University of Minnesota



M. Daljit Singh c. Canada, Communication No. 1315/2004, U.N. Doc. CCPR/C/86/D/1315/2004 (2006).



GENERALE
CCPR/C/86/D/1315/2004
28 avril 2006
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 1315/2004 : Canada. 28/04/2006.
CCPR/C/86/D/1315/2004. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-sixième session

13 - 31 mars 2006

ANNEXE*

Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables

des communications présentées en vertu du Protocole facultatif

se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

- Quatre-vingt-sixième session -

Communication No. 1315/2004

Présentée par: M. Daljit Singh (représenté par un conseil)
Au nom de: L'auteur

État partie: Canada

Date de la communication: 21 septembre 2004 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

 

1.1 L'auteur de la communication est M. Daljit Singh, de nationalité indienne en attente d'expulsion du Canada. Il affirme que son expulsion constituerait une violation par le Canada de ses droits en vertu des articles 2, 6, 7, 13 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
1.2 Le 5 novembre 2004, le Comité des droits de l'homme, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, a demandé à l'État partie, conformément à l'article 92 de son règlement intérieur, «de ne pas expulser l'auteur avant d'indiquer au Comité s'il comptait le renvoyer en Inde, et préalablement à la présentation au Comité de ses observations concernant la communication, conformément à l'article 97 (ancien art. 91) du Règlement intérieur». Le 9 novembre 2004, suite à une demande de clarification, le Comité a prié l'État partie «de ne pas renvoyer M. Daljit Singh en Inde avant d'avoir formulé ses observations concernant la recevabilité ou le fond des allégations de l'auteur et que le Comité n'en ait accusé réception».

Rappel des faits présentés par l'auteur

2.1 L'auteur vivait dans le village de Sonet du district de Ludhiana (Penjab). Propriétaire d'une société de transport routier, il possédait quatre camions. Il est marié et a deux enfants. Sa femme et ses enfants vivent toujours à Sonet. Sa mère, son frère, sa sœur et leurs familles respectives vivent tous en Colombie-Britannique (Canada). Son père est décédé le 1er juin 1999 en Colombie-Britannique.

2.2 Le 15 septembre 1998, le beau-frère de l'auteur et le chauffeur de l'un de ses camions ont été arrêtés par la police à Jammu et accusés d'aider un groupe militant. L'auteur a été arrêté chez lui le lendemain à 5 heures, et mis en détention par la police. Il affirme que pendant sa détention, il a été frappé et torturé. Le 17 septembre, il a été remis en liberté grâce à l'intervention du maire (Sarpanch) du village, du conseil du village et du Président du syndicat des camionneurs, à la condition qu'il parle à la police des activités des militants. Un pot-de-vin a été versé pour sa libération. L'auteur affirme que son beau-frère et son chauffeur ont été incarcérés une semaine et torturés. Ils auraient été libérés aux mêmes conditions que lui. Il dit que tous trois ont reçu un traitement médical après leur libération.

2.3 En avril 1999, l'auteur a été arrêté une nouvelle fois car il était suspecté d'aider les militants à transporter des armes, des munitions et des explosifs. Après deux jours de détention, pendant lesquels il affirme avoir été de nouveau torturé, il a pu être libéré grâce à l'intervention du maire du village (Sarpanch), à la condition de se présenter chaque mois au commissariat pour fournir des informations concernant son chauffeur et d'autres militants. Il affirme qu'il a reçu un traitement médical après sa libération et qu'il souffre de troubles post-traumatiques. Craignant pour sa vie, il a décidé de fuir l'Inde. Il dit que sa femme et son fils ont été torturés en avril 2003, après son départ.

2.4 Le 3 juin 1999, l'auteur a demandé et obtenu un visa de touriste pour entrer au Canada afin d'assister aux funérailles de son père. Le 6 juin 1999, il est arrivé au Canada et le 30 juin 1999, il a demandé l'asile. Le 15 décembre 2000, sa demande du statut de réfugié a été examinée par la Section des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après dénommée «la Commission»), qui a décidé, le 28 février 2001, que l'auteur n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce que ses déclarations n'étaient pas plausibles. Son récit n'a pas été jugé crédible.

2.5 Le 10 juillet 2001, la Cour fédérale a rejeté le recours introduit par l'auteur contre la décision de la Commission. Le 5 novembre 2003, la demande d'évaluation du risque préalable au renvoi déposée par l'auteur a reçu une réponse négative. Le 5 novembre 2003, sa demande de résidence permanente au Canada pour des motifs humanitaires a été rejetée. Le 18 décembre 2003, l'auteur a déposé une demande d'autorisation d'engager une procédure de contrôle judiciaire de la décision issue de l'évaluation du risque ainsi qu'une demande de sursis à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion. Le 19 janvier 2004, la Cour fédérale a ordonné de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion jusqu'à ce qu'une décision concernant la demande d'autorisation de contrôle judiciaire soit prise. Le 3 mai 2004, la Cour fédérale a rejeté la demande d'autorisation de contrôle judiciaire.

Teneur de la plainte

3.1 L'auteur affirme que son renvoi en Inde constituerait une violation par l'État partie des articles 6 et 7 du Pacte, étant donné qu'il serait soumis à la torture, qu'il n'aurait pas la possibilité de recevoir un traitement médical et qu'il pourrait perdre la vie. Pour étayer sa plainte, il se réfère aux tortures qu'il aurait subies en 1998 et en 1999 et à l'allégation selon laquelle les membres de sa famille auraient été frappés et harcelés par la police depuis son départ.

3.2 L'auteur affirme que la procédure nationale qui a abouti à la décision d'expulsion était également contraire aux articles 13, 14 et 2 du Pacte. Selon lui, l'article 13 a été enfreint par les «procédures» employées en l'espèce et que la procédure d'examen du risque préalable au renvoi est contraire à la Charte canadienne des droits et des libertés. Il affirme qu'il y a eu violation de l'article 14 car les autorités nationales n'ont pas examiné attentivement les éléments de preuve fournis à l'appui de sa demande. Ni les rapports médicaux et les photographies établissant que lui-même et certains des membres de sa famille avaient subi des tortures, ni les déclarations des maires des villages environnants attestant les problèmes qu'il avait eus avec la police, ni le rapport établi à l'issue d'une enquête réalisée par le Groupe des droits de l'homme des sikhs sur les incidents en question n'ont été examinés par les autorités nationales. Même les informations provenant d'autres sources sur la situation générale des droits de l'homme en Inde n'ont pas été examinées, notamment un rapport de Human Rights Watch daté du 10 juin 2003 et un bulletin universitaire. Il est affirmé que l'analyse que la Commission et le service chargé de l'évaluation du risque préalable au renvoi font de la situation des droits de l'homme en Inde est inexacte. L'auteur demande au Comité d'examiner les éléments de preuve qu'il a présentés à la Cour fédérale, qu'il juge suffisants pour établir son état psychologique actuel et le risque auquel il sera exposé s'il est expulsé (1) .

3.3 L'auteur affirme également qu'il y a eu violation des articles 14 et 2, car les recours juridiques disponibles sont inefficaces. Il affirme qu'il n'y a pas au Canada d'examen indépendant du risque de torture que les demandeurs d'asile encourent s'ils retournent dans leur pays d'origine, que les procédures sont administratives et aboutissent à des décisions sommaires d'expulsion. Les fonctionnaires chargés de l'évaluation du risque avant renvoi ne sont pas indépendants, puisqu'ils sont des employés du Ministère qui cherche à expulser le requérant, et il n'y a pas de véritable contrôle judiciaire de leurs décisions. Un requérant doit d'abord demander l'autorisation d'introduire un recours auprès de la Cour fédérale et si elle lui est accordée, la Cour ne peut revenir que sur des erreurs de droit. L'auteur se réfère à l'arrêt que la Cour fédérale a rendu dans une autre affaire, par lequel elle a annulé la décision du fonctionnaire de l'immigration qu'elle jugeait déraisonnable et renvoyé l'affaire pour réexamen, pour démontrer que la procédure est inefficace. Il affirme que l'inefficacité des recours juridiques au Canada a été sévèrement critiquée par la Commission interaméricaine des droits de l'homme dans un rapport daté du 18 septembre 2001 concernant la situation des droits de l'homme des demandeurs d'asile dans le cadre du système canadien de détermination du statut de réfugié (2000).

Observations de l'État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans une lettre du 22 décembre 2004, l'État partie a contesté la recevabilité et le fond de la communication. Il déclare que bien qu'il considère que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes, ce n'est pas sur ce motif qu'il s'appuie pour contester la recevabilité, étant donné que les allégations de l'auteur ne sont pas fondées et que l'État partie souhaite régler l'affaire le plus rapidement possible.

4.2 L'État partie fait valoir que l'auteur n'a pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations au titre des articles 6 et 7. L'auteur se contente d'allégations vagues selon lesquelles il serait exposé à un risque sérieux de torture, fondées sur les mêmes faits et éléments de preuve que ceux qu'il a présentés aux tribunaux canadiens. L'État partie se fie aux conclusions de la Commission et de l'agent chargé de l'évaluation du risque préalable au renvoi concernant le manque de crédibilité de l'auteur, et affirme qu'il n'appartient pas au Comité de revenir sur des conclusions concernant la crédibilité, d'apprécier des éléments de preuve ou de réévaluer les conclusions concernant les faits auxquelles sont parvenus des cours ou des tribunaux nationaux.

4.3 Au cas où le Comité souhaiterait réévaluer les conclusions concernant la crédibilité de l'auteur, l'État partie fait observer que le témoignage de celui-ci au sujet des événements pertinents contenait des contradictions, des incohérences et des invraisemblances. Il cite notamment les exemples suivants: par endroits, le récit écrit de l'auteur était étonnamment similaire, parfois identique, à celui d'autres requérants avec lesquels il n'avait aucun lien, également originaires d'Inde; son témoignage oral et écrit au sujet de son employé, que la police aurait accusé d'avoir partie liée avec les militants, était contradictoire; ses allégations concernant son beau-frère étaient contradictoires et manquaient de crédibilité, en particulier lorsqu'il affirmait que, bien que celui-ci ait été arrêté dans son camion avec des armes, des explosifs et de la fausse monnaie, il avait été relâché sans avoir été inculpé et vivait toujours en Inde; de même lorsqu'il déclarait que son fils, qui était officiellement propriétaire de l'un des camions, avait aussi pu rester en Inde.

4.4 Quant à une photographie que l'auteur a fournie à l'appui de son allégation selon laquelle sa femme et son fils auraient été torturés en avril 2003, et qui a été présentée pour la première fois à l'agent chargé de l'évaluation du risque préalable au renvoi, l'État partie relève que l'agent ne lui a accordé aucun poids, considérant qu'il aurait pu s'agir de n'importe quelle femme et de n'importe quel jeune homme couverts de pansements sur un lit d'hôpital. À supposer que cette photographie représente les proches de l'auteur, elle ne prouvait pas qu'ils avaient été torturés. L'État partie fait valoir que si l'auteur a pu obtenir une photographie d'eux à l'hôpital, il aurait pu tout aussi bien obtenir un rapport médical décrivant leurs blessures, ce qu'il n'a pas fait. S'ils ont été torturés, l'État partie s'étonne qu'ils continuent à vivre dans leur ville natale et n'aient pas fui dans une autre région de l'Inde ou carrément quitté le pays.

4.5 Quant au rapport médical fourni à la Commission, malgré la conclusion selon laquelle «l'état physique objectif de cet homme et ses allégations subjectives de torture ne sont pas incompatibles», la Commission ne lui a pas accordé de force probante parce qu'elle mettait en doute la crédibilité de l'auteur et que celui-ci s'était contredit au sujet de l'origine des cicatrices qu'il présentait dans le dos. Pour ce qui est du rapport psychologique, bien que la psychologue ait conclu qu'il était tout à fait plausible que les troubles post-traumatiques qu'elle avait diagnostiqués chez l'auteur soient la conséquence des événements traumatiques qu'il affirmait avoir vécus, la Commission a considéré qu'à part les allégations de l'auteur, il n'y avait aucune preuve directe attestant que ces événements avaient eu lieu. Puisque les allégations n'ont pas été jugées crédibles par la Commission, le rapport de la psychologue, qui était fondé sur ces allégations, n'a pas été considéré comme ayant valeur probante. L'État partie estime que les doutes qui pèsent sur les aspects les plus importants du récit de l'auteur entament si gravement la crédibilité de celui-ci que ses allégations ne suffisent pas à étayer son affirmation selon laquelle il encourrait un risque de mort ou de traitement cruel ou inhabituel s'il était renvoyé en Inde.

4.6 Pour ce qui est de la situation des droits de l'homme en Inde, l'auteur n'a pas établi qu'il courait personnellement un risque dans ce pays. Même si la situation des droits de l'homme en Inde constitue parfois un sujet de préoccupation, elle ne permet pas de considérer qu'il y aurait violation du Pacte si l'auteur y était renvoyé. Cependant, au cas où le Comité souhaiterait examiner la situation des droits de l'homme en Inde, l'État partie affirme que cette situation ne corrobore pas les allégations de l'auteur. La situation des droits de l'homme des sikhs en Inde s'est tellement améliorée que le risque qu'ils subissent des tortures ou tout autre mauvais traitement de la part de la police est désormais négligeable. L'État partie se réfère aux rapports de pays sur lesquels s'est appuyé l'agent chargé de l'évaluation du risque préalable au renvoi (rapport des services d'immigration danois de 2001 et rapport de pays établi par les États-Unis en 2002), où il est affirmé que la situation des sikhs au Penjab est à présent stable et que seuls les militants très connus sont susceptibles de courir des risques. L'État partie affirme qu'il a pris en considération les autres rapports fournis par l'auteur, notamment un rapport de 1999 intitulé «Lives Under Threat» (Des vies menacées), qui décrit les persécutions dont les sikhs font actuellement l'objet en Inde, ainsi qu'un rapport de 2003 de SikhSpectrum.com Monthly qui traite de l'impunité judiciaire dont jouissent les responsables de disparitions au Penjab. Selon l'État partie, ce n'est pas parce qu'il y a eu dans le passé des atteintes aux droits de l'homme et que l'impunité persiste dans certains cas que le récit de l'auteur est crédible ou que ses allégations sont étayées. Quant à l'arrêt que la Cour fédérale a rendu dans l'affaire Singh Shahi, par lequel la Cour a annulé la décision de l'agent des services d'immigration et renvoyé l'affaire pour réexamen, l'État partie soutient qu'il démontre que la procédure est efficace, puisque les cas qui doivent être réexaminés le sont. À ce propos, l'État partie se réfère à la décision du Comité contre la torture, qui, après avoir examiné le cas de B.S.S., n'a pas constaté de violation de la Convention, et a même parlé de l'efficacité des recours judiciaires au Canada (2).

4.7 L'État partie affirme que l'auteur n'a pas, même à première vue, étayé son allégation selon laquelle il serait tué s'il était renvoyé en Inde. Relativement à l'article 7, l'État partie estime que les allégations n'établissent pas de risque dépassant la simple «théorie ou suspicion» ni de risque réel et personnel d'être torturé ou de subir une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. À supposer que l'auteur ait été torturé dans le passé, ce que l'État partie nie, ce n'était pas dans un passé récent et cela ne prouve pas qu'il pourrait y avoir un risque de torture à l'avenir.

4.8 L'État partie fait valoir en outre qu'à supposer que l'auteur coure réellement un risque de mort, de torture ou de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant s'il retourne au Penjab, il n'a pas démontré qu'il n'avait pas la possibilité de fuir dans une autre région du pays. Le fait de ne pas pouvoir rentrer chez lui constituerait sans doute un préjudice, mais celui-ci n'équivaudrait pas à un traitement constituant une violation du Pacte (3). Enfin, même si l'on ne tenait pas compte de toutes les contradictions que comporte le récit de l'auteur et si ce récit était jugé crédible, certains documents attestent que, bien qu'il craigne d'être maltraité par la police s'il était renvoyé en Inde, seuls les militants très connus courent actuellement un tel risque. Étant donné que l'auteur n'est pas un militant très connu, il est peu probable qu'il soit visé par la police.

4.9 Quant aux allégations de violation des articles 2, 13 et 14, l'État partie affirme qu'elles sont irrecevables parce qu'elles sont incompatibles avec les dispositions du Pacte, conformément à l'article 3 du Protocole facultatif. Il s'appuie sur la jurisprudence du Comité pour démontrer que l'article 2 ne reconnaît pas de droit indépendant à réparation et ne peut être invoqué que lorsqu'une violation d'un droit énoncé dans le Pacte a été établie. En tout état de cause, les droits garantis par le Pacte qui sont supposés avoir été violés sont des droits protégés par la Charte canadienne des droits et des libertés. Il est affirmé que l'article 13 ne s'applique pas à l'auteur, car il a été estimé que celui-ci ne courait pas de risque en Inde, qu'il fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion conforme à la loi et qu'il ne se trouve donc pas «légalement sur le territoire» canadien. L'État partie cite l'Observation générale no 15 du Comité et ses constatations dans l'affaire Maroufidou c. Suède (4), dans lesquelles le Comité a estimé que l'article 13 ne portait directement que sur la procédure, et non sur les motifs de fond de l'expulsion, et que son objectif était d'éviter les expulsions arbitraires. L'auteur n'a pas établi que la procédure ayant abouti à une décision d'expulsion à son encontre n'était pas conforme à la loi ni que le Gouvernement canadien avait outrepassé ses pouvoirs.

4.10 L'État partie fait valoir que les procédures d'examen des demandes de protection ou du statut de réfugié n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 14 du Pacte. Elles relèvent du droit public, dont l'équité est garantie par l'article 13 (5) . Si toutefois les procédures d'immigration étaient considérées comme relevant de l'article 14, l'État partie affirme qu'elles respectent les garanties qui y sont énoncées. Le cas de l'auteur a été examiné par la Section des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, instance indépendante. L'auteur savait comment se défendre, était représenté par un conseil et a eu toute latitude de participer à la procédure, y compris en témoignant oralement et en formulant des observations écrites. Il a pu former un recours et a eu le droit de déposer une demande pour motifs humanitaires.

4.11 Quant aux plaintes générales de l'auteur concernant la portée du réexamen effectué par la Cour fédérale et les procédures d'examen du risque préalable au renvoi, l'État partie note qu'il n'appartient pas au Comité d'évaluer le système canadien en général, mais seulement d'examiner si, en l'espèce, le Canada s'est acquitté de ses obligations en vertu du Pacte. Quoi qu'il en soit, divers organes internationaux, y compris le Comité, ont estimé que les procédures mises en cause constituaient des recours utiles (6). S'il est vrai que le Comité contre la torture a récemment mis en question l'efficacité de la procédure d'évaluation du risque préalable au renvoi dans le cas d'un requérant (7) , parce qu'il supposait que dans l'affaire en question, l'examen des risques ne serait fondé que sur les nouveaux éléments de preuve, dans le cas d'espèce, l'agent chargé de cette procédure a examiné toutes les explications et tous les éléments de preuve fournis par l'auteur, tant les nouveaux éléments de preuve que ceux qui avaient été auparavant présentés à la Commission, lorsqu'elle avait évalué le risque auquel il pourrait être exposé à son retour.

4.12 Au cas où le Comité déclarait la communication recevable, l'État partie demande qu'elle soit considérée comme étant dénuée de fondement.

Commentaires de l'auteur

5.1 En date des 20 mars et 3 septembre 2005, l'auteur a formulé ses commentaires sur les observations de l'État partie. Il expose la situation historique au Penjab depuis les années 1980, avec force détails, pour démontrer qu'il risquerait d'être torturé s'il y retournait. À propos des contradictions relevées dans son récit, l'auteur affirme qu'il n'est pas étonnant que son histoire ressemble à celle d'autres camionneurs sikhs, étant donné que les sikhs sont nombreux dans ce secteur d'activité et que beaucoup ont été arrêtés et torturés parce qu'ils avaient pris des militants à bord de leur camion ou étaient soupçonnés de transporter des munitions pour eux. Il dément avoir fait des déclarations contradictoires à propos de son employé et affirme que son beau-frère a dû se cacher et que son fils est lourdement harcelé. Bien que l'État partie affirme le contraire, l'auteur insiste sur le fait que les photographies des marques qu'il a dans le dos ont été soumises à la Commission. Il nie qu'aucun élément nouveau n'ait été présenté à l'agent chargé de l'évaluation du risque préalable au renvoi et cite les déclarations des quatre maires locaux (Sarpanch) attestant le danger auquel il serait exposé à son retour ainsi que la détention de sa femme et de son fils.

5.2 En ce qui concerne ses allégations de torture, l'auteur fait valoir que selon les témoignages déposés auprès de la Commission indienne des droits de l'homme, des tribunaux indiens et des organisations internationales de protection des droits de l'homme, la détention et les tortures qu'il a décrites correspondent bien aux méthodes employées par la police du Penjab. Il fait observer que les extraits du rapport des services d'immigration danois cités par les autorités nationales ne reflètent pas les véritables conclusions du rapport. Des arrestations arbitraires continuent d'avoir lieu, des personnes autres que celles qui sont très connues sont menacées, et il n'est pas évident qu'il soit possible de fuir dans une autre région du pays. D'autres rapports, y compris celui d'Amnesty International daté de 2003, l'attestent. L'auteur fournit des informations supplémentaires en vue de démontrer l'inadéquation du système d'examen des demandes d'asile par le service chargé de l'évaluation du risque préalable au renvoi et la Cour fédérale.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 En ce qui concerne le grief de l'auteur qui affirme qu'il ne disposait pas de recours efficace pour contester son renvoi, le Comité note que l'auteur n'a pas démontré en quoi les décisions des autorités canadiennes ont été contraires à l'obligation d'examiner de manière juste et approfondie le risque de violations des articles 6 et 7 qu'il disait courir s'il était renvoyé en Inde. Dans ces circonstances, le Comité n'a pas à déterminer si les procédures liées à l'expulsion de l'auteur entraient dans le champ d'application de l'article 13 (en tant que décision en vertu de laquelle est expulsé un étranger qui se trouve légalement sur le territoire) ou de l'article 14 (détermination des droits et des devoirs dans un procès) (8). En conséquence, cette plainte est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

6.3 Le Comité rappelle que les États parties sont tenus de ne pas exposer des individus à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d'une mesure d'extradition, d'expulsion ou de refoulement (9). Le Comité doit donc déterminer s'il existe des motifs sérieux de croire qu'en cas de renvoi en Inde, l'auteur ferait de manière prévisible et inévitable l'objet de traitements prohibés par les articles 6 et 7 (10) . Le Comité note que la Section des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile de l'auteur à l'issue d'un examen approfondi, au motif que ses déclarations n'étaient pas vraisemblables ni étayées (par. 2.4) et que le rejet de sa demande d'évaluation du risque préalable au renvoi était fondé sur des motifs analogues. Il note en outre que dans les deux cas la demande d'autorisation de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour fédérale (par. 2.5). L'auteur n'a pas suffisamment montré en quoi ces décisions avaient été contraires à la norme énoncée plus haut, et n'avait pas apporté suffisamment d'éléments pour montrer qu'il courrait un risque réel et imminent de violations des articles 6 et 7 du Pacte s'il était expulsé en Inde. Le Comité considère donc que la plainte est irrecevable également en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif faute d'être suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur de la communication.

 

 

 

_____________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.

 

Notes

1. L'auteur fournit les pièces ci-après: renseignements sur la situation générale des droits de l'homme en Inde émanant d'ONG; déclaration d'un avocat indien corroborant son récit des faits; rapport médical daté du 31 mai 2000 qui conclut que «l'état physique objectif de cet homme et ses allégations subjectives de torture ne sont pas incompatibles»; rapport psychologique daté du 20 juin 2000, qui conclut qu'il est plausible que les troubles post-traumatiques dont souffre l'auteur résultent des événements traumatisants qu'il décrit, en particulier des tortures qu'il aurait subies en détention; photocopies de photographies du dos de l'auteur (trop difficiles à interpréter); déclarations de maires de villages de la région corroborant le récit de l'auteur.
2. B.S.S. c. Canada, communication no 183/2001, constatations adoptées le 12 mai 2004.

3. À ce propos, l'État partie renvoie à la décision du Comité contre la torture dans l'affaire B.S.S. c. Canada (communication no 183/2001, constations adoptées le 12 mai 2004), dans laquelle le Comité a estimé que, certes une réinstallation en dehors du Penjab entraînerait des difficultés considérables pour le requérant, mais le simple fait qu'il ne puisse pas retrouver sa famille et son village natal n'équivalait pas à la torture au sens de l'article premier de la Convention.

4. Communication no 58/1979, constations adoptées le 9 avril 1981.

5. À ce propos, l'État partie se réfère aux affaires Y.L. c. Canada, communication no 112/1981 (1986), décision adoptée le 8 avril 1986, V.M.R.B. c. Canada, communication no 236/1987, décision adoptée le 18 juillet 1988, et Ahani c. Canada, communication no 1051/2002, constations adoptées le 29 mars 2004.

6. Commission interaméricaine des droits de l'homme, Organisation des États américains, rapport sur la situation des droits de l'homme des demandeurs d'asile dans le cadre du système canadien de détermination du statut des réfugiés (2000). Constatations du Comité des droits de l'homme: Abu c. Canada, communication no 654/1995, constatations adoptées le 18 juillet 1997; Badu c. Canada, communication no 603/1994, constatations adoptées le 18 juillet 1997; Nartey c. Canada, communication no 604/1994, constatations adoptées le 18 juillet 1997. Décisions du Comité contre la torture: P.S.S. c. Canada, communication no 66/1997, constatations adoptées le 13 novembre 1998; P.S. c. Canada, communication no 86/1997, constatations adoptées le 18 novembre 1999; R.K. c. Canada, communication no 42/1996, constatations adoptées le 20 novembre 1997; L.O. c. Canada, communication no 95/1997, constatations adoptées le 19 mai 2000; M.A. c. Canada, communication no 22/1995, constatations adoptées le 3 mai 1995. Cour européenne des droits de l'homme: Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 14 E.H.R.R.-218 (1991), par. 126.

7. Voir Falcon Rios c. Canada, communication no 133/1999, constatations adoptées le 23 novembre 2004.

8. Constatations du Comité dans l'affaire Ahani c. Canada, communication no 1051/2002, par. 10.5.

9. Voir l'Observation générale no 20 (quarante-septième session), 1992, par. 9.

10. Constatations du Comité dans l'affaire T. c. Australie, communication no 706/1996, 4 novembre 1997, par. 8.1 et 8.2, et dans l'affaire A.R.J. c. Australie, communication no 692/1996, 28 juillet 1997, par. 6.9.

 

 

 

 



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