University of Minnesota



Mme. Diene Kaba v. Canada, Communication no 1465/2006, U.N. Doc. CCPR/C/98/D/1465/2006 (2010).


 


CCPR/C/98/D/1465/2006

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. Restreinte* 21 mai 2010

Original: français

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8 – 26 mars 2010

Constatations

Communication no 1465/2006

Présentée par: Mme. Diene Kaba (représentée par un conseil, Me. Johanne Doyon, puis Me. Valérie Jolicoeur)

Au nom de: Mme. Diene Kaba et Fatoumata Kaba, sa fille mineure

État partie: Canada

Date de la communication: 7 avril 2006 (date de la lettre initiale)

Références: Décision du Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 mai 2006 (non publiée sous forme de document) CCPR/C/92/D/1465/2006 - décision sur la recevabilité datée du 1 avril 2008

Date de l’adoption des constatations: 25 mars 2010

* Constatations rendues publiques sur décision du Comité des droits de l’homme.

Objet: Renvoi de l’auteur et de sa fille vers la Guinée.

Questions de fond: Risque pour la fille de l’auteur d’être soumise à excision en Guinée en cas de renvoi.

Questions de procédure: Non épuisement des recours internes ; non étayement des allégations.

Articles du Pacte: 7 ; 9, paragraphe 1 ; 13 ; 14 ; 18, paragraphe 1 ; 24, paragraphe 1.

Articles du Protocole facultatif: 2 ; 5, paragraphe 2 b).

Le 25 mars 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1465/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.


ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no 1465/2006**

Présentée par: Mme. Diene Kaba (représentée par un conseil, Me. Johanne Doyon, puis Me. Valérie Jolicoeur)

Au nom de: Mme Diene Kaba et Fatoumata Kaba, sa fille mineure

État partie: Canada

Date de la communication: 7 avril 2006 (date de la lettre initiale)

Décision concernant la recevabilité: 1 avril 2008

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Réuni le 25 mars 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1465/2006 présentée au nom de Mme Diene Kaba en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est Mme Diene Kaba, née le 27 mars 1976 à Monrovia au Libéria, de nationalité Guinéenne, qui présente la communication en son nom et au nom de sa fille, Fatoumata Kaba, née le 2 décembre 1994 en Guinée. Elle affirme que son renvoi avec sa fille en Guinée violerait les droits qui leur sont garantis aux articles 7 ; 9, paragraphe 1 ; 13 ; 14 ; 18, paragraphe 1 ; et 24, paragraphe 1 du Pacte. Elles sont représentées par un conseil, Me. Johanne Doyon puis, Me. Valérie Jolicoeur. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Etat partie le 19 mai 1976.

1.2 Le 27 juillet 2007, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires a, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, demandé à l’État partie de ne pas renvoyer l’auteur et sa fille vers la Guinée tant que la communication est en cours d’examen devant le Comité.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 20 février 2001, à l’insu de l’auteur et alors que Fatoumata était âgée de six ans, M. Karou Kaba, marie de l’auteur, a mandaté deux femmes exciseuses pour enlever Fatoumata à sa sortie de l’école afin de l’exciser1. L’auteur, venue chercher sa fille, a été informé que deux vieilles dames étaient venues emmener Fatoumata, et a accourut chez elle. Elle a pu empêcher l’excision alors que son mari arrivait et, le voyant, celui-ci l’a battue. Durant la commotion, Fatoumata a été blessée à la tête. Mère et fille ont réussi à fuir, et ont quitté la Guinée le 25 mai 2001. Elles se sont rendues au Canada et ont revendiqué le statut de réfugiées, en raison de leur appartenance à un groupe social particulier en tant que femmes seules, victimes de violence familiale et en raison des risques sérieux d’excision sur Fatoumata.

2.2 Le 17 septembre 2002, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) a refusé d’accorder le statut de réfugiées à l’auteur et à sa fille pour manque de crédibilité. Le ou vers le 3 mars 2003, l’auteur a déposé une demande de dispense du visa de résident permanent pour considération humanitaire (CH) et le ou vers le 22 novembre 2005, une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR). Les preuves déposées au soutien de ces demandes incluent plusieurs documents confirmant le risque de l’excision en Guinée, dont une note médicale confirmant l’absence d’excision chez Fatoumata et la preuve abondante sur la pratique de l’excision dans le pays. Une lettre de l’oncle de l’auteur, M. Kabine, confirmait que le mari de l’auteur continuait à lui en vouloir et qu’il menaçait de lui faire du mal s’il la revoyait. L’oncle confirmait en outre que M. Kaba la battait dans le passé. L’auteur a également déposé une lettre reçue de son mari proférant des menaces à son encontre et insistant pour que Fatoumata devienne une « vraie musulmane », c’est-à-dire excisée. Le mari accusait l’auteur d’avoir adopté le comportement des Blancs et menaçait de la tuer si elle ne lui remettait pas sa fille.

2.3 Parallèlement aux problèmes avec son époux, l’auteur exprime une crainte de persécution reliée aux événements vécus ultérieurement par sa famille en Guinée. Entre autre, après un coup d’Etat manqué contre la personne du président en janvier 2005, plusieurs membres de la famille Kaba ont été arrêtés. Depuis lors, les membres de la famille ont été placés sous surveillance accrue et ont été victimes de descentes impromptues à leur domicile, et cinq d’entre eux ont été arrêtés. Un autre oncle a été enlevé une nuit d’avril 2005 et demeure détenu dans des conditions inconnues. Un témoignage indique que lors de l’interrogatoire d’un membre de la famille en avril 2005, les autorités auraient accusé l’auteur et un de ses frères, également à l’étranger, de financer un coup d’Etat pour le renversement du Président de la Guinée. Tous ces éléments de preuve étaient des facteurs nouveaux qui n’avaient pas été considérés dans la demande d’asile en 2002.

2.4 Les demandes ERAR et CH ont été rejetées le 16 décembre 2005, et une date de renvoi fixée. L’auteur a déposé des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale à l’encontre des décisions ERAR et CH. A l’encontre du renvoi, l’auteur a déposé une requête en sursis devant la Cour fédérale, qui a été rejetée le 27 février 2006.

2.5 Le 19 mai 2006, le conseil indique que l’auteur a obtenu le divorce le 12 janvier 2006, suite à une procédure initiée en juillet 20052. Elle était représentée à l’audience par son frère, Al Hassane Kaba, qui avait pour mandat de consentir au divorce et de demander la garde exclusive de Fatoumata. Le jugement de divorce ne comprend aucune mention quant à la garde de l’enfant, et le conseil fait valoir que l’article 359 du Code civil guinéen s’applique en l’espèce : l’enfant âgé de plus de sept ans est automatiquement confié à son père3. Selon le frère de l’auteur, M. Kaba aurait également obtenu du juge un ordre contre lui et sa mère pour qu’ils fassent tout leur possible pour ramener Fatoumata auprès de M. Kaba, sous peine de sanctions sévères. De plus, le frère de l’auteur, dans son affidavit, avertit que M. Kaba continue de vouloir procéder à l’excision de Fatoumata et qu’il aurait déclaré son intention de la marier à son neveu. Ainsi, advenant son retour en Guinée, Fatoumata serait exposée à une excision certaine et à un mariage forcé par son père qui détiendrait l’entière autorité parentale sur elle. De ce fait, l’Etat guinéen ne serait d’aucun secours pour les auteurs. L’auteur fournit également un témoignage de son oncle, M. Bangaly Kaba, daté du 13 mars 2006, qui réitère les menaces sérieuses pesant sur l’auteur et sa fille.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir des violations par le Canada des articles 7 ; 9, paragraphe 1 ; 13 ; 14 ; 18, paragraphe 1 et 24, paragraphe 1 du Pacte. Cependant, elle ne rattache pas chacun de ces articles à des allégations précises.

3.2 Plusieurs erreurs sérieuses auraient été commises lors de la prise des décisions rendues, notamment (a) sur les risques d’excision et le défaut d’évaluer le meilleur intérêt de l’enfant ; (b) sur l’ignorance de la preuve et le défaut d’évaluer la crainte eu regard à la situation particulière de l’auteur en tant que femme seule et victime de violence conjugale ; (c) sur la violation des principes de justice naturelle, le droit d’être entendu, conclusion de non-crédibilité et disqualification arbitraire de la nouvelle preuve ; et (d) l’omission de considérer un nouvel aspect de la crainte du retour, celle de la crainte en tant que membre de la famille Kaba.

3.3 Premièrement, sur le défaut d’évaluer le meilleur intérêt de Fatoumata, le problème majeur serait survenu lors de la prise des décisions ERAR et CH. Il y avait une preuve médicale dans le dossier qui attestait que Fatoumata n’avait pas été excisée, ainsi que des lettres et déclarations sous serment de l’auteur confirmant les risques d’excision en Guinée. La preuve documentaire établissait que l’excision touche près de 99% des filles en Guinée4. Même si la Guinée a introduit une législation adressant la problématique de l’excision, cette législation ne trouve aucune application dans la pratique : la protection étatique est donc inexistante. L’agent ERAR a reconnu que la présence de l’excision en Guinée n’est pas un élément litigieux du présent dossier. Or, la décision de la Cour fédérale ne fait aucune mention de la problématique de l’excision, ni la question du meilleur intérêt de l’enfant, qui étaient pourtant des considérations justifiant le sursis de renvoi. Cette erreur met en évidence la violation des articles du Pacte, et met à risque l’intégrité physique, la santé psychologique, la sécurité, le développement et la scolarité de Fatoumata. Le renvoi de Fatoumata va également à l’encontre de la Convention sur les droits de l’enfant5. Il est dans le meilleur intérêt de Fatoumata de ne pas retourner dans un environnement malsain où son père polygame violenterait et agresserait sa mère comme dans le passé. En l’espèce, l’agent ERAR et la Cour fédérale n’ont pas accordé l’attention et la sensibilité nécessaire à l’intérêt de l’enfant de demeurer au Canada, pays dans lequel elle s’est intégrée et où elle est à l’abri de l’excision. Le conseil se réfère également à plusieurs décisions des instances canadiennes qui ont accepté des revendications du statut de réfugié sur la seule question des risques d’excision en Guinée équivalant à de la persécution et qui reconnaissent des femmes comme groupe social particulier.

3.4 Deuxièmement, les décisions ERAR et CH ont négligé de considérer la situation particulièrement vulnérable de l’auteur en tant que femme victime de violence conjugale et seule. En effet, c’est le cumul du fait d’être une femme victime de violence conjugale, de l’absence de protection de l’Etat de la Guinée et de l’absence de soutien familial en Guinée du fait qu’elle refuse de faire exciser sa fille, qui fait qu’elle a une crainte raisonnable de persécution. L’auteur ne s’est pas conformée à la tradition et a tenu tête à son mari et sa belle-famille quant à l’excision de Fatoumata. La décision de la CISR ne mettait pas en cause le fait qu’elle ait été victime de violence conjugale. En fait, le tribunal avait mis en doute un certificat médical de Fatoumata6, mais n’a pas explicitement mis en doute les certificats médicaux ou les photos de l’auteur, qui confirmaient les blessures et visites médicales après avoir été battue par son mari.

3.5 De plus, ni l’agent ERAR, ni la Cour fédérale n’ont considéré la demande sous l’angle des femmes comme groupe social particulier. Il est par ailleurs allégué que tant l’agent ERAR que le commissaire ayant refusé la demande d’asile ont erré en droit, en concluant que l’auteur devait prouver qu’elle et sa fille étaient ciblées personnellement, sans égard au bien fondé de leur crainte découlant des risques pour les membres d’un groupe social particulier, soit celui des femmes.

3.6 Troisièmement, quant à la violation des principes de justice naturelle, les décisions CH et ERAR ne peuvent être tenues comme étant valides compte tenu de la violation de ces principes. Au niveau des demandes ERAR et CH, l’agent a mis en doute la crédibilité de l’auteur et a disqualifié la nouvelle preuve soumise en mettant en doute son comportement qui aurait, selon l’agent, tardé avant de quitter la Guinée avec sa fille. Les nouveaux documents étaient pourtant déterminants puisqu’ils confirmaient plusieurs éléments : l’époux de l’auteur exige que sa fille soit excisée ; l’époux confirme que l’auteur s’expose à des représailles graves et même mortelles s’il devait la revoir ; son oncle confirme à son tour les menaces du mari, qu’elle a été battue par son mari, et la volonté de M. Kaba d’exciser sa fille. L’auteur n’a jamais eu la possibilité de s’explique de vive voix, et l’agent a ainsi refusé d’accorder toute force probante à la preuve importante, et ce au détriment du droit d’être entendu. De même, l’agent a mis en doute la crédibilité de toute l’histoire de l’auteur sans la recevoir en entrevue afin d’éclaircir les soi-disant contradictions ou incohérences. De plus, la décision de la Cour fédérale ne fait aucune mention de ces nouvelles preuves. Les auteurs allèguent donc que les décisions ERAR et CH sont entachées d’un vice de fond, en ce qu’il n’y a eu aucune entrevue ni audience pour trancher les questions de faits et de crédibilité7.

3.7 Quatrièmement, sur la disqualification arbitraire de la nouvelle preuve et omission de considérer un nouvel aspect de la crainte de retour, une autre erreur déterminante a été commise lors de la prise des décisions ERAR et CH. La lettre de la sœur de l’auteur apportait un nouvel élément de risque, soit celui de la crainte de la persécution en tant que membre de la famille Kaba, et en tant que personne accusée par les autorités comme ayant financé le renversement du président. Or, ce nouvel élément n’était pas disponible lors de l’audience CISR et l’agent ERAR l’a disqualifié. Le conseil réitère qu’il est inéquitable que l’agent rejette cet élément de risque, sans même recevoir l’auteur en entrevue afin qu’elle s’explique.

3.8 L’exécution du renvoi de l’auteur et de sa fille en Guinée leur causerait un préjudice irréparable, en portant atteinte à la sécurité, à la santé, à l’intégrité et à la vie de l’auteur qui sera victime de représailles de son mari, et ce sans possibilité de protection de l’Etat en Guinée. L’exécution de la mesure de renvoi compromettrait la sécurité, la santé, le développement, l’intégrité physique et psychologique, la vie et le meilleur intérêt de Fatoumata.

Observations de l’État partie

4.1 Le 24 janvier 2007, l’Etat partie soutient que la communication est irrecevable, d’une part en raison du non épuisement des voies de recours internes, et d’autre part parce que l’auteur n’a pas suffisamment étayée ses allégations.

4.2 L’Etat partie soutient que la communication est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Les éléments de preuve « nouveaux » auraient dû faire l’objet d’une nouvelle demande ERAR de la part de l’auteur8, recours qui lui est toujours disponible. L’auteur pourrait également demander à la Cour fédérale de sursoir à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant le résultat de l’ERAR.

4.3 Quant au fondement minimum de la communication, les allégations de l’auteur ne sont manifestement pas crédibles, compte tenu de nombreuses contradictions et invraisemblances portant sur les aspects les plus importants de son témoignage. Les éléments de preuve présentés ne corroborent pas ses allégations et ne sont pas crédibles. La communication ne révèle aucun motif sérieux de croire que l’auteur et sa fille risqueraient de subir un quelconque traitement prohibé par l’article 7 du Pacte advenant leur retour en Guinée. Les allégations de violation des autres articles du Pacte sont irrecevables ratione materiae ou sont insuffisamment étayées aux fins de la recevabilité.

4.4 Subsidiairement, et pour les mêmes raisons, l’Etat partie soutient que la communication devrait être rejetée sur le fond. Les allégations de l’auteur ont déjà fait l’objet d’examens approfondis par les autorités canadiennes dans le cadre de la revendication du statut de réfugié, de l’ERAR, de la demande CH et la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi devant la Cour fédérale. Les allégations et éléments de preuve présentés dans le cadre de ces procédures sont essentiellement les mêmes que ceux présentement devant le Comité. Ayant examiné ces allégations et ces éléments de preuve et entendu l’auteur de vive voix, les autorités canadiennes ont conclu qu’elle n’était pas crédible et qu’elle et sa fille ne risquaient pas d’être persécutées ou de subir des traitements prohibés advenant leur retour en Guinée. En particulier, les autorités canadiennes ont conclu qu’il n’y avait pas de preuve crédible permettant de conclure que Fatoumata risquait personnellement de subir une excision forcée en Guinée.

4.5 L’Etat partie fait état des principales incohérences et contradictions relevées par les autorités canadiennes. Premièrement, il relève le manque de preuve crédible de la prétendue tentative d’excision forcée du 20 février 2001. La CISR a observé que le certificat médical en date du 20 février 2001 contredit complètement l’histoire de l’auteur, puisqu’il indique que Fatoumata a reçu ses blessures trois semaines avant la prétendue tentative d’excision forcée9. Confrontée à cette contradiction majeure lors de l’audience devant la CISR, l’auteur n’a offert aucune réponse ou explication. Elle n’a également pas tenté d’expliquer cette contradiction dans sa demande d’ERAR en novembre 2005. Elle prétend maintenant devant le Comité que le médecin s’était trompé en indiquant que Fatoumata avait subi ses blessures trois semaines avant l’examen médical. Elle soumet en preuve un nouveau certificat médical daté du 25 janvier 2006 et signé par le même médecin gabonais. Ce nouveau certificat se lit en partie comme suit : « il s’agissait en réalité d’un traumatisme survenu le même jour, donc le 20 février 2001, jour de l’examen médical et non pas 3 semaines auparavant. Cette erreur de date résultait d’une confusion avec une autre jeune fille reçue quelque temps avant dans mon cabinet et qui avait présenté la même situation de traumatisme crânien ». L’Etat partie soutient que cette nouvelle preuve n’est pas crédible et que l’explication fournie par le médecin est invraisemblable. Premièrement, il ne s’agit pas d’une simple erreur de date puisque le diagnostique du 20 février 2001 fait état d’une condition en rémission, et ne décrit pas clairement un patient qui vient de subir des blessures10. Deuxièmement, il est invraisemblable que l’auteur du certificat médical puisse se souvenir de son erreur et de la raison de celle-ci presque cinq ans plus tard. La correction n’explique pas pourquoi l’ordonnance médicale de l’auteur est datée du 11 février 2001, alors qu’elle prétend avoir subi ses blessures en même temps que sa fille, soit le 20 février 2001.

4.6 L’Etat partie relève également que l’auteur est allé en France sans sa fille le 22 février 2001. Elle était en possession d’un passeport et d’un visa Schengen valide jusqu’au 10 mars 2001. Au lieu de fuir immédiatement avec sa fille, l’auteur a fait un voyage d’une semaine en France sans sa fille du 22 février au 1 mars 2001, date à laquelle elle est retournée au Gabon. Ce n’est que trois mois plus tard qu’elle a quitté le Gabon avec sa fille. Dans sa demande de statut de réfugié, l’auteur a indiqué que le but de son voyage en France était d’obtenir un visa pour le Canada. Or, dans les faits, le visa canadien a été obtenu à Libreville, au Gabon, et il n’y a aucune indication qu’un visa canadien aurait été sollicité à Paris en février 2001. Questionnée par la CISR à ce sujet, l’auteur a fait valoir que le voyage en France lui offrait la possibilité de demander le refuge en France, sans pour autant prétendre qu’elle s’est effectivement prévalue de cette option. Elle a également témoigné qu’elle ne voulait pas quitter la France pour retourner au Gabon mais que sa fille y était restée. Malgré les conclusions de la CISR, l’auteur n’a pas tenté d’expliquer son voyage en France dans sa demande d’ERAR ni dans sa demande CH, ni dans sa communication au Comité. Quant au délai entre son retour de France et le 25 mai 2001, lorsqu’elle a quitté le Gabon avec sa fille, l’auteur a motivé ce délai par le manque d’argent et par l’absence temporaire de son mari. Or, le voyage en France suggère que ses moyens financiers n’ont pas joué un rôle important dans ce délai. De plus, et par ses propres aveux, l’auteur n’était pas marchande de pagnes comme indiqué dans sa demande de statut de réfugié, mais réceptionniste à l’Ambassade de Guinée à Libreville, Gabon, pendant la période en question. En sollicitant un visa pour le Canada en 2001, l’auteur a notamment fourni une lettre de l’Ambassade et son carnet diplomatique qui confirmaient cet emploi.

4.7 Les autorité canadiennes ont examiné tous les éléments de preuve et ont conclu qu’ils ne corroboraient pas ses allégations. Quant au certificat médical confirmant que Fatoumata n’avait pas subi l’excision, l’officier ERAR n’a pas considéré qu’il était suffisant pour démontrer l’existence des risques allégués. L’agent ERAR a également examiné les trois lettres provenant de la sœur, l’oncle et l’époux de l’auteur. Il a observé que la première lettre ne fait aucune mention des risques d’excision ou du prétendu harcèlement de l’auteur par son époux. L’agent ERAR a noté qu’elle n’avait fait aucune mention de la persécution politique dans ses demandes ERAR ou CH, ni d’activités politiques de sa famille en Guinée. L’agent ERAR a également accordé peu de valeur probante aux deux autres lettres. La lettre provenant de l’oncle apportait peu d’éléments nouveaux, et la lettre de M. Kaba ne permettait pas d’expliquer de manière satisfaisante les invraisemblances importantes relevées dans les allégations de l’auteur. L’Etat partie fait également valoir que la lettre provient de la Guinée alors que M. et l’auteur ont toujours vécu au Gabon depuis 1992.

4.8 Quant aux nouveaux éléments de preuve soumis au Comité le 19 mai 2006, l’Etat partie soutient que l’affidavit de M. Al Hassane A. Kaba n’est pas crédible pour deux raisons principales. Premièrement, la source n’est pas crédible puisque son auteur n’est pas celui qu’il prétend être. L’auteur a indiqué les noms de ses frères et sœurs dans sa demande CH et dans son formulaire sur les renseignements personnels soumis à l’appui de sa demande d’asile. Or, ni le nom, ni la date de naissance de M. Al Hassane A. Kaba ne figurent sur cette liste. Deuxièmement, le contenu de l’affidavit n’est pas crédible. La garde exclusive aurait été accordée à M. Kaba le 12 janvier 2006, soit le même jour que le jugement de divorce. Il est invraisemblable que la Cour de Conakry ait accordé la garde à M. Kaba sans le mentionner dans le jugement de divorce, ou dans un autre jugement écrit dont l’auteur aurait vraisemblablement reçu copie. En l’absence de preuve crédible appuyant ses allégations, l’Etat partie soutient que l’auteur n’a pas établi que la garde de Fatoumata a été accordée à son père. Il fait également valoir qu’elle n’a pas informé les autorités canadiennes de son divorce, ni le Comité lors de la communication initiale, et elle n’a pas expliqué pourquoi elle ne l’a pas fait plus tôt.

4.9 Concernant la lettre de M. Bangaly Kaba, elle ne provient pas de source fiable et indépendante, et ne permet pas d’expliquer les invraisemblances et contradictions majeures. De plus, elle date du 13 mars 2006 mais n’apparaît pas dans la communication initiale. Ni l’affidavit, ni la lettre, ne fait mention de la prétendue persécution politique de la famille Kaba en Guinée. L’Etat partie soutient que ces éléments de preuve « nouveaux » ne devraient pas être pris en considération par le Comité, considérant qu’ils n’ont jamais été présentés aux autorités canadiennes.

4.10 Quant à l’excision en Guinée, son taux a diminué dans les dernières années suite à diverses initiatives gouvernementales et non-gouvernementales visant la sensibilisation de la population aux risques de l’excision et la reconversion des femmes exciseuses à d’autres occupations11. L’Etat partie soutient également que le taux d’excision en Guinée, quel qu’il soit, ne permet pas de conclure que Fatoumata risque d’être forcée par son père à subir une excision advenant son retour en Guinée. De fait, le rapport de l’UNICEF et l’Enquête Démographique de Santé (EDS)12 confirment que ce sont les femmes, et plus particulièrement les mères, qui décident de l’excision des filles. Malgré la participation de plus de sept mille femmes guinéennes à l’EDS, aucun cas d’excision effectuée contre la volonté de la mère ou à la demande du père n’a été rapporté. Il en est de même pour le rapport de l’UNICEF. Il n’y a également aucune mention de représailles ou de menaces telles qu’allégué en l’espèce contre les mères qui refuseraient de soumettre leurs filles à l’excision. Selon le rapport de l’UNICEF, la honte, la stigmatisation, et la perte du statut social seraient les conséquences du refus de se conformer à cette tradition. Ainsi, les mères feraient parfois l’objet de pressions familiales pour faire exciser leurs filles, mais ne seraient pas forcées à le faire par leurs maris. Par conséquent, l’Etat partie soutient que l’auteur ne sera pas obligée de faire exciser sa fille, tout comme sa mère ne l’a pas fait exciser. L’auteur a indiqué dans son Formulaire de Renseignement Personnels (FRP) qu’elle a été « épargnée de l’excision dès mon enfance, grâce à ma mère qui s’y était opposé… ». Il n’y a aucune preuve indiquant que Fatoumata pourrait subir une excision forcée malgré l’opposition de sa mère à cette pratique. L’Etat partie fait également valoir que l’excision est interdite et assujettie à une peine sévère en Guinée, en vertu de la loi L/2000/010/AN adoptée le 10 juillet 200013. L’auteur n’a pas établi qu’elle ne pourrait obtenir la protection de l’Etat si M. Kaba tenait à faire exciser Fatoumata.

4.11 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 13 du Pacte, l’Etat partie soutient que l’article 13 ne trouve pas application en l’espèce puisque l’auteur n’est pas légalement au Canada. Subsidiairement, il n’y a pas eu de violation de l’article 13 puisqu’elle a été entendue de vive voix par la CISR, tribunal administratif indépendant et impartial, dans le respect de la loi et l’équité. L’agent ERAR et CH n’est pas tenu de lui accorder une deuxième audience. L’auteur a eu la chance d’expliquer toutes les contradictions dans son témoignage lors de l’audience devant la CISR, et l’article 13 du Pacte n’exige pas que lui soit accordée une deuxième chance d’expliquer ces mêmes contradictions. Le fait que l’agent ERAR ait tenu compte des contradictions relevées par la CISR, et du manque d’explications satisfaisantes de la part de l’auteur, n’exige manifestement pas la tenue d’une nouvelle audience.

4.12 Concernant l’allégation de violation de l’article 14, cet article ne s’applique pas à la détermination du statut d’immigration ou à la protection que peut accorder un Etat14.

4.13 Eu égard à l’article 7 du Pacte, l’Etat partie soutient que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité. Ces allégations sont manifestement dénuées de tout fondement en raison des invraisemblances et contradictions relevées ci-dessus. Les allégations ne sont pas crédibles et démontrent que les auteurs ne risquent pas de subir des traitements prohibés par le Pacte advenant leur renvoi en Guinée. L’Etat partie soutient également que la communication est irrecevable en ce qui concerne les allégations fondées sur les articles 9, paragraphe 1, et 18, paragraphe 1 du Pacte, car elles ne sont étayées par aucun élément de preuve. Quant à l’article 24, paragraphe 1, du Pacte, cette allégation n’ajoute rien aux allégations faites aux termes de l’article 7 du Pacte.

4.14 L’Etat partie souligne que les allégations ont été analysées par les instances nationales indépendantes et impartiales dans le respect de la loi et l’équité. En l’absence de preuve d’erreur manifeste, d’abus de procédure, de mauvaise foi, de partialité manifeste ou d’irrégularités graves dans la procédure, le Comité ne devrait pas substituer ses propres conclusions de fait aux conclusions d’instances canadiennes. Il appartient aux tribunaux des Etats parties d’apprécier les faits, la preuve et surtout la crédibilité dans les cas particuliers. L’auteur n’a pas démontré que les décisions rendues par les autorités canadiennes étaient entachées d’un vice justifiant l’intervention du Comité dans les conclusions de faits et de crédibilité tirées par celles-ci. Dans de telles circonstances, le Comité a reconnu à maintes reprises qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause l’appréciation des faits et de la preuve faite par les instances nationales.

Commentaires de l’auteur

5.1 Le 26 juillet 2007, l’auteur fait valoir qu’elle a épuisé tous les recours effectifs. Elle a déjà présenté une demande ERAR, puis une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale à l’encontre de la décision ERAR, cette dernière ayant été refusée le 25 septembre 2006 par la Cour fédérale. En conséquence, le recours ERAR n’est plus disponible. De plus, le sursis administratif obtenu n’est plus applicable, compte tenu de la décision négative de la Cour fédérale15. Au surplus, il est allégué que les demandes ERAR subséquentes n’ont pas pour effet d’octroyer un sursis de renvoi16. En conséquence, la demande ERAR subséquente ne peut donc en aucun cas être considérée comme étant un recours effectif, puisque le renvoi des auteurs demeure exécutable pendant l’étude de la demande ERAR subséquente. D’autre part, l’agent ERAR ne prend en considération que la « nouvelle » preuve qui répond aux critères de l’article 113 de la LIPR17, soit ici, la nouvelle preuve non liée à l’excision et aux problèmes antérieurs. En conséquence, les risques déjà invoqués par l’auteur ne sont pas réévalués en fonction des nouveaux éléments de preuve. Ce recours, qui ne permet pas une analyse complète et équitable des faits au dossier et de la preuve des risques ne peut être considéré comme un recours effectif.

5.2 De plus, contrairement aux arguments de l’Etat partie, l’auteur ne peut pas demander à la Cour fédérale de sursoir à l’exécution de la mesure de renvoi sur le mérite des risques en attendant l’ERAR. L’intervention de la Cour fédérale est limitée à certains motifs18, et 165. La personne dont la demande de protection a été rejetée et qui est demeurée au Canada après la délivrance de l’avis visé à l’article 160 peut présenter une autre demande de protection. […] Il est entendu que la demande n’opère pas sursis de la mesure de renvoi. »17 « Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet; »
18 Article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales:

« (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande. […] l’auteur a déjà présenté une demande de sursis à la Cour fédérale, laquelle a été rejetée le 27 février 2006.

5.3 Quant aux risques d’excision pour Fatoumata, le taux d’excision en Guinée a très peu diminué, tel que démontré par l’Enquête Démographique et de Santé, Guinée 2005, préparé par la Direction Nationale de la Statistique : la proportion des femmes excisées est passé de 99% en 1999 à 96% en 2005. De plus, selon le rapport, il y a peu d’espoir que le taux puisse diminuer dans l’avenir. Enfin, et toujours selon le rapport, les femmes de l’ethnie Malinké, soit l’ethnie des auteurs, ont un taux d’excision de 97%. Selon le rapport de l’UNICEF de 200519, le pourcentage d’excision des femmes de 15 à 49 ans est de 96%. Selon le rapport du département d’Etat des Etats-Unis de 2001, le taux d’excision est de 99%. En conséquence, compte tenu des menaces graves et sérieuses d’excision provenant de M. Kaba, les risques d’excision pour Fatoumata sont bien réels. Enfin, l’auteur ne serait pas en mesure d’empêcher l’excision de sa fille et de la protéger en cas de retour en Guinée. L’excision se pratique souvent sans le consentement des parents, d’après le rapport du département d’Etat des Etats-Unis20, lorsque les jeunes filles sont en visite chez les membres de leur famille. Enfin, la documentation mentionne l’absence de protection de l’Etat en Guinée, malgré le fait que l’excision soit illégale.

5.4 En dernier lieu, un cas récent, similaire à celui des auteurs, vient d’être accepté pour des raisons humanitaires (CH), pour une mère dont la fillette de deux ans et demi était à risque d’excision en cas de retour en Guinée. Le gouvernement Canadian, en acceptant la demande humanitaire, reconnaît les risques réels que comportent l’excision et la nécessité de ne pas déporter une fillette pouvant être soumise à ces risques.

5.5 En réponse aux autres arguments de l’Etat partie, les allégations de l’auteur n’ont pas fait l’objet d’un examen valable et approfondi. En ce qui concerne la décision de la CISR, les risques invoqués n’ont pas été valablement analysés. La CISR a emprunté une mauvaise perspective des allégations de risques en faisant défaut d’évaluer la demande d’asile de l’auteur en fonction de son groupe social, soit une femme seule victime de violence conjugale s’opposant à l’excision de sa fille, allant ainsi à l’encontre des mœurs de la société guinéenne. La CISR a donc exigé la preuve d’un risque personnel alors que la jurisprudence canadienne énonce clairement que l’appartenance à un groupe social particulier est suffisante pour permettre l’acceptation de la demande d’asile. De plus, la CISR a conclut à la non crédibilité de l’auteur sur la base d’éléments mineurs, ce qui constitue une erreur de droit grave : elle a procédé à une analyse microscopique et à la loupe de la revendication de l’auteur, contrairement à la jurisprudence.

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :
a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;
b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;
c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;
d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;
e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;
f) a agi de toute autre façon contraire à la loi. »

5.6 De plus, non seulement l’ERAR et la demande CH ne sont pas des recours effectifs21, ces décisions sont basées sur les mêmes erreurs que celles commises par la CISR. Elles n’ont pas analysé valablement les allégations de risques de l’auteur, notamment en raison de l’ignorance et de la disqualification arbitraire de la nouvelle preuve et en raison du défaut de permettre à l’auteur d’être entendue de vive voix. Enfin, les risques de retour se doivent d’être analysés en fonction des faits et éléments de preuve présentement disponibles, notamment les nouvelles preuves.

5.7 En réplique sur les contradictions mineures, le nouveau certificat médical répond aux contradictions soulevées par la CISR. Le document démontre que les contradictions ont été commises par le médecin traitant, et non par l’auteur. Il n’est pas loisible ici d’alléguer que les erreurs commises par le médecin sont de nature à démontrer l’absence de risque de retour. Au contraire, les nouveaux éléments de preuve démontrent l’absence d’excision chez Fatoumata, le désir ardent du père de Fatoumata de faire exciser sa fille, la pratique courante des excisions, ainsi que l’absence de protection de l’Etat. L’auteur a consulté son médecin traitant à plusieurs reprises dans le passé. Son ex-mari la violentait régulièrement, et elle a consulté son médecin en raison de blessures subies suite à la violence de son mari le 11 février 2001. L’ordonnance médicale du 11 février 2001 ne contredit donc pas les allégations de l’auteur à l’effet qu’elle s’est présentée, une fois de plus, à son médecin le 20 février 2001, mais démontre plutôt la violence répétée à laquelle elle était soumise.

5.8 En ce qui trait à son voyage en France en l’absence de sa fille, l’auteur a soumis un affidavit avec les raisons du voyage, soumis à l’immigration le 15 novembre 2006. Elle explique qu’en Guinée l’excision se pratique normalement sur des fillettes de plus de six ou sept ans, et que lorsqu’elle a appris les intentions de son mari, elle s’y est opposée. La crainte a été alimentée par la tentative d’excision en février 2001. L’auteur explique également qu’en son absence, sa cousine devait prendre soin de sa fille et de veiller à ce que son père ne la fasse pas exciser. L’auteur mentionne qu’une amie lui avait conseillé d’aller en France pour faciliter son voyage au Canada par la suite, mais en raison de complications quant aux documents de voyage de sa fille, cette dernière n’a pas pu se rendre en France avec l’auteur alors que c’était prévu au départ. L’auteur explique également que son amie devait s’assurer que sa fille aurait les documents requis pour aller la rejoindre dès que possible. Lorsque l’auteur a appris que sa fille ne pourrait pas aller la rejoindre, elle a immédiatement pris la décision de revenir. Elle explique la raison du délai entre l’émission du visa canadien et son départ pour le Canada. Elle devait amasser l’argent nécessaire pour son voyage, et attendre que son mari soit à l’extérieur de la région en raison de son travail pour fuir. Le voyage en France n’est donc pas un argument permettant de conclure à l’absence de risques en cas de retour en Guinée.

5.9 Quant au voyage en Guinée, cet élément est impertinent quant à l’évaluation actuelle des risques de retour pour les auteurs. C’est l’amie de l’auteur qui l’a aidée à remplir son FRP, et c’est cette dernière qui a commis une erreur de date ayant semé la confusion lors de l’audience devant la CISR. Enfin, en ce qui trait à ses moyens financiers pour ce voyage en France, elle avait le soutien financier d’amis pour lui permettre de voyager à ce moment là.

5.10 En ce qui trait à la persécution politique de sa famille, l’auteur explique qu’elle n’a commencé qu’en avril 2005 par l’arrestation de son oncle. Elle en a été informée quelques mois avant la réception de la décision ERAR en décembre 2005. Elle n’avait donc pas, avant la prise de la décision ERAR, réussi à obtenir toute l’information et les documents nécessaires permettant de prouver ces allégations, raison pour laquelle elle n’avait pas encore informé l’immigration de cette persécution.

5.11 Tous les éléments de preuve, pris dans leur ensemble et analysés valablement, corroborent les allégations de risque. L’affidavit de M. Al Hassane A. Kaba est crédible : il se présente comme frère de l’auteur, et est en réalité son cousin, soit le fils du frère ainé de son père. Les guinéens ont comme coutume de nommer leurs cousins comme étant des frères. L’auteur n’a pas inscrit son nom dans les membres de la famille à l’étranger car les frères et sœurs devant être inscrits doivent avoir le même père et/ou la même mère. En ce qui concerne le jugement de divorce qui ne comporte pas de dispositions précises quant à la garde de l’enfant, la garde des enfants mineurs de plus de sept ans est automatiquement confié au père. En conséquence, il n’est pas invraisemblable que ledit jugement soit silencieux à cet égard. Quant au retard allégué à soumettre le divorce aux autorités, l’auteur attendait réception des documents officiels quant à son divorce avant de communiquer l’information. Enfin, le silence de certains documents quant à la corroboration des risques invoqués par l’auteur ne peut en aucun cas être considéré comme contredisant les allégations de l’auteur, qui sont d’ailleurs corroborées par différents documents.

5.12 Quant à l’article 13 du Pacte, le statut de l’auteur ne peut permettre de prétendre que cette dernière n’a pas la possibilité de faire valoir les raisons qui militent en faveur de son expulsion. De plus, toute personne a le droit d’être entendue devant un tribunal compétent, indépendant et impartial. Les erreurs commises, ainsi que les éléments de preuve, démontrent le risque de traitements ou de peines cruels, inhumains ou dégradants. Le droit à la protection prévu aux articles 7 et 9 du Pacte est applicable. En ce qui a trait à l’article 18 du Pacte, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion inclut inévitablement le droit de refuser de soumettre sa fille mineure à toute pratique religieuse dégradante et risquée tel que l’excision. Enfin, le droit de l’enfant aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineure prévu à l’article 24 du Pacte est applicable en l’espèce.

Décision du Comité concernant la recevabilité

6.1 Le 1 avril 2008, lors de sa quatre-vingt-douzième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

6.2 En ce qui concerne le grief de violation des articles 9 et 18 du Pacte, le Comité a estimé qu’ils n’étaient pas suffisamment étayés, et conclut qu’ils étaient irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3 En ce qui concerne l’argument de l’auteur qu’elle n’avait pas eu accès à un recours effectif pour contester son expulsion et celle de sa fille, le Comité a relevé que l’auteur n’avait pas démontré en quoi les décisions des autorités canadiennes ne constituaient pas un examen approfondi et équitable de leur plainte, selon laquelle elles risquaient d’être victimes de violations de l’article 7 si elles étaient renvoyées en Guinée. Dans ces circonstances, le Comité n’avait pas à déterminer si la procédure relative à l’expulsion des auteurs entrait dans le champ d’application de l’article 13 (en tant que décision en vertu de laquelle est expulsé un étranger qui se trouve légalement sur le territoire) ou de l’article 14 (en tant que décision portant sur des droits et obligations de caractère civil). Cette partie de la communication était donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif22.

6.4 Le Comité a rappelé que les Etats parties ont l’obligation de ne pas extrader, expulser ou refouler une personne vers un pays où elle court un risque réel d’être tuée ou soumis à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant23. Le Comité devait donc déterminer s’il y a eu des motifs sérieux de croire que, en tant que conséquence nécessaire et prévisible du renvoi de l’auteur et de sa fille en Guinée, il existait un risque réel de les exposer à un traitement interdit par l’article 7 du Pacte24. Dans le cas d’espèce, le Comité a relevé que les allégations de l’auteur avaient déjà fait l’objet d’examens approfondis par les autorités canadiennes dans le cadre de la revendication du statut de réfugié, de l’ERAR, de la demande CH et la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi devant la Cour fédérale. Ayant examiné ces allégations et ces éléments de preuve et entendu l’auteur de vive voix, les autorités canadiennes avaient conclu qu’elle n’était pas crédible et qu’elle ne risquait pas d’être persécutée ou de subir des traitements prohibés advenant son retour en Guinée. Le Comité a estimé que Mme. Kaba n’avait pas suffisamment montré en quoi ces décisions étaient incompatibles avec la norme susmentionnée. Elle n’avait pas non plus suffisamment prouvé qu’elle serait exposée à un risque réel et imminent de violation de l’article 7 si elle était renvoyée vers la Guinée. Le Comité a considéré donc que la plainte de l’auteur était irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif faute d’être suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

6.5 En ce qui concerne Fatoumata et les allégations de violation de l’article 7 et 24 du Pacte, le Comité a fait observer que les « nouveaux » documents soumis par le conseil au Comité le 19 mai 2006, dont le jugement de divorce et les dispositions de la loi guinéenne qui donnerait automatiquement la garde des enfants au père, n’avaient pas été soumis aux autorités canadiennes. Il a relevé l’argument de l’Etat partie relatif au non-épuisement des recours internes et qu’il n’était pas trop tard pour présenter, sur la base des « nouveaux » documents, une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi, ainsi qu’une demande de sursis à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion. Il a relevé cependant que l’Etat partie avait rejeté ces éléments de preuve comme étant non crédibles. Sans avoir à examiner en détail les arguments du conseil de l’auteur sur l’efficacité de l’examen des risques avant renvoi, le Comité, tenant compte de cette position de l’Etat partie, a estimé qu’une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi ne constituerait pas un recours efficace pour Fatoumata au terme du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il a relevé également que les preuves au dossier faisaient état d’un taux d’excision en Guinée allant jusqu’à 90%, et conclut que les griefs de violation des articles 7 et 24 du Pacte lus conjointement, présentés au nom de Fatoumata, étaient suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

6.6 En conséquence, le Comité a décidé que la communication était recevable en ce qu’elle soulevait des questions au regard des articles 7 et 24, paragraphe 1 du Pacte quant à Fatoumata Kaba. Le Comité a prié l’Etat partie de s’exprimer sur les informations quant aux lois et pratiques guinéennes en vigueur se rapportant à la garde d’enfants suite à un divorce, ainsi que sur le taux d’excision en Guinée.

Observations supplémentaires de l’Etat partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

7.1 Le 13 janvier 2009, l’Etat partie a soumis des observations supplémentaires sur la recevabilité et le fond et a demandé au Comité de reconsidérer sa décision de recevabilité et de déclarer la communication irrecevable dans son ensemble pour abus de procédure ; et dans le cas où l’abus de procédure ne serait pas admis par le Comité, de la déclarer irrecevable pour non étayement. Si le Comité décidait néanmoins de maintenir la recevabilité de la communication en ce qui concerne Mlle Fatoumata Kaba, l’Etat partie demande que les allégations en vertu de l’article 7 et 24, paragraphe 1 du Pacte soient rejetées comme étant non fondées.

7.2 L’Etat partie a retenu les services d’un avocat au barreau de Guinée, afin de recueillir les renseignements demandés par le Comité dans sa décision de recevabilité du 1 avril 2008. S’agissant de la garde d’enfant en cas de divorce, l’avocat a confirmé que l’article 359 du Code civil de la Guinée est toujours en vigueur, le projet de loi devant le modifier n’ayant pas encore été adopté. L’article 359 prévoit que les enfants dès qu’ils auront atteint l’âge de sept ans, seront confiés au père, sauf accord spécial entre les parents. L’Etat partie note cependant que d’après les recherches effectuées par l’avocat, le jugement de divorce présenté par l’auteur est un faux. Le Greffier en Chef du Tribunal de Première Instance de Kaloum-Conakry, tribunal qui aurait émis ledit jugement, a confirmé que le jugement ne figurait dans aucun registre et qu’il n’était donc pas authentique. En outre, le jugement n’aurait pas pu être rendu le 12 janvier 2006 et comporter le numéro 26 puisqu’à cette date, le tribunal n’avait rendu que neuf jugements civils. Le Greffier a également fourni une copie du sceau du Greffier du tribunal permettant de confirmer que le sceau apposé sur la copie du jugement fournie par l’auteur n’était pas authentique. L’Etat partie soutient que cette nouvelle preuve démontre hors de tout doute raisonnable que les allégations de l’auteur ne sont pas crédibles, et entachent par là-même la crédibilité des lettres de M. Al Hassane A. Kaba, soit disant frère de l’auteur, mentionnant le jugement de divorce, ainsi que la lettre de M. Bangaly Kaba, soit disant oncle de l’auteur, qui mentionnait aussi le divorce. En raison de cette flagrante falsification de la preuve, l’Etat partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable dans son ensemble pour abus de procédure conformément à l’article 96 c) de son Règlement intérieur.

7.3 Subsidiairement, l’Etat partie considère que les éléments de preuve faisant référence au prétendu divorce issu d’un jugement donnant la garde de Fatoumata Kaba au père devraient être rejetés et déclarés irrecevables pour non étayement. En effet, l’allégation selon laquelle la garde de l’enfant serait confiée au père repose exclusivement sur les dispositions de l’article 359 du Code civil de la Guinée qui aurait été appliqué à la suite du prétendu divorce. Il n’existe aucune preuve ni allégation que le père de l’enfant pourrait exercer une quelconque autorité sur l’enfant en l’absence d’un jugement de divorce et contre la volonté de sa mère. L’Etat partie rappelle que le père de l’enfant ne semble pas résider en Guinée puisque selon les dires de l’auteur, elle et son mari résidaient au Gabon depuis 1992 et son mari s’y trouvait toujours en 2001 lorsque l’auteur et sa fille ont quitté le pays pour le Canada. Le seul élément de preuve rattachant M. Kaba à la Guinée depuis 2001 est une lettre que ce dernier aurait écrite à l’auteur en décembre 2002 la menaçant de mort. Compte tenu de la falsification du jugement, l’Etat partie doute de l’authenticité de cette lettre. L’auteur n’a en tout cas pas démontré qu’elle a alerté les autorités guinéennes ni ne leur a demandé protection pour elle et sa fille. L’Etat partie se permet par conséquent de douter de l’intention des époux de divorcer et de la prétendue malveillance du mari de l’auteur.

7.4 S’agissant du taux d’excision en Guinée, l’Etat partie s’appuie sur des rapports d’experts faisant valoir que la prévalence d’excision en Guinée chez les filles de 10 à 14 ans ne serait pas supérieure à 89,3%. Il soutient cependant que ce chiffre n’est que d’une utilité marginale à l’appréciation du risque personnel d’excision pour Fatoumata Kaba puisque ce sont les femmes et plus précisément les mères qui décident de l’excision de leurs filles. Aucun cas d’excision effectuée contre la volonté de la mère n’aurait été rapporté. Il ajoute que l’auteur n’a pas été excisée, sa mère s’y opposant ; que de la même manière elle pourrait s’opposer à l’excision de sa fille à leur retour en Guinée. Selon une enquête réalisée en 2005, seulement 15,2% des mères guinéennes non-excisées ont au moins une fille qui a été excisée. La fille de l’auteur a déjà passé l’âge où les filles courent le plus grand risque d’excision25. Les statistiques confirment que les filles de femmes non excisées sont beaucoup moins exposées au risque d’excision. S’appuyant sur ces statistiques, l’Etat partie conclut que, compte tenu du pouvoir décisionnel de la mère en matière d’excision, les allégations de l’auteur ne sont pas suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et que l’excision n’est pas une conséquence nécessaire et prévisible du renvoi de Fatoumata Kaba en Guinée.

7.5 Si le Comité décidait néanmoins de maintenir la recevabilité de la communication au regard de Fatoumata Kaba, l’Etat partie lui demande de rejeter l’allégation sur le fond.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’Etat partie

8.1 Le 19 mai 2009, l’auteur, représenté par un nouveau conseil réitère les arguments précédemment développés et ajoute que la documentation générale sur l’excision démontre que le choix d’exciser une personne repose sur plusieurs membres de la famille et qu’il est extrêmement rare que la décision soit perçue comme ne concernant que les parents, compte tenu du fait que l’excision affecte le statut social de la personne excisée et de sa famille. Ces rapports précisent d’ailleurs que l’excision est parfois exercée en l’absence du consentement de l’enfant et/ou de la mère26. En l’espèce, les menaces d’excision n’émanent pas uniquement du père mais du contexte familial de ce dernier, elles ne sauraient dépendre seulement du jugement du divorce ou de la volonté du père.

8.2 L’auteur se réfère au Code civil de la Guinée qui dispose que le père garde l’autorité sur l’enfant jusqu’à sa majorité et notamment un droit de correction sur l’enfant et ce, même en cas de divorce. Compte tenu du fait que le père de Fatoumata Kaba n’a jamais été déchu de l’autorité parentale, le lien avec sa fille existe toujours. L’auteur ajoute que les autorités guinéennes n’interviennent pas dans les cas de dispute familiale. Malgré le fait que l’excision soit illégale dans le pays, la pratique ne démontre d’aucune poursuite à l’encontre d’auteur d’excision dans l’année 2008. L’auteur ne pourrait donc se prévaloir d’une protection de l’Etat en cas de dispute avec son mari sur cette question. D’autre part, M. Kaba réside en Guinée comme l’atteste le jugement de divorce. A l’appui de cette affirmation, l’auteur fournit une lettre de proches attestant avoir rencontré M. Kaba en Guinée. S’appuyant sur certains rapports gouvernementaux et d’ONG, elle insiste par ailleurs sur le fait que le risque d’excision concerne des mineures de 4 à 17 ans et que celle-ci peut également être pratiquée sur les femmes d’âge adulte.

8.3 Dans ses commentaires, l’auteur réitère également les risques qu’elle-même encourt si elle devait être expulsée vers la Guinée.

8.4 Enfin, s’agissant de l’authenticité du jugement de divorce, l’auteur a mandaté une avocate guinéenne, afin de clarifier l’allégation de l’Etat partie selon laquelle le jugement serait un faux et, le cas échéant, entamer une nouvelle procédure de divorce. Elle insiste néanmoins sur le fait qu’elle n’était pas présente pendant cette procédure et qu’elle était représentée par des membres de sa famille qui confirment y avoir participé. L’avocate a contacté un huissier de justice à Conakry qui l’a informée que la greffière qui aurait signé le jugement de divorce avait nié reconnaître sa signature et le sceau de greffier alors qu’un autre greffier reconnaissait sa signature, ceci démontrant la corruption entre les greffiers dans ce dossier. L’avocate a démontré l’utilisation de plusieurs sceaux différents par le greffe de Conakry, dont celui apposé au jugement de divorce. L’auteur en conclut que les allégations de l’Etat partie remettant en cause sa crédibilité ou lui imputant des erreurs, fraudes ou violations sont sans fondement. Enfin, l’auteur informe le Comité qu’une nouvelle procédure de divorce a été entreprise à l’issue de laquelle un jugement a été rendu le 15 avril 2009, lui octroyant la garde de Fatoumata Kaba.

8.5 Dans une lettre datée du 8 juin 2009, l’auteur transmet copie du nouveau jugement de divorce et remarque que, malgré le fait qu’elle ait obtenu la garde de l’enfant, cette dernière a toujours une crainte fondée d’être excisée puisque son père conserve une autorité sur elle. L’auteur soutient que l’obtention du divorce à son avantage n’est qu’un stratagème utilisé par M. Kaba pour obtenir le rapatriement de l’enfant. Elle ajoute qu’il ne fait plus aucun doute que M. Kaba réside en Guinée, tel que le prouve le compte rendu du nouveau jugement de divorce.

Réexamen de la recevabilité

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 Le Comité prend note de la demande de l’Etat partie de reconsidérer la décision de recevabilité et de déclarer la communication irrecevable dans son ensemble pour abus de procédure, cette demande étant basée sur des éléments nouveaux qui remettraient en doute la crédibilité des dires de l’auteur et de la communication dans son ensemble. Bien que le Comité souhaite donner tout son poids à de telles allégations par l’Etat partie, il considère néanmoins que le risque invoqué par l’auteur au nom de sa fille, Fatoumata Kaba, est suffisamment grave pour que le Comité joigne cette question au fond, sur la base du doute raisonnable.

9.3 Le Comité procède donc à l’examen au fond de la communication eu égard aux questions soulevées sur la base des articles 7 et 24, paragraphe 1 du Pacte quant à Fatoumata Kaba, fille de l’auteur.

Examen au fond

10.1 S’agissant de l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’expulsion de sa fille, Fatoumata Kaba, constituerait un risque pour celle-ci d’être soumise à l’excision par son père et/ou des membres de sa famille, le Comité rappelle que les Etats parties ont l’obligation de ne pas extrader, expulser ou refouler une personne vers un pays où elle court un risque réel d’être tuée ou soumise à la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant27. A ce propos, il ne peut être contesté que soumettre une femme à une mutilation génitale équivaille à des traitements prohibés par l’article 7 du Pacte. Il n’est non plus pas contesté que les femmes en Guinée ont traditionnellement été soumises à la mutilation génitale et, dans une certaine mesure, le sont encore. La question ici est de déterminer si la fille de l’auteur court un risque réel et personnel d’être soumise à un tel traitement en cas de renvoi en Guinée.

10.2 Le Comité prend note du fait qu’en Guinée, la mutilation génitale féminine est interdite par la loi. Toutefois, cette interdiction légale n’est pas respectée. Il convient de signaler les éléments ci-après : a) la mutilation génitale est une pratique généralisée et étendue dans le pays, en particulier parmi les femmes de l’ethnie Malinké; b) celles qui la pratiquent jouissent de l’impunité; c) dans le cas de Fatoumata Kaba, il semble que seulement sa mère s’oppose à la mise en œuvre de cette pratique, contrairement à la famille de son père, dans le contexte d’une société fortement patriarcale; d) la documentation présentée par l’auteur qui n’a pas été réfutée par l’État partie, fait apparaître un taux élevé d’excision génitale féminine en Guinée; e) la jeune fille a seulement 15 ans, au moment où le Comité prend sa décision. Bien que la possibilité d’excision diminue avec l’âge, le Comité est d’avis que le contexte et les circonstances particulières en l’espèce, révèlent un risque réel que Fatoumata Kaba soit soumise à la mutilation génitale, au cas où elle serait expulsée vers la Guinée.

10.3 En conséquence, le Comité, en application du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, considère que l’expulsion de Fatoumata Kaba vers la Guinée constituerait une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, lus conjointement.

10.4 En application de l’alinéa 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État doit éviter d’envoyer Fatoumata Kaba dans un pays où elle court un risque réel d’être excisée.

10.5 Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans la Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes_____________________________

 

** Les membres suivants du Comité ont participé à l’examen de la présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Lazhari Bouzid, Mme. Christine Chanet, M. Mahjoub El Haiba, M. Ahmad Amin Fathalla, M. Yuji Iwasawa, Mme. Helen Keller, M. Rajsoomer Lallah, Mme. Zonke Zanele Majodina, Mme. Iulia Antoanella Motoc, M. Michael O’Flaherty, M. José Luis Pérez Sanchez-Cerro, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Fabian Omar Salvioli, M. Krister Thelin et Mme. Ruth Wedgwood.

Le texte d’opinions individuelles signées par membres du Comité, M. Abdelfattah Amor et M. Krister Thelin, est joint au présent document.

1 Le Comité estime que l’expression ‘excision’ se réfère à une forme de mutilation génitale féminine.

2 Copie de la décision de la Cour d’Appel de Conakry, a été fournie. La décision indique que M. et Mme Kaba « ont par consentement mutuel divorcé le 12 janvier 2006 ».

3 Le conseil se réfère également au Rapport soumis par la Guinée au Comité des droits de l’enfant, paragraphe 77 (CRC/C/3/Add.48).

4 Le conseil se réfère à un rapport 2005 de l’UNICEF (intitulé « Changing a Harmful Social Convention: Female Genital Mutilation/Cutting ») qui ne signale aucun signe de changement quant au taux de prévalence depuis dix ans.

5 Le conseil se réfère également à diverses décisions des instances Canadiennes, à la Loi sur la protection de la jeunesse, ainsi qu’à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

6 Voir paragraphe 4.5. Le conseil se réfère à la correction apportée par le médecin Bernard Moulonda le 25 janvier 2006, qui effacerait tout doute à cet égard. Le conseil relève que cet élément de preuve était disponible à la Cour fédérale mais n’a pas été considéré dans sa décision refusant de surseoir au renvoi des auteurs.

7 Le conseil se réfère à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, et à l’article 113 b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

8 L’Etat partie se réfère à la Communication No. 1302/2004, Dawood Khan c. Canada, décision d’irrecevabilité adoptée le 25 juillet 2006, paragraphe 5.5.

9 Le certificat médical se lit en partie comme suit : « Je soussigné, certifie avoir examiné ce jour, l’enfant nommé Fatoumata Kaba, 6 ans, qui a été victime d’un traumatisme crânien au cours d’une chute avec perte de connaissance et blessures du cuir chevelu depuis trois semaines. »

10 Le certificat médical se lit en partie comme suit : « il y a à ce jour reprise de conscience mais il persiste des séquelles cutanées qui nécessitent des soins spécialisés de dermatologie afin de traiter l’alopécie persistante… ».

11 L’Etat partie se réfère au rapport de la Rapporteur spéciale sur la question de la violence contre les femmes du 27 février 2003, E/CN.4/2003/75/Add.1, paragraphe 300. L’Etat partie se réfère également au rapport du département d’Etat des Etats-Unis publié en 2006.

12 Enquête démographique de Santé, Guinée 2005, préparée par la Direction Nationale de la Statistique.

13 L’Etat partie renvoie à l’examen du rapport présenté par la Guinée au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, UN Doc. CEDAW/C/GIN/4-6 (7 septembre 2005), pages 52 et 60.

14 L’Etat partie se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

15 Le conseil se réfère à une décision du Comité contre la torture qui mentionne que « ce recours ne constituerait pas un recours utile pour le requérant » (Communication No. 133/1999, Falcon Rios c. Canada, constatations adoptées le 23 novembre 2004, paragraphe 7.5).

16 Voir l’article 165 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés : « Demande subséquente.

19 UNICEF, At a Glance: Guinea – Statistics, 2005.

20 U.S. Department of State, Guinea: Report on Female Genital Mutilation (FGM) or Female Genital Cutting (FGC), 2001.

21 Communication No. 133/1999, Falcon Rios c. Canada, décision adoptée le 23 novembre 2004 par le Comité contre la torture.

22 Voir Communications No. 1315/2004, Daljit Singh c. Canada, décision d’irrecevabilité adoptée le 30 mars 2006, par. 6.2; No. 1302/2004, Dawood Khan c. Canada, décision d’irrecevabilité adoptée le 25 juillet 2006, par. 5.3.

23 Observation générale no 31(80) du 29 mars 2004, paragraphe 12.

24 Voir Communications No. 706/1996, T c. Australie, constatations adoptées le 4 novembre 1997, paragraphes 8.1 et 8.2; No. 692/1996, A.R.J c. Australie, constatations adoptées le 28 juillet 1997, paragraphe 6.9.

25 Selon la troisième Enquête Démographique et de Santé en Guinée (EDSG-III) de 2005, seulement 27% des filles sont excisées entre l’âge de 10 et 14 ans et seulement 3% à un âge plus avancé.

26 Female genital mutilation of women in West Africa, LandInfo, Country of Origin Information Centre, 12 January 2009.

27 Voir communication No 1302/2004, Khan c. Canada, décision d’irrecevabilité du 25 juillet 2006, par. 5.4; communication No 1429/2005, Blanca Lilia Londoño Soto et al c. Australie, décision d’irrecevabilité du 1 avril 2008, par. 6.3.

 

Appendice

Opinion dissidente de Monsieur Abdelfattah AMOR

1. Dans cette affaire, le Comité n’a pas accepté d’accéder à la demande de l’Etat partie de reconsidérer sa décision de recevabilité, antérieurement adoptée et de déclarer la communication irrecevable dans son ensemble, notamment pour abus de procédure. Statuant sur le fond, il a conclu à une violation de l’article 7 et du paragraphe 1er de l’article 24 lus conjointement. Je ne souscris ni au rejet de la demande de réexamen de la recevabilité ni à la conclusion quant au fond.

2. S’agissant de la question du réexamen de la recevabilité, je pense que le Comité aurait dû faire preuve d’une plus grande circonspection relativement à la crédibilité des informations fournies par l’auteur et à leur degré d’étayement. Même si un doute légitime justifiant l’adjonction de la question de la recevabilité à l’examen du fond peut être invoqué. Même si l’on ne peut imputer à la fille ce que prétend la mère. La question qui se pose, au titre de la recevabilité tient à la crédibilité des informations fournies par l’auteur et à ses répercussions sur le déroulement de la procédure devant le Comité.

3. L’auteur a prétendu, dans un premier temps, avoir en date du 12 janvier 2OO6, par jugement n°26, obtenu le divorce par consentement mutuel, sur procédure initiée en juillet 2005 et au cours de laquelle elle était représentée par son frère. Ce jugement, précisait-elle, ne comprenait aucune mention quant à la garde de l’enfant ce qui conduit à l’application de l’article 359 du code civil guinéen prévoyant que l’enfant âgé de plus de sept ans est, automatiquement, confié à son père

4. Estimant le non mention de la garde de l’enfant dans le jugement de divorce, invraisemblable, l’Etat partie considère que l’auteur n’a pas établi que la garde de l’enfant a été confiée au père.

5. Après la déclaration de recevabilité, adoptée le 1er avril 2OO8, l’Etat partie a fait procéder à des vérifications par un avocat guinéen à Conakry .Il s’est, alors, avéré que le jugement invoqué par l’auteur était un faux. L’Etat partie l’a amplement prouvé (voir paragraphe 7.2) et l’auteur ne le conteste pas tout en refusant d’assumer ce qui, à son avis, témoigne de la « corruption des greffiers » (Voir paragraphe 8.4).

6. L’obtention du divorce par un jugement, cette fois-ci authentique, en date du 15 avril 2009, a conduit à confier la garde de l’enfant à l’auteur. Celle-ci soutient cependant que l’obtention du divorce à son avantage n’était qu’un stratagème utilisé par son ex-mari pour obtenir le rapatriement de l’enfant.

7. Ce qui est certain, c’est que le « jugement de divorce du 12 janvier 2006» duquel s’est prévalu l’auteur, dans un premier temps, est un faux. L’enquête initiée par l’Etat partie a révélé que le sceau du greffier apposé au jugement n’était pas authentique et que le tribunal de Kaloum-Conakry n’avait rendu que neuf jugements au 12 janvier 2OO6 ( date à laquelle le jugement de divorce avait été prétendument rendu) et qu’il était donc impossible que le numéro du jugement incriminé porte le numéro 26.

8. Le plus important est que l’auteur n’a pas pu démontrer qu’elle-même ou les personnes agissant pour son compte ou la représentant, étaient étrangères à ces manœuvres frauduleuses desquelles elle avait par ailleurs entendu tirer profit en concluant que la garde de sa fille lui échappait et était, en raison de la non mention de la question de la garde dans le jugement et en application de l’article 359 du code civil guinéen, confiée au père de sa fille. Il est manifeste qu’ainsi l’auteur a entendu induire en erreur le Comité et cela de manière délibérée car on ne peut pas prétendre avoir été divorcé tout en sachant qu’on ne l’était pas.

9. Cette conclusion peut, en outre, être corroborée par les incohérences, les contradictions et les informations approximatives fournies par l’auteur et sur lesquelles l’Etat partie avait attiré l’attention du Comité dès le départ (voir les paragraphes 4.3 à 4.14). Un médecin qui « corrige » un certificat médical cinq ans après avoir établi un autre dont les données étaient insoutenables, jonglant au passage avec les dates (voir spécialement le paragraphe 4.5 et la réaction de l’auteur à cet égard au paragraphe 5.7). La vendeuse de pagnes s’avère être réceptionniste à l’ambassade de guinée au Gabon (voir paragraphe 4.6). Le frère n’est plus le frère mais le cousin (voir paragraphe 4.8). Le visa d’entrée au Canada, recherché à Paris est obtenu à Libreville au Gabon et « aucune indication qu’un visa canadien aurait été sollicité à Paris en février 2OO1 (voir également paragraphe 4.6). Des lettres de témoignage proviennent de la famille à point nommé. Et même lorsque la garde de l’enfant est confiée par le tribunal à l’auteur, celle-ci trouve argument pour n’y voir qu’un stratagème du père.

10. Il me semble manifeste que l’auteur de la communication a fait usage, tant avant le prononcé de la recevabilité le 8 avril 2OO8 qu’après la demande de réexamen de la recevabilité par le Canada, de procédés incompatibles avec les fonctions confiées au Comité. Je suis convaincu qu’elle a abusé de la procédure que lui offre le Protocole facultatif. L’Etat partie a invoqué cet abus de procédure, couvert par l’article 3 du protocole facultatif et par l’article 96c du Règlement intérieur, pour demander le réexamen de la recevabilité et le rejet de l’ensemble de la communication.

11. Le Comité, compte tenu notamment des nouveaux éléments fournis par l’Etat partie et spécialement de l’usage d’un faux jugement, ne se serait pas déjugé s’il avait tenu compte des données supplémentaires mises à sa disposition, pour rejeter l’ensemble de la communication pour abus de procédure. Il a préféré considérer que « le risque invoqué par l’auteur au nom de sa fille…est suffisamment grave pour qu’il (le Comité) joigne cette question au fond sur la base du doute raisonnable ». Je pense que la gravité du risque ne peut se porter au secours d’une procédure que l’auteur a délibérément viciée.

12. Quant au doute raisonnable, il est vrai qu’on ne peut pas le soumettre à des critères totalement objectifs et qu’il ne peut pas ne pas véhiculer une certaine part de subjectivité, mais en tout état de cause une information délibérément tronquée ne peut faire l’objet d’un doute raisonnable. Je veux dire que le doute raisonnable d’erreur guette ici le Comité. Je pense que le Comité aurait dû faire valoir sa propre crédibilité et préciser qu’il ne peut se laisser manœuvrer par des procédés illicites quelle que soit la cause invoquée. C’est dire que je regrette l’attitude du Comité que je ne trouve pas pertinente tant sur le plan de l’analyse juridique que sur celui de l’appréciation des éléments par lesquels il a confirmé la recevabilité, étant rappelé par ailleurs que j’ai toujours condamné et continue à le faire, les mutilations génitales féminines en ce qu’elles constituent une violation du Pacte et une atteinte aux droits de l’homme et étant précisé que la légitimité d’une cause ne peut pas ne pas souffrir de l’illégitimité des moyens. En d’autres termes, pour l’ensemble des intervenants la fin ne peut pas justifier tous les moyens. La voie ainsi engagée mettra, à l’avenir, le Comité devant des difficultés encore plus grandes s’agissant de la mise en œuvre de ses constatations.

13. En ce qui concerne le fond, plusieurs observations méritent d’être formulées :

14. Réagissant à la demande de réexamen de la recevabilité, le Comité a noté que cette demande était basée « sur des éléments nouveaux qui remettraient en doute la crédibilité des dires de l’auteur et de la communication dans son ensemble. Bien que le Comité souhaite donner tout son poids à de telles allégations par l’Etat partie, il considère néanmoins que le risque invoqué par l’auteur au nom de sa fille Fatoumata Kaba, est suffisamment grave pour que le Comité joigne cette question au fond sur la base du doute raisonnable ».

15. Abordant le fond, le Comité a totalement perdu de vue la question de la crédibilité, faisant ainsi abstraction du paragraphe 1er de l’article 5 du protocole facultatif qui lui impose de tenir compte « de toutes les informations écrites qui lui sont soumises par le particulier et par l’Etat partie intéressé ».Pourquoi avoir évité de répondre à une question soulevée par l’Etat partie et à laquelle le Comité lui-même avait annoncé une réponse à l’occasion de l’examen du fond ?

16. L’évaluation du risque est-elle suffisante pour passer sous silence la question de la crédibilité dont dépend précisément l’évaluation du risque ?Les sentiments de compassion et de générosité ont-ils étouffé la question fondamentale de savoir si l’Etat partie est légalement tenu, en vertu du Pacte, et malgré les procédures et garanties mises en œuvre et malgré le manque de crédibilité des informations fournies par l’auteur , de s’abstenir d’obliger l’auteur et / ou sa fille de quitter son territoire

17. Je pense que le dernier mot doit revenir au droit international qui permet aux Etats, tout en offrant des garanties, d’édicter des législations régissant l’entrée et le séjour des étrangers sur leurs territoires. Les choix du Comité sont insondables dans cette communication. Cela est franchement étonnant compte tenu de la pratique, généralement, attentive et minutieuse habituellement observée par le Comité à l’abri des interférences de compassion et des considérations juridiquement discutables.

18. Dans cette affaire, on a l’impression que tout s’était passé comme s’il s’agissait de faire le procès des mutilations génitales féminines en général et non de traiter d’une plainte individuelle. La formulation des points à, b et d du paragraphe 10.2, même si elle pourrait paraitre constituer des temps d’un raisonnement, noyaute la plainte individuelle dont elle fait plutôt un prétexte. Il est à l’honneur du Comité d’être vigilant s’agissant de la question générale des mutilations génitales féminines au sujet de laquelle les Etats pourraient être interpellés à l’occasion de l’examen de leurs rapports.

19. Il reste néanmoins important de se limiter au cas d’espèce, le contexte devant éclairer l’affaire et non lui servir de justification générale. La question essentielle était de savoir si les circonstances particulières de l’espèce, compte tenu de toutes les informations fournies, pouvaient constituer un risque réel et personnel pour la fille de l’auteur âgée de 15 ans et dont la mère est non excisée grâce à l’opposition de sa propre mère, étant rappelé, encore une fois, que l’opposition de la mère à l’excision est dans la plupart des cas déterminante.

20. Selon l’Etat partie « aucun cas d’excision effectuée contre la volonté de la mère n’aurait été rapporté ». Le Comité se limite à dire, par ailleurs au point c du paragraphe 10.2 que « dans le cas de Fatoumata Kaba, il semble que seulement sa mère s’oppose à la mise en œuvre de cette pratique, contrairement à la famille de son père, dans le contexte d’une société fortement patriarcale ». On passe ainsi de la certitude qu’impose le droit à la vraisemblance que ressentent les hommes Dire, en outre que seule la mère fait front à cette situation n’est pas corroboré par le dossier qui comporte différentes indications témoignant de la solidarité de la famille de la mère.

21. On ajoutera qu’il parait curieux, par ailleurs, que les craintes éprouvées à l’égard « de la famille du père dans le contexte d’une société fortement patriarcale » n’a pas empêché la mère de Fatimatou de partir en France, sans sa fille, du 22 février au 1er mars 2001, soit 2 jours après le tentative d’excision invoquée (voir paragraphe 4.6). La fille fut alors confiée à une cousine chargée d’en prendre soin « et de veiller à ce que son père ne la fasse exciser » (voir paragraphe 5.8). Le moins qu’on puisse dire à cet égard, est que la crainte a été amplifiée auprès du Comité qui aurait dû faire preuve de plus de circonspection d’autant plus que plus de trois se sont écoulés avant que la mère ne quitte avec sa fille la Guinée. Je pense que le Comité a fait sienne cette amplification sans prendre sur lui d’analyser les éléments fournis par l’auteur lui-même. Au total, si l’on peut parler de risque, on ne peut sans risque le qualifier de vraiment réel ou personnel.

22. Dans l’analyse qu’il a faite, le Comité donne l’impression qu’il est mieux à même que l’Etat d’apprécier le risque comme s’il avait disposé de plus d’informations que l’Etat ou que celui-ci avait apprécié le risque de manière arbitraire ou non fondée. Je pense que les éléments du dossier permettent de dire que les autorités étatiques concernées ont examiné avec l’attention voulue et moyennant les garanties de procédure et de fond la question du risque et il est mal venu d’en douter en l’espèce ou de considérer qu’il appartient au Comité de se substituer à des autorités étatiques défaillantes au niveau de l’établissement des faits et des preuves.

23. Il est de jurisprudence constante qu’il appartient aux juridictions des Etats parties d’examiner les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve a été arbitraire, manifestement entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice, ce qui n’est manifestement pas le cas. L’Etat partie a eu raison de rappeler que « en l’absence de preuve d’erreur manifeste, d’abus de procédure, de mauvaise foi, de partialité manifeste ou d’irrégularités graves dans la procédure, le Comité ne devrait pas substituer ses propres conclusions de fait aux conclusions d’instances canadiennes. Il appartient aux tribunaux des Etats parties d’apprécier les faits, la preuve et surtout la crédibilité dans les cas particuliers. L’auteur n’a pas démontré que les décisions rendues par les autorités canadiennes étaient entachées d’un vice justifiant l’intervention du Comité dans les conclusions de faits et de crédibilité tirées par celles-ci » (paragraphe 4.14)

24. Le Comité a conclu que l’expulsion de la fille de l’auteur « vers la Guinée constituerait une violation de l’article 7 et du paragraphe 1er de l’article 24 lus conjointement ». Cette conclusion a une double signification. La première et la plus évidente est que l’affaire ne traite que de la fille, pas de sa mère. Il ne peut pas y avoir d’équivoque à cet égard. La plainte n’a été déclarée recevable qu’au regard de la fille. Le fond ne traite que de la condition de la fille.

25. Est-ce à dire que la fille pourrait éventuellement rester au Canada et que la mère peut en être expulsée. Curieuse solution dans laquelle le Comité ne peut s’engager compte tenu de la position –fort critiquée par ailleurs- qu’il a adoptée dans la communication n°930/2000 Hendrick Winata et Mme Li So Lan contre Australie. La deuxième signification est que le Canada peut expulser la fille ailleurs qu’en Guinée pourvu qu’il s’agisse d’un pays où il n’y a pas un risque réel d’excision. Or ce que demandait l’auteur c’est de rester avec sa fille au Canada. Cela veut dire que les procédures engagées devant les autorités canadiennes n’auraient pu être entachées d’irrégularités que si l’enjeu était le renvoi en Guinée, ce qui est loin d’être évident.

26. Ce que l’auteur avait réclamé aux autorités canadiennes, c’était dans un premier temps le statut de réfugié et dans un deuxième temps la dispense de visa de résident permanent pour considérations humanitaires. Il aurait été plus rigoureux de faire les distinctions qui s’imposaient et de préciser que l’évaluation faite par le Canada justifiait le refus tant de statut de réfugié que la dispense de visa de résident permanent et ne pouvait, à la rigueur soulever des questions que dans la mesure où le Canada voudrait expulser la fille de l’auteur vers la Guinée.

[signé] M. Abdelfattah Amor

[Fait en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]


Opinion dissidente de M. Krister Thelin

La majorité du Comité a constaté une violation dans cette affaire. Je me permets de ne pas approuver la décision. À mon avis le raisonnement et la conclusion du Comité devraient être formulés comme suit:

«10.1 En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’expulsion de sa fille, Fatoumata Kaba, constituerait un risque pour celle-ci d’être soumise à l’excision par son père et/ou des membres de sa famille, le Comité rappelle que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, expulser ou renvoyer une personne vers un pays où elle court un risque réel d’être tuée ou soumise à la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant1. Il n’est pas non plus contesté que les femmes en Guinée ont traditionnellement été soumises à la mutilation génitale et, dans une certaine mesure, le sont encore. Il s’agit en l’espèce de déterminer si la fille de l’auteur court un risque réel et personnel d’être soumise à un tel traitement si elle est renvoyée en Guinée.

10.2 Au vu des informations données par l’auteur dans toute la procédure, même indépendamment de la question de sa crédibilité qu’à certains égards ses affirmations soulèvent, lues conjointement avec d’autres éléments du dossier, le Comité n’est pas en mesure de conclure que l’auteur a réfuté l’objection de l’État partie qui affirme que son renvoi et le renvoi de sa fille n’entraîneraient pas un risque réel de violation des droits consacrés à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 24, lus conjointement.

11. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation par le Canada des articles du Pacte invoqués par l’auteur.».

[signé] M. Krister Thelin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

 

1 Voir communication no 1302/2004, Daljit Singh c. Canada, décision d’irrecevabilité du 25 juillet 2006, par. 5.4; communication no 1429/2005, Blanca Lilia Londoño et consorts c. Australie, décision d’irrecevabilité du 1er avril 2008, par. 6.3.

 



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