University of Minnesota



Mohammed Alzery c. Sweden, Communication No. 1416/2005, U.N. Doc. CCPR/C/88/D/1416/2005 (2006).



GENERALE
CCPR/C/88/D/1416/2005
10 novembre 2006
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 1416/2005 : Sweden. 10/11/2006.
CCPR/C/88/D/1416/2005. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-huitième session

16 octrobre - 3 novembre 2006

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4

de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international

relatif aux droits civils et politiques*

- Quatre-vingt-huitième session -

 

Communication No 1416/2005

 

Présentée par: Mohammed Alzery (représenté par un conseil, Mme Anna Wigenmark)
Au nom de: L'auteur

État partie: Suède

Date de la communication: 29 juillet 2005 (date de la lettre initiale)

Décision concernant la recevabilité: 8 mars 2006

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2006,

Ayant achevé l'examen de la communication no 1416/2005, présentée au nom de M. Mohammed Alzery en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

 

1. L'auteur de la communication, datée du 29 juillet 2005, est M. Mohammed Alzery, de nationalité égyptienne, né le 23 septembre 1968. Il se déclare victime de violations par la Suède des articles 2, 7, 13 et 14 du Pacte ainsi que de l'article premier du premier Protocole facultatif. Il est représenté par un conseil (voir toutefois plus loin les paragraphes 4.1 et 5.1 et suiv.).

Décisions interlocutoires

2.1 Le 24 octobre 2005, le Comité, agissant par l'entremise de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a décidé d'examiner la question de la recevabilité séparément de la question du fond. Pour disposer de tous les éléments lui permettant de se prononcer sur la recevabilité, il a également demandé au conseil de démontrer, compte tenu des arguments de l'État partie exposés au paragraphe 4.1 ci-après, que la procuration datée du 29 janvier 2004, complétée par la procuration datée du 7 avril 2004, était toujours valable et autorisait l'examen de la communication par le Comité.

2.2 Le Comité, agissant par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a également décidé de demander au conseil, conformément aux pouvoirs conférés par l'article 102, paragraphe 3, du règlement intérieur du Comité, de respecter le caractère confidentiel d'une partie des observations de l'État partie, jusqu'à nouvelle décision du Rapporteur spécial, du Groupe de travail du Comité ou du Comité plénier lui-même.

2.3 Le 16 janvier 2006, par l'intermédiaire du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, compte tenu des commentaires du conseil sur les observations de l'État partie (voir par. 5.1 et suiv.) et des documents dont il était saisi en ce qui concernait la situation de l'auteur, le Comité a demandé à l'État partie, en application de l'article 92 de son règlement intérieur, de prendre les mesures nécessaires pour éviter que l'auteur ne soit exposé à un risque prévisible de préjudice grave suite à une action de l'État partie.

Exposé des faits

3.1 L'auteur, professeur de physique-chimie, a fait ses études à l'Université du Caire. Pendant ses études il était membre actif d'une organisation d'opposition islamiste; entre autres actions, il distribuait des tracts, participait à des réunions et des conférences et lisait le Coran aux enfants de son village. L'auteur reconnaît qu'il était opposé au Gouvernement mais nie avoir préconisé la violence. En 1991, il a terminé ses études et a décidé la même année de quitter le pays, ayant été harcelé et arrêté à plusieurs reprises par les services de sécurité égyptiens en raison de ses activités dans cette organisation. Il indique qu'une fois il a été appréhendé et torturé (on l'a suspendu la tête en bas par les chevilles, roué de coups et «plongé» dans l'eau la tête la première). Il ajoute qu'avant d'être relâché il a été contraint de signer une déclaration dans laquelle il renonçait définitivement à son action dans l'organisation en question , faute de quoi la prochaine arrestation serait «pour toujours».

3.2 L'auteur dit qu'il a quitté l'Égypte pour ne pas être arrêté et soumis à la torture. Avec son propre passeport mais porteur d'un faux visa, il est entré en Arabie saoudite où il est resté jusqu'en 1994, année où il est parti pour la Syrie. En 1999, il a senti qu'il lui fallait quitter la Syrie parce que plusieurs Égyptiens avaient été extradés vers l'Égypte. Il a obtenu un faux passeport danois et est parti pour la Suède, où il est arrivé le 4 août 1999. Il a immédiatement demandé l'asile sous sa véritable identité et a reconnu avoir utilisé un faux passeport pour pouvoir entrer dans le pays. Pour motiver la demande d'asile, l'auteur a dit qu'il avait été agressé physiquement et torturé en Égypte; qu'il s'était senti surveillé et que son domicile avait été fouillé; qu'après avoir quitté l'Égypte (pour l'Arabie saoudite puis la Syrie) il avait été recherché au domicile de ses parents; qu'il craignait, s'il était renvoyé en Égypte, d'être traduit devant un tribunal militaire pour appartenance à une organisation illégale; enfin, qu'il craignait d'être arrêté et soumis à la torture. Il a été placé en détention du 4 au 18 août 1999 parce que son identité n'était pas établie avec certitude. Décidant de ne pas prolonger la détention, le Conseil des migrations de l'époque a alors estimé que, bien qu'il existât une incertitude quant à l'identité de l'auteur et que celui-ci ait utilisé un faux passeport, ce qui favorisait le risque de fuite, la détention pouvait être remplacée par le placement sous surveillance.

3.3 Pour prouver son identité, l'auteur dit qu'il a pris indirectement contact avec un avocat égyptien qui s'est procuré un rapport de son collège et l'a envoyé par télécopie aux autorités suédoises; à cette occasion, l'avocat a envoyé aussi une déclaration sous serment indiquant que l'auteur était l'un des inculpés dans une procédure judiciaire engagée en 1996 pour appartenance à une organisation interdite, et que l'affaire serait très probablement jugée par un tribunal militaire. Un article du journal al-Sharq al-Awsat décrivait cette affaire et nommait l'auteur, précisant qu'il avait été inculpé en son absence. Le journaliste ajoutait que l'organisation en question prônait une lutte armée permanente contre le Gouvernement égyptien et que les membres du mouvement seraient jugés par un tribunal militaire, ce qui fait qu'ils n'auraient pas droit à un procès équitable, du fait notamment que les condamnations prononcées par une juridiction militaire n'étaient pas susceptibles d'appel. L'auteur nie avoir le moindre lien avec cette organisation mais affirme qu'il craint néanmoins d'être arrêté sur de fausses accusations s'il était renvoyé en Égypte. Il ajoute que l'ambassade de Suède au Caire n'a pas pu confirmer que l'affaire rapportée dans le journal était réelle ni que M. Alzery figurait parmi les suspects.

3.4 Le Conseil suédois des migrations a examiné en première instance la demande d'asile et de permis de séjour permanent de l'auteur. Le 31 janvier 2001, il a été demandé à la police de sécurité suédoise de donner un avis car elle est chargée, entre autres attributions, d'apprécier si une demande d'asile, de par sa nature, exige que l'intérêt de la sécurité nationale soit pris en considération avant qu'un permis de séjour ne soit accordé. La police de sécurité nationale a commencé une enquête en avril 2001 et, en juin 2001, a interrogé l'auteur. Celui-ci a affirmé qu'il n'avait jamais eu de liens avec le mouvement auquel il était accusé d'appartenir et qu'il était fermement opposé à l'usage de la violence pour atteindre un objectif politique. Il avait la conviction toutefois qu'il serait arrêté et torturé s'il était renvoyé en Égypte à cause de ces accusations fausses. L'auteur a pu lire le procès-verbal de l'entretien en septembre 2001, mais il n'a pas été informé des conclusions qui en avaient été tirées.

3.5 Le 30 octobre 2001, la police de sécurité nationale a soumis son rapport, dans lequel elle recommandait le refus du permis de séjour permanent «pour des raisons de sécurité». Le 12 novembre 2001, le Conseil des migrations, tout en estimant que l'on pouvait considérer que l'auteur avait besoin de protection, a transmis l'affaire au Gouvernement pour que celui-ci prenne une décision conformément à la loi sur les étrangers, eu égard aux questions de sécurité en jeu. Saisie du dossier du Conseil des migrations, dont elle partageait l'avis sur le fond, la Commission de recours des étrangers a elle aussi estimé que la décision appartenait au Gouvernement.

3.6 Le 12 décembre 2001, un haut-fonctionnaire du Ministère suédois des affaires étrangères a rencontré un représentant du Gouvernement égyptien dans le but de déterminer s'il était possible pour la Suède de renvoyer l'auteur en Égypte sans manquer à ses obligations internationales, notamment au regard du Pacte. Ayant étudié la possibilité de demander aux autorités égyptiennes des assurances concernant le traitement qui serait réservé à l'auteur dans le pays, le Gouvernement avait conclu qu'il était à la fois possible et judicieux de demander s'il pouvait obtenir des garanties que l'auteur serait traité dans le respect du droit international quand il rentrerait en Égypte. À défaut de telles garanties, l'expulsion ne serait pas envisagée. Le secrétaire d'État du Ministère suédois des affaires étrangères a présenté un mémoire ainsi rédigé:

«Le Gouvernement du Royaume de Suède comprend que [l'auteur et une autre personne] bénéficieront d'un procès équitable dans la République arabe d'Égypte. Le Gouvernement du Royaume de Suède comprend également qu'aucune autorité de la République arabe d'Égypte ne soumettra ces personnes à une peine ou un traitement inhumain, et que ces personnes ne seront pas condamnées à mort ou que, si la peine capitale a été prononcée, aucune autorité compétente de la République arabe d'Égypte ne la mettra à exécution. Enfin, le Gouvernement du Royaume de Suède comprend que la femme et les enfants [de l'autre personne] ne subiront en aucune manière de persécutions ou de harcèlement de la part des autorités de la République arabe d'Égypte.».
3.7 Le Gouvernement égyptien a répondu par écrit: «Nous affirmons par la présente que nous partageons intégralement vos vues sur tous les points de votre mémoire au sujet du traitement qui sera réservé aux intéressés une fois qu'ils seront rapatriés par votre Gouvernement, en respectant sans restrictions leurs droits individuels et fondamentaux. Cela se fera conformément aux dispositions de la Constitution et de la loi égyptiennes.». Lors d'entretiens avec des représentants du Gouvernement égyptien, le Gouvernement suédois a également demandé que l'ambassade soit autorisée à assister au procès. D'après l'auteur, on ne sait pas très bien quelles autres modalités de surveillance ont été étudiées et arrêtées avant son expulsion. Le Gouvernement suédois a fait savoir depuis que les discussions avaient porté sur le droit de rendre visite à l'auteur en prison mais cela n'est pas confirmé.
3.8 Le 18 décembre 2001, le Gouvernement a décidé qu'un permis de séjour, en Suède, ne devait pas être accordé à l'auteur pour des raisons de sécurité. Il a pris note de la teneur des garanties données par un haut représentant du Gouvernement égyptien. Bien que, compte tenu des circonstances et des déclarations de l'auteur au sujet de son passé, sa crainte d'être persécuté soit jugée fondée, ce qui lui donnait droit à une protection en Suède, le Gouvernement considérait justifié de ne pas lui accorder le statut de réfugié. Dans sa décision, le Gouvernement a conclu sur la base de renseignements émanant des services du renseignement que l'auteur occupait des fonctions importantes et jouait un rôle moteur dans une organisation impliquée dans des actes de terrorisme et qu'une protection devait lui être refusée.

3.9 Le Gouvernement a examiné séparément la question de savoir si l'auteur risquait d'être persécuté, condamné à mort, torturé ou victime de mauvais traitements graves s'il était expulsé vers son pays, circonstances qui constituent un empêchement absolu au renvoi. Le Gouvernement était d'avis à ce sujet que les assurances données étaient suffisantes pour que la Suède ne commette pas un manquement à son obligation de non-refoulement. Le Gouvernement a donc ordonné l'expulsion immédiate de l'auteur.

3.10 Dans l'après-midi du 18 décembre 2001, quelques heures après que la décision d'expulsion eut été prise, l'auteur a été arrêté par la police de sécurité suédoise. D'après l'État partie, il n'a pas été fait usage de la force. L'auteur a été informé que sa demande d'asile avait été rejetée et a été conduit dans un centre de détention provisoire de Stockholm. Quand il a été arrêté, l'auteur était au téléphone avec son conseil (de l'époque) mais la communication a été brusquement interrompue. Dans le centre de détention, il aurait demandé l'autorisation d'appeler son avocat, ce qui lui aurait été refusé Après quelques heures de détention, il a été transféré en voiture à l'aéroport de Bromma. Il a été conduit sous escorte au poste de police de l'aéroport où il a été remis à une dizaine d'agents étrangers portant des vêtements civils et des cagoules. Les investigations menées par la suite par l'Ombudsman parlementaire suédois ont révélé que les individus cagoulés étaient des agents des services de sécurité des États-Unis et de l'Égypte.

3.11 L'auteur dit que les agents cagoulés l'ont poussé dans un petit vestiaire où ils ont procédé à ce qu'ils appelaient une «fouille de sécurité» alors que la police suédoise avait déjà procédé à une fouille moins approfondie. Les agents cagoulés ont découpé ses vêtements avec des ciseaux et ont examiné chaque morceau de tissu avant de le mettre dans un sac en plastique. Un autre agent lui a inspecté les cheveux, la bouche et les lèvres pendant qu'un troisième prenait des photographies, d'après les policiers suédois qui assistaient à la fouille. Après lui avoir enlevé ses vêtements, les agents lui ont mis les menottes en les attachant à ses chevilles par une chaîne. Ils lui ont administré un tranquillisant quelconque par voie rectale et mis une couche, puis ils lui ont fait enfiler une sorte de combinaison, avant de l'escorter jusqu'à l'avion, les yeux bandés, cagoulé et pieds nus. Deux représentants de l'ambassade des États-Unis d'Amérique avaient également assisté à l'arrestation de l'auteur et vu de quelle manière il était traité Dans l'avion, immatriculé à l'étranger, l'auteur est resté par terre dans une position pénible et douloureuse, les chaînes l'empêchant de bouger. Il a gardé le bandeau et la cagoule pendant tout le voyage et les avait encore quand il a été remis au personnel de la sécurité militaire égyptienne à l'aéroport du Caire, environ cinq heures plus tard. D'après son conseil suédois (de l'époque), il est resté les yeux bandés jusqu'au 20 février 2002 sauf quelques jours, à l'occasion de la visite de l'Ambassadeur de Suède, le 23 janvier 2002, et lors d'un entretien avec un journaliste suédois en février 2002.

3.12 Quand le conseil de l'auteur (de l'époque) a rencontré la Secrétaire d'État Gun-Britt Andersson en janvier 2002, après la visite de l'Ambassadeur, elle lui a donné l'assurance que les deux hommes ne s'étaient pas plaints de mauvais traitements. Pendant une audience devant la Commission permanente suédoise sur la Constitution en avril 2002, la Ministre des affaires étrangères de l'époque avait déclaré: «Je continue à penser que nous pouvons faire confiance aux autorités égyptiennes. Si (il apparaît que) l'on ne peut pas avoir confiance, il faudra revenir sur la question. Mais tout ce que nous avons vu jusqu'ici indique que nous pouvons leur faire confiance.». Dans son rapport au Comité des droits de l'homme sur la suite donnée à ses constatations, daté du 6 mai 2003, le Gouvernement suédois a également dit: «Le Gouvernement suédois est d'avis que les assurances obtenues de l'État dans lequel les intéressés ont été renvoyés sont satisfaisantes et irrévocables et qu'elles sont et seront intégralement respectées. Le Gouvernement n'a reçu aucun renseignement qui puisse jeter le doute sur cette conclusion.». (1)

3.13 La visite de l'Ambassadeur à l'auteur à la prison de Tora ne s'est pas déroulée en privé, pas plus qu'aucune des visites qu'il lui a faites ultérieurement quand celui-ci était dans cette prison. L'auteur s'est plaint de son traitement en présence non seulement de l'Ambassadeur mais aussi du gardien et de cinq autres Égyptiens. Ceux-ci prenaient des notes afin, pense l'Ambassadeur, de vérifier l'interprétation de l'arabe en anglais. Les choses se passaient toujours ainsi et c'était une pratique acceptée par les visiteurs de l'ambassade: les gardiens ou le personnel de sécurité de la prison étaient présents et intervenaient même dans les discussions avec l'auteur. Très souvent les représentants suédois posaient des questions directement au personnel égyptien présent ou commentaient spontanément les propos de l'auteur.

3.14 Peu de temps après la première visite, l'Ambassadeur a demandé à rencontrer les services de sécurité égyptiens pour parler des mauvais traitements dont l'auteur s'était plaint. Son interlocuteur a rejeté les accusations en disant que c'était ce qu'il fallait attendre de la part de «terroristes». Les autorités suédoises se sont contentées de cette explication et n'ont rien fait de plus. Il s'est écoulé cinq semaines avant la visite suivante. Dans un rapport diplomatique daté du 2 février 2002 adressé à son Ministère des affaires étrangères, l'Ambassadeur de Suède indiquait: «Nous avons arrêté les modalités suivantes pour les visites de l'ambassade: les visites auront lieu une fois par mois au jour et à l'heure choisis par nous. Nous informerons [édité] quelques jours à l'avance que nous voulons faire cette visite afin que ses services puissent organiser les détails techniques. [Édité] a dit à ce sujet que si les rumeurs de torture, etc., continuaient, il nous faudrait examiner ensemble les moyens de les réfuter». Dans la lettre, l'Ambassadeur révélait également que le Rapporteur spécial sur la question de la torture de la Commission des droits de l'homme avait adressé une lettre au Gouvernement suédois lui demandant des renseignements sur le système de surveillance qui avait été mis en place pour garantir le respect des droits de l'auteur et d'une autre personne.

3.15 Après la visite de janvier, l'auteur a été transféré dans un autre quartier de la prison de Tora contrôlé par les services de sécurité égyptiens (et non plus le Service du renseignement). Il raconte qu'il a été interrogé pendant cinq autres semaines et que cette fois il a subi des sévices graves, notamment des décharges électriques sur les parties génitales, le bout des seins et les oreilles. Des médecins assistaient aux séances de torture et à la fin lui appliquaient une pommade pour qu'il n'y ait pas de marques. L'auteur a été contraint d'avouer des crimes qu'il n'avait pas commis et il a été interrogé au sujet d'activités l'organisation de réunions pour l'organisation interdite dans laquelle il militait et l'opposition au «système». Malgré les représailles, l'auteur a continué à essayer de dénoncer les traitements qu'il avait subis, comme l'indique l'Ambassadeur dans le rapport sur sa deuxième visite le 7 mars 2002:

«Pendant la visite suivante aucun des deux hommes n'a parlé de torture. Ils ont quand même laissé voir que quelque chose n'allait pas: je leur ai donc demandé s'ils avaient été torturés ou maltraités depuis ma dernière visite. [L'autre détenu] a répondu évasivement que ce serait bien si je pouvais venir le plus souvent possible. Je lui ai demandé d'enlever sa chemise et son maillot de corps et de se retourner. Il n'y avait pas de marque visible de mauvais traitements. [L'autre homme] a expliqué qu'il n'y avait pas de marque sur son corps. L'un des responsables égyptiens a dit par la suite que [l'autre homme] cherchait de toute évidence avec ses insinuations à faire comprendre qu'il avait été maltraité, mais ne le disait pas directement … Pendant la conversation, les deux hommes ont donné d'autres renseignements dont il faut retenir ceci: … L'un et l'autre ont évité de me répondre quand je leur ai demandé comment se passaient leurs journées. Avant de partir j'ai demandé s'ils avaient quelque chose de particulier à me signaler. Ils ont répondu qu'ils espéraient que je reviendrais bientôt en ajoutant que "c'est dur d'être en prison". En résumé, il n'est rien apparu de nouveau qui puisse changer l'impression que j'ai eue à l'issue de ma première visite, c'est-à-dire que [l'auteur et l'autre détenu] allaient relativement bien vu les circonstances. Je n'ai rien constaté qui puisse laisser penser qu'ils étaient torturés ou maltraités.».
3.16 L'auteur dit que, pendant longtemps, l'autre détenu et lui-même n'ont pas été autorisés à voir les autres prisonniers et qu'ils étaient placés à l'isolement dans des cellules constamment maintenues dans l'obscurité. Le 20 février 2002, l'auteur a été transféré dans un autre centre de détention où il a été placé à l'isolement dans une petite cellule de 1,5 m x 1,5 m jusqu'à la deuxième semaine de décembre 2002. Trois ou quatre fois en 2002 il a été conduit devant un procureur qui devait statuer sur son maintien en détention. À la première audition, en mars 2002, l'auteur s'est plaint d'avoir subi des tortures et des mauvais traitements. Il n'a pas eu connaissance du compte rendu de l'audition. À cette époque il était représenté par un avocat mais celui-ci n'ayant pas réagi quand il a fait sa déclaration, il n'a eu d'autre choix que de parler lui-même aux auditions suivantes. D'après le dossier de l'ambassade, entre octobre 2002 et mai-juin 2003, l'auteur a comparu devant le procureur tous les 15 jours et par la suite tous les 45 jours. Le maintien en détention était toujours confirmé par le procureur, qui invoquait la législation d'exception mais sans jamais l'inculper.
3.17 Le 16 juin 2002, le conseil suédois de l'auteur (celui de l'époque) a fait savoir à la Cour européenne des droits de l'homme qu'il avait l'intention de déposer une requête au nom de l'auteur. Le 9 septembre 2002, l'Ambassadeur de Suède a demandé aux autorités pénitentiaires pendant une visite à l'auteur, de permettre à celui-ci de signer une procuration que son conseil suédois avait adressée à l'ambassade en vue de la requête à la Cour européenne des droits de l'homme. Le 26 septembre 2002, l'Ambassadeur a adressé une télécopie au conseil l'informant que l'auteur, du fait qu'il se trouvait en détention, n'avait pas le droit de signer la procuration. Le conseil a sollicité l'intervention de l'ambassade d'Égypte mais celle-ci n'a pas répondu. À la fin de 2002, l'auteur a été informé partiellement du motif de sa détention. Il était accusé d'être l'un des 250 membres d'une organisation interdite contre laquelle des poursuites pénales avaient été engagées en 1993. L'auteur affirme qu'un grand nombre des coïnculpés étaient restés en détention pendant des années sans avoir été jugés, que plusieurs avaient été condamnés à mort et exécutés et que d'autres n'avaient pas été remis en liberté même après avoir été acquittés. Il craignait de subir le même sort. De décembre 2002 à octobre 2003, le Ministère de l'intérieur a ordonné son maintien en détention.

3.18 Le 27 octobre 2003, l'auteur a été libéré sans avoir été inculpé. D'après l'ambassade de Suède, un tribunal égyptien a ordonné sa remise en liberté mais l'auteur n'était pas présent et ne peut pas le confirmer. Depuis qu'il est libre, l'auteur se porte physiquement mieux, il a achevé les études universitaires complémentaires de pédagogie qu'il avait commencées en prison et il s'est marié.. Il a décidé de créer sa propre entreprise et a construit une petite exploitation d'élevage.

3.19 Au début de 2004, le conseil suédois de l'auteur (de l'époque) a fait savoir au Ministère suédois des affaires étrangères que l'auteur affirmait avoir été soumis notamment à la torture, en Égypte, avant et après la première visite de l'Ambassadeur le 23 janvier 2002. Il n'y avait pas eu d'actes de torture ou d'autres traitements cruels après le 20 février 2002. De plus, au début de 2004, l'auteur a dit la même chose au personnel de l'ambassade venu lui rendre visite. D'après le rapport de l'ambassade sur cette visite, les actes de torture avaient été commis après la première visite de l'Ambassadeur, quand l'auteur était en détention. L'auteur n'avait alors rien dit du traitement qu'il avait subi avant cette visite. Le 19 mars 2004, le conseil suédois (de l'époque) a déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l'homme, dans laquelle il faisait valoir qu'à la suite de son expulsion l'auteur avait été torturé et maltraité et qu'il risquait d'être condamné à mort ou de mourir sous la torture. Il ajoutait que l'auteur ne pouvait pas s'adresser à un tribunal et ne disposait pas de recours utile pour se défendre des accusations de terrorisme portées contre lui et que l'arrêté d'expulsion n'avait pas fait l'objet d'un réexamen judiciaire. Le 26 octobre 2004, une chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré à la majorité des membres la requête irrecevable du fait qu'elle avait été présentée hors délai (2) Le conseil n'ayant pas donné d'explication satisfaisante pour justifier ce retard, la Cour a considéré que le 19 mars 2004 était la date de l'introduction de la requête, qu'elle a donc déclarée irrecevable.

3.20 En ce qui concerne ce qui s'est passé en Suède après l'expulsion de l'auteur, le Ministère de la justice a mené le 12 avril 2002 une appréciation judiciaire de la façon dont la police de sécurité avait agi et a approuvé sur le principe les procédures suivies. Une plainte déposée le 25 mai 2004 a donné lieu à l'ouverture par le procureur de district de Stockholm d'une enquête visant à déterminer si les représentants du Gouvernement suédois avaient commis une infraction pénale en relation avec la décision d'expulsion du 18 décembre 2001 concernant M. Alzery, entre autres personnes, et si une infraction avait été commise dans le déroulement de l'expulsion. Étant donné que la plainte visait des représentants ministériels du Gouvernement, elle a été renvoyée devant la Commission constitutionnelle permanente du Parlement, qui est compétente pour engager une action pénale devant la Cour suprême du chef, par exemple, de négligence grave dans l'exercice des fonctions ministérielles. Le 17 février 2005, la Commission a décidé que la partie de la plainte qui lui avait été renvoyée par le procureur de district de Stockholm n'appelait aucune action.

3.21 Pour les autres questions, le procureur de district de Stockholm a décidé le 18 juin 2004 de ne pas ouvrir d'enquête préliminaire pour déterminer si une infraction pénale avait été commise dans l'exécution de la mesure d'expulsion. La raison avancée était qu'il n'y avait pas matière à supposer qu'une infraction pénale avait été commise par un membre de la police suédoise pendant l'expulsion. Le procureur de district a renvoyé l'affaire au Procureur général de Stockholm pour que celui-ci décide d'engager ou non une enquête préliminaire sur les faits qui s'étaient déroulés dans l'avion immatriculé à l'étranger.

3.22 Le 3 novembre 2004, le Procureur général a refusé de prendre d'autres mesures. Il a relevé que la police de sécurité avait été chargée de procéder à l'expulsion et en était responsable. C'était donc à la police de sécurité qu'il appartenait de vérifier que les mesures de sécurité prises par ses agents ou par ceux qui l'avaient aidée étaient conformes à la législation suédoise. Il s'agissait donc de déterminer si des membres de la police de sécurité avaient failli dans l'exercice de l'autorité publique, ce qui équivalait à un réexamen de la décision du procureur de district. Rappelant la mission antiterroriste de la police de sécurité, le Procureur général a considéré que pour s'acquitter de cette mission, elle était parfois obligée d'employer des méthodes différentes de celles qui étaient utilisées pour les missions de police ordinaires. L'expulsion avait été décidée par le Gouvernement, qui avait considéré que les personnes frappées par la mesure représentaient un risque pour la sécurité du Royaume. Étant donné que, tout particulièrement à cette époque, il y avait des consignes très strictes concernant la sécurité et les mesures de protection, on ne pouvait considérer que ce qui s'était passé constituait un manquement aux principes généraux applicables aux interventions de police. Le Procureur général partageait donc l'avis du procureur de district qui avait estimé qu'il n'y avait pas lieu de supposer que les policiers suédois avaient commis une infraction pénale nécessitant la mise en mouvement de l'action publique. La décision portait également sur les mesures prises par les agents étrangers puisqu'ils n'avaient pas agi indépendamment de la police suédoise.

3.23 Concernant ce qui s'était passé dans l'avion immatriculé à l'étranger, le Procureur général a considéré que, conformément à la loi sur le trafic aérien, le pilote d'un avion immatriculé à l'étranger était tenu de vérifier que l'avion pouvait opérer en territoire suédois. Ce contrôle comportait le droit de prendre des mesures pour des motifs de sécurité. Il n'y avait pas de raison de supposer qu'une infraction pénale donnant matière à poursuites avait été commise par le pilote de l'avion étranger.

3.24 Dans le souci de faire la lumière sur les faits survenus après le renvoi de l'auteur, l'État partie indique que le 18 mai 2004 il a soulevé la question des allégations de mauvais traitements auprès des autorités égyptiennes au plus haut niveau. Un envoyé a fait part des préoccupations de la Suède au sujet des mauvais traitements qui auraient été subis dans les premières semaines suivant le renvoi et demandé une enquête, y compris une expertise médicale internationale. Le Gouvernement égyptien a rejeté les allégations mais a accepté d'ouvrir une enquête. En juin 2004, la Ministre suédoise des affaires étrangères alors en poste a écrit aux autorités égyptiennes suggérant qu'une enquête soit menée avec ou par une autorité indépendante, en faisant appel à des experts judiciaires et médicaux et, de préférence, à des experts internationaux en matière d'enquêtes sur les cas de torture. Elle a également proposé l'assistance et les services d'experts de la Suède. En juillet 2004, les autorités égyptiennes ont rejeté les allégations de mauvais traitements et se sont référées à l'enquête en cours en Égypte. En décembre 2004, il a été envisagé de demander une enquête internationale sous les auspices du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme. Le 11 mai 2005, la Ministre suédoise des affaires étrangères a adressé une lettre à la Haut-Commissaire, dans laquelle elle expliquait notamment que la Suède avait vainement tenté d'obtenir qu'une enquête soit conduite en Égypte pour établir les faits de façon indépendante, au vu des allégations de torture et de mauvais traitements qui auraient été subis par les deux Égyptiens renvoyés dans leur pays. La Ministre demandait à la Haut-Commissaire de faire procéder à une enquête sur la question afin d'évaluer ensuite l'utilité et le respect des assurances diplomatiques données par l'Égypte. La Ministre déclarait que le Gouvernement suédois était disposé à apporter tout son appui à l'enquête ainsi que des ressources financières si nécessaire. La Haut-Commissaire a répondu par une lettre datée du 26 mai 2005. Se référant à la décision du Comité contre la torture dans l'affaire Agiza c. Suède (3) elle indiquait notamment qu'à son avis il n'y avait aucune raison de penser que le Haut-Commissariat puisse apporter quelque chose de plus à l'appréciation du Comité et à ses constatations. En conclusion, la Haut-Commissaire n'était pas disposée à donner suite à la demande. L'État partie énumère plusieurs contacts que la Ministre et d'autres hauts fonctionnaires ont eus par la suite avec leurs homologues égyptiens afin d'essayer d'obtenir une enquête indépendante et impartiale sur les faits.

3.25 Le 21 mars 2005, l'Ombudsman parlementaire a fait rapport sur une enquête menée de sa propre initiative sur les événements ayant précédé l'expulsion de l'auteur; cette enquête a révélé de graves dysfonctionnements dans l'action de la police de sécurité, à l'égard de laquelle l'Ombudsman se montrait extrêmement critique. (4) L'auteur lui-même n'avait pas participé à cette enquête mais l'Ombudsman avait interrogé son ancien conseil suédois. L'Ombudsman avait pour mandat de déterminer si la police de sécurité avait commis une infraction ou agi illégalement pendant qu'elle procédait à l'expulsion. Très vite, l'Ombudsman avait décidé de ne pas engager une enquête pénale. L'Ombudsman n'indique pas les raisons de cette décision mais l'État partie suggère qu'elles semblent liées au fait que la direction de l'opération de Bromma n'avait été confiée à aucun haut responsable de la police de sécurité, que les policiers présents étaient de rangs relativement subordonnés, qu'aucun d'entre eux n'avait le sentiment de porter la responsabilité directe de l'opération et qu'ils s'étaient peut-être sentis sous pression compte tenu de l'ordre du Cabinet d'exécuter la décision sans délai le jour où elle avait été prise. Le conseil conteste cette version, et cite des commentaires que l'Ombudsman a faits dans les médias, expliquant que la décision du Procureur de ne pas poursuivre avait joué un rôle important dans sa propre décision. Quelle qu'en soit la raison, ayant choisi de ne pas engager une enquête pénale, l'Ombudsman avait donc pu obtenir, à des fins d'information, la déposition des policiers qui, autrement, auraient pu ne pas témoigner, au nom du droit de ne pas déclarer contre soi-même.

3.26 Dans ses conclusions, l'Ombudsman reprochait à la police de sécurité d'avoir perdu le contrôle de la situation à l'aéroport de Bromma en laissant des agents étrangers exercer librement l'autorité publique sur le sol suédois. Cet abandon de l'autorité publique était contraire à la loi. L'expulsion avait été effectuée de manière inhumaine et inacceptable. Le traitement était à certains égards illégal et dans son ensemble il ne pouvait être qualifié que de dégradant. On pouvait se demander s'il n'y avait pas eu aussi violation de l'article 3 de la Convention européenne. En tout état de cause, la police de sécurité aurait dû intervenir pour empêcher ce traitement inhumain. De l'avis de l'Ombudsman, la police de sécurité avait fait preuve d'une totale passivité tout au long de cette affaire, depuis l'acceptation de la proposition d'utiliser un avion américain jusqu'à la fin de l'opération. Par exemple, les agents n'avaient pas demandé en quoi allait consister la fouille de sécurité exigée par les Américains. L'Ombudsman critiquait également une organisation défaillante, constatant qu'aucun des agents présents à l'aéroport de Bromma n'avait été désigné pour diriger l'opération. Les policiers de sécurité présents n'avaient pas des grades très élevés. Ils avaient manifesté une remarquable déférence à l'égard des responsables américains. En ce qui concernait les agents étrangers, l'Ombudsman estimait qu'il n'était pas légalement compétent pour engager une action.

3.27 Le 4 avril 2005, à la suite d'une plainte du Comité d'Helsinki pour les droits de l'homme (section suédoise), le Procureur général suédois a décidé de ne pas rouvrir l'enquête préliminaire. Compte tenu notamment du pouvoir de l'Ombudsman parlementaire d'engager des poursuites, de l'obligation des tribunaux, des autorités administratives et des responsables aux niveaux central et municipal de donner aux ombudsmans tous les renseignements requis, et de la faculté du Procureur général de revoir les décisions d'un procureur de district, le Procureur général concluait qu'il n'était pas possible de réexaminer la décision de l'Ombudsman parlementaire de ne pas faire usage de sa faculté de poursuite. On pouvait également se demander si le Procureur général pouvait vraiment réexaminer l'opportunité d'ouvrir ou de reprendre une enquête pénale préliminaire alors que la question avait déjà été tranchée par l'Ombudsman parlementaire. Telle était la situation, d'autant plus qu'aucune circonstance nouvelle n'était apparue. Le Procureur général ajoutait que, quoi qu'il en soit, plusieurs des personnes qui auraient à faire des déclarations dans le cadre d'une enquête pénale préliminaire, si elle était reprise, avaient déjà été interrogées par l'Ombudsman parlementaire et avaient donné des informations sous serment, conformément à la loi suédoise régissant ces procédures. Par conséquent, il n'était plus possible de mener une enquête préliminaire en vertu du Code de procédure pénale.

3.28 Le 21 septembre 2005, la Commission constitutionnelle du Parlement a rendu compte d'une enquête ouverte en mai 2004 à la demande de cinq membres du Parlement qui souhaitaient que soit examinée l'action du Gouvernement dans l'affaire ayant abouti à l'expulsion vers l'Égypte de M. Alzery, entre autres personnes. En ce qui concerne les assurances données, la Commission concluait que les modalités détaillées d'un dispositif de surveillance n'avaient pas été arrêtées avec les autorités égyptiennes et qu'il semblait ne pas y en avoir eu du tout avant la décision d'expulser M. Alzery. Cette faille se manifestait dans la surveillance pratique du respect des garanties, qui n'était pas conforme aux recommandations faites plus tard par le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la question de la torture, ni à la pratique établie par la Croix-Rouge. La principale faille était évidemment que la première visite n'ait pas eu lieu plus tôt. Toutefois, de l'avis de la Commission constitutionnelle, les insuffisances de la surveillance sur place étaient principalement dues à l'absence de planification. Pour assurer une surveillance efficace il aurait fallu en prévoir les modalités et les arrêter en accord avec les autorités égyptiennes, avant l'expulsion des deux hommes. Il aurait fallu anticiper raisonnablement les difficultés qui se poseraient dans la surveillance avant de décider d'accepter les garanties et d'expulser les deux hommes vers leur pays d'origine. La Commission a relevé qu'un des éléments essentiels qui avaient conduit le Gouvernement suédois à conclure qu'il pouvait accepter les garanties était qu'il avait confiance dans la volonté de l'Égypte de démontrer qu'elle était un participant sérieux de la communauté internationale en respectant les obligations auxquelles elle avait souscrit, y compris celles découlant de la résolution 1373 adoptée par le Conseil de sécurité plusieurs semaines avant l'expulsion. La Commission ajoutait qu'elle n'était pas en mesure de savoir si les hommes avaient été soumis à la torture ou à d'autres traitements en violation des conventions. Néanmoins il y avait beaucoup d'éléments donnant à penser qu'il en avait été ainsi. Elle concluait qu'en tout état de cause il n'aurait pas fallu accepter les assurances.

3.29 En ce qui concernait l'exécution immédiate de la mesure d'expulsion, la Commission a noté que cette procédure était bien prévue par la loi mais elle se demandait si la décision n'avait pas été influencée par la crainte que les deux hommes ne demandent à un organe international l'application de mesures provisoires de protection avant que les expulsions n'aient pu être exécutées. Il était évidemment inacceptable qu'une telle crainte puisse entrer en ligne de compte. La Commission a relevé que les décisions avaient été notifiées aux intéressés par l'autorité exécutive tandis que les conseils avaient été avisés par lettre recommandée. La procédure était jugée correcte pour autant que le conseil ait été avisé par un moyen plus rapide.

3.30 En ce qui concernait les faits survenus à l'aéroport de Bromma, la Commission constitutionnelle n'avait pas compétence pour enquêter sur les actes de la police de sécurité, mais elle s'était concentrée sur la question de savoir si la Ministre des affaires étrangères alors en poste, Anna Lindh, n'avait pas exercé une influence indue sur la police de sécurité en indiquant quelle ligne d'action elle préférait. La Commission a relevé que, quand l'affaire avait été exposée au Ministère des affaires étrangères, le 17 décembre 2001, la Ministre avait été informée de la possibilité de renvoyer les deux hommes à bord d'un avion américain, et que la police de sécurité, lorsqu'elle avait décidé du mode de transport, avait également tenu compte de ce qu'elle pensait être la position de la Ministre à ce sujet. La Commission n'a pas pu déterminer avec certitude si la Ministre disposait de cette information le 17 décembre 2001 ou si d'autres services gouvernementaux en avaient connaissance à ce moment-là. La police de sécurité tenait un journal de ses réunions avec les ministres, mais il n'existait pas de document équivalent pour les autres services du Gouvernement.

3.31 La Commission constitutionnelle regrettait que les procédures de préparation des affaires gouvernementales soient telles qu'elles ne permettaient pas de savoir avec certitude ce qui s'était passé; mais il en était ainsi et il était donc beaucoup plus difficile de procéder à un contrôle ultérieur. Néanmoins, il ne semblait pas contestable que la possibilité d'une assistance étrangère, ne serait-ce que sous la forme de l'octroi de créneaux horaires, avait été évoquée pendant la présentation de l'affaire à la Ministre des affaires étrangères, ce qui soulevait la question de l'indépendance des autorités administratives. En droit suédois, aucune autorité (pas même le Parlement) ne peut déterminer la façon dont un organe administratif doit décider d'une affaire particulière s'agissant de l'exercice de l'autorité publique contre un individu. Parallèlement, la loi suédoise exige que le Ministre des affaires étrangères soit tenu informé quand une question importante pour les relations avec un État tiers ou avec une organisation intergouvernementale se pose à une autre autorité de l'État.

3.32 Concernant la décision du Gouvernement de procéder immédiatement aux expulsions, la Commission constitutionnelle a relevé qu'on s'était demandé si la Ministre des affaires étrangères, en exprimant pendant la présentation préalable à la réunion du cabinet sa préférence pour une expulsion le jour même, avait enfreint la règle de l'indépendance des organes administratifs. Pour la Commission, la principale question était de savoir ce que la Ministre avait entendu et dit, ce qu'elle voulait dire et comment cela devait être perçu. La Ministre ne pouvant être interrogée à ce sujet puisqu'elle était décédée, la Commission a conclu qu'elle n'était pas en mesure de se prononcer. Elle soulignait que la police de sécurité était responsable de la façon dont les expulsions avaient été menées.

3.33 Concernant l'épuisement des recours internes, l'auteur indique que la loi ne lui offrait aucune autre possibilité de recours contre la décision d'expulsion du 18 décembre 2001. Pour ce qui est de la procédure devant la Cour européenne, l'auteur fait valoir que, compte tenu en particulier de l'importance générale de l'affaire, le dépôt tardif de la requête par son avocat et la décision d'irrecevabilité rendue par la Cour européenne ne devraient pas conduire le Comité des droits de l'homme à rejeter sa communication. Si elle était rejetée, l'affaire ne pourrait être examinée par aucun organe international de défense des droits de l'homme. Quoi qu'il en soit, la présentation tardive de sa demande était justifiée par de très bonnes raisons. À son retour en Égypte, l'auteur a immédiatement été emprisonné, interrogé et torturé, d'abord par le Service égyptien du renseignement puis par les services de sécurité de l'État. Quand la requête a été déposée devant la Cour européenne, en 2002, son conseil de l'époque pensait qu'il avait besoin d'une procuration écrite, comme il était indiqué sur la formule de demande, mais de plus il voulait être certain que l'auteur approuvait sa démarche. Il y avait d'importantes considérations de sécurité en jeu, étant donné qu'une plainte devant un organe international risquait d'exposer M. Alzery à de nouveaux mauvais traitements et tortures en Égypte. Le conseil ne pouvait pas communiquer avec l'auteur et ne voulait pas non plus placer sa famille, d'un milieu modeste, dans une situation vulnérable et potentiellement dangereuse. Le conseil a eu une entrevue avec l'auteur après sa remise en liberté et a alors cherché à obtenir pour son client l'autorisation de retourner en Suède, vu qu'aucune charge n'avait été retenue contre lui et qu'il n'avait guère de perspectives de mener une vie normale en Égypte. Les négociations infructueuses qu'il avait menées à cette fin avaient encore retardé le dépôt de la requête devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Teneur de la plainte

4.1 L'auteur se dit victime de violations des articles 2, 7, 13 et 14 du Pacte et de l'article premier du Protocole facultatif.

4.2 L'auteur expose deux griefs principaux en vertu de l'article 7 du Pacte. Premièrement, il estime que son expulsion constitue une violation de l'article 7 au motif que la Suède savait ou aurait dû savoir qu'il courait réellement le risque d'être soumis à la torture, dans les circonstances de l'espèce, en dépit des assurances fournies. Deuxièmement, il fait valoir que le traitement qu'il a subi en Suède constitue une violation de cet article et que, compte tenu de l'inefficacité des enquêtes menées par la suite, la Suède ne s'est pas acquittée des obligations de procédure imposées par cet article.

Violation de l'interdiction de refoulement (art. 7 du Pacte)

4.3 L'auteur fait valoir que, dans le cas d'espèce, la Suède a violé l'obligation qui lui est faite, en vertu de l'article 7, de ne pas exposer un individu à un risque réel de torture par un tiers. Il fait observer que l'existence d'un tel risque est établie au moment de l'expulsion et qu'il n'est pas nécessaire de prouver que des actes de torture ont effectivement été commis ultérieurement, même si des renseignements sur la suite des événements sont utiles pour l'évaluation du risque initial. Dans le cas d'espèce, l'auteur affirme que les éléments concernant la façon dont il a été traité par la suite prouvent clairement qu'il existait au départ un risque réel de torture. Il estime que les assurances fournies, associées à des mécanismes de surveillance insuffisants pour le protéger contre des mauvais traitements, ou même pour détecter des mauvais traitements, constituaient une protection insuffisante contre le risque de préjudice. Il fait valoir que l'interdiction de refoulement est absolue et ne saurait être soumise à des considérations relatives à la sécurité nationale ou à la nature des actes dont est soupçonnée la personne concernée. À l'appui de ces conclusions, l'auteur renvoie à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Chahal c. Royaume-Uni (5) et à la décision du Comité contre la torture dans l'affaire Agiza c. Suède. (6)

4.4 En ce qui concerne les informations dont disposait ou était censée disposer la Suède au moment de l'expulsion, l'auteur fait valoir que la Suède connaissait bien la situation des droits de l'homme en Égypte. Dans ses rapports annuels à ce sujet, le Gouvernement suédois se déclare préoccupé par les actes de torture auxquels sont soumis les terroristes présumés, en particulier par les services de sécurité. Il critique également le recours aux tribunaux militaires pour juger des civils. D'autres sources dignes de foi affirment que la police et les services de sécurité torturent les détenus dans une impunité quasi totale et que les terroristes présumés courent un risque particulièrement grand d'être soumis à la torture ou à d'autres peines ou traitements cruels ou inhumains. L'auteur renvoie aux observations finales du Comité des droits de l'homme et du Comité contre la torture sur des questions connexes en Égypte portant sur un certain nombre d'années (7) ainsi qu'à des rapports critiques d'organisations nationales de défense des droits de l'homme et des sources internationales. Le Gouvernement savait aussi que le Président égyptien avait déclaré, et constamment renouvelé, l'état d'urgence depuis 1981 et que de nombreuses lois protégeant les droits de l'homme étaient de fait suspendues, ce qui permettait notamment de faire juger des civils par des tribunaux militaires. Le Gouvernement savait en outre que l'Égypte n'avait reconnu la compétence d'aucun organe conventionnel pour traiter les plaintes de particuliers et n'avait pas répondu à l'invitation d'organes internationaux de surveillance, notamment à celle du Rapporteur spécial sur la question de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.5 Dans son rapport de janvier 2001 à la Commission des droits de l'homme, (8) le Rapporteur spécial a cité 32 cas de décès en détention survenus entre 1997 et 1999 et manifestement dus à des actes de torture. Les aveux arrachés sous la torture étaient fréquemment utilisés comme éléments de preuve dans les procès politiques et fondaient les condamnations. Les victimes de torture n'avaient aucun recours effectif et peu de possibilités d'obtenir réparation: la plupart demandaient des indemnités financières auprès des tribunaux civils et obtenaient gain de cause, ce qui signifiait en pratique que les autorités reconnaissaient que des actes de torture avaient été commis. Mais rares étaient les victimes qui parvenaient à convaincre les autorités d'engager des poursuites pénales contre leurs bourreaux. Les quelques affaires portées devant les tribunaux les années précédentes avaient presque toutes débouché sur des acquittements ou des peines dérisoires. Enfin, d'après le Rapporteur spécial, si les signalements faisant état d'actes de torture commis sur des prisonniers politiques étaient depuis peu moins nombreux, la torture des délinquants de droit commun dans les postes de police restait monnaie courante.

4.6 L'auteur fait valoir que la Suède savait non seulement qu'il existait un risque général de torture, de mauvais traitements et de procès non équitable, mais aussi que lui-même courait personnellement ce risque. Les informations disponibles montrent clairement que le Gouvernement suédois savait qu'il contreviendrait à son obligation de non-refoulement s'il expulsait simplement l'auteur. C'est précisément pour cette raison qu'il avait décidé de négocier avec des représentants du Gouvernement égyptien et avait décidé, après avoir reçu les assurances requises de l'Égypte, de rejeter la demande d'asile et d'exécuter immédiatement l'arrêté d'expulsion. D'après l'auteur, les assurances fournies n'étaient pas suffisantes, même pour le protéger en théorie contre la torture ou des mauvais traitements. Outre que le Gouvernement suédois connaissait la situation des droits de l'homme en Égypte, il a expulsé l'auteur au motif qu'il présentait un risque pour la sécurité et qu'il était accusé d'actes terroristes en Égypte, ce qui l'exposait clairement au risque d'être torturé et d'être détenu au secret. L'auteur fait valoir que la Suède savait aussi que l'Égypte avait rejeté les demandes d'autres États visant à obtenir des assurances analogues et à instaurer des mécanismes de suivi effectifs dans les cas d'expulsion, conformément aux principes énoncés dans la décision rendue dans l'affaire Chahal. (9)

4.7 En outre, la décision d'expulser l'auteur a été prise non seulement après des négociations avec les autorités égyptiennes sur la teneur des assurances mais aussi après obtention de l'avis des ambassades du Royaume-Uni, des États-Unis et d'Allemagne au Caire. La Suède n'a pas non plus cherché à proposer des modifications au projet d'assurances des Égyptiens après la réunion tenue en décembre. La Suède aurait dû savoir également qu'un certain nombre de personnes d'origine égyptienne avaient été placées en détention après avoir été renvoyées en Égypte. En octobre 2001, par exemple, deux habitants de Bosnie possédant la double nationalité bosniaque et égyptienne avaient été déchus de leur citoyenneté et expulsés vers l'Égypte où ils avaient été condamnés à de longues peines d'emprisonnement et auraient été soumis à la torture. L'auteur fait valoir qu'on ne peut donc pas savoir quelle valeur pouvait réellement accorder le Gouvernement à ces assurances étant donné que celles-ci ne lui garantissaient pas un traitement particulier et positif par rapport à d'autres terroristes présumés. Au contraire, il a été traité comme toute personne soupçonnée d'être une menace pour la sécurité nationale. Toutes les lois en vigueur, y compris les lois relatives à la sécurité de l'État, lui étaient donc intégralement applicables.

4.8 L'auteur affirme que les assurances fournies présentaient plusieurs lacunes précises. Elles ne prévoyaient pas qu'un conseil soit nommé immédiatement après le retour de l'auteur, que ce conseil soit présent pendant les interrogatoires, que l'auteur puisse avoir fréquemment des entretiens privés et indépendants, sans surveillance, ou qu'il puisse être examiné par un médecin indépendant. Au contraire, à son retour en Égypte, l'auteur a été remis au Service égyptien du renseignement et a attendu cinq semaines avant de recevoir une première visite. La date des visites de l'ambassade était fixée à l'avance en concertation avec le directeur de la prison. Les visites étaient moins fréquentes pendant les mois d'été et la période de Noël, où elles avaient lieu tous les deux mois. Aucune des visites en prison n'a eu lieu en privé. L'auteur était conduit au bureau du directeur, où se trouvaient jusqu'à 10 responsables. Souvent, des responsables ont été invités à participer à la conversation avec les détenus, et à d'autres occasions ils sont intervenus spontanément pour faire part de leurs commentaires. L'ambassade n'a pas insisté pour que l'auteur soit examiné par un médecin, a fortiori un médecin ayant l'expérience des victimes de la torture. Elle n'a pas non plus demandé l'autorisation de faire venir à la prison un médecin pour examiner l'auteur. L'auteur était obligé de parler avec le personnel de l'ambassade par le truchement d'un interprète alors qu'il parle presque couramment le suédois. Le personnel de l'ambassade n'a pas été autorisé à lui rendre visite dans sa cellule. L'auteur affirme aussi qu'il ressort clairement des rapports de l'ambassade que les fonctionnaires manquaient d'expérience et de connaissances concernant la façon de parler et de se comporter des victimes de torture, les questions à leur poser et, de manière générale, les moyens de se faire une idée aussi exacte que possible de la situation. L'auteur affirme qu'il était inconsidéré de la part des autorités suédoises de s'adresser aux autorités égyptiennes pour évaluer la véracité des allégations de mauvais traitements. Hormis les visites de l'ambassade, l'auteur n'a reçu qu'une seule visite d'un avocat, en rapport avec sa première comparution devant un procureur.

4.9 L'auteur affirme que l'autre détenu et lui-même, après la première visite de l'Ambassadeur de Suède à qui tous deux se sont plaints de leur traitement, ont été soumis à des traitements cruels et inhumains dès que l'Ambassadeur eut quitté la prison. Par conséquent, ils n'ont plus parlé des mauvais traitements avant mars 2003. Au cours de l'hiver 2002/03, le Ministère suédois des affaires étrangères a nommé un envoyé spécial chargé de suivre les deux affaires. Lorsque l'envoyé spécial a rendu visite à l'auteur et au deuxième détenu en mars 2003, l'autre détenu a renouvelé ses allégations de mauvais traitements. L'auteur, interrogé ensuite séparément, n'a rien dit; d'après le rapport de l'ambassade, il a seulement demandé s'il devait répondre aux questions qui lui étaient posées et déclaré qu'il avait déjà dit tout ce qu'il avait à dire.

4.10 L'auteur fait donc valoir qu'aucune véritable procédure de surveillance n'a été mise en place au moment de l'expulsion et qu'aucun mécanisme approprié n'a été établi par la suite pour le protéger des mauvais traitements. De l'avis de l'auteur, la Suède n'a en fait même pas cherché à surveiller effectivement la mise en œuvre de l'accord. La seule chose qui ait fait l'objet d'un accord entre la Suède et l'Égypte était le droit pour les représentants suédois d'être présents à tout procès qui pourrait se tenir par la suite. Aucune disposition de l'accord ne porte sur le droit d'effectuer des visites en prison, ni sur la régularité de ces visites, la manière dont elles devaient être organisées ou les mesures qui seraient prises et les mécanismes qui seraient mis en place si une violation de l'accord était suspectée. De l'avis de l'auteur, l'État partie n'avait ni les compétences ni la volonté nécessaires pour surveiller comme il convenait sa situation, malgré les préoccupations exprimées par différents organes nationaux et internationaux. Au lieu de remédier à la situation, le Gouvernement suédois a affirmé que le mécanisme de surveillance fonctionnait et que rien ne permettait de penser que l'Égypte contrevenait à l'accord.

4.11 L'auteur suggère que l'absence de mécanisme de surveillance est due au fait que la Suède pensait pouvoir compter simplement sur la bonne foi du Gouvernement égyptien pour éviter qu'on lui reproche de violer ses obligations internationales. Au cours de l'audition devant la Commission constitutionnelle, le Secrétaire d'État suédois a expressément déclaré que la Suède, après l'expulsion, ne pouvait s'immiscer dans ce qu'elle considérait comme une question interne d'un État, l'auteur étant un ressortissant égyptien détenu en Égypte. L'Ambassadeur avait expliqué précédemment que s'il avait attendu cinq semaines avant de demander à voir les deux détenus, après leur renvoi en Égypte, c'était parce que le faire plus tôt aurait été perçu comme un manque de confiance dans la volonté de l'Égypte de respecter l'accord. L'auteur affirme que, parce qu'elle avait conclu un accord avec l'Égypte, non seulement la Suède voulait croire que cet accord serait respecté, mais elle a aussi agi de telle sorte que les lacunes de l'accord ne soient pas dévoilées. Ce comportement montre les faiblesses inhérentes aux accords diplomatiques relatifs à la protection des droits fondamentaux des particuliers. La diplomatie ne peut pas protéger efficacement les personnes contre des mauvais traitements illicites. Comme on l'a vu plus haut, les deux États risquent d'être accusés d'avoir violé l'interdiction absolue de torture, et rien n'incitait à révéler des signes de mauvais traitements ou des informations à ce sujet. En mai 2004, lorsque la Suède a demandé en vain une enquête, les autorités égyptiennes se sont montrées peu favorables à la proposition visant à autoriser un individu ou un organe indépendant étranger à enquêter sur les allégations de mauvais traitements. Les autorités suédoises, tout en exprimant leur déception, n'ont rien pu faire d'autre. L'auteur note à cet égard que les assurances n'ont aucune valeur légale en Égypte et qu'il ne peut les faire appliquer ou les utiliser en tant que document juridique.

4.12 L'auteur met en cause le fait que le Gouvernement suédois ait agi de bonne foi en l'expulsant. Il relève que le Gouvernement suédois non seulement a fait exécuter immédiatement l'arrêté d'expulsion, ce qui a empêché l'auteur de saisir des organes internationaux, peu après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, mais en outre il n'a guère hésité à autoriser une opération clandestine de la Central Intelligence Agency (CIA) sur son territoire. La police de sécurité suédoise a été informée que les hommes seraient soumis à un contrôle de sécurité, mais n'a pas demandé en quoi ce contrôle consisterait. Elle a aussi été informée que les agents de la CIA porteraient des masques et des cagoules et l'a accepté. Il n'y avait aucun haut responsable suédois à l'aéroport de Bromma et les agents chargés de l'expulsion ont cédé l'autorité et le contrôle aux agents étrangers. L'auteur estime comme l'Ombudsman parlementaire que le traitement qu'il a subi sur le territoire suédois aurait pu être prévu en raison de la situation mondiale qui régnait à l'époque. Il souligne aussi que l'opération dont il a fait l'objet était menée conjointement par l'Égypte et les États-Unis, des agents égyptiens et américains étant présents à l'aéroport de Bromma comme à bord de l'avion. L'auteur affirme que le risque de mauvais traitements était donc bien clair et s'est effectivement concrétisé sur le territoire suédois et qu'il était donc vital de mettre en place un système de surveillance rapide et efficace dès son arrivée en Égypte.

Traitements subis à l'aéroport de Bromma (art. 7 du Pacte)

4.13 L'auteur affirme que les traitements qu'il a subis à l'aéroport de Bromma, tels qu'ils sont décrits plus haut au paragraphe 3.11, sont imputables à la Suède puisque les autorités suédoises n'ont rien fait pour les empêcher alors qu'elles en avaient le pouvoir, et qu'ils constituent une autre violation des droits consacrés à l'article 7 du Pacte. En outre, les déficiences et l'inefficacité de l'enquête menée à ce sujet constituent une violation du même article sur le plan de la procédure. Concernant la question de savoir si les traitements sont imputables à la Suède, l'auteur note que les autorités suédoises ont permis qu'ils aient lieu, sans chercher à les empêcher ou à les faire cesser.

Insuffisance de l'enquête menée sur les allégations de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7 du Pacte)

4.14 En ce qui concerne l'enquête, l'auteur affirme que les traitements qu'il a subis n'ont pas fait l'objet d'une enquête rapide et indépendante et qu'aucune responsabilité n'a été attribuée à qui que ce soit, ne serait-ce que sous forme de blâme. Les actes illicites commis par les agents étrangers n'ont fait l'objet d'aucune enquête pénale, malgré les plaintes déposées auprès des autorités compétentes. Il n'entrait pas dans le mandat de l'Ombudsman d'ouvrir une enquête ou de faire engager des poursuites pour les actes illicites commis par des étrangers sur le territoire suédois. L'auteur note que la plainte pénale déposée en 2004 couvrait tous les actes criminels susceptibles d'avoir eu lieu à l'aéroport de Bromma, y compris ceux commis par des agents étrangers et, indirectement, par le Gouvernement suédois. Le Procureur a toutefois mis rapidement un terme à l'enquête. L'enquête entreprise auparavant par le Ministère de la justice, en avril 2002, avait elle aussi débouché sur la conclusion qu'aucun délit n'avait été commis à l'aéroport de Bromma. En dépit des conclusions présentées par l'Ombudsman au terme de son enquête, en mars 2005, le ministère public s'en est tenu à sa première appréciation et a refusé de rouvrir l'enquête, arguant qu'il ne pouvait pas annuler la décision de l'Ombudsman de ne pas engager de poursuites contre des agents de la force publique. Or la principale raison pour laquelle l'Ombudsman n'avait pas engagé de poursuites était que, comme le Procureur avait précédemment décidé de ne pas intenter de poursuites, il avait mené une enquête ouverte et non une enquête pénale, et n'avait donc pas informé les policiers qui avaient été entendus que leurs déclarations pouvaient être retenues contre eux par un tribunal. En outre, comme il l'a indiqué lui-même, l'Ombudsman considérait que la police de sécurité avait tiré des enseignements de l'expérience et n'a pas souhaité passer d'une enquête purement informative à une procédure pénale.

4.15 L'auteur observe que, dans son enquête, l'Ombudsman n'a pas examiné la question des responsabilités de commandement des hauts responsables. Il n'a pas non plus interrogé les agents étrangers, car il n'y était pas habilité. De l'avis de l'auteur, les critiques de l'Ombudsman quant au caractère illicite de certains faits − plus particulièrement des opérations menées par des agents étrangers sur le territoire suédois sans autorisation officielle et le traitement infligé à l'auteur, qui constitue pour le moins un traitement dégradant au regard du droit international − auraient dû suffire à amener le Procureur général à rouvrir l'enquête pénale.

Exposition au risque de procès manifestement inéquitable (art. 14 du Pacte)

4.16 L'auteur fait valoir que son expulsion constitue une violation de l'article 14 du Pacte car, dans les circonstances de l'espèce, il a été exposé au risque de procès inéquitable. Il rappelle qu'il avait quitté l'Égypte en 1991 en raison des persécutions dont faisaient l'objet les personnes appartenant à des organisations d'opposition islamistes et du traitement dont il avait déjà été victime. Il craignait d'être placé en détention en vertu de la législation d'exception en vigueur et d'être interrogé sous la torture, comme l'avaient été de nombreuses personnes dans la même situation que lui. L'auteur affirme que le Gouvernement suédois lui a refusé la protection due aux réfugiés en raison de son association présumée avec des groupes islamistes en Égypte, alors qu'il ne pouvait pas prouver une telle association.

4.17 L'auteur fait valoir que, au moment de son expulsion, le Gouvernement suédois n'était pas au courant de sa situation en Égypte et pensait, pour des raisons que l'auteur ignore, qu'il avait été condamné à sept ans de prison. Ce n'est qu'en mars 2003 que l'ambassade a signalé au Gouvernement qu'elle pensait avoir reçu des informations sur la véritable situation de l'auteur, à savoir que depuis 1993 il était soupçonné, avec 250 autres personnes, d'appartenir à une organisation interdite qui se livrait à des activités terroristes. L'auteur rappelle que lui-même n'a été informé de cette affaire qu'à la fin de 2002 et qu'il n'a jamais été poursuivi ou jugé pour des activités criminelles ou des atteintes à la sécurité.

4.18 L'auteur fait valoir que, malgré ce qui précède, le Gouvernement suédois a toujours maintenu, lors des auditions publiques comme des auditions privées, qu'il était exact que l'auteur entretenait des liens avec des terroristes et qu'il avait une responsabilité dans des crimes graves, ce qui soulève également des questions en lien avec la présomption d'innocence. Devant la Commission constitutionnelle du Parlement, il a été suggéré que l'auteur était l'un des dirigeants d'une organisation terroriste en Égypte et qu'il était impliqué dans des crimes graves. L'auteur affirme avoir été pris dans une vague générale d'hystérie antiterroriste, relevant qu'il n'a jamais vu l'intégralité de l'évaluation faite par la police de son cas. Il estime que sa libération sans inculpation, malgré les interrogatoires et les actes de torture auxquels il a été soumis à son retour en Égypte, confirme qu'il était innocent des faits qui lui étaient reprochés, c'est-à-dire ses relations avec une organisation terroriste.

4.19 L'auteur note que, dans ses négociations avec l'Égypte, le Gouvernement suédois n'a jamais exigé que l'auteur soit jugé par un tribunal civil, se contentant de demander qu'il ait droit à un procès équitable. Il pense que cela s'explique par des précédents dans lesquels l'Égypte avait rejeté les demandes d'autres États qui souhaitaient obtenir l'assurance d'un procès civil. (10) Les moyens de garantir un procès équitable n'ont pas été examinés, la Suède ayant simplement demandé à assister à tout nouveau procès. L'auteur note que la personne qui a été expulsée en même temps que lui en bénéficiant des mêmes assurances a par la suite été jugée par un tribunal militaire dans des conditions manifestement inéquitables et que la Suède n'a pas été autorisée à surveiller le procès. De même, aucun représentant suédois n'était présent lorsque l'auteur comparaissait devant le Procureur. De l'avis de l'auteur, la Suède savait parfaitement que s'il passait en jugement ce ne pourrait être que devant un tribunal militaire ou une juridiction d'exception, avec un risque inhérent réel de procès inéquitable. Ces procès, courants depuis 1992 dans les affaires liées au terrorisme, sont parfois des procès collectifs et, très souvent, ne répondent pas aux normes internationales relatives à un procès équitable, même lorsque les accusés risquent la peine de mort Les éléments de preuve, notamment les aveux, obtenus sous la contrainte, la menace ou la torture, sont admis et les personnes détenues en vertu de la législation d'exception qui ne sont pas jugées ne sont libérées qu'après avoir fait des aveux ou fourni les renseignements demandés, souvent les noms d'autres personnes qui seront à leur tour arrêtées et interrogées. L'auteur fait valoir que la déclaration faite en 2005 par la Ministre suédoise des affaires étrangères, selon laquelle la personne expulsée en même temps que lui aurait dû être jugée par un tribunal civil, la procédure militaire n'ayant pas été équitable, montre que la Suède avait au départ admis que les procédures des tribunaux militaires égyptiens pouvaient être équitables et que l'auteur serait jugé par un tel tribunal.

4.20 L'auteur reconnaît qu'à ce jour la jurisprudence du Comité n'a pas étendu la protection contre le refoulement aux cas de procès inéquitable mais il invite le Comité à suivre l'approche de la Cour européenne des droits de l'homme à cet égard.(11) Il souligne qu'il y a un lien étroit entre le droit à un procès équitable et le droit de ne pas être soumis à la torture car il est reconnu que la détention prolongée avant le procès, souvent au secret, favorise le risque de torture. C'est particulièrement vrai dans les cas où, comme en l'espèce, les éléments de preuve obtenus sous la torture sont systématiquement utilisés dans la procédure qui suit. L'auteur rappelle que les visites que lui ont faites des représentants suédois alors qu'il était détenu n'ont pas supprimé le risque de torture ni empêché qu'il soit effectivement torturé au cours des deux premiers mois.

4.21 Compte tenu de ce qui précède, l'auteur fait valoir que la Suède, en l'expulsant sur la base d'allégations d'activités terroristes non fondées, dont il n'a pas été informé et qu'il n'a donc pas pu contester, et en ne veillant pas à ce qu'il bénéficie d'un procès équitable devant un tribunal non militaire, a violé les droits consacrés par l'article 14 du Pacte. En conclusion, il note que son cas aurait pu être facilement traité comme une affaire d'extradition, ce qui aurait permis un réexamen de la décision par les tribunaux suédois. Il fait valoir en outre que, compte tenu de la gravité des crimes présumés, il aurait également pu être poursuivi devant les tribunaux de la Suède en vertu de sa compétence nationale et de la compétence universelle pour de tels crimes.

Déficiences de la procédure d'expulsion d'un étranger et insuffisance et inefficacité des recours (art. 2 et 13 du Pacte)

4.22 L'auteur fait valoir que la procédure suivie pour son expulsion constitue une violation des articles 13 et 2 du Pacte. Il note qu'en vertu de la loi sur les étrangers, dans sa rédaction de l'époque, une question relative à l'asile peut être portée à l'attention du Gouvernement si l'on estime qu'il en va de la sécurité publique ou nationale ou si la question est susceptible d'affecter les relations de l'État avec une puissance étrangère ou une organisation intergouvernementale. Ces dispositions donnent au Gouvernement toute latitude de confronter les considérations relatives à la sécurité nationale et le droit de protection de la personne concernée. Aucun tribunal ou autre organe indépendant ne peut statuer sur des questions de sécurité nationale avant que le Gouvernement ait rendu sa décision. Le Gouvernement décide en premier et dernier ressort, sa décision ne pouvant faire l'objet de recours. Les questions traitées en vertu de cette procédure étant classées secrètes, les informations sur lesquelles se fonde la décision (l'appréciation de la police de sécurité) ne sont normalement pas communiquées au demandeur d'asile, ni à son conseil ou au public. Même si certains renseignements peuvent être fournis au demandeur d'asile et à son conseil, aux strictes conditions d'une ordonnance de non-divulgation, les motifs sur lesquels se fonde l'évaluation sont souvent décrits uniquement en termes généraux et ne sont pas suffisamment précisés pour que l'intéressé puisse les contester. Dans le cas de l'auteur, la seule partie de l'évaluation de la police de sécurité qui ait été communiquée, en vertu d'une ordonnance de non-divulgation, portait sur les informations que l'auteur avait lui-même fournies lorsqu'il avait été interrogé. De manière générale, l'intéressé n'a pas non plus le droit de présenter son cas aux ministres ou aux responsables gouvernementaux qui prennent la décision, ce qui réduit encore ses chances de faire valoir des arguments contre l'expulsion. L'auteur a expressément sollicité un entretien privé pour exposer son cas au Gouvernement, mais sa demande a été rejetée.

4.23 Rappelant que le Comité, à l'occasion de l'examen du quatrième rapport périodique de l'État partie, avait critiqué cette impossibilité pour les intéressés de faire entendre leur cause, (12) l'auteur affirme que la procédure ne satisfait pas aux exigences de l'article 13 du Pacte. Tout en reconnaissant que l'article 13 permet aux États parties d'expulser un demandeur d'asile sans lui donner la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire réexaminer son cas si «des raisons impérieuses de sécurité nationale» s'y opposent, l'auteur affirme que cette exception doit être interprétée de manière restreinte de façon à respecter l'objet et l'esprit du Pacte. La disposition doit aussi être lue à la lumière des principes établis en ce qui concerne les droits procéduraux des demandeurs d'asile, tels qu'ils découlent de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et de ses protocoles. Dans son manuel et dans les directives publiées récemment sur les règles relatives à l'expulsion qui sont énoncées dans la Convention, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) définit les garanties procédurales minimales dont devraient bénéficier les demandeurs d'asile, même ceux qui sont soupçonnés des crimes les plus graves. Les directives disposent que, compte tenu du caractère exceptionnel d'une exclusion et de ses graves conséquences pour l'intéressé, il est essentiel que des garanties procédurales strictes soient incluses à ce sujet dans la procédure de détermination du statut de réfugié. Il convient de prendre comme référence les garanties procédurales considérées comme nécessaires dans la détermination du statut de réfugié en général: examen de chaque cas; possibilité donnée au requérant d'examiner et de commenter les preuves sur lesquelles se fonde l'exclusion envisagée; assistance juridique; mise à disposition d'un interprète compétent si nécessaire; communication par écrit des motifs de l'exclusion; droit de recours contre la décision d'exclusion auprès d'un organe indépendant; sursis à l'expulsion jusqu'à épuisement de toutes les voies de recours contre la décision d'exclusion.

4.24 L'auteur fait valoir que ces conditions n'ont pas été remplies dans son cas et que les informations sur lesquelles le Gouvernement a fondé son évaluation des risques pour la sécurité devaient être fausses. Il ajoute que l'appartenance à une organisation criminelle − qu'il réfute − n'est pas en soi une condition suffisante pour imputer les actes de cette organisation à un individu, et pour refuser à celui-ci la protection due aux réfugiés. L'auteur note qu'avant d'être arrêté et expulsé, le 18 décembre 2001, il n'avait pas été détenu, ni soumis à des contrôles particuliers de sécurité ou traité comme s'il présentait un risque réel pour la sécurité: il résidait légalement en Suède, avait l'autorisation de travailler et pouvait en principe mener une vie normale d'homme libre dans ce pays. Le Conseil des migrations a porté sa demande d'asile à l'attention du Gouvernement après que la police de sécurité eut jugé qu'il présentait un risque pour la sécurité. Cela étant, la majeure partie des informations relatives à sa dangerosité présumée n'a pas été communiquée à l'auteur ni à son conseil. N'ayant pas eu accès à l'ensemble de l'évaluation de la police de sécurité, l'auteur suppose que la seule raison pour laquelle il a été expulsé est qu'il figurait sur une liste de personnes «recherchées» en Égypte et, sans doute, aux États-Unis. Comme la nature des accusations n'a jamais été révélée et qu'on ne sait pas quelles informations la police de sécurité suédoise a jugées crédibles, il était très difficile pour l'auteur de réfuter les accusations et de faire part de sa crainte que les informations fournies ne soient faussées, par exemple parce qu'elles avaient été obtenues sous la torture. Soulignant que même après une longue période de détention en Égypte il n'a jamais été inculpé, l'auteur suggère que le Gouvernement suédois s'est appuyé trop volontiers sur les informations fournies par ses services de sécurité, qui eux-mêmes s'étaient fondés sur les renseignements communiqués par les services de renseignements étrangers, sans faire preuve de la diligence nécessaire. Aujourd'hui encore comme au jour de son expulsion, l'auteur ignore pourquoi les autorités ont considéré qu'il présentait un risque pour la sécurité de la Suède.

4.25 L'auteur qualifie d'«unilatérale» la compétence générale du Gouvernement dans les questions de sécurité nationale en rapport avec une demande d'asile, même lorsque l'individu risque d'être soumis à la torture ou à un autre traitement cruel ou inhumain, à la peine de mort ou à d'autres formes de persécution. Lors de la rédaction de la loi actuelle sur les étrangers, comme dans le rapport de la Commission gouvernementale de 1999 proposant une modification des dispositions relatives à la compétence et au règlement concernant les questions d'asile, les commentateurs ont formulé une mise en garde: «Si … une personne peut prétendre de manière plausible qu'il y a eu violation des droits consacrés par le Pacte et si le Gouvernement a pris une décision en premier et dernier ressort, cette personne a été privée du droit à un recours effectif consacré à l'article 13 (de la Convention européenne).». (13)

4.26 Invitant le Comité à adopter une approche analogue, l'auteur se réfère à la recommandation 98 (13) du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, qui décrit l'article 13 (droit à un recours effectif), dans le contexte de l'article 3 (interdiction de la torture), comme suit:

«1. Tout demandeur d'asile s'étant vu refuser le statut de réfugié et faisant l'objet d'une expulsion vers un pays concernant lequel il fait valoir un grief défendable prétendant qu'il serait soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants doit pouvoir exercer un recours effectif devant une instance nationale.
2. Dans le cadre de l'application du paragraphe 1 de la présente recommandation, tout recours devant une instance nationale est considéré effectif lorsque:

2.1 L'instance est juridictionnelle; ou, si elle est quasi juridictionnelle ou administrative, lorsqu'elle est clairement identifiée et composée de membres impartiaux jouissant de garanties d'indépendance;

2.2 L'instance est compétente tant pour décider de l'existence des conditions prévues par l'article 3 de la Convention que pour accorder un redressement approprié;

2.3 Le recours est accessible au demandeur d'asile débouté; et

2.4 L'exécution de l'ordre d'expulsion est suspendue jusqu'à ce qu'une décision soit rendue en vertu du paragraphe 2.2.».

4.27 L'auteur recommande au Comité l'approche adoptée sur cette question par le Comité contre la torture dans l'affaire analogue Agiza c. Suède, à propos de laquelle le Comité contre la torture a déclaré (par. 13.8):
«Le Comité fait observer qu'en temps normal l'État partie assure avec son Conseil des migrations et sa Commission de recours des étrangers un mécanisme d'examen des décisions d'expulsion satisfaisant aux prescriptions de l'article 3 prévoyant l'examen effectif, indépendant et impartial d'une décision d'expulsion. En l'espèce cependant, du fait de préoccupations tenant à la sécurité nationale, ces tribunaux ont abandonné l'affaire du requérant au Gouvernement, qui a pris la décision initiale et en même temps finale, de l'expulser. Le Comité souligne qu'il n'y a eu aucune possibilité d'examen, d'aucune sorte, de cette décision. Il rappelle que les protections prévues par la Convention sont absolues, même en cas de préoccupation touchant la sécurité nationale, et que de telles considérations font ressortir l'importance de mécanismes d'examen appropriés. Si des préoccupations en matière de sécurité nationale peuvent justifier que des ajustements soient apportés à la procédure particulière d'examen, le mécanisme choisi doit continuer de répondre aux prescriptions de l'article 3 prévoyant un examen effectif, indépendant et impartial. Par conséquent, en l'espèce, au vu des renseignements dont il dispose, le Comité conclut que l'absence de toute possibilité d'examen judiciaire ou administratif indépendant de la décision du Gouvernement d'expulser le requérant constitue un manquement à l'obligation de procédure d'assurer l'examen effectif, indépendant et impartial requis par l'article 3 de la Convention [contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants].».
4.28 L'auteur fait valoir que, outre que le Gouvernement n'a pas satisfait aux conditions énoncées à l'article 13, sa compétence en tant que premier et dernier organe décisionnel, alors même que des questions de torture étaient en jeu, constitue une violation de l'article 2 du Pacte, tel qu'interprété dans les Observations générales nos 20 et 31, qui impose un recours utile. L'exclusion des possibilités de réexamen contrevient à l'obligation d'offrir un recours utile et exécutoire en cas de violation d'un droit consacré par le Pacte.

Violation du droit de présenter une plainte individuelle effective (premier Protocole facultatif, art. 1)

4.29 L'auteur fait valoir que l'exécution de la décision du Gouvernement dans un délai de quelques heures, et sans que lui-même ni son conseil n'en soient avertis, l'a empêché d'exercer le droit de plainte, y compris de demander des mesures provisoires de protection, garanti à l'article premier du Protocole facultatif. Par conséquent, il a subi un préjudice irréparable. L'auteur souligne que, le 14 décembre 2001, son conseil suédois (de l'époque) avait informé le Gouvernement de son intention d'engager un recours devant des organes internationaux en cas de décision défavorable. Il affirme que la précipitation avec laquelle il a été expulsé avait pour but de prévenir une telle éventualité. Il ajoute que dans les jours précédant l'expulsion son conseil n'a pas reçu la totalité des rapports de sécurité et n'a pas davantage été informé des négociations avec l'Égypte ni du calendrier d'exécution de la décision du Gouvernement. De fait, les responsables ont expressément refusé d'accéder aux demandes du conseil qui souhaitait se voir communiquer les rapports pertinents. Lorsque la conversation téléphonique entre le conseil et l'auteur a été interrompue, le 18 décembre 2001, le conseil a contacté le Ministère des affaires étrangères et s'est entendu dire qu'aucune décision n'avait été prise. Il n'a appris la décision qu'après l'expulsion, par lettre recommandée.

4.30 La police de sécurité de son côté avait aussi prévu d'exécuter dans les meilleurs délais l'arrêté d'expulsion. Elle a informé le Ministère des affaires étrangères qu'un avion était disponible pour expulser l'auteur vers l'Égypte le 19 décembre 2001, mais le Gouvernement a estimé que cela n'était pas assez rapide. La police de sécurité a alors présenté au Gouvernement une proposition qu'elle avait reçue des États-Unis, visant à mettre à la disposition de la Suède un avion de la CIA qui avait l'autorisation d'atterrir au Caire le 18 décembre. L'auteur fait valoir qu'il apparaît donc clairement que la police de sécurité savait que la décision d'expulsion allait être prise ce jour-là et qu'elle se tenait prête à agir immédiatement. Compte tenu de ces faits ainsi que de la décision rendue dans l'affaire Agiza c. Suède, selon laquelle des faits équivalents constituaient une violation du droit de plainte en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l'auteur fait valoir qu'il est victime d'une violation similaire de l'article premier du Protocole facultatif.

Observations de l'État partie sur la recevabilité

5.1 Par une note verbale datée du 10 octobre 2005, l'État partie a contesté la recevabilité de la communication pour trois motifs. Premièrement, il doutait que la communication ait véritablement été soumise au nom de M. Alzery, pensant que celui-ci pourrait n'avoir appris que récemment qu'une communication avait été déposée en son nom. On ne savait pas très bien si l'avocate qui représentait actuellement l'auteur avait été autorisée par son client à porter l'affaire devant le Comité (voir plus loin par. 7).

5.2 Deuxièmement, l'État partie faisait valoir que la communication était irrecevable du fait de la réserve qu'il avait émise dans le cas des communications quand la même question était en cours d'examen ou avait été examinée en vertu d'une autre procédure internationale d'enquête ou de règlement. L'État partie notait que l'auteur avait présenté à la Cour européenne des droits de l'homme des plaintes pour torture, mauvais traitements et risque de mort, ainsi que pour absence d'accès aux tribunaux et à un recours effectif, qui avaient été déclarées irrecevables pour dépassement du délai. L'État partie faisait valoir que les deux plaintes portaient sur la même question, découlaient des mêmes faits et reposaient sur les mêmes arguments de droit. La réserve visait en outre à éviter de «faire appel» d'une décision de la Cour européenne auprès du Comité. De l'avis de l'État partie, on pouvait se demander si une décision du Comité des droits de l'homme de ne pas déclarer irrecevable la communication pour ce motif ne risquait pas de jeter le discrédit sur la Cour et sur la décision qu'elle avait prise. Contrairement à ce qui s'était passé dans l'affaire O. F. c. Norvège, (14) dans laquelle le Comité avait établi qu'une réserve d'ordre procédural ne l'empêchait pas d'examiner une communication dans le cas où le secrétariat de la Commission européenne avait avisé que des problèmes de recevabilité étaient probables, ici la Cour avait expliqué longuement les motifs pour lesquels elle avait déclaré l'affaire irrecevable.

5.3 Troisièmement, l'État partie soulevait la question du temps écoulé avant le dépôt de la communication qui d'après lui représentait un abus du droit de plainte. Il notait que si le retard ne constituait pas en soi un abus, le Comité en attendait une justification raisonnable. (15) L'État partie appelait l'attention sur le fait que l'auteur semblait avoir attendu que le Comité contre la torture ait rendu sa décision dans l'affaire parallèle (Agiza c. Suède), le 20 mai 2005, avant de soumettre sa communication. À son avis, le temps écoulé entre le 18 décembre 2001, date de l'expulsion, et le 29 juillet 2005, date de la communication, était excessif et n'avait pas de justification acceptable. Cela était d'autant plus vrai pour la période séparant la remise en liberté de l'auteur − en octobre 2003 − et la date de la communication − en juillet 2005 − et encore plus pour la période écoulée entre octobre 2004, date de la décision de la Cour européenne, et juillet 2005. L'État partie ne voyait pas de raison qui pouvait empêcher l'auteur de s'adresser au Comité le plus tôt possible après la décision de la Cour européenne − les faits de la cause avaient déjà été présentés et les arguments de droit avaient été développés devant la Cour et pouvaient donc être utilisés devant le Comité.

5.4 L'État partie rappelait également l'argumentation détaillée de la Cour européenne, qui avait analysé le temps écoulé avant le dépôt de la requête, estimant que cette argumentation était importante dans le contexte de la communication soumise au Comité. Dans ce contexte et compte tenu de la jurisprudence du Comité, qui avait accepté qu'une communication pouvait être rejetée faute d'avoir été soumise dans un délai raisonnable, l'État partie faisait valoir que déclarer la communication recevable risquait de jeter le discrédit sur la Cour européenne et ses décisions. Dans l'intérêt de la sécurité juridique, l'État partie avançait donc que la présente affaire faisait apparaître un abus du droit de plainte.

5.5 En outre, en ce qui concernait ce qui s'est passé à l'aéroport de Bromma et le fait que les mesures nécessaires n'auraient pas été prises (art. 7) et en ce qui concernait les dispositions de la législation suédoise relatives à la torture (art. 7), l'État partie objectait que les griefs de l'auteur n'étaient pas suffisamment étayés. Pour ce qui était du grief de violation de l'article 14, l'État partie ne comprenait pas pourquoi le droit à un procès équitable serait invoqué étant donné qu'il n'y avait pas eu de procès, ni en Égypte ni en Suède. Le grief était donc hypothétique et l'auteur n'avait pas de motif suffisant pour se déclarer victime. De plus, comme il n'y avait pas eu de chef d'inculpation qui pouvait entraîner l'application de l'article 14, la communication était irrecevable ratione materiae.

Commentaires du conseil concernant les observations de l'État partie sur la recevabilité

6.1 Le conseil de l'auteur a répondu par une lettre datée du 10 janvier 2006 et a contesté les observations de l'État partie. Pour ce qui est de la question de sa qualité pour agir, elle faisait valoir qu'elle avait plein pouvoir pour soumettre la communication au nom de M. Alzery. La procuration de janvier 2004 faite au précédent conseil suédois donnait à ce dernier le droit d'agir dans toute procédure au nom de M. Alzery et de désigner toute autre personne pour le représenter. Si l'on voulait contester la validité de la procuration actuelle, on devait aussi invalider la procuration précédente faite en janvier 2004. Le conseil faisait valoir toutefois qu'un principe général de droit voulait qu'une procuration soit valable tant qu'elle n'avait pas été retirée, chose qui devait être prouvée par des éléments suffisants et objectifs, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Elle ajoutait que le fardeau de la preuve incombait à l'État partie qui devait démontrer que les circonstances avaient changé. Quoi qu'il en soit, elle joignait une attestation écrite du premier conseil de M. Alzery qui confirmait qu'elle avait toujours qualité pour agir.

6.2 Le conseil contestait ensuite l'opportunité de la démarche de l'État partie qui avait pris contact avec un plaignant dans une affaire en cours pour poser des questions sensibles au sujet des griefs formulés, au lieu de s'adresser au représentant légal du plaignant. D'après le conseil, cette démarche avait placé M. Alzery dans une situation «de grand péril» et l'État partie avait ainsi cherché à faire pression sur M. Alzery et à déterminer s'il était toujours en contact avec son avocat et, dans l'affirmative, de quelle façon. Les circonstances dans lesquelles M. Alzery avait été remis en liberté étaient telles qu'il n'était pas possible d'apporter une preuve définitive des intentions de M. Alzery sans risque de lui porter préjudice, en particulier eu égard aux faits révélés quand le conseil suédois lui avait rendu visite (voir plus haut par. 3.19). Étant donné les circonstances, la volonté et la capacité du conseil de rencontrer son client étaient également très limitées. Le conseil contestait en outre que l'ambassade de Suède ait été régulièrement en contact avec M. Alzery.

6.3 Le conseil indiquait qu'une fois que le Ministère des affaires étrangères avait informé l'ancien conseil de M. Alzery des contacts qu'il avait eus avec ce dernier au sujet de la communication (voir par. 4.1), un haut fonctionnaire du Ministère avait déclaré qu'il estimait probable que le téléphone de M. Alzery était sur écoute mais que l'ambassade avait affirmé qu'il pouvait très bien parler de ces questions au téléphone sans mettre M. Alzery en danger. En octobre 2005, l'ancien conseil avait eu avec M. Alzery une communication dont le conseil actuel pensait qu'elle n'avait pas été interceptée, au cours de laquelle il l'avait interrogé sur l'appel téléphonique de l'ambassade, lui demandant notamment s'il était vrai qu'il avait déclaré ne pas avoir connaissance du projet de saisir le Comité des droits de l'homme et être opposé à cette démarche. M. Alzery avait d'abord donné l'assurance qu'il voulait bien que sa plainte soit examinée par le Comité des droits de l'homme puis avait indiqué que la personne qui l'avait appelé était l'interprète employé par l'ambassade. Les deux hommes avaient donc parlé en arabe mais, d'après M. Alzery, l'interprète ne traduisait pas leur conversation en suédois, langue que M. Alzery connaît bien. Il n'entendait personne, derrière, parler ou poser des questions. D'après M. Alzery, l'interprète s'était mis à parler de la décision du Comité contre la torture dans l'affaire Agiza, et lui aurait dit que cette décision était «une bonne chose» pour lui aussi. L'interprète avait ensuite continué sur le même sujet en demandant à M. Alzery s'il avait l'intention de se prévaloir de la décision du Comité contre la torture, ce à quoi M. Alzery avait répondu que son avocat en Suède s'occupait de toutes les questions d'ordre juridique.

6.4 Pour ce qui était de l'argument selon lequel le Comité était empêché d'examiner la communication à cause de la réserve émise par l'État partie, le conseil renvoyait à la jurisprudence du Comité qui avait établi que le rejet d'une affaire pour des motifs d'ordre purement procédural, comme la règle des six mois appliquée en l'espèce par la Cour européenne, n'équivalait pas à un «examen» de l'affaire au sens de la réserve. Quoi qu'il en soit, la communication soumise au Comité contenait des griefs de violation des articles 13 et 7 du Pacte (relativement au traitement subi à l'aéroport de Bromma et à l'absence d'enquête rapide et indépendante sur les violations de la part de l'État partie) qui n'avaient pas été soulevés devant la Cour européenne. Les griefs de violation des articles 2, 14 et 7 du Pacte (relativement au principe du non-refoulement) étaient en outre beaucoup plus développés qu'il n'était possible de le faire devant la Cour européenne. Le conseil niait que M. Alzery ait jamais cherché à utiliser ou ait l'intention d'utiliser les mécanismes internationaux de plainte de façon incompatible avec l'objet et le but des traités, ou qu'une décision du Comité jetterait d'une quelconque manière le discrédit sur la Cour européenne.

6.5 En ce qui concernait l'argument du retard injustifié mis à soumettre la communication, le conseil répondait que dans les circonstances il n'était pas possible de la soumettre avant. Il soulignait que M. Alzery avait été expulsé sans préavis et n'avait donc pas eu la possibilité de s'adresser à un organe national ou international pour contester le bien-fondé de la mesure ou pour obtenir un sursis à son exécution. Par l'intermédiaire de son avocat de l'époque, M. Alzery avait clairement signifié au Gouvernement suédois que si l'expulsion était ordonnée il s'adresserait à un organe international comme la Cour européenne. La possibilité que le Gouvernement décide d'exécuter immédiatement l'arrêté d'expulsion, sans en informer le conseil, était à cette époque si peu conforme à la pratique qu'elle était totalement imprévisible. Il était tout aussi atypique de décider de demander des assurances diplomatiques et de les accepter. Le conseil affirmait que si M. Alzery ou son avocat avait appris que des assurances diplomatiques avaient été demandées avant qu'il ne soit expulsé, il aurait immédiatement saisi une instance internationale pour demander des mesures provisoires de protection.

6.6 Le conseil faisait valoir que, depuis la décision du 18 décembre 2001, tout ce qui concernait cette affaire avait un caractère exceptionnel et était entouré de secret, les différentes enquêtes internationales et nationales menées depuis lors n'ayant pu permettre de saisir entièrement toutes les dimensions de l'affaire. De plus, M. Alzery n'avait jamais été accepté comme plaignant ou comme partie à une enquête. Certaines de ces enquêtes n'avaient pas été régulières à cause d'une désinformation ou de l'absence de volonté de la part du Gouvernement suédois de donner des informations, ce qui avait créé pour M. Alzery une situation juridique incertaine. Le conseil soulignait que la libération de M. Alzery n'avait eu lieu qu'en octobre 2003, et encore avait-t-elle été assortie de restrictions rigoureuses qui rendaient toute communication avec le conseil risquée, difficile et rare. De plus, le conseil avait cherché des moyens autres qu'une plainte nationale ou internationale, qui seraient moins compromettants ou dangereux pour M. Alzery, par exemple une enquête par le Haut-Commissariat aux droits de l'homme et la négociation de son retour en Suède. Il avait donc fallu réfléchir avant de décider de saisir le Comité, afin de préserver les intérêts de M. Alzery, à la lumière des investigations achevées après la décision de la Cour européenne prise en octobre 2004.

Observations supplémentaires des parties sur la recevabilité de la communication

7. Par une note verbale datée du 10 février 2006, l'État partie a fait savoir que, compte tenu des commentaires de l'avocate en réponse à ses observations sur la recevabilité de la communication, il n'avait plus de raison de douter que le conseil avait effectivement été autorisée par son client à présenter la communication. Il retirait donc l'objection qu'il avait émise.

Décision concernant la recevabilité

8.1 À sa quatre-vingt-sixième session, le 8 mars 2006, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Premièrement, en ce qui concernait l'argument de l'État partie qui affirme que la compétence du Comité pour examiner l'affaire était exclue du fait de sa réserve, le Comité rappelait sa jurisprudence constante selon laquelle, quand une plainte adressée à un autre organe international, comme la Cour européenne des droits de l'homme, était rejetée pour des motifs de procédure sans avoir été examinée au fond, il ne considérait pas qu'elle avait été «examinée», ce qui exclurait sa compétence. (16) En l'espèce, la Cour européenne avait rejeté la requête pour un motif de procédure qui était le non-respect de la règle des six mois pour déposer une requête; le Comité n'était donc pas empêché d'examiner la communication. Le Comité faisait remarquer en outre que, contrairement à ce que disait l'État partie, il n'y avait aucun risque de discrédit à l'égard de la Cour européenne, étant donné qu'au nombre des critères de recevabilité du Comité celui qui avait motivé la décision de la Cour européenne ne figurait pas. Il s'ensuivait que la communication n'était pas irrecevable pour ce motif.

8.2 Deuxièmement, en ce qui concernait l'argument de l'État partie qui estimait que la communication devait être déclarée irrecevable pour abus du droit de plainte au motif qu'il s'était écoulé trop de temps avant qu'elle ne soit soumise, le Comité relevait que le conseil de l'auteur (de l'époque) avait commencé à échanger une correspondance avec la Cour européenne des droits de l'homme, organe qui était judicieusement choisi et qui lui était ouvert, moins de six mois après l'expulsion. Étant donné la complexité de l'affaire et le manque d'informations détaillées sur le traitement subi par l'auteur, sa situation générale et sa volonté de voir la requête déposée, le temps écoulé ne pouvait pas être qualifié d'excessif. Entre la décision d'irrecevabilité rendue par la Cour européenne des droits de l'homme, en octobre 2004, et la présentation de la communication au Comité, en juillet 2005, il s'était écoulé huit mois de plus. Dans les circonstances et compte tenu de la pratique qu'il avait toujours suivie en ce qui concernait la question du temps, le Comité ne pouvait pas considérer que le temps écoulé était excessif ou répondait à des circonstances extraordinaires (comme les élections tenues entre-temps dans l'affaire Gobin c. Maurice) (17) de sorte qu'il constitue un abus de procédure. La communication n'était donc pas irrecevable pour ce motif.

8.3 Troisièmement, l'État partie soulevait la question de savoir si la communication était bien soumise au nom de M. Alzery. Le Comité notait que l'État partie avait retiré son objection à cet aspect de la recevabilité de la communication. Il faisait remarquer de plus, concernant les termes de la procuration, que sa pratique n'était pas d'interpréter les procurations de façon stricte ou formaliste. Il s'efforçait plutôt de donner effet à l'autorité de facto que le plaignant voulait conférer au conseil. Si l'on retenait cette approche, il n'était pas douteux que l'autorité conférée par M. Alzery pour agir en son nom était suffisamment étendue, à l'époque où elle avait été donnée, pour viser également une communication au Comité. Parallèlement, une procuration pouvait être révoquée explicitement ou implicitement par des faits ultérieurs qui allaient à l'encontre de la délégation initiale d'autorité.

8.4 Pour déterminer si, dans la présente affaire, il y avait eu révocation de l'autorisation, le Comité notait que l'argument de l'État partie reposait sur ce que M. Alzery aurait confié à un membre du personnel de l'ambassade de Suède parlant arabe, qui lui avait téléphoné pour la première fois après un laps de temps considérable. Étant donné les conditions rigoureuses qui avaient assorti sa remise en liberté et en particulier les faits qui avaient suivi la surveillance apparente des communications téléphoniques précédentes de M. Alzery avec une organisation nationale de défense des droits de l'homme (voir plus haut par. 3.19), les propos de M. Alzery au sujet de son intention réelle devaient être pris avec beaucoup de circonspection. Compte tenu de la gravité des violations alléguées autant que de l'importance pour un examen par un organe international du fond de l'affaire, si les enquêtes nationales entreprises se révélaient avoir été, sur le fond, insuffisantes ou inutiles, le Comité considérait que l'État partie n'avait pas démontré, comme il lui incombait de le faire, que la procuration initiale avait cessé d'être valable. Il s'ensuivait que même si l'État partie n'avait pas retiré cette objection à la recevabilité, le Comité n'aurait pas déclaré la communication irrecevable au motif que le conseil n'avait pas été dûment autorisé par M. Alzery à la soumettre.

8.5 Le Comité était en outre d'avis que l'auteur avait étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu'il avait formulés concernant: la violation de l'interdiction de refoulement, le traitement qu'il avait enduré à l'aéroport de Bromma et le fait que ses allégations de torture ou autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant n'avaient pas fait l'objet d'enquêtes suffisantes (art. 7 du Pacte); l'exposition au risque d'avoir un procès manifestement inéquitable (art. 14 du Pacte); le caractère abusif de la procédure suivie pour l'expulsion d'un étranger, et l'insuffisance et l'inutilité du recours (art. 2 et 13 du Pacte); et la violation du droit de présenter une plainte individuelle effective (art. 1 du premier Protocole facultatif). Le 8 mars 2006, il a donc déclaré la communication recevable.

Observations de l'État partie sur le fond

9.1 Dans des lettres du 10 octobre 2005 et du 5 mai 2006, l'État partie a présenté des observations sur le fond de la communication. En ce qui concerne le grief de violation de l'article 7 au motif du refoulement de l'auteur vers l'Égypte et de son exposition à un risque réel d'être soumis à la torture et à d'autres mauvais traitements, l'État partie mentionne la décision du Comité contre la torture dans l'affaire parallèle Agiza c. Suède, selon laquelle ce Comité a conclu à une violation de l'article 3 de la Convention contre la torture. L'État partie accepte cette conclusion et ne voit aucune raison de contester le grief correspondant formulé au titre du Pacte, sans toutefois concéder que l'auteur a été en fait torturé ou maltraité. S'il y a eu mauvais traitements, la responsabilité en incombait au premier chef aux autorités égyptiennes et cela constituait une violation de leurs engagements bilatéraux. L'État partie, qui se dit désireux d'élucider ce qui s'est réellement produit, invoque les efforts qu'il a déployés en vain aux plus hauts niveaux pour obtenir qu'une enquête impartiale et indépendante soit menée, avec des experts internationaux, sur l'enchaînement des événements qui se sont produits en Égypte à la suite de l'expulsion (voir plus haut par. 3.24). L'État partie observe qu'il n'est pas satisfait des réponses fournies par le Gouvernement égyptien mais que, pour pouvoir examiner minutieusement les autres mesures qu'il pourrait prendre, il est pour lui de la plus haute importance d'avoir confirmation du fait que de telles mesures sont conformes aux propres vœux de l'auteur. À ce jour, les informations reçues par l'État partie sur ce que souhaite l'auteur sont contradictoires. Il va de soi que les nouvelles mesures ne doivent pas risquer d'affecter ou de menacer en aucune manière la sécurité ou le bien-être de l'auteur, et il est nécessaire, dans les circonstances, que le Gouvernement égyptien coopère et souscrive à toute enquête supplémentaire. En outre, l'État partie mentionne les conclusions de sa Commission constitutionnelle du Parlement et sur les travaux de cette dernière visant à élaborer, dans le cadre du Conseil de l'Europe, un instrument sur l'utilisation appropriée des assurances diplomatiques. L'organe compétent du Conseil de l'Europe ayant décidé de ne pas poursuivre les travaux dans ce domaine, l'État partie n'a aucune intention d'étudier plus avant, sur le plan international, la question d'un instrument officiel concernant les assurances diplomatiques. Compte tenu de ce qui précède, l'État partie s'en remet au Comité pour déterminer s'il y a eu violation de l'article 7 à cet égard.

9.2 En ce qui concerne les griefs formulés au titre de l'article 7 touchant les allégations de mauvais traitements subis à l'aéroport de Bromma, l'État partie renvoie aux conclusions de l'Ombudsman parlementaire (voir plus haut par. 3.23 et suiv.) qui a formulé de très graves critiques à l'égard de la police de sécurité et souligné de sérieuses déficiences dans la manière dont l'opération a été menée. Il note toutefois que l'Ombudsman parlementaire a qualifié les faits de traitement dégradant mais pas d'actes de torture, ses critiques restant néanmoins valables. L'État partie rejette également l'allégation selon laquelle les faits rapportés constituaient des actes de torture au sens de la définition de l'article premier de la Convention contre la torture. (18) L'État partie note qu'après la publication des conclusions de l'Ombudsman parlementaire, un «comité d'exécution des mesures» indépendant a conclu qu'il fallait des directives claires pour l'exécution des arrêtés d'expulsion d'étrangers. Ses conclusions ont été suivies, en octobre 2004, d'une circulaire de la Direction de la police nationale qui, en février 2005, a été incorporée au règlement de la Direction de la police avec effet immédiat. Selon ce règlement, un policier chargé d'exécuter l'arrêté d'expulsion doit intervenir immédiatement si un étranger est traité par des autorités étrangères d'une manière contraire aux conceptions suédoises de la justice. La police suédoise est explicitement tenue pour responsable de l'exécution de l'arrêté d'expulsion lorsqu'elle est assistée d'une autorité étrangère, et les contrôles de sécurité se déroulant en territoire suédois doivent être effectués par la police suédoise. En outre, l'État partie décrit en détail la formation et la réorganisation de la police de sécurité, tendant à renforcer les effectifs de spécialistes des expulsions et à préciser les responsabilités et liens hiérarchiques. L'État partie n'est pas en mesure de présenter des informations ou des observations sur les raisons pour lesquelles les représentants étrangers ont agi comme ils l'ont fait, mais il convient que certaines mesures prises à l'aéroport de Bromma étaient excessives au regard des risques réels encourus. Sur cette base, l'État partie laisse au Comité le soin de trancher cette question soulevée au titre de l'article 7.

9.3 En ce qui concerne le grief de violation du même article 7, que constituerait le fait de ne pas avoir enquêté convenablement et de manière indépendante sur le traitement infligé à l'auteur à l'aéroport de Bromma, de n'avoir attribué aucune responsabilité à qui que ce soit et de n'avoir pas enquêté sur les actes commis par des agents étrangers, l'État partie observe que ces événements ont été examinés par les mécanismes ordinaires mis en action dans les poursuites pénales, et mentionne les trois séries de décisions motivées rendues par le procureur de district de Stockholm, le Procureur directeur des poursuites et le Procureur général. Des mesures spéciales d'enquête par des organes compétents en matière de poursuites pénales ont également été prises par l'Ombudsman parlementaire, qui a décidé de ne pas ouvrir d'enquête pénale préliminaire, et par la Commission permanente du Parlement pour les poursuites, qui a décidé de ne pas prendre d'autres mesures sur les plaintes pénales visant les ministres concernés. Conformément au droit suédois, ces procédures ont été engagées rapidement et de manière indépendante après le dépôt des plaintes, et il n'y a en conséquence pas de violations de l'article 7 à cet égard.

9.4 En ce qui concerne le grief selon lequel la torture et d'autres mauvais traitements sont insuffisamment proscrits par le droit suédois, l'État partie rappelle que le Pacte n'exige pas l'incorporation dans le droit interne de définitions spécifiques à ce sujet. Après une analyse minutieuse du droit pénal suédois, l'État partie a conclu que la Convention contre la torture n'appelait pas de modifications de la législation pénale suédoise. Tous les actes (ainsi que les tentatives et les actes de complicité) de torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont des infractions en droit suédois, punies par des peines d'une gravité appropriée, conformément à l'article 7 du Pacte. En ce qui concerne l'allégation d'absence de procès équitable, l'État partie note qu'après son retour l'auteur n'a fait l'objet d'aucune inculpation et n'a pas non plus été traduit en justice. Il n'y a donc pas eu violation de ses droits au titre de l'article 14.

9.5 En ce qui concerne l'absence de recours utile contre la décision prise par le Gouvernement touchant la demande d'asile présentée par l'auteur, l'État partie accepte la conclusion du Comité contre la torture dans l'affaire Agiza, à savoir que cela constituait une violation de l'obligation procédurale énoncée à l'article 3 de la Convention contre la torture et ne conteste donc pas le grief correspondant formulé au titre du Pacte. L'État partie note, toutefois, qu'à compter du 31 mars 2006 un nouveau système d'examen judiciaire des demandes d'asile a été mis en place sous la forme de tribunaux de l'immigration et d'une Cour suprême de l'immigration. En vertu de ce système, la Cour suprême de l'immigration peut déterminer, lors d'une procédure orale, l'existence d'un obstacle à l'exécution de la mesure d'expulsion, tel que l'existence d'un risque de torture, qui aurait un caractère contraignant pour le Gouvernement. La nouvelle législation prévoit également la délivrance automatique d'un permis de séjour, sauf circonstances exceptionnelles, à un étranger lorsqu'un organisme international statuant sur une requête individuelle conclut que cette personne ne peut être expulsée. En ce qui concerne le grief selon lequel l'expulsion de l'auteur était incompatible avec l'article 13 car il n'a pas été autorisé à présenter son dossier aux ministres et/ou aux fonctionnaires ayant pris la décision, l'État partie note que l'arrêté d'expulsion a été pris conformément à la loi, et que l'article 13 comporte une exception pour les considérations liées à la sécurité nationale, lesquelles existaient dans le cas à l'examen. Il n'y a donc pas eu violation de l'article 13 du Pacte.

9.6 En ce qui concerne l'absence alléguée de possibilité de saisir le Comité de cette affaire, en violation de l'article premier du Protocole facultatif, l'État partie accepte la conclusion du Comité contre la torture dans l'affaire Agiza, selon laquelle l'exécution immédiate de l'arrêté d'expulsion a empêché l'exercice du droit effectif de présenter une communication et ne voit par conséquent aucune raison de contester le grief correspondant porté devant le Comité des droits de l'homme. Il note les conclusions formulées par la Commission permanente dans son rapport du 21 septembre 2005 à ce sujet, selon lesquelles la crainte qu'une personne demande à un organisme international l'application de mesures provisoires ne pouvait entrer en ligne de compte et selon lesquelles le fait que les décisions d'expulsion soient notifiées aux intéressés par l'autorité exécutive, le conseil étant avisé par lettre, était acceptable sous réserve que le conseil soit avisé par un moyen plus rapide.

Commentaires du conseil concernant les observations de l'État partie sur le fond

10.1 En date du 16 juin 2006, le conseil a répondu aux observations de l'État partie sur le fond. En ce qui concerne l'insuffisance des enquêtes menées pour faire la lumière sur le traitement subi par l'auteur à l'aéroport de Bromma, le conseil note que le Gouvernement suédois savait très tôt ce qui s'était passé à l'aéroport et du reste le Ministre de la justice avait fait un rapport sur la question. Toutefois, l'État partie a gardé le dossier confidentiel et ne l'a pas porté à la connaissance du public ni du Parlement avant plusieurs années. Ce n'est qu'après la diffusion, en 2004, d'une émission de télévision donnant des détails sur cette affaire qu'une plainte pénale avait été déposée et qu'une véritable enquête pénale avait commencé. Il est donc erroné de parler d'enquêtes menées sans délai. De plus, le conseil fait valoir que même si l'on accepte les motifs avancés par l'État partie pour justifier la décision de l'Ombudsman de ne pas engager d'enquête pénale (voir plus haut par. 3.27), cela dénote un manque systémique de contrôle dont la police de sécurité suédoise est responsable du point de vue organisationnel. La décision de l'Ombudsman de mener une enquête aux fins d'information, consistant à recueillir les témoignages de policiers, signifiait aussi que non seulement l'Ombudsman mais aussi les autorités de poursuite n'étaient pas en mesure de poursuivre les agents responsables, en vertu du principe selon lequel nul ne doit déclarer contre soi-même.

10.2 En ce qui concerne la circonspection à laquelle l'État partie engage en ce qui concerne les nouvelles mesures qui pourraient être prises à l'égard des autorités égyptiennes (voir plus haut par. 9.1), le conseil affirme que l'auteur a déjà fait savoir au Gouvernement suédois qu'il était disposé à participer à une enquête complète et exhaustive si celle-ci était menée en toute indépendance et était de nature à garantir sa sécurité. Il maintient cette position, même s'il a toujours refusé, pour ne pas mettre en danger sa sécurité personnelle, une enquête qui serait menée par la police égyptienne, surtout si l'objet de l'enquête est de punir des membres de la police. Il craint que des négociations bilatérales entre la Suède et l'Égypte, qui seraient de toute façon engagées tard, ne soient pas dans son intérêt et qu'une enquête bilatérale ne l'expose à un grand danger, puisque l'État a de par la loi la faculté de le placer en détention arbitrairement, en invoquant des motifs de sécurité.

10.3 Pour ce qui est de l'argument concernant l'article 14, le conseil fait valoir que le fait que l'auteur n'ait pas été jugé ne répond pas à ses griefs. Il a subi des interrogatoires et des mauvais traitements en détention, ne rencontrant qu'un procureur qui ordonnait à chaque fois son maintien en détention. Le représentant de l'ambassade n'assistait pas à ces auditions et ne surveillait pas, et l'ambassade n'a pas non plus pris contact avec un groupe national de défense des droits de l'homme qui avait entrepris de suivre toute la procédure, alors qu'elle en avait été informée. L'auteur a bénéficié de l'assistance d'un avocat pour la première audition mais n'a pas été autorisé à le rencontrer au préalable. L'avocat qui avait été engagé à titre privé n'a pas pu lui rendre visite en prison. Selon la loi égyptienne, un conseil commis d'office ne peut intervenir qu'après une inculpation. On n'a jamais présenté à l'auteur des éléments de preuve pour qu'il en prenne connaissance et on ne l'a pas informé en détail des accusations portées contre lui. Le conseil affirme que l'État partie savait très bien qu'il y avait un risque sérieux que les droits de l'auteur en tant qu'accusé ne soient pas respectés et qu'aucun mécanisme de surveillance n'était en place pour exercer ne serait-ce qu'un contrôle minimal sur la procédure après le renvoi de l'auteur.

10.4 Pour ce qui est de l'argument au regard de l'article 13 et des considérations de sécurité nationale invoquées par l'État partie, le conseil objecte que l'exception prévue dans l'article ne s'appliquait pas en l'espèce. Mentionnant les visas octroyés récemment par le Gouvernement suédois à des membres du Hamas, le fait qu'à l'époque le Gouvernement croyait (plus haut par. 4.17) que M. Alzery était sous le coup d'une condamnation à une peine, relativement légère, de sept ans d'emprisonnement en vertu de la loi égyptienne, pour l'infraction dont il était soupçonné et qu'il n'y avait jamais eu de preuves suffisantes pour l'inculper et encore moins le condamner, le conseil affirme qu'il n'était pas possible de trouver des motifs justifiant l'exception de sécurité prévue à l'article 13. Quoi qu'il en soit, les autorités n'ont pas fait preuve de diligence pour chercher à enquêter et se sont fondées sur des renseignements de services secrets étrangers pour décider l'expulsion, ce qui ne satisfait pas aux prescriptions minimales d'une procédure équitable garanties par l'article 13.

10.5 Enfin, le conseil affirme que ce sont des tortures, et non pas une forme moins grave de mauvais traitements, que l'auteur a subies à chaque étape de son renvoi forcé (le traitement à l'aéroport de Bromma, sur lequel la police suédoise a fermé les yeux, le traitement pendant le vol et le traitement en Égypte à l'arrivée). En tout état de cause le conseil relève qu'il appartient au Comité, et non pas aux autorités nationales, d'apprécier de façon indépendante le degré de gravité des traitements et que le Comité s'est toujours gardé de faire une distinction stricte entre différentes catégories de mauvais traitements.

Examen au fond

11.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.

11.2 Le Comité relève tout d'abord que pour un certain nombre de griefs l'État partie reconnaît qu'il y a eu des violations du Pacte ou du Protocole facultatif, en suivant les constatations faites par le Comité contre la torture dans l'affaire parallèle Agiza c. Suède à l'égard de dispositions de la Convention contre la torture analogues sur le fond. Cette reconnaissance est certes pertinente pour la décision du Comité mais celui-ci est néanmoins tenu de procéder à une appréciation indépendante pour déterminer si dans les circonstances de l'affaire des violations des dispositions du Pacte ou du Protocole facultatif ont été commises.

11.3 Le Comité doit déterminer tout d'abord si l'expulsion de la Suède vers l'Égypte a exposé l'auteur à un risque réel de torture ou de mauvais traitement dans l'État de renvoi, en violation de l'interdiction du refoulement faite à l'article 7 du Pacte. Pour déterminer le risque encouru en l'espèce, le Comité doit examiner tous les éléments pertinents, notamment la situation générale des droits de l'homme dans un État. L'existence d'assurances diplomatiques, leur contenu et la mise en place et le fonctionnement de mécanismes permettant de faire respecter ces assurances sont autant d'éléments de fait utiles pour déterminer s'il existait bien pour l'auteur un risque réel de subir des mauvais traitements prohibés.

11.4 Le Comité note que dans la présente affaire l'État partie a lui-même admis qu'il y avait un risque de mauvais traitements qui − si rien d'autre n'était fait − aurait constitué un empêchement à l'expulsion de l'auteur, comme l'imposent les obligations internationales souscrites par l'État partie (voir plus haut par. 3.6). C'est en fait sur la seule foi des assurances diplomatiques que l'État partie s'est convaincu que le risque de mauvais traitements prohibés était suffisamment réduit pour qu'il ne commette pas un manquement à la règle interdisant le refoulement.

11.5 Le Comité relève que les assurances données ne prévoyaient aucune modalité permettant de vérifier qu'elles étaient bien respectées. Aucune disposition n'avait été prise, en dehors de la lettre des assurances, pour garantir une application effective de l'accord. Les visites de l'Ambassadeur et du personnel de l'ambassade n'ont commencé que cinq semaines après le retour de l'auteur, c'est-à-dire que rigoureusement aucune surveillance n'a été assurée pendant la période où le risque de préjudice était maximal. De plus la façon dont les visites se déroulaient n'était pas conforme, à bien des égards, à la bonne pratique internationale puisque les visiteurs n'ont jamais insisté pour rencontrer en privé le détenu et qu'aucun examen médical ou médico-légal approprié n'a été effectué, même après que des allégations sérieuses de mauvais traitements eurent été faites. À la lumière de ces éléments, l'État partie n'a pas montré que les assurances diplomatiques qui lui ont été données étaient en effet suffisantes dans le cas d'espèce pour supprimer le risque de mauvais traitements au point que les prescriptions de l'article 7 du Pacte puissent être satisfaites. L'expulsion de l'auteur a donc constitué une violation de l'article 7 du Pacte.

11.6 En ce qui concerne la question du traitement subi par l'auteur à l'aéroport de Bromma, le Comité doit tout d'abord déterminer si le traitement infligé par des agents étrangers peut à bon droit être imputé à l'État partie, en vertu des dispositions du Pacte et des règles de la responsabilité de l'État applicables. Le Comité relève que, à tout le moins, les États parties sont responsables des actes d'agents étrangers qui exécutent des actes de puissance politique sur leur territoire si de tels actes sont accomplis avec leur consentement ou leur aval (voir également l'article premier de la Convention contre la torture). Il s'ensuit que les actes dénoncés, qui se sont produits pendant l'exercice de fonctions officielles en présence d'agents de l'État partie et dans la juridiction de l'État partie, sont correctement imputables à l'État partie lui-même, comme ils le sont à l'État pour lequel les agents travaillaient. Dans la mesure où l'État partie accepte la conclusion de son Ombudsman parlementaire selon laquelle le traitement subi était disproportionné par rapport au but légitime d'assurer le maintien de l'ordre, il est évident que le recours à la force était excessif et constituait une violation de l'article 7 du Pacte. Il s'ensuit que l'État partie a commis une violation de l'article 7 du Pacte du fait du traitement subi par l'auteur à l'aéroport de Bromma.

11.7 Pour ce qui est du grief de violation de l'article 7 relativement à l'efficacité des enquêtes menées par l'État partie sur ce qui s'était passé à l'aéroport de Bromma, le Comité note que les autorités de l'État partie savaient que l'auteur avait été maltraité, dès le jour même des faits, puisque ses agents avaient assisté à la scène. Au lieu de saisir les autorités compétentes des actes dont le caractère illicite pouvait à l'évidence être dénoncé, l'État partie a attendu plus de deux ans pour engager une action sur plainte pénale d'un particulier. De l'avis du Comité, une telle durée suffit à elle seule pour considérer que l'État partie a manqué à l'obligation de mener sans délai une enquête indépendante et impartiale sur les faits. Le Comité note de plus qu'à la suite des enquêtes conjointes de l'Ombudsman parlementaire et des autorités de poursuite aucun agent suédois ni étranger n'a fait l'objet d'une enquête pénale approfondie et encore moins d'une inculpation en vertu de la loi suédoise, dont les dispositions permettaient largement aux juridictions d'examiner ces infractions. En particulier, le Comité note que l'Ombudsman parlementaire a décidé de procéder à une enquête aux fins d'information, consistant à recueillir des témoignages sur le fond de l'affaire. S'il n'est pas douteux que l'enquête à cette fin ait été approfondie, la nature même de cette enquête a eu pour conséquence de compromettre gravement la possibilité de mener un jour une enquête pénale effective aux niveaux du commandement et des opérations de la police de sécurité nationale. De l'avis du Comité, l'État partie est tenu de garantir que l'organisation de son appareil d'investigation soit telle qu'elle préserve la capacité d'enquêter, autant que possible, sur la responsabilité pénale de tous les agents en cause, nationaux et étrangers, pour les actes attentatoires à l'article 7 commis dans sa juridiction et pour procéder aux inculpations voulues. En l'espèce, l'État partie n'a pas préservé cette capacité, ce qui constitue une violation de ses obligations découlant de l'article 7, lu conjointement avec l'article 2 du Pacte.

11.8 Pour ce qui est de l'absence d'examen indépendant de la décision du Gouvernement de procéder à l'expulsion, compte tenu de l'existence d'un risque réel de torture, le Comité note que l'article 2 du Pacte, lu conjointement avec l'article 7, oblige à assurer un recours utile en cas de violation de l'article 7. Par définition, pour que le réexamen d'une décision d'expulsion alors qu'il existe un risque réel de torture soit effectif, il doit pouvoir avoir lieu avant l'expulsion afin d'éviter un préjudice irréparable à l'individu, faute de quoi il est inutile et vide de sens. En ne donnant pas la possibilité de faire réexaminer de façon effective et indépendante la décision d'expulsion dans le cas de l'auteur, l'État partie a donc commis une violation de l'article 7, lu conjointement avec l'article 2 du Pacte.

11.9 S'agissant du grief présenté au titre de l'article 14 concernant l'exposition au risque de procès manifestement inéquitable, le Comité note que l'État partie s'est fondé simplement sur le fait que le pays d'accueil s'était engagé, dans les assurances diplomatiques qu'il avait données, à ce que l'auteur bénéficie d'un procès équitable. Considérant, d'une part, que le procès ne s'est en fait pas tenu et compte tenu, d'autre part, des conclusions du Comité ci-dessus mentionnées selon lesquelles l'État partie a exposé l'auteur lors de l'expulsion à de graves violations du Pacte, le Comité considère qu'il n'est pas nécessaire de prendre une décision séparément sur cette question.

11.10 Concernant le grief présenté au titre de l'article 13, le Comité reconnaît que la décision d'expulser l'auteur a été prise conformément à la législation de l'État partie en vigueur à l'époque et, partant, «en exécution d'une décision prise conformément à la loi» au sens de l'article 13 du Pacte. Le Comité observe que l'État partie dispose d'un pouvoir discrétionnaire très étendu pour déterminer si une affaire soulève des questions de sécurité nationale susceptibles de faire jouer l'exception prévue à l'article 13. (19) Dans le cas d'espèce, le Comité ne doute pas que l'État partie avait au moins des motifs plausibles pour considérer, à l'époque, que l'affaire en question soulevait des questions de sécurité nationale. Par conséquent, le Comité considère que l'article 13 du Pacte n'a pas été violé lorsque l'auteur n'a pas été autorisé à présenter des arguments contre son expulsion et à faire examiner son affaire par une autorité compétente.

11.11 En ce qui concerne le grief de violation par l'État partie des obligations qui lui incombent au titre du Protocole facultatif, le Comité renvoie à sa jurisprudence constante selon laquelle, dès lors qu'il adhère au Protocole facultatif, un État partie est tenu de permettre l'exercice de bonne foi du droit de présenter une plainte au Comité conféré par le Protocole facultatif, et de s'abstenir de prendre des mesures propres à rendre la décision sur la communication sans valeur et de nul effet. (20) En l'espèce, le Comité note que le conseil (de l'époque) de l'auteur avait expressément informé l'État partie, avant la décision du Gouvernement, de son intention d'engager un recours devant des organes internationaux en cas de décision défavorable (voir plus haut par. 4.29). À tort il a été dit au conseil après la décision que rien n'avait été décidé, et l'État partie a procédé à l'expulsion de l'auteur en sachant pertinemment que le conseil serait informé de cette décision après qu'elle aurait été exécutée. Pour le Comité, ces faits font apparaître une violation manifeste par l'État partie des obligations qui lui incombent au titre de l'article premier du Protocole facultatif.

12. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits constatés font apparaître des violations par la Suède de l'article 7, lu séparément et conjointement avec l'article 2 du Pacte. Il réitère sa conclusion selon laquelle l'État partie a également violé ses obligations au titre de l'article premier du Protocole facultatif.

13. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'assurer à l'auteur un recours utile, y compris une indemnisation. L'État partie est également tenu d'éviter que des violations analogues ne soient commises à l'avenir. À cet égard, le Comité se félicite de la création de tribunaux indépendants spécialisés dans les questions de migration, compétents pour connaître des décisions d'expulsion, comme celle évoquée dans le cas d'espèce.

14. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Rajsoomer Lallah, M. Michael O'Flaherty, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen et M. Roman Wieruszewski.

Conformément à l'article 90 du règlement intérieur du Comité, Mme Elizabeth Palm n'a pas participé à l'adoption de la présente décision.

Conformément à l'article 91 du règlement intérieur du Comité, Mme Ruth Wedgwood et M. Ahmed Tawfik Khalil n'ont pas participé non plus à l'adoption de la présente décision.

Notes

1. CCPR/CO/74/SWE/Add.1
2. Alzery c. Suède, requête no 10786/04.

3. Comité contre la torture, communication no 233/2003, constatations adoptées le 20 mai 2005.

4. Rapport no 2169-2004.

5. Requête no 70/1995/576/662, arrêt de la Grande Chambre de la Cour en date du 15 novembre 1996.

6. Op. cit.

7. CCPR/CO/76/EGY (2002), A/54/44 (1999) et CAT/C/CR/29/4 (2002).

8. E/CN.4/2001/66.

9. Hani El Sayed Sabaei Youssef v. Home Office [2004] EWHC 1884 (Queens Bench, Field J.)

10. Voir, par exemple, Bilasi-Ashri c. Autriche, Cour européenne des droits de l'homme, 26 novembre 2002.

11. Voir Colozza c. Italie, arrêt du 12 février 1985, série A no 89, p. 16, par. 32; Soering c. Royaume-Uni, requête no 1/1989/161/217, arrêt du 7 juillet 1989, par. 113; et Mamatkulov et consorts c. Turquie, requêtes nos 46827/99 et 46951/99, arrêt de la Grande Chambre de la Cour du 4 février 2005.

12. CCPR/C/79/Add.58 (1995), par. 16.

13. SOU 1999:16 Ökad rättssäkerhet i asylärenden («Protection des droits de l'individu dans le cadre des questions relatives à l'asile»). Rapport final de la Commission sur les nouvelles dispositions relatives à la compétence et au règlement pour les questions relatives aux étrangers (NIPU), p. 330 et 331.

14. Communication no 158/1983, décision du 26 octobre 1984.

15. Voir Gobin c. Maurice, communication no 787/1997, décision d'irrecevabilité du 16 juillet 2001.

16. Voir, par exemple, les affaires Weiss c. Autriche, communication no 1086/2002, constatations adoptées le 3 avril 2003, et Linderholm c. Croatie, communication no 744/1997, décision adoptée le 23 juillet 1999.

17. Op. cit.

18. L'article premier de la Convention se lit comme suit:

1. Aux fins de la présente Convention, le terme «torture» désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.

19. Voir, par exemple, la communication no 1136/2002 Borzov c. Estonie, constatations adoptées le 26 juillet 2004.
20. Piandiong et consorts c. Philippines, communication no 869/1999, constatations adoptées le 19 octobre 2000, et Weiss c. Autriche, communication no 1086/2002, constatations adoptées le 3 avril 2003.

 



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