demandeur ait été emprisonné, qu’un fait nouveau soit apparu, qu’il ait été démontré qu’une erreur judiciaire ait été faite et qu’il y ait eu une décision prise sous l’article 690 du Code pénal. L’indemnisation est versée par les autorités provinciales concernées. Si une personne a droit à une indemnisation, une enquête judiciaire ou administrative est ouverte pour recommander la somme d’indemnisation.

3.2 L’auteur considère qu’il remplit les trois critères établis dans ces lignes directrices d’indemnisation. Comme il n’y a aucun questionnaire officiel, il a juste écrit à maintes reprises aux autorités concernées pour demander une indemnisation. Ses demandes ont toutes été rejetées. Le Ministère de la Justice du Québec a suggéré qu’il aille devant les juridictions civiles. L’auteur explique que les lignes directrices ne mentionnent pas qu’une action doit être engagée devant les juridictions civiles pour obtenir une indemnisation et il fait valoir qu’il n’a pas les moyens financiers de le faire. Il précise qu’une seule personne, Monsieur R.P., a reçu une indemnisation au Québec depuis que le programme a été établi en 1988. Il avait été acquitté en 1986 et n’a reçu une indemnisation qu’en 2001 après 15 années d’attente. D’après l’auteur, Monsieur R.P. n’a réussi à obtenir une indemnisation que parce que le “protecteur du citoyen” a exercé une pression sur le ministre de la justice de l’époque.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1 Le 7 juillet 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il fait valoir que l’auteur a intenté le 21 août 2001, soit six mois après son acquittement, une poursuite civile devant la Cour supérieure du Québec contre notamment le Gouvernement du Québec afin d’être compensé financièrement. La cause a été inscrite le 15 juin 2006 pour enquête et audition devant la Cour. L’État partie précise que l’auteur aurait pu inscrire sa cause dès le 13 août 2002 après la production de la défense par le Québec, ce qu’il n’a pas fait. L’État partie fait donc valoir que l’auteur n’ait pas épuisé les recours internes et que sa cause devrait être entendue prochainement. Si la réclamation est rejetée, l’État partie rappelle que l’auteur pourra faire appel devant la Cour d’appel du Québec, et ultimement, sur permission, à la Cour suprême du Canada.

4.2 L’État partie rappelle également que l’auteur a aussi déposé une plainte au Protecteur du citoyen du Québec le 22 mars 2006 et que cette procédure suit également son cours. Bien que l’auteur allègue qu’il n’a pas les ressources financières requises pour poursuivre ses recours, l’État partie rappelle que le recours devant le Protecteur du citoyen n’implique pas de ressources financières et que, de toute façon, la simple allégation du manque d’argent est insuffisante pour permettre à l’auteur de se soustraire à l’obligation d’épuiser les recours internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Le 17 octobre 2006, l’auteur note que d’un côté, l’État partie avance que sa communication n’est pas recevable parce qu’il a intenté une action en justice contre, entre autres, le Procureur général du Québec. De l’autre, l’État partie prétend que cette action en justice n’est pas recevable non plus. De toute façon, l’auteur fait valoir que son action en justice n’a rien à voir avec son droit d’être indemnisé à titre de victime d’erreur judiciaire en vertu de l’article 14, paragraphe 6, du Pacte. Dans cette action, il cherche à prouver que les policiers et la Couronne ont commis des fautes.

5.2 L’auteur fait valoir que l’État partie ne respecte pas les engagements qu’il a pris par le Pacte puisque la seule mesure qu’il a adoptée pour mettre en œuvre l’article 14, paragraphe 6, est l’adoption des « Lignes directrices d’indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées à tort ». Il rappelle que l’État partie a lui-même admis dans ce document qu’ « il convient de noter qu’un mécanisme d’indemnisation qui serait basé exclusivement sur ces lignes directrices risquerait de permettre au Canada de ne se conformer qu’en partie aux obligations mises à sa charge par le Pacte international parce que le droit à l’indemnisation ne serait pas fondé sur une loi, tel que prévoit l’article 14(6) du Pacte international. » D’après ce même document, la victime d’erreur judiciaire au Canada, même si sa condamnation a été annulée comme le prévoit l’article 14, paragraphe 6, du Pacte, doit prouver hors de tout doute son innocence pour être indemnisé. À ce titre, l’auteur fait référence à la réponse envoyée par le sous-ministre associé de la Justice du Québec le 24 février 2006 qui déclare que son analyse du dossier ne lui permettait pas de conclure à l’innocence factuelle de l’auteur et cette conviction était nécessaire pour permettre l’application des « Lignes directrices d’indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées à tort ». Il rappelle qu’il a été acquitté par la Cour d’appel le 22 février 2001 et qu’il devrait bénéficier pleinement de la présomption d’innocence.

Observations additionnelles des parties sur la recevabilité

6.1 Le 6 février 2007, l’État partie note que dans le cadre de son action en responsabilité civile devant la Cour supérieure du Québec, l’auteur reproche au Procureur général du Canada des fautes spécifiques commises au cours de sa période de détention au sein du système carcéral fédéral. Ces allégations ne sont pas reprises devant le Comité. C’est en regard de ces allégations que le Gouvernement du Canada a soulevé des moyens d’irrecevabilité. Dans cette même action devant la Cour supérieure du Québec, l’auteur demande en outre une compensation pour les dommages que lui et sa famille auraient subis du fait de sa condamnation et de son incarcération.1

6.2 Bien que l’auteur fasse valoir que son action « n’a rien à avoir avec son droit d’être indemnisé à titre de victime d’erreur judiciaire en vertu de l’article 14, paragraphe 6, du Pacte », l’État partie note que l’auteur a amendé sa déclaration initiale afin d’y ajouter un chapitre distinct visant précisément son droit à l’indemnisation en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne, le tout en lien avec la Pacte. Ainsi, contrairement à ce que l’auteur semble alléguer devant le Comité, l’État partie estime que l’action qu’il a intentée est susceptible de l’indemniser pour l’erreur judiciaire dont il prétend avoir été victime. Par conséquent, l’État partie avance que cette action est susceptible d’apporter à l’auteur le remède qu’il recherche devant le Comité, à savoir une indemnisation pour l’erreur judiciaire dont il prétend avoir été victime, et ce, indépendamment du fardeau de preuve incombant à l’auteur dans le cadre de cette poursuite, lequel fardeau est inhérent à toute poursuite civile. Par ailleurs, l’État partie rappelle que l’auteur doit en tout état de cause prouver qu’il satisfait aux conditions d’application de l’article 14, paragraphe 6, notamment la preuve qu’il s’est produit une erreur judiciaire.2

6.3 L’État partie considère que les arguments formulés par l’auteur relativement aux « Lignes directrices » ne sont pas pertinents.

6.4 Quant à la plainte déposée au Protecteur du citoyen du Québec le 22 mars 2006, l’État partie note que celle-ci a été déclarée irrecevable par ce dernier en juin 2006 au motif que la Loi sur le Protecteur du citoyen prohibe toute intervention du Protecteur lorsqu’un recours judiciaire est exercé par le plaignant.

7.1 Le 22 mai 2007, l’État partie note que l'action intentée par l'auteur devant la Cour supérieure du Québec n'a pas encore été entendue et une date de procès n'a pas encore été fixée. Depuis l'inscription pour enquête et audition le 15 juin 2006, l'action a continué à suivre son cours normal. Une inscription pour enquête et audition signifie que la cause est en état afin qu'une date de procès puisse être fixée. Les parties à l'action ont rencontré la Cour en mars 2007 pour fixer la date du procès mais la Cour a reporté la fixation d'une date au 29 juin 2007 afin que certaines mesures soient prises pour faciliter le déroulement du procès, considérant que plusieurs parties sont impliquées au dossier et que le procès sera de longue durée. Il y a lieu de noter que les délais encourus depuis que la cause a été inscrite pour enquête et audition en juin 2006 sont normaux dans les circonstances.

7.2 L’État partie rappelle également que l’auteur a attendu dix-huit mois après la production de la défense par le Québec, soit jusqu'au 17 février 2004, pour déposer au dossier de la Cour une déclaration ré-amendée. Il a ensuite attendu vingt-huit mois avant d'inscrire la cause pour enquête et audition, soit le 15 juin 2006, seulement après en avoir été forcé par le Québec par le biais d'une procédure. Il s'est donc écoulé presque quatre ans entre le moment où le Québec a produit une défense au dossier de la Cour et le moment où l’auteur a inscrit la cause pour enquête et audition.

8. Le 29 mai 2007, l’auteur note que dans la défense produite par l’État partie à l’action qu’il a intentée dans les tribunaux de droit commun, l’État partie dit lui-même que « les articles 2(3) et 14(6) du Pacte n’ayant pas été incorporés expressément en droit canadien, ces obligations ne peuvent pas constituer une base d’action valide ». Par ailleurs, en réponse à l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur doit prouver qu’il s’est produit une erreur judiciaire, l’auteur rappelle que son dossier avait été renvoyé à la Cour d’appel du Québec, ce qui a mené à son acquittement, précisément parce qu’il y avait eu erreur judiciaire.

9. Le 11 juin 2007, l’auteur précise que tous les délais dans la procédure devant la Cour supérieure du Québec ont été causés par le Procureur général du Québec. Il explique qu’entre 2004 et 2006, son avocat a demandé à plusieurs reprises de rencontrer les avocats du Ministère de la Justice dans la but de conclure avec eux un règlement à l’amiable. L’auteur lui-même a été invité à rencontrer le sous-ministre associé de la Justice du Québec le 30 novembre 2005 pour discuter d’une indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées à tort. Le 24 février 2006, le sous-ministre lui a indiqué qu’il n’y aurait pas de règlement à l’amiable. C’est pour ces raisons que l’auteur a retardé les procédures devant la Cour pour ne pas entamer des dépenses inutiles advenant un règlement à l’amiable.

10.1 Le 19 juin 2007, l’État partie réitère qu’il ne prétend pas que toute l’action intentée par l’auteur devant la Cour supérieure est irrecevable. Le Gouvernement du Canada a soulevé certains moyens d’irrecevabilité et de défense en regard des fautes précises qui lui sont reprochées relativement aux conditions de détention de l’auteur dans le système carcéral fédéral. Sur le fond, il a soutenu qu’il n’avait commis aucune faute. Quant à la demande de compensation de l’auteur pour les dommages que lui et sa famille auraient subis du fait de sa condamnation et de son incarcération, le Gouvernement du Canada a soutenu qu’il n’est pas responsable de ceux-ci. Il appartiendra à la Cour supérieure de déterminer si et/ou dans quelle mesure le Gouvernement du Canada est responsable.

10.2 Par ailleurs, l’État partie précise que l’action en dommages-intérêts intentée par l’auteur est d’abord et avant tout basée sur les règles applicables au Québec en matière de responsabilité civile et non pas sur le Pacte. L’auteur a amendé sa déclaration initiale afin d’y ajouter un chapitre distinct visant son droit à l’indemnisation en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne, le tout en lien avec le Pacte. Ainsi, l’argument du Gouvernement du Canada soutenant que les articles 2(3) et 14(6) du Pacte ne constituent pas une base d’action valide au motif que le Pacte n’a pas été incorporé expressément en droit canadien, n’a pas d’incidence sur le bien-fondé ou non de l’ensemble du recours de l’auteur devant la Cour supérieure visant à obtenir une compensation monétaire, ainsi que sur la détermination par la Cour du niveau de responsabilité de chacun des défendeurs à l’action. La Cour supérieure a toute la juridiction nécessaire pour disposer de l’action intentée et des moyens de défense des parties.

10.3 En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle « …le Gouvernement du Canada plaide qu’il n’a pas incorporé le Pacte au droit canadien (depuis 31 ans) et qu’en conséquence, ses engagements internationaux ne sont pas générateurs de droits pour les justiciables canadiens », l’État partie tient à rappeler que l’article 2 du Pacte n’exige pas un mode spécifique de mise en œuvre des obligations du Pacte, mais prévoit plutôt que les États parties s’engagent à mettre en œuvre le Pacte par l’adoption de mesures d’ordre législatif ou autre. La mise en œuvre du Pacte, au Canada, se fait à travers un ensemble de mesures, lesquelles peuvent être législatives ou réglementaires, ainsi qu’à travers des programmes et des politiques.

11. Le 1er juillet 2007, l’auteur précise que la date du procès a été fixée du 5 au 25 février 2009 pour une durée de quinze jours. Il note que la Cour supérieure du Québec « recommande fortement que les parties procèdent à une conférence de règlement à l’amiable qui serait tenu avant de compléter leur déclaration conjointe de gestion de procès ».

12. Le 9 juillet 2007, l’État partie explique que le délai avant le procès est normal considérant le nombre élevé de dossiers en attente d’un procès dans le district de Montréal, l’urgence relative de ces dossiers, la durée anticipée du procès dans le cas de l’auteur et le nombre de parties impliquées au dossier. Les dates qui ont été fixées étaient les premières dates disponibles pour un procès de la durée de celui de l’auteur et ont été acceptées par celui-ci.

Décision du Comité concernant la recevabilité

13.1 Le 13 juillet 2007, à sa quatre-vingt-dixième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

13.2 Le Comité a observé que la condamnation de l’auteur par la Cour du Québec, le 25 juin 1991, a été confirmée par la Cour d’appel du Québec le 14 février 1994. L’auteur n’a pas fait appel à la Cour suprême du Canada, mais il s’est adressé à la ministre de la Justice du Canada sous l’autorité de l’article 690 du Code criminel. Suite à cette demande, la ministre de la Justice du Canada a ordonné le renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel parce que certains renseignements lui avaient dévoilés qui pouvaient être pertinents dans la détermination de la culpabilité ou l’innocence de l’auteur. Le 22 février 2001, la Cour d’appel du Québec a acquitté l’auteur de tous les chefs d’accusation portés contre lui. Le Comité a donc considéré que le paragraphe 6 de l’article 14 s’appliquait en l’espèce.

13.3 En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a pris note de l’argument de l’État partie selon lequel en engageant une action en justice devant la Cour supérieure du Québec, l’auteur peut obtenir une indemnisation pour l’erreur judiciaire dont il prétend avoir été victime. Toutefois, le Comité a noté que l’auteur s’est déjà adressé à de nombreuses instances pour obtenir une indemnisation, jusqu’à présent sans succès. Selon les « Lignes directrices d’indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées à tort », une commission d’enquête juridique ou administrative aurait dû être nommée par le ministre provincial ou fédéral responsable de la justice pénale pour étudier la question de l’indemnisation de l’auteur. Or, cette commission d’enquête n’a jamais été établie. En tout état de cause, le Comité a noté que l’État partie a lui-même admis dans les « Lignes directrices » qu’ « un mécanisme d’indemnisation qui serait basé exclusivement sur ces lignes directrices risquerait de permettre au Canada de se conformer qu’en partie aux obligations mises à sa charge par le Pacte international parce que le droit à l’indemnisation ne serait pas fondé sur une loi, tel que prévoit l’article 14(6) du Pacte international. »

13.4 Le Comité a noté que l’auteur a engagé le 21 août 2001 une action en responsabilité civile contre le Procureur général du Québec pour obtenir une indemnisation. Cette procédure qui n’avait pas encore abouti avait déjà duré presque six années. Le Comité a noté que, même si l’auteur a modifié sa déclaration initiale le 17 février 2004, la cause n’aurait pas pu être inscrite pour enquête et audition devant la Cour supérieure du Québec avant le 15 juin 2006 puisque le Procureur général du Canada n’a produit sa défense que le 8 juin 2006. En outre, il a noté que l’auteur espérait un règlement à l’amiable de l’affaire jusqu’au 24 février 2006, date à laquelle le sous-ministre lui a finalement indiqué qu’il n’y aurait pas de tel règlement (voir para. 9 ci-dessus). Le Comité a donc considéré que l’auteur ne peut pas être seul tenu responsable du délai. Dans ces circonstances, le Comité a estimé que l’État partie n’a pas démontré que la procédure judiciaire est efficace et a déclaré la communication recevable en ce qu’elle soulevait des questions au regard du paragraphe 6 de l’article 14.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

14.1 Le 29 avril 2008, l’État partie a soumis des observations sur la recevabilité et le fond et a demandé au Comité de reconsidérer sa décision de recevabilité en vertu du paragraphe 4 de l’article 99 de son Règlement intérieur et de la déclarer irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Subsidiairement, l’État partie a demandé au Comité de constater l’irrecevabilité ratione materiae de la communication au motif que l’auteur n’aurait pas établi qu’il satisfait aux conditions d’application du paragraphe 6 de l’article 14, du Pacte ou de rejeter la communication sur le fond pour non-violation du paragraphe 6 de l’article 14.

14.2 L’État partie rappelle les faits de l’affaire et précise que le 23 juin 1992, la victime des actes reprochés à l’auteur, croyant à tort que celui-ci était en prison3, a déclaré que vers la fin du mois de mars 1992, elle avait cru apercevoir le sosie de l’auteur dans un magasin de location de cassettes vidéos. Cette déclaration aurait été transmise au conseil de l’auteur dans une lettre datée du 3 juillet 1992. Entre 1994 et 1997, la victime aurait déclaré à quelques reprises qu’elle entretenait une incertitude quant à l’identité de son agresseur, pourtant elle ne se serait jamais rétractée. La Cour d’appel du Québec dans son jugement du 22 février 2001 a donc conclu que les déclarations faites par la victime soulevaient un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’auteur. La Cour ne se serait pourtant pas prononcée sur l’innocence de l’auteur.

14.3 L’État partie maintient que l’action civile intentée par l’auteur devant la Cour supérieure du Québec peut réparer intégralement le préjudice que l’auteur prétend avoir subi. Considérant que cette action est en cours, l’État partie soumet que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes utiles et efficaces. Il précise que l’action civile, si l’auteur obtenait gain de cause, pourrait réparer intégralement le préjudice que l’auteur prétend avoir subi.

14.4 L’État partie conteste les constatations du Comité au paragraphe 13.4 et précise que le Procureur général du Canada a été ajouté au dossier vers le 24 juillet 2002 par le biais d’une mise en cause forcée par le Procureur général du Québec4 et est devenu défendeur le 17 février 2004 par le biais de la déclaration amendée de l’auteur. Il précise également que les délais relatifs à l’action civile devant la Cour supérieur du Québec sont entièrement imputables à l’auteur, puisqu’en vertu du Code de procédure civile du Québec, il est au demandeur de faire avancer son dossier. L’auteur aurait donc pu inscrire sa cause pour enquête et audition dès mars 2004, date à laquelle le Procureur général du Canada aurait dû produire sa défense5. L’État partie ajoute que ce n’est qu’après avoir été forcé6 par le Procureur général du Québec que l’auteur a inscrit sa cause le 15 juin 2006. En outre, l’État partie maintient qu’un règlement à l’amiable tel qu’intenté par l’auteur n’a pas retardé le recours devant la Cour supérieure du Québec, puisque l’inscription à l’audition peut être entrepris en tout temps et ne peut donc pas servir de justification pour son inaction.

14.5 En outre, l’État partie réitère que le délai entre la date où l’auteur a inscrit la cause pour enquête et audition en juin 2006 et la date du procès fixé pour février 2009 serait normale, considérant le nombre élevé de dossiers en attente, l’urgence relative de ces dossiers et la durée anticipée du procès dans le cas de l’auteur (voir paragraphe 12).

14.6 En ce qui concerne la mise en place d’une commission d’enquête juridique ou administrative en vertu des « Lignes directrices d’indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées à tort », l’État partie conteste également les observations du Comité au paragraphe 13.3 et précise qu’une telle commission ne sera instituée que si la personne répond aux critères d’admissibilité. Or, un des critères d’admissibilité est la preuve que la personne n’a pas commis le crime pour lequel elle a été condamnée, par opposition à la personne jugée non coupable. En l’espèce, l’auteur a été acquitté compte tenu que la preuve nouvelle, c’est-à-dire la déclaration de la victime, ne pourrait pas permettre à un jury prudent de conclure hors tout doute raisonnable à la culpabilité de l’auteur. La Cour d’appel n’aurait pas déclaré que l’auteur n’a pas commis les crimes pour lesquels il a été condamné et en absence d’une telle déclaration, l’admissibilité en vertu des Lignes directrices a été examiné par une enquête administrative qui a conclu que la preuve que l’auteur n’a pas commis l’infraction pour laquelle il a été condamné n’a pas été faite. Il n’y avait donc pas lieu de nommer une commission d’enquête pour déterminer la valeur de l’indemnisation.

14.7 Par rapport à l’expression « conformément à la loi » dans l’article 14 (6) du Pacte, l’État partie soumet que la portée de cette expression n’aurait aucune incidence pratique ou concrète sur l’issue de la communication, considérant que le critère de l’innocence factuelle pour l’indemnisation ne changera pas appliquant les Lignes directrices par le biais de mesures administratives ou en vertu d’une loi. Il soutient qu’à la lumière de l’article 2 (2) du Pacte7, les « Lignes directrices » donnent effet aux droits énoncés dans l’article 14 (6), car qu’elles sont publiques et suffisamment précises et détaillées pour permettre à un individu de prévoir les critères à partir desquels sa demande sera traitée.

14.8 Subsidiairement, si le Comité maintiendrait les constatations du 13 juillet 2007, l’État partie soumet que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione materiae, en vertu de l’article 3 du Protocol facultatif, parce que l’auteur n’aurait pas établi qu’il satisfait toutes les conditions d’application de l’article 14 (6). En outre, l’auteur n’aurait pas établi que sa condamnation a été annulée en raison d’un fait nouveau ou nouvellement révélé, considérant que la déclaration de la victime exprimant une incertitude sur l’identification de l’auteur a été transmise au conseil de l’auteur en 1992, soit entre le procès en première instance et son appel. Par ailleurs, l’État partie affirme que même si la déclaration de la victime de 1992 serait considérée comme étant un fait nouveau ou nouvellement révélé, ce qui est nié, la non-révélation en temps utile serait imputable en tout ou en partie à l’auteur qui aurait omis de le soumettre lors de l’audition du 14 février 1994 devant la Cour d’appel du Québec. Il rappelle que selon la jurisprudence du Comité, l’État partie ne saurait être tenu responsable des actions ou de la négligence du conseil de l’auteur.

14.9 Finalement, l’État partie soumet que l’auteur n’a pas démontré qu’il a été victime d’une erreur judiciaire au sens de l’article 14 (6). Il rappelle que selon les travaux préparatoires, certains États définissaient le but de l’article 14 (6) en tant qu’indemnisation pour les personnes innocentes des crimes pour lesquels elles avaient été condamnées8. Il rappelle également que selon la jurisprudence du Comité le principe de la présomption d’innocence, tel qu’invoqué par l’auteur, ne s’applique pas aux procédures engagées à des fins d’indemnisation. L’auteur n’aurait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’a pas commis le crime en question et n’aurait donc pas prouvé son innocence factuelle. L’incertitude de la victime quant à l’identification de son agresseur qui a mené à l’acquittement de l’auteur ne prouvera pas l’innocence factuelle de celui-ci. En outre, la victime ne s’aurait jamais rétractée et n’aurait jamais douté lors de l’enquête préliminaire et du procès que l’auteur aurait été son agresseur. La Cour d’appel qui a procédé à la révision du jugement, n’aurait pas relevé aucune irrégularité, négligence, abus de droit ou déni de justice au niveau de l’enquête policière ou lors de la poursuite.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

15.1 Le 29 juin et le 9 juillet 2008, l’auteur réitère qu’il remplit tous les critères pour une indemnisation en vertu des « Lignes directrices », ainsi qu’en vertu de l’article 14 (6) du Pacte, considérant que sa condamnation pénale définitive, suite à une nouvelle preuve en forme de la déclaration de la victime faisant mention de son erreur sur l’identité de son agresseur, a été ultérieurement annulée, et qu’il a été acquitté de tous les chefs d’accusation portés contre lui.

15.2 Par ailleurs, l’auteur affirme que les délais dans la procédure civile sont entièrement imputables aux Procureurs généraux du Québec et du Canada. Il précise qu’il a soumis une demande d’inscription pour enquête et audition le 21 mai 2002, ce qui aurait déclenché la mise en cause forcée du Procureur général du Canada le 23 juillet 2002. L’auteur souligne que la procédure de la mise en cause forcée opposerait le Gouvernement du Québec à celui du Canada et serait cause majeure des délais dans la procédure civile.

15.3 L’auteur conteste les arguments de l’État partie en ce qui concerne la conformité des Lignes directrices avec l’article 14 (6) et affirme que les Lignes directrices elles-mêmes contiennent dans leur texte l’affirmation par l’État partie qu’en absence d’une loi, celles-ci ne répondent pas pleinement aux obligations en vertu du Pacte. Il ajoute que contrairement aux « Lignes directrices », l’article 14 (6) n’impose pas aux victimes d’une erreur judiciaire de prouver leur innocence factuelle9.

15.4 En outre, l’auteur maintient que dans le renvoi de son dossier à la Cour d’appel, le Ministre de la justice s’est prononcé sur son innocence en affirmant que « ce recours est une mesure extraordinaire qui n’est utilisé que lorsque la Ministre s’est assuré qu’il y a probablement eu erreur judiciaire». L’auteur affirme que la Cour d’appel s’est, en effet, prononcée sur son innocence en annulant sa condamnation et en l’acquittant. S’il y aurait eu un doute sur son innocence, la Cour d’appel aurait pu ordonner un nouveau procès. Considérant que l’enquête policière ne contient aucune empreinte digitale, ni analyses ADN, la condamnation de l’auteur reposait uniquement sur les affirmations de la victime et celle-ci aurait déclaré son innocence à plusieurs reprises, y inclus publiquement. L’auteur conteste aussi la description de l’agresseur telle que soumise par l’État partie et indique plusieurs différences à la description dans le rapport de police qui a été effectué au moment où la victime a porté plainte.

15.5 L’auteur souligne également que la Cour d’appel a admis les six déclarations de la victime après le procès de première instance en tant que preuve nouvelle et a affirmé que cette preuve nouvelle était offerte avec diligence raisonnable, qu’elle était pertinente, crédible et de nature à influer sur le verdict. L’introduction des déclarations de la victime ont mené à l’annulation du jugement rendu le 25 juin 1991. Il affirme que la Cour d’appel aurait ainsi établi que la non-révélation de ce nouveau fait ne lui était pas imputable. L’auteur conteste d’ailleurs la transmission à son conseil de la déclaration de la victime du 23 juin 1992 et souligne que l’État partie n’aurait pas produit un accusé de réception de la lettre du 3 juillet 1992. Par ailleurs, il maintient que l’Etat partie aurait eu l’obligation d’introduire cette nouvelle information dans le procès d’appel.

Observations additionnelles des parties sur la recevabilité et le fond

16.1 Le 19 décembre 2008, l’État partie réitère que « la preuve de l’innocence factuelle est une nécessité pour l’application de l’article 14 (6) et les Lignes directrices (voir 3.1 ci-dessus)10 et une composante essentielle de l’erreur judiciaire ». La notion d’erreur judiciaire qui a été appliquée au renvoi par le Ministre de la justice vise à déterminer si à la lumière des éléments de preuve additionnels, une condamnation devrait être maintenue hors de tout doute raisonnable, pendant que l’indemnisation pour erreur judiciaire repose sur l’innocence factuelle de l’auteur. L’État partie réitère aussi que l’acquittement de l’auteur a reposé sur l’incertitude de la victime quant à l’identification de son agresseur et qu’il a bénéficié du doute raisonnable mais que ceci ne pouvait pas être interprété comme une preuve de son innocence factuelle.

16.2 En ce qui concerne les allégations de l’auteur par rapport à la réception de la déclaration de la victime en 1992, l’État partie réitère ses observations du 29 avril 2008 et affirme que ces allégations seront examinées par la Cour supérieure du Québec dans le cadre de l’action civile. Le jugement de la Cour d’appel de 2001 n’aurait pas établi que la non-révélation en temps utile de la déclaration de la victime de 1992 ne serait pas imputable à l’auteur, en tout ou en partie.

16.3 Par rapport à la déclaration de la victime, l’État partie précise que celle-ci ne pourrait pas innocenter l’auteur, considérant qu’elle affirme que l’homme vu par la victime au magasin « pouvait être Dumont ». Les autres déclarations successives n’établiront pas, par prépondérance de preuve, l’innocence factuelle de l’auteur.

16.4 L’État partie réitère que les délais dans l’action civile sont imputables à l’auteur. Il précise que la requête de l’auteur d’inscription pour enquête et audition a été rejetée en juin 2002 et que par la suite l’auteur n’aurait pas avancé son action. L’État partie réitère par ailleurs que, contrairement aux affirmations de l’auteur, les recours internes n’ont pas été épuisés et que la poursuite civile n’est pas distincte du fondement de sa communication devant le Comité considérant que l’auteur invoque l’article 14 (6) dans son action civile.

16.5 L’État partie conteste également la remise en cause de la description que la victime a faite de son agresseur et souligne que la description telle qu’elle a été entendue par le tribunal de première instance n’a pas été contestée par l’auteur, ni en 1994 ni en 2001.

17. Le 10 février 2009, l’auteur réitère ses commentaires du 29 juin 2008 et souligne que la victime a publiquement déclaré que ce n’était pas lui le coupable du crime.

18. Le 27 février 2009, l’État partie soumet qu’un règlement à l’amiable était intervenu entre l’auteur et la Ville de Boisbriand et ses assureurs, deux des quatre défendeurs parties au procès civil intenté par l’auteur devant la Cour supérieure du Québec, démontrerait que les recours internes sont utiles et efficaces. L’auteur aurait poursuivi la Ville de Boisbriand pour des dommages résultant de fautes présumées de ses policiers qui avaient mené l’enquête.11 Les termes précis du règlement, incluant le montant, demeurerait cependant confidentiels. L’État partie réitère que la communication devrait donc être déclarée irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés.

19. Le 23 juillet 2009, l’État partie soumet que la Cour supérieure du Québec a rejetée le 17 juillet 2009 l’action intentée par l’auteur à l’encontre des Procureurs généraux du Québec et du Canada. Il réitère que la communication demeure irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés, car l’arrêt de la Cour est susceptible à l’appel devant la Cour d’appel du Québec.

20. Le 23 août 2009, l’auteur affirme que le doute soulevé par la victime en ce qui concerne son agresseur aurait été communiqué à l’enquêteur le lendemain de la prétendue rencontre au club vidéo en mars 1992, mais qu’elle n’aurait pas été divulguée ni à l’auteur, ni à son conseil. Par ailleurs, il soumet que le jugement du 17 juillet 2009 contient des erreurs manifestes, le juge s’aurait par exemple basé sur une déclaration d’identification de l’agresseur par la victime qui voulait, en plus de voir la photo de l’auteur, aussi voir ses mains, comme son agresseur avait des tatouages. Or, la victime n’aurait jamais vu les mains de l’auteur. Il n’y aurait par ailleurs pas eu de scène de crime étant donné que la victime n’avait reporté l’agression que deux jours après l’incident. Il serait par ailleurs exceptionnel que la victime ait informé, dès septembre 1994, les services correctionnels de son doute sur son agresseur et qu’il serait d’autant plus incompréhensible pourquoi les autorités n’ont pas pris l’initiative de rouvrir le procès. Finalement, l’auteur affirme que l’État partie et le Gouvernement du Québec refusent de reconnaître leur responsabilité pour l’erreur judiciaire dont il aurait été victime et qu’il n’aurait reçue, de la Ville de Boisbriand et de ses assureurs, qu’une partie de l’indemnisation demandée.

21.1 Le 25 septembre 2009, l’État partie a informé le Comité que l’auteur a porté en appel le jugement du 17 juillet 2009 de la Cour supérieure du Québec et qu’une décision de la Cour d’appel ne serait pas attendue avant plusieurs mois. L’État partie réitère que l’objet de l’action civile intentée par l’auteur est essentiellement le même que celui de la communication devant le Comité et que l’action civile serait un recours utile et efficace qui n’a pas encore été épuisé.

21.2 L’État partie explique que le juge de la Cour supérieure du Québec a rejeté l’action de l’auteur en absence de faute tant à l’égard du Procureur général du Québec, qu’à l’égard du Procureur général du Canada. La Cour a conclu que le Procureur général du Québec avait, au moment de porter des accusations contre l’auteur en 1990, des motifs raisonnables et probables de croire que l’auteur était coupable du crime en question et qu’il n’y avait aucune preuve de malveillance, d’abus ou de mauvaise fois de la part du Procureur général du Québec. Les conclusions de cette Cour appuient la position de l’État partie qui maintient de ne pas avoir commis aucune faute dans le cadre de la poursuite contre l’auteur. La Cour aurait par ailleurs conclu qu’il n’était pas établi que ni l’auteur lui-même, ni son avocat n’auront pas reçu le rapport d’enquête qui contenait les déclarations de la victime exprimant son doute en ce qui concerne son agresseur et que le Procureur général du Québec n’aurait pas commis de faute en ne soulevant pas la déclaration de la victime lors de l’appel, étant donné qu’il s’est acquitté de son obligation de divulgation et qu’il ne lui appartenait pas de s’immiscer dans la preuve de la défense. Finalement, l’État partie maintient que la conclusion de la Cour supérieure du Québec qu’il existait des indices révélant que la personne que la victime a vue au club vidéo en mars 1992 pouvait être l’auteur, appuie sa position que l’auteur n’avait pas établi son innocence factuelle aux fins de l’application de l’article 14, paragraphe 6 du Pacte.

Révision de la décision de recevabilité

22.1 Le Comité note la demande de l’État partie de reconsidérer sa décision de recevabilité du 13 juillet 2007, en vertu de l’article 99, paragraphe 4 du Règlement intérieur du Comité, et de déclarer la communication irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

22.2 Le Comité note que l’État partie reconnaît qu’une commission d’enquête juridique ou administrative prévue par les « Lignes directrices d’indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées à tort » n’a pas été instituée pour examiner le cas de l’auteur au motif qu’il n’a pas répondu aux critères d’admissibilité exigeant la preuve de son innocence. Sa demande a en conséquence été rejetée. Il note également que, le 17 juillet 2009, la Cour supérieure du Québec a rejeté en première instance l’action en responsabilité civile engagée par l’auteur, le 21 août 2001,contre les Procureurs généraux du Québec et du Canada afin d’obtenir une indemnisation pour erreur judicaire, et que cette procédure n’est toutefois pas achevée, neuf ans après l’acquittement de l’auteur de la communication. A la lumière des explications des parties sur les motifs du retard intervenu dans la procédure civile, l’auteur ne peut pas seul être tenu responsable, dès lors que celui-ci a été informé seulement le 24 février 2006 qu’il ne bénéficiait pas d’un règlement à l’amiable.

22.3 Le Comité note que l’État partie n’a pas fourni des éléments nouveaux de nature à conduire à une révision de sa décision de recevabilité. En conséquence, il réitère que la communication est recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

23.1 Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

23.2 Le Comité rappelle les conditions d’application du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte, selon lesquelles une personne qui a fait l’objet d’une condamnation pénale définitive et qui a subi une peine en raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, si la condamnation est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire.12

23.3 Dans le cas en l’espèce, l’auteur a fait l’objet d’une condamnation pénale définitive assortie d’une peine d’emprisonnement de 52 mois. Il fut emprisonné au total pendant 34 mois. Le 22 février 2001, la Cour d’appel du Québec a acquitté l’auteur de tous les chefs d’accusations portés contre lui « compte tenu que la preuve nouvelle ne pourrait permettre à un jury raisonnable, correctement instruit de conclure, hors de tout doute raisonnable à la culpabilité du requérant [de l’auteur] ».

23.4 Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel il n’était pas établi que l’auteur n’a pas commis le crime en question et son innocence factuelle n’aurait donc pas été prouvée. L’État partie soumet qu’il est d’avis qu’une erreur judiciaire au sens de l’article 14 (6) du Pacte ne se produit que lorsque la personne condamnée est innocente dans les faits (innocence factuelle) de l’infraction qui lui est reprochée. Il explique également que dans le système pénal canadien de tradition de common law, l’acquittement subséquent d’une personne trouvée coupable ne signifie pas qu’elle est innocente, au moins que le tribunal le déclare de façon expresse suite à une preuve qui en fait la démonstration.

23.5 En l’espèce, sans préjudice de la position du Comité sur l’exactitude de l’interprétation par l’État partie de l’article 14, paragraphe 6 du Pacte et ses implications à la présomption d’innocence, il observe que la condamnation de l’auteur reposait principalement sur les déclarations de la victime et que les doutes que la victime a exprimés, depuis mars 1992, en ce qui concerne son agresseur ont conduit, le 22 février 2001, à l’annulation de la condamnation de l’auteur. Il relève, en outre, qu’aucune procédure dans l’État partie ne permet en cas d’acquittement de la personne poursuivi de provoquer une nouvelle enquête en vue de réviser l’affaire et éventuellement identifier le vrai coupable. Le Comité considère donc que l’auteur ne peut pas être tenu responsable de cette situation.

23.6 En conséquence, l’auteur, d’une part en raison de cette lacune et d’autre part des lenteurs de la procédure civile toujours en cours depuis neuf ans, n’a pas pu disposer d’un recours utile lui permettant d’établir son innocence comme l’exige l’État partie, aux fins d’obtenir l’indemnisation prévue dans l’article 14, paragraphe 6. Le Comité constate donc une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 14, paragraphe 6, du Pacte.

24. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec paragraphe 6 de l’article 14.

25. Conformément aux dispositions de l’alinéa a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est en obligation de fournir à l’auteur un recours utile sous forme d’une indemnisation adéquate. L’État partie est également tenu d’éviter que des violations similaires se reproduisent à l’avenir.

26. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans la Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

 

Notes___________________

** Les membres suivants du Comité ont participé à l’examen de la présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Lazhari Bouzid, Mme. Christine Chanet, M. Mahjoub El Haiba, M. Ahmad Amin Fathalla, Mme. Helen Keller, M. Rajsoomer Lallah, Mme. Zonke Zanele Majodina, Mme. Iulia Antoanella Motoc, M. Michael O’Flaherty, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Fabian Omar Salvioli et M. Krister Thelin.

Le texte d’une opinion individuelle signée de M. Fabián Omar Salvioli est joint à la présente constatation.

1 L’État partie a joint en annexe une copie de la défense du Procureur Général du Canada à l’action des demandeurs datée du 8 juin 2006.

2 Voir par exemple communication no 89/1981, Muhonen c. Finlande, constatations adoptées le 8 avril 1985 ; et communication no 408/1990, W.J.H. c. Pays-Bas, décision d’irrecevabilité adoptée le 22 juillet 1992.

3 Le 27 janvier 1992, la Cour d’appel du Québec a libéré l’auteur sous conditions en attendant l’audition de son appel qui avait été autorisé par cette Cour le 31 juillet 1991.

4 La mise en cause forcée est une procédure par laquelle un défendeur nommé à une action peut mettre en cause un tiers dont la présence est nécessaire pour une solution complète du litige.

5 En vertu des articles 218 et 222 du Code de procédure civile du Québec, le demandeur principal, en l’espèce l’auteur, a intérêt à faire toute demande afin d’assurer que la demande de mise en cause ne retarde pas indûment l’instance principale. Le Procureur général du Canada n’a produit sa défense que le 8 juin 2006 (voir para 13.4 de la décision de recevabilité).

6 Le 16 mai 2006, le Procureur général du Québec a entrepris une requête en péremption d’instance en vertu de l’article 265 du Code de procédure civile du Québec.

7 Observation générale, nº 31, CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, adoptée le 26 mai 2004, para. 13.

8 Assemblée générale des Nations Unies, 14ème session, 1959, rapports sommaires du 3ème Comité, vol. 4, p. 273, para. 24 et p. 285, para. 11 ; Commission des droits de l’homme, rapports sommaires, 6ème session, E/CN.4/365, p. 39-40 ; Commission des droits de l’homme, rapports sommaires, 6ème session, E/CN.4/SR.158, p. 7, para. 27 et p. 12, para. 61 ; Commission des droits de l’homme, rapports sommaires, 8ème session, E/CN.4/SR.323, p. 7.

9 L’auteur transmet le cas de Monsieur S.T. qui aurait été acquitté en 2007, sans être déclaré innocent et qui aurait reçu une indemnisation en 2008.

10 Selon les Lignes directrices : « une indemnisation ne devrait être accordée qu’aux personnes qui n’ont pas commis le crime pour lequel elles ont été condamnées. »

11 L’objet de ce règlement à l’amiable est distinct de l’affaire telle que soumise au Comité, car il ne concerne pas la question de l’erreur judiciaire.

12 Voir CCPR/C/GC/32, Observation générale nº 32, para. 52 ; Communications nº 89/1981, Muhonen c. Finlande, constations adoptées le 8 avril 1985; nº 408/1990, W.J.H. c. Pays-Bas, décision d’irrecevabilité adoptée le 12 août 1992, para. 6.3 ; nº 868/1999, Wilson c. Philippines, décision d’irrecevabilité adoptée le 30 octobre 2003; nº 880/1999, Irving c. Australia, décision d’irrecevabilité adoptée le 1 avril 2002; nº 963/2001, Uebergang c. Australie, décision d’irrecevabilité adoptée le 27 mars 2001, para. 4.2 ; nº 980/2001, Hussain c. Ile Maurice, décision d’irrecevabilité adoptée le 18 mars 2002 ; nº 1001/2001, Strik c. Pays-Bas, décision d’irrecevabilité adoptée le 1 novembre 2002 ; nº 1367/2005, Anderson c. Australie, décision d’irrecevabilité adoptée le 31 octobre 2006.

 

Appendice

Opinion individuelle, partiellement dissidente, de M. Fabián Omar Salvioli

1. Je suis d’accord avec la décision du Comité des droits de l’homme qui a constaté une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans l’affaire Dumont c. Canada.

2. Toutefois, pour les raisons que j’expose ci-après, j’estime que le Comité aurait dû conclure que dans cette affaire l’État était également responsable d’une violation distincte du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3. Le paragraphe 6 de l’article 14 dispose que «Lorsqu’une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine à raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu’il ne soit prouvé que la non-révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou partie».

4. De toute évidence, le paragraphe 6 de l’article 14 n’exige pas que la personne qui a été condamnée apporte la preuve de son innocence; il énonce le droit à indemnisation pour erreur judiciaire lorsqu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur.

5. Il convient aussi de noter que le paragraphe 6 n’exige pas non plus que ce soit la personne condamnée à tort qui prouve qu’une erreur judiciaire a été commise; la preuve peut survenir de n’importe quelle manière, indépendamment de l’action de la personne condamnée.

6. Dans le contexte du paragraphe 6 de l’article 14, l’expression «conformément à la loi» ne confère pas aux États la possibilité de restreindre le droit établi par la voie législative mais leur donne seulement la faculté de réglementer son exercice pour garantir l’indemnisation. C’est ainsi que l’a entendu le Comité qui a signalé au paragraphe 52 de son Observation générale nº 32 qu’«il est nécessaire que les États parties légifèrent afin de garantir que l’indemnisation prescrite par cette disposition puisse effectivement être payée, et ce, dans un délai raisonnable».

7. Dans ses observations, l’État relève qu’il ressort des Travaux préparatoires que quelques États définissaient l’objet du paragraphe 6 de l’article 14 comme l’indemnisation prévue pour les personnes innocentes des infractions pour lesquelles elles avaient été condamnées et que la preuve de l’innocence de fait est une condition nécessaire à l’application du paragraphe 6 de l’article 14.

8. Le Comité aurait dû établir clairement que cette interprétation ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte. Un traité doit être interprété de bonne foi, conformément à son sens littéral et à la lumière de ses but et objectif. Recourir aux Travaux préparatoires peut être valide en tant que méthode complémentaire d’interprétation et dans le cas où l’exégèse et l’interprétation téléologique donnent des résultats ambigus ou confus.

9. Le texte du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est clair: à aucun moment la preuve de l’innocence ni, encore moins, de «l’innocence de fait» n’y est exigée.

10. En vertu de ce qui précède, étant donné que la législation du Canada exige que ce soit la personne condamnée par erreur qui apporte la preuve de son innocence pour faire valoir son droit à être indemnisée à raison de l’erreur judiciaire, on ne peut pas considérer qu’elle est compatible avec le paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

11. Selon une règle coutumière aussi bien que conventionnelle du droit des gens, une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’une disposition du droit international; cette règle entraîne non seulement l’obligation générale de rendre le droit interne conforme aux dispositions de l’instrument international en question mais aussi de ne pas légiférer d’une manière incompatible avec ledit instrument.

12. J’estime par conséquent que dans l’affaire Dumont le Comité aurait dû conclure que l’État canadien doit, pour garantir qu’une violation analogue ne se reproduise pas, supprimer l’obligation faite au condamné de prouver son innocence pour être indemnisé à raison d’une erreur judiciaire.

(Signé) Fabián Omar Salvioli

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

 

 



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