University of Minnesota



Mme Olga Dranichnikov c. Australia, Communication No. 1291/2004, U.N. Doc. CCPR/C/88/D/1291/2004 (2006).



GENERALE
CCPR/C/88/D/1291/2004
16 janvier 2007
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 1291/2004 : Australia. 16/01/2007.
CCPR/C/88/D/1291/2004. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-huitième session

16 octrobre - 3 novembre 2006

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4

de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international

relatif aux droits civils et politiques*

- Quatre-vingt-huitième session -

 

Communication no. 1291/2004

 

Présentée par: Mme Olga Dranichnikov (non représentée par un conseil)
Au nom de: L'auteur

État partie: Australie

Date de la communication: 1er juin 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 octobre 2006,

Ayant achevé l'examen de la communication no 1291/2004 présentée par Mme Olga Dranichnikov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

 

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

 

 

1. L'auteur de la communication, datée du 1er juin 2004, est Olga Dranichnikov, de nationalité russe née le 8 janvier 1963. Elle affirme être victime de violations par l'Australie des articles 2, 6, 7, 9, 14, 23 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n'est pas représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'Australie le 25 décembre 1991.

Exposé des faits

2.1 L'auteur est arrivée en Australie en janvier 1997 avec son mari et leur fille, avec un visa de touriste. Le 2 avril 1997, son mari a déposé auprès du Département de l'immigration et des affaires multiculturelles (DIMA) une demande de visa de protection au nom de la famille. La demande était fondée sur des menaces reçues par l'auteur et son mari à Vladivostok (Russie) en raison de leur participation active à la défense des droits de l'homme en Russie.

2.2 Le 20 mai 1997, le DIMA a rejeté la demande, après qu'une demande de renseignements supplémentaires adressée au mari de l'auteur eut été retournée parce qu'elle avait été envoyée à l'ancienne adresse de l'auteur. Celle-ci n'a pas été interrogée.

2.3 Le 19 juin 1997, le mari de l'auteur a adressé au Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés une demande de réexamen de la décision du DIMA. Le 11 août 1998, le Tribunal a rejeté la demande.

2.4 Le 9 septembre 1998, le mari de l'auteur a déposé une deuxième demande de réexamen. Le 19 septembre 1998, l'auteur a demandé au Tribunal d'examiner sa demande séparément de celle de son mari. Le 21 janvier 1999, ils ont appris que la deuxième demande de réexamen n'était pas valide. Le 15 février 1999, le mari de l'auteur a formé un recours auprès de la Cour fédérale contre le rejet de sa demande par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Son recours a été rejeté le 7 février 2000. Le recours supplémentaire qu'il avait formé auprès de la chambre plénière de la Cour fédérale a été rejeté le 14 décembre 2000. Le 24 décembre 2000, il s'est pourvu devant la Cour suprême, qui a fait droit à son recours et a renvoyé la demande au Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés le 8 mai 2003.

2.5 Le 29 janvier 1999, l'auteur et son mari se sont rendus au bureau du DIMA, où ils ont été informés qu'ils se trouvaient en Australie illégalement depuis que le Tribunal avait rejeté leur demande et où on leur a fait signer une lettre au Ministre en vue d'obtenir un visa d'attente. Le visa d'attente ne permettait à aucun des conjoints de travailler.

2.6 Le 11 août 2000, l'auteur a voulu déposer une demande de visa de protection en son nom propre, mais le DIMA a refusé de l'enregistrer, la jugeant non valide au motif que la demande du statut de réfugié déposée précédemment par l'auteur avait fait l'objet d'une décision définitive. Le 5 septembre 2000, l'auteur a déposé une demande de réexamen de la décision du DIMA auprès de la Cour fédérale d'Australie, qui l'a déboutée le 29 janvier 2001. À l'examen de sa demande d'autorisation de faire appel, la chambre plénière de la Cour fédérale, le 22 juin 2001, s'est prononcée en faveur de l'auteur, estimant qu'elle devait être autorisée à déposer sa propre demande de visa de protection. Le 13 août 2001, le Ministre a demandé à la Cour suprême l'autorisation de faire appel du jugement mais a retiré sa demande le 30 novembre 2001, à la suite d'amendements qui avaient été apportés à la loi sur les migrations en vue d'empêcher le renouvellement de demandes dans des cas tels que celui de l'auteur.

2.7 Parallèlement à la procédure décrite ci-dessus, l'auteur avait déposé, le 27 septembre 2000, une plainte devant la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances. En mars 2001, le Président de la Commission a rejeté la plainte de l'auteur et celle-ci a formé un recours auprès du tribunal fédéral de première instance. Le 18 février 2002, son recours a été rejeté et, le 8 mars 2002, l'auteur a déposé un autre recours devant la Cour fédérale, qui l'a rejeté le 5 décembre 2002. L'auteur a alors demandé une autorisation spéciale de recours qui a été refusée par la Cour suprême le 25 juin 2003.

2.8 Le 14 novembre 2002, le DIMA a informé l'auteur qu'aucune suite ne serait donnée à sa demande de visa de protection car elle n'avait pas acquitté les droits correspondants, dont le montant s'élevait à 30 dollars. Il ressort de la lettre qu'à la suite de la décision de la Cour fédérale la concernant, l'auteur avait été informée quatre fois depuis février 2002 que sa demande serait considérée comme valide à compter du 22 juin 2001 si elle versait les 30 dollars de droits. Toute nouvelle demande qu'elle souhaiterait déposer serait traitée conformément à la loi sur les migrations telle qu'elle avait été révisée.

2.9 Le 6 décembre 2002, l'auteur a demandé à la Cour suprême de rendre une ordonnance provisoire, ce que la Cour a refusé le 25 juin 2003.

Teneur de la plainte

3.1 L'auteur affirme être victime de violations par l'Australie des articles 2, 23 et 26 du Pacte: a) parce qu'elle n'a pas été autorisée à déposer une demande du statut de réfugié en son nom propre; b) parce qu'elle n'a pas été interrogée en tant que femme faisant partie de la cellule familiale de son mari; c) pour application d'amendements à la loi sur les migrations jugés discriminatoires. L'auteur affirme qu'elle a été victime de discrimination fondée sur le sexe et la situation matrimoniale.

3.2 L'auteur affirme en outre qu'elle n'a pas eu droit à une procédure équitable, en violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Elle déclare que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n'est pas indépendant, puisqu'il est financé par le Gouvernement et que ses membres sont nommés par le Gouverneur général sur recommandation du Ministre de l'immigration. Elle affirme que le Ministre de l'immigration influence lourdement les décisions du Tribunal, et cite à ce propos des articles de journaux selon lesquels, à la suite d'une décision controversée rendue par le Tribunal, le Ministre aurait indiqué qu'il était peu probable qu'il renouvelle les contrats à durée déterminée des membres du Tribunal qui prenaient des décisions s'écartant du droit international relatif aux réfugiés. Dans le cas de la demande de visa de protection déposée par son mari, l'auteur affirme que le Tribunal enfreint les règles de la justice naturelle en ne se prononçant pas sur sa demande du statut de réfugié alors que la Cour suprême a décidé, le 8 mai 2003, de renvoyer l'affaire au Tribunal pour examen.

3.3 Enfin, l'auteur affirme qu'elle serait victime de violations par l'Australie des articles 6, 7 et 9 du Pacte si elle était renvoyée en Russie.

3.4 L'auteur réclame des dommages et intérêts d'un montant de 420 000 dollars des États-Unis pour préjudice moral, plus le coût intégral d'un regroupement familial avec sa mère et ses beaux-parents.

Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Dans une réponse du 16 août 2005, l'État partie présente ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il déclare que l'auteur, son mari et leur fille se sont vu délivrer un visa de protection permanent le 10 février 2005 après que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés eut réexaminé la demande déposée par le mari de l'auteur au nom de la famille le 19 août 2004.

4.2 Quant aux faits, l'État partie explique que, lorsque le mari de l'auteur a déposé une demande de visa de protection au nom de la famille en avril 1997, l'auteur n'a pas rempli la partie du formulaire qui lui aurait permis d'être considérée comme requérante en son nom propre, raison pour laquelle elle a été considérée en tant que membre de la cellule familiale.

4.3 L'État partie conteste la recevabilité des allégations de l'auteur en vertu des articles 6, 7 et 9 du Pacte au motif que l'auteur n'a pas étayé ses allégations, qu'elle n'avait pas épuisé les recours internes disponibles au moment où elle a présenté sa communication au Comité, et qu'elle a par la suite obtenu satisfaction en recevant un visa de protection.

4.4 L'État partie conteste en outre la recevabilité de la plainte formulée par l'auteur au titre de l'article 23 du Pacte au motif qu'elle est incompatible avec les dispositions du Pacte.

4.5 En ce qui concerne le bien-fondé de la plainte au titre des articles 2 et 26 du Pacte, l'État partie nie qu'il y ait eu violation et affirme que la demande initiale de l'auteur a été traitée correctement en fonction de la forme sous laquelle elle avait été soumise. L'auteur a rempli la section du formulaire réservée aux membres de la famille ne présentant pas de demande distincte au lieu de celle réservée aux membres de la famille souhaitant déposer une demande en leur nom propre. C'est pourquoi elle a été considérée en tant que membre de la cellule familiale sur la base de la demande déposée par son mari. Compte tenu de ces faits, l'État partie soutient que rien ne laisse penser que la demande initiale a fait l'objet d'un traitement discriminatoire.

4.6 L'État partie nie en outre qu'il était dans l'obligation d'interroger séparément l'auteur dans le cadre de la demande d'asile déposée par son mari et affirme que, même s'il l'avait été, le fait de ne pas l'interroger n'aurait pas constitué une discrimination. Dans ce contexte, l'État partie explique que les directives pour la parité entre les sexes que le DIMA a publiées en 1996 aident ceux qui prennent les décisions à gérer au mieux les plaintes pour persécution subie en raison du sexe et les conseillent sur l'opportunité d'interroger séparément une femme incluse dans la demande comme membre de la famille au cas où des attitudes sexistes sont dénoncées ou soupçonnées ou si l'intéressée demande un entretien distinct. L'État partie affirme que dans la demande de la famille la question d'une persécution dirigée contre la femme n'apparaissait pas et que l'auteur n'a pas demandé à être interrogée séparément. En conséquence, il n'y avait pas obligation d'organiser un entretien avec l'auteur, et ne pas l'avoir fait ne constitue pas une discrimination.

4.7 Quant à la demande déposée par l'auteur le 11 août 2000, le DIMA en a rejeté la validité en s'appuyant sur son interprétation de l'article 48A(1) de la loi sur les migrations, qui interdit aux non-ressortissants de déposer plus d'une demande de visa de protection (1). Le 22 juin 2001, la chambre plénière de la Cour fédérale a rejeté l'interprétation que le DIMA avait faite de la loi sur les migrations et a considéré que l'article 48A(1) n'empêchait pas un membre de la famille qui n'avait pas déposé de demande en son nom propre de déposer une nouvelle demande de visa de protection. Du fait de ce jugement, il était loisible à l'auteur de déposer une demande de visa de protection en son nom propre. Elle y a été invitée, et elle a été informée que si elle versait les 30 dollars de droits sa demande antérieure serait considérée comme valide à la date du jugement rendu par la Cour fédérale, c'est-à-dire au 22 juin 2001. Or, l'auteur n'a jamais acquitté ces droits d'un montant modique et, par conséquent, aucune demande valide n'a été déposée.

4.8 Enfin, l'État partie nie que les amendements apportés en septembre 2001 à la loi sur les migrations constituent une discrimination fondée sur le sexe ou la situation matrimoniale. Il explique que ces amendements empêchent le dépôt d'une nouvelle demande lorsque l'intéressé a, sans succès, demandé le statut de personne protégée en faisant valoir qu'il est marié à une personne ou à la charge d'une personne qui a droit à une protection en vertu de la Convention relative aux réfugiés. Selon l'État partie, l'amendement avait pour objectif d'empêcher les demandes de visa de protection abusives de la part de groupes familiaux cherchant à prolonger leur séjour en Australie, chaque membre de la famille se relayant pour déposer une demande de protection en son nom propre tandis que les autres se présentent comme des membres de la famille. L'État partie souligne toutefois que l'amendement n'empêche pas un conjoint ou une personne à charge de déposer sa propre demande de protection, indépendamment du demandeur principal, en première instance. Il en conclut que l'amendement ne constitue pas une discrimination fondée sur le sexe ou la situation matrimoniale ni sur tout autre motif.

4.9 Quant à l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, l'État partie affirme qu'elle est dénuée de fondement et que des mesures législatives et administratives appropriées assurent l'indépendance et l'impartialité du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et de ses membres. Le Tribunal est régi par les dispositions de la loi sur les migrations, ses membres sont nommés par le Gouverneur général et leur mandat est limité à cinq ans. Un membre qui a un conflit d'intérêts dans une affaire ne doit pas participer à la procédure. Les membres du Tribunal sont des fonctionnaires publics qui conservent leur indépendance vis-à-vis du Ministre de l'immigration.

4.10 En ce qui concerne le retard accumulé dans l'examen du cas du mari, l'État partie reconnaît que la durée dépassait les limites fixées par le Tribunal dans sa charte des services aux clients, raison pour laquelle le Tribunal, le 25 mars 2004, a écrit une lettre d'excuse. L'État partie rejette l'idée que le Tribunal ait délibérément cherché à retarder la procédure. Il fait valoir en outre que le retard ne peut pas être considéré comme excessif au sens du droit international. Il explique que le Tribunal a pris sa première décision concernant la demande de la famille dans un délai de 14 mois, et la seconde après le renvoi de l'affaire par la Cour suprême, dans un délai de 15 mois. Il dit que ce délai était dû à la complexité de l'affaire, dans laquelle le Tribunal a dû publier une décision de 199 pages expliquant ses motifs.

Commentaires de l'auteur

5.1 Dans ses observations concernant la réponse de l'État partie datées du 26 octobre 2005, l'auteur déclare que la demande d'autorisation de faire appel de la décision de la Cour fédérale la concernant déposée par le Ministre de l'immigration l'a empêchée de présenter sa propre demande de visa de protection avant la modification de la loi sur les migrations.

5.2 Quant à ses allégations au titre des articles 2 et 26 du Pacte, l'auteur affirme qu'elle cherche à obtenir qu'il soit donné effet aux droits reconnus dans le Pacte, c'est-à-dire que l'amendement à l'article 48A de la loi sur les migrations soit annulé au motif qu'il est discriminatoire, que l'examen des demandes du statut de réfugié ne soit plus confié au Ministre de l'immigration, que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés soit véritablement un organe compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, et qu'elle-même soit indemnisée pour les pertes et préjudices subis.

5.3 L'auteur réaffirme être victime d'une discrimination fondée sur le sexe et la situation matrimoniale parce qu'elle n'a pas pu exercer le droit de demander l'asile en son nom propre depuis qu'en 1997 elle a été intégrée dans la demande de son mari. Dans ce contexte, elle affirme ne pas avoir eu accès à une représentation légale ni à des conseils juridiques pour établir sa demande de statut de réfugié, qu'elle n'a pas bénéficié des services d'un interprète qualifié, qu'elle n'a pas disposé de suffisamment de temps pour fournir des renseignements supplémentaires et qu'elle n'a pas été interrogée séparément. Elle avance que la présentation du formulaire de demande de visa de protection et la politique du DIMA en matière d'entretiens supposent implicitement que les demandeurs d'asile sont des hommes politiquement actifs et que les femmes doivent être considérées comme des personnes à charge, ce qui a pour effet de perpétuer la discrimination et les disparités entre les sexes. Elle affirme que, bien qu'ils semblent s'appliquer indifféremment aux deux sexes, les amendements apportés à l'article 48 de la loi sur les migrations constituent en fait une discrimination à l'égard des femmes qui demandent l'asile. Dans le cas de l'auteur, si la demande de son mari n'avait pas abouti elle aurait été expulsée en Russie sans avoir eu la possibilité de déposer sa propre demande de statut de réfugié.

5.4 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie selon lequel l'auteur a été invitée à valider sa demande de visa de protection à la suite de la décision de la Cour fédérale en date du 22 juin 2001, il ressort des documents accompagnant la réponse de l'auteur qu'elle a refusé d'acquitter les droits parce qu'elle avait préféré attendre qu'il soit statué définitivement sur la demande de son mari. Elle a toutefois déclaré qu'elle solliciterait l'asile en son nom propre au cas où la demande de son mari serait rejetée.

5.5 En ce qui concerne sa plainte au titre de l'article 14 du Pacte, l'auteur déclare que les affirmations de l'État partie selon lesquelles le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés serait indépendant sont dénuées de fondement car elle a été informée que le Tribunal relevait de la responsabilité du Ministre de l'immigration. Elle affirme également que le principal membre du Tribunal a délibérément reporté le réexamen de la demande du statut de réfugié déposée par son mari. Elle ajoute que le fonctionnaire chargé d'examiner le dossier de son mari s'est montré sarcastique et arrogant vis-à-vis de la famille et a refusé de se dessaisir de l'affaire. En conséquence, l'auteur et son mari ont demandé à la Cour suprême de rendre une ordonnance pour atteinte à l'autorité de la justice contre le membre principal du Tribunal et le fonctionnaire en question. L'auteur réaffirme que, dans la pratique, les nominations des membres du Tribunal, leur rémunération et la durée de leur mandat dépendent largement du Ministre de l'immigration.

5.6 En ce qui concerne ses griefs de violation des articles 6, 7 et 9 du Pacte, l'auteur réaffirme que si la demande de son mari n'avait pas abouti elle aurait été expulsée vers la Russie. Elle affirme également qu'elle a été soumise à un traitement inhumain et dégradant, puisque de janvier 1999 à février 2000 elle a été privée du droit de travailler en tant que personne à charge de son mari, lorsque le permis de travail de celui-ci lui a été retiré. La pauvreté et les soucis qui en ont découlé lui ont valu d'être hospitalisée, en 2000. Elle affirme en outre que par sa politique discriminatoire l'État partie encourage l'éclatement des familles, puisque c'est à ce moment-là seulement que les membres de la famille peuvent présenter une demande de statut de réfugié en leur nom propre.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

6.3 Concernant les plaintes formulées par l'auteur au titre des articles 6, 7 et 9 du Pacte pour le cas où elle serait renvoyée en Fédération de Russie, le Comité note qu'elles sont devenues sans objet puisque l'auteur a obtenu un visa de protection en Australie. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article premier du Protocole facultatif.

6.4 Quant au grief de l'auteur selon lequel la politique de l'État partie encourage l'éclatement des familles, en violation de l'article 23 du Pacte, le Comité note que les faits qu'elle a présentés ne montrent pas en quoi l'auteur est une victime à cet égard. Le Comité considère par conséquent que cette partie de la communication constitue une actio popularis et qu'elle est irrecevable en vertu de l'article premier du Protocole facultatif.

6.5 Le Comité note que l'auteur affirme être victime de discrimination en violation de l'article 26 du Pacte parce qu'elle n'a pas été autorisée à déposer une demande de visa de protection en son nom propre. Il considère que ce grief est irrecevable pour non-épuisement des recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif étant donné qu'après que la Cour suprême eut rendu une décision en sa faveur et que le Département de l'immigration l'eut invitée à déposer une demande, l'auteur n'a pas fait usage de la voie de recours qui lui était offerte.

6.6 En ce qui concerne le grief de violation de l'article 26 au motif que les amendements apportés à la loi sur les migrations auraient annulé l'effet de la décision rendue par la Cour suprême dans le cas de l'auteur, le Comité relève que la loi modifiée n'a pas été appliquée à l'auteur et que celle-ci ne peut donc prétendre être victime d'une violation du Pacte à cet égard (2). Le Comité considère que cette partie de la communication constitue une actio popularis et qu'elle est irrecevable conformément à l'article premier du Protocole facultatif.

6.7 Quant à la plainte formulée au titre du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, le Comité note que l'État partie n'a soulevé aucune objection concernant sa recevabilité. Le Comité estime toutefois que les griefs de l'auteur au sujet du manque d'indépendance du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, parce qu'il serait sous la dépendance du Ministère de l'immigration et parce qu'elle aurait perçu une certaine arrogance de la part d'un membre du Tribunal, ne sont pas étayés aux fins de la recevabilité et sont donc irrecevables conformément à l'alinéa a de l'article 2 du Protocole facultatif.

6.8 Le Comité note que l'État partie a reconnu que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés était un tribunal au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte (3). Le Comité ne voit aucun obstacle à la recevabilité du grief de l'auteur qui considère que le retard mis à examiner la demande de son mari était délibéré et montrait l'absence d'indépendance et d'objectivité du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. En conséquence, il déclare la communication recevable en ce qui concerne la plainte invoquant le paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, et procède immédiatement à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2 L'auteur s'est déclarée victime d'une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte au motif que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n'était pas indépendant ni objectif et avait délibérément retardé le réexamen du cas de son mari. L'État partie a rejeté cette allégation et a expliqué les mesures qui avaient été prises pour garantir l'indépendance du Tribunal. Le Comité relève que le retard pris dans l'examen de la demande de statut de réfugié déposée par le mari de l'auteur est effectivement important, mais il note que ce retard était dû à l'ensemble des procédures − y compris devant la Cour fédérale (22 mois) et la Cour suprême (27 mois) − et qu'il n'était pas uniquement le fait du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (14 mois pour le premier examen et 15 mois pour le second). Le Comité conclut que les informations dont il dispose ne montrent pas que l'auteur a été victime d'un manque d'indépendance du Tribunal à cet égard.

8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif, est d'avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

_____________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.

Conformément à l'article 90 du Règlement intérieur du Comité, M. Ivan Shearer n'a pas participé à l'adoption de la décision du Comité.

Notes

1. Le passage pertinent de l'article se lit comme suit: «… un non-ressortissant qui, alors qu'il se trouve dans la zone de migration, a déposé … une demande de visa de protection … ne peut pas déposer une nouvelle demande de visa de protection tant qu'il se trouve dans la zone de migration.».

2. Voir les communications no 318/1988, E. P. et consorts c. Colombie, par. 8.2, no 35/1978, Shirin Aumeeruddy-Cziffra et consorts c. Maurice, par. 9.2.

3. Voir aussi la communication no 1015/2001, Perterer c. Autriche, par. 9.2 (constatations adoptées le 20 juillet 2004).

 

 

 



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