University of Minnesota



María Concepción Lanzarote Sánchez, María del Pilar Lanzarote Sánchez et Ángel Raúl Lanzarote Sánchez c. Spain, Communication No. 1212/2003, U.N. Doc. CCPR/C/87/D/1212/2003 (2006).



GENERALE
CCPR/C/87/D/1212/2003
8 août 2006
FRANCAIS
Original: ESPAGNOL

Communication No. 1212/2003 : Spain. 08/08/2006.
CCPR/C/87/D/1212/2003. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
87ème session

10 - 28 juillet 2006

 

Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif

se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

- Quatre-vingt-septième session -

 

Communication No 1212/2003*

 

 

Présentée par: María Concepción Lanzarote Sánchez, María del Pilar Lanzarote Sánchez et Ángel Raúl Lanzarote Sánchez (représentés par un conseil, M. Jose Luis Mazón Costa)
Au nom de: Les auteurs
État partie: Espagne
Date de la communication: 7 septembre 2001 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

 

Décision concernant la recevabilité

 

1. Les auteurs de la communication, datée du 7 septembre 2001, sont María Concepción Lanzarote Sánchez, María del Pilar Lanzarote Sánchez et Ángel Raúl Lanzarote Sánchez, de nationalité espagnole. Ils se déclarent victimes de violations par l'Espagne du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'État partie le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par un conseil, M. Jose Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1 Le 25 janvier 1985, M. Lanzarote, père des auteurs, a déposé une demande d'inscription sur le Registre des demandes créé par la loi no 37/1984, relative à la reconnaissance de droits et de services aux membres des forces armées pendant la guerre civile d'Espagne. La demande, adressée au Directeur général des dépenses de personnel à Madrid, avait été signée par M. Lanzarote le 19 décembre 1984. Ne recevant pas de réponse, M. Lanzarote avait renouvelé sa demande par lettre recommandée datée du 21 avril 1985.

2.2 Par une décision du 23 avril 1997, la Direction générale des dépenses de personnel et des pensions publiques du Ministère de l'économie et des finances a reconnu à M. Lanzarote les droits découlant de la loi no 37/1984, en tant qu'ancien commandant de l'aviation, qui allait prendre sa retraite au 31 mai 1997, et lui a accordé une pension équivalant à 90 % de son salaire, à compter du 1er février 1997, premier jour du mois suivant le mois de la demande prise en considération, datée du 7 janvier 1997.

2.3 M. Lanzarote a formé un recours auprès de la Direction générale des dépenses de personnel du Ministère de l'économie et des finances afin d'obtenir la pension à partir de la date à laquelle il avait fait la demande initiale, c'est-à-dire le 25 janvier 1985. Avant de se prononcer, la Direction générale a demandé à M. Lanzarote de lui faire parvenir une copie certifiée conforme de la demande de janvier 1985, ce qu'il a fait. Le 17 juillet 1997, la Direction générale des dépenses de personnel du Ministère de l'économie et des finances a rejeté le recours. D'après les auteurs, la Direction générale n'a pas reconnu la validité de la copie certifiée conforme de la demande de janvier 1985 alors qu'elle avait été authentifiée par le Ministère de l'économie et des finances lui-même, en date du 4 septembre 1997 (sic). M. Lanzarote a formé un recours auprès du tribunal économique administratif central, qui l'a débouté en date du 9 février 1999. Le 15 avril 1999 il a attaqué cette décision en formant un recours devant la Chambre administrative de l'Audiencia Nacional.

2.4 Avant que l'Audiencia Nacional ait rendu sa décision sur le recours, le père des auteurs est décédé et ses enfants ont trouvé dans ses dossiers une autre copie certifiée conforme (datée du 19 janvier 1994) de la demande de janvier 1985 et l'ont adressée à l'Audiencia Nacional, le 5 juillet 2000. Le 16 octobre 2000, l'Audiencia Nacional a rejeté le recours, estimant que le dépôt de la demande de janvier 1985 n'avait pas été prouvé parce qu'elle disposait d'attestations de la Délégation des finances de Murcie certifiant que les demandes de M. Lanzarote ne figuraient pas sur les registres, élément qui d'après le tribunal ôtait toute validité aux documents «confus» produits par les auteurs. Le tribunal a conclu qu'il fallait appliquer le paragraphe 2 de l'article 7 de la loi sur les pensionnés et retraités de l'État qui dispose qu'un acte produit ses effets économiques à partir du premier jour du mois suivant le dépôt de la demande et que, dans le cas de M. Lanzarote, la seule demande enregistrée était celle du 7 janvier 1997. Le tribunal a ajouté que c'était aux auteurs qu'il appartenait de prouver l'existence des demandes de janvier et d'avril 1985 et non pas à la partie défenderesse (l'administration) comme eux-mêmes le faisaient valoir. D'après les auteurs, la décision de l'Audiencia Nacional confère la qualité de preuve irréfragable à une déclaration unilatérale de la partie défenderesse, c'est-à-dire aux attestations de la Délégation des finances de Murcie. De plus, d'après les auteurs, le jugement est muet sur la deuxième copie certifiée conforme. Le 21 novembre 2000, les auteurs ont formé un recours en nullité contre la décision de l'Audiencia Nacional, en faisant valoir que la copie certifiée conforme de 1994 n'avait pas été prise en considération. L'Audiencia Nacional a rejeté l'incident de nullité, le 23 janvier 2001, affirmant qu'au contraire elle avait examiné attentivement ce document mais qu'elle ne lui avait pas accordé de valeur probante face à l'attestation négative de la Délégation des finances de Murcie.

2.5 En novembre 2000, les auteurs ont formé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Ils faisaient valoir que: i) l'Audiencia Nacional avait arbitrairement omis de se prononcer sur la deuxième copie certifiée conforme; ii) le refus de l'Audiencia Nacional d'accorder valeur probante à la copie certifiée conforme était manifestement arbitraire et constituait une violation du droit à l'égalité des moyens en accordant un avantage excessif à l'attestation négative de la Délégation des finances de Murcie. Ils invoquaient la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui considère qu'il y a violation du droit à l'égalité des moyens quand un crédit exagéré est accordé aux preuves produites par une partie par rapport aux preuves produites par la partie adverse.

2.6 En février 2001, les auteurs ont demandé l'extension du recours en amparo contre la décision de l'Audiencia Nacional de janvier 2001, qui avait rejeté l'incident de nullité. Les auteurs mettaient en avant l'arbitraire et le manque d'impartialité de l'Audiencia Nacional. Le 24 avril 2001, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours en amparo ainsi que l'extension du recours en amparo. D'après les auteurs, le tribunal n'a pas répondu au grief relatif à l'égalité des moyens et a accusé l'avocat des demandeurs d'avoir présenté leurs griefs de façon confuse. Deux des trois magistrats qui composaient la chambre du Tribunal constitutionnel saisie du recours en amparo avaient fait l'objet, dans une autre affaire, d'une action engagée par l'avocat des auteurs et, malgré cela, ils n'avaient pas été dessaisis du recours. En ce qui concerne l'incident de nullité, le tribunal a considéré qu'il ne pouvait pas examiner la demande de nullité étant donné que la loi qui régissait cette action, la loi organique du pouvoir judiciaire, n'était pas applicable au Tribunal constitutionnel.

2.7 Il ressort du jugement du Tribunal constitutionnel que celui-ci a considéré qu'il n'avait pas à examiner les raisons pour lesquelles un organe judiciaire accorde une plus grande crédibilité à une pièce du dossier plutôt qu'à une autre. Il a indiqué que l'Audiencia Nacional avait bien apprécié la valeur de la copie certifiée conforme de 1994 et ne pouvait pas accepter qu'il y ait eu une omission attentatoire au droit à la protection effective de la justice.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs font valoir plusieurs violations du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Ils affirment que l'égalité de moyens a été violée car l'Audiencia, sans fondement légal, a conféré une valeur probante irréfragable à l'attestation négative de la Délégation des finances de Murcie et n'a accordé aucune valeur probante à deux autres preuves officielles: les copies certifiées conformes. Les auteurs citent un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme.

3.2 Les auteurs indiquent que les arguments retenus par l'Audiencia Nacional dans son jugement et dans sa décision sur l'incident de nullité sont «entachés d'un arbitraire notoire» et constituent un «déni de justice». L'Audiencia Nacional méconnaît sans justification la valeur probante des copies certifiées conformes qui étaient des documents officiels.

3.3 D'après les auteurs, l'Audiencia Nacional a manqué d'impartialité et n'a pas agi dans le cadre de sa compétence en donnant la primauté à la preuve apportée par l'administration, qui était la partie défenderesse, et non pas à la preuve des demandeurs, bien que celle-ci consistât en documents officiels. D'après eux, l'attestation négative de la Délégation des finances qui affirme que la requête de 1985 n'a pas été inscrite au Registre des demandes prouve seulement qu'elle a été égarée ou perdue à cause de la mauvaise organisation du service administratif.

3.4 Les auteurs font valoir que le Tribunal constitutionnel n'a pas tranché la question relative à l'égalité de moyens, a accusé sans fondement l'avocat des auteurs d'avoir présenté les griefs de façon confuse dans le recours en amparo et n'a pas affirmé à bon droit qu'il ne pouvait pas accepter l'incident de nullité du fait que la loi organique du pouvoir judiciaire n'était pas applicable au Tribunal constitutionnel; en effet, dans d'autres affaires antérieures, il avait bien appliqué cette loi. Les auteurs ajoutent que le Tribunal constitutionnel n'était pas impartial parce que deux magistrats qui avaient fait l'objet, dans une autre affaire, d'une action engagée par l'avocat des auteurs ne s'étaient pas récusés.

Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la communication et commentaires des auteurs

4.1 Dans une note datée du 7 janvier 2004, l'État partie affirme que la communication représente un abus du droit de plainte et n'a pas le moindre fondement, car les auteurs cherchent à utiliser le mécanisme mis en place par le Pacte pour obtenir l'examen d'une situation qui a déjà été suffisamment examinée, sans le moindre arbitraire, et qui a été tranchée dans le respect de toutes les garanties. Les auteurs ont pu saisir la justice à plusieurs reprises, ils ont obtenu des décisions dûment motivées dans lesquelles les organes juridictionnels ont répondu point par point à leurs griefs. D'après l'État partie, la seule question que les auteurs soulèvent porte sur l'appréciation de la preuve produite pour déterminer la date à laquelle leur père pouvait avoir soumis à l'administration une requête déterminée et il n'appartient pas au Comité de se substituer aux organes juridictionnels internes. L'État partie rappelle que les auteurs n'ont pas apporté aux tribunaux ni au Comité l'original de la copie certifiée conforme de janvier 1994.

4.2 Dans une note du 27 mai 2004, l'État partie affirme que les tribunaux espagnols ont respecté le principe de l'égalité des moyens pendant toute la procédure. En ce qui concerne les documents produits par les auteurs, il précise ce qui suit:

a) Les auteurs n'ont jamais fourni aux juridictions internes ni au Comité l'original du document supposé être daté du 25 janvier 1985;
b) Il ressort de la documentation produite par les auteurs que le document supposé est une photocopie quasiment illisible, portant un tampon sur lequel on ne distingue qu'une date (25 janvier 1985) qui est en surimpression par rapport à un autre impossible à identifier;

c) D'après les auteurs, il existe une copie certifiée conforme à l'original qui porte la date du 4 septembre 1997; or la pièce produite par les auteurs consiste seulement en une lettre d'accompagnement, datée du 4 septembre 1997, adressée par le père des auteurs à la Direction générale des dépenses de personnel et des pensions de l'État, signalant qu'une copie certifiée conforme est jointe, mais dans la documentation il n'y a aucune trace de cette copie: il n'y a que la lettre d'accompagnement qui y fait référence;

d) Dans le document dont les auteurs disent qu'il s'agit de la copie certifiée conforme qu'ils ont trouvée dans les papiers de leur père figurent dans la marge inférieure droite les mots «copie au verso»; or cette copie n'a jamais été remise à l'État partie;

e) Le document qui d'après les auteurs est daté du 4 septembre 1997 est postérieur à la décision de la Direction générale des dépenses de personnel et des pensions de l'État du Ministère de l'économie et des finances, rendue le 23 avril 1997, qui reconnaît le droit à pension du père des auteurs, avec effet au 1er février 1997;

f) Quand le Tribunal économique administratif central a demandé à M. Lanzarote, le 22 octobre 1998, de lui faire parvenir l'original de la demande du 25 janvier 1985, M. Lanzarote a répondu qu'il ne pouvait pas «apporter l'original parce que la mallette en cuir noir dans laquelle il se trouvait, avec d'autres documents, avait été dérobée lors du vol avec menaces dont il avait été victime le 5 septembre 1997, aux alentours de 22 h 30, dans la localité de Villalba». La première fois que M. Lanzarote avait été prié de produire l'original de sa demande, il avait envoyé une prétendue copie délivrée par un organe administratif qui n'a rien à voir avec l'affaire en question (le Bureau du cadastre) et non pas l'original qu'il aurait dû produire; comme suite de la deuxième demande dans ce sens, il avait joint un certificat de la police accusant réception d'une plainte pour le vol d'une mallette, où il n'est pas fait mention du contenu de la mallette volée.

 

4.3 L'État partie souligne que les questions soulevées par les auteurs portent sur la preuve, et qu'il faut donc appliquer la jurisprudence du Comité qui a toujours affirmé que c'était aux juridictions des États parties et non à lui-même qu'il appartenait d'apprécier les faits et les preuves dans une affaire déterminée sauf s'il peut être établi que l'appréciation a été arbitraire ou a représenté un déni de justice. D'après l'État partie, la communication constitue un abus du droit de présenter des communications et est incompatible avec les dispositions du Pacte.
4.4 En ce qui concerne le grief d'atteinte au principe de l'égalité des moyens, l'État partie relève que les auteurs ont eu accès plusieurs fois à la justice, et que les organes juridictionnels internes ont pris de nombreuses décisions relativement à leurs prétentions. Les documents produits par M. Lanzarote et par les auteurs, notamment les copies authentifiées du document original, ont été examinés par les juridictions internes. Le fait que la preuve n'ait pas été appréciée dans un sens favorable aux prétentions des auteurs ne signifie pas qu'elle n'a pas été examinée du tout. L'apparence douteuse des documents mentionnés a conduit la Direction générale des dépenses de personnel comme le Tribunal économique administratif central, l'Audiencia Nacional et le Tribunal constitutionnel à ne pas leur accorder de valeur et à accorder plus de crédit aux attestations négatives indiquant que la demande de 1985 ne figurait pas sur les registres.

4.5 D'après l'État partie, le grief des auteurs qui font valoir que la deuxième photocopie certifiée conforme qu'ils avaient trouvée dans les papiers de leur père n'a pas été prise en considération n'est pas exact. Dans les premières phases de la procédure, une copie certifiée conforme datée du 4 septembre 1997 a été produite; mais la Direction générale et le Tribunal économique administratif central ne l'ont pas considérée comme suffisante. Ensuite, les auteurs ont apporté une copie certifiée conforme du document original, datée cette fois du 19 janvier 1994 et l'Audiencia Nacional lui a conféré la même valeur probante qu'à la copie précédemment apportée. Cela ne veut pas dire, comme le souligne le Tribunal constitutionnel dans la décision sur le recours en amparo, que le document ultérieur n'a pas été examiné; cela signifie simplement qu'il n'a pas été considéré comme présentant une force probante suffisante pour invalider la valeur probante des autres preuves, qui tendaient à montrer que le dépôt d'une autre demande, distincte de celle du 7 janvier 1997, n'avait pas été prouvé. Le fait que l'Audiencia Nacional ne cite pas expressément dans son jugement le document produit par les auteurs (la copie de 1994) qui, d'après leurs propres arguments, est identique à la première copie (celle de 1997), ne peut pas être considéré comme une omission qui porte atteinte au principe de l'égalité des moyens.

4.6 En ce qui concerne l'argument des auteurs qui affirment qu'il y a eu de toute évidence arbitraire de la part de l'Audiencia Nacional, l'État partie objecte que les auteurs confondent le droit d'avoir accès à la justice et le droit d'apporter des moyens de preuve légitimes pour leur défense d'une part, avec l'obtention d'un jugement favorable par les tribunaux internes d'autre part. Considérer que l'Audiencia Nacional agit arbitrairement quand elle procède à une appréciation des preuves produites parce que le résultat n'est pas celui qui était escompté est contraire à l'esprit du droit à la protection effective de la justice. L'État partie ajoute qu'utiliser le Pacte pour soumettre une question qui a été suffisamment examinée et réglée dans le respect de toutes les garanties constitue un abus du droit de présenter des communications.

4.7 Pour ce qui est du droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent et impartial, l'État partie réaffirme qu'il n'est pas vrai que l'Audiencia Provincial ait agi arbitrairement. Les auteurs font valoir que le Tribunal constitutionnel n'a pas statué sur le grief relatif à l'égalité des moyens et l'État partie objecte que ce n'est pas vrai. Le Tribunal constitutionnel a clairement établi qu'il n'y avait eu aucune atteinte aux droits des auteurs ni déni de justice dans l'appréciation de la preuve faite par l'Audiencia, hormis le fait que cette appréciation ne leur avait pas été favorable. D'après l'État partie, il est donc évident que le Tribunal constitutionnel s'est prononcé sur le droit à l'égalité des moyens. En ce qui concerne le fait que le Tribunal constitutionnel a indiqué que les auteurs avaient présenté leurs prétentions de façon confuse dans le recours en amparo, l'État partie objecte que cette appréciation ne peut en aucune manière être considérée comme tendancieuse ou partiale. Pour ce qui est du rejet par le Tribunal constitutionnel de l'incident de nullité soulevé par les auteurs, l'État partie indique que, contrairement à ce que les auteurs affirment, ce type d'incident n'est pas prévu dans la législation procédurale applicable à l'action devant le Tribunal constitutionnel.

4.8 En ce qui concerne la partialité alléguée du Tribunal constitutionnel du fait qu'il était composé de deux magistrats contre qui l'avocat des auteurs avait dans une autre affaire engagé une action, l'État partie fait les observations ci-après: i) le représentant des auteurs relève une impartialité supposée à l'égard de lui-même et non pas à l'égard des auteurs; ii) l'action contre les magistrats n'a aucun rapport avec l'affaire des auteurs; le représentant des auteurs l'avait déposée dans le cadre d'une affaire où le Tribunal avait rejeté une demande de révision d'une décision par laquelle il n'avait pas admis un recours en amparo formé par cet avocat parce que, bien qu'il eût été sommé de le faire, celui-ci n'avait pas produit le mandat nécessaire pour agir en justice; iii) il n'avait pas été fait droit à cette demande; iv) la demande contre les magistrats et la décision de rejet sont antérieures à l'introduction du recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel; le représentant des auteurs ne peut pas prétendre qu'il ne connaissait pas les magistrats qui allaient participer à l'examen du recours en amparo, à moins d'ignorer absolument tout du fonctionnement des juridictions nationales et de ne pas tenir compte des notifications qui lui ont été faites par la Chambre du Tribunal constitutionnel; v) c'est devant le Comité que le représentant des auteurs soulève cette question pour la première fois, puisqu'il ne l'a jamais soulevée devant les juridictions internes; vi) après le rejet du recours en amparo, le représentant des auteurs aurait pu faire valoir cet élément en montrant qu'il ignorait la composition du tribunal, mais il ne l'a fait à aucun moment. De l'avis de l'État partie, l'impartialité du tribunal doit être examinée dans un sens subjectif et dans un sens objectif. Sur le plan subjectif, rien n'indique que la composition du tribunal ait porté préjudice aux intérêts de l'auteur car s'il en était autrement ce serait admettre que, de l'avis du tribunal, la personne qui représentait les auteurs avait une importance déterminante, question qui n'a en aucune manière été démontrée. L'État partie fait observer que pour apprécier l'impartialité sur le plan objectif il faudrait démontrer certains faits qui autoriseraient à soupçonner le tribunal de partialité. L'État partie souligne à ce sujet que le fond de l'affaire, c'est-à-dire l'appréciation des éléments de preuve, a toujours abouti au même résultat dans les jugements de tous les organes qui se sont succédé et que le Tribunal constitutionnel a considéré qu'ils avaient tous agi dans le respect du droit. L'État partie conclut qu'il n'y a pas d'éléments donnant à penser que le Tribunal constitutionnel a agi avec partialité.

5.1 Dans leur réponse datée du 31 décembre 2004, les auteurs maintiennent que l'État partie a commis une violation du droit à l'égalité des moyens parce que les tribunaux ont donné une préférence à la preuve soumise par la partie défenderesse, l'administration, en conférant une valeur probante aux attestations de celle-ci et en refusant de conférer une valeur probante aux deux photocopies certifiées conformes qui, d'après la législation espagnole, ont la même valeur que l'original. Les auteurs citent des décisions de tribunaux espagnols qui ont reconnu à une copie certifiée conforme la même valeur probante que le document original et mentionnent le paragraphe 3 de l'article 8 du décret royal no 772/1999, en vigueur quand l'Audiencia Nacional a rendu son jugement, qui dispose que la photocopie certifiée conforme a la même validité que le document original. Ils ajoutent que la pratique administrative en Espagne reconnaît la validité d'une copie certifiée conforme. La falsification d'une copie certifiée conforme est un délit et, par conséquent, si l'Audencia Nacional avait eu des doutes sur l'authenticité des deux copies certifiées conformes produites, elle aurait dû suspendre l'examen de l'affaire et en référer à la juridiction pénale. L'Audiencia Nacional n'avait pas compétence pour invalider un document auquel la loi confère un caractère officiel. Dans sa décision, le Tribunal constitutionnel a également omis d'indiquer qu'il s'agissait de documents officiels et a «déformé» la nature des documents en considérant qu'il s'agissait de documents privés ou qu'il pouvait apprécier librement. Les auteurs ajoutent que le 23 juillet 1997 le Ministère de l'économie et des finances a demandé le document original ou une copie dûment certifiée conforme de la requête du 25 janvier 1985, ce qui signifie que l'organe administratif lui-même reconnaissait qu'une copie authentifiée a la même valeur que l'original.

5.2 Les auteurs contestent la véracité des observations de l'État partie au sujet des documents qu'ils ont produits (par. 4.2). Par exemple, l'État partie signale que le tampon apposé sur la photocopie certifiée conforme du document original est quasiment illisible, alors que, d'après eux, l'Audiencia Nacional a considéré qu'il était lisible. La copie de janvier 1994 a été certifiée conforme par la Direction générale du cadastre, organe qui fait partie du Ministère de l'économie et des finances et n'est pas, comme l'affirme l'État partie, «un organe administratif qui n'a rien à voir avec l'affaire».

5.3 Les auteurs maintiennent que l'Audiencia Nacional a laissé de côté la copie certifiée conforme par la Direction générale du cadastre le 9 janvier 1994, qui a été produite par leur représentant pendant la phase des conclusions, qui venait d'être découverte et avait une importance décisive pour le dossier. D'après les auteurs, cette omission porte atteinte au droit à une procédure équitable.

5.4 Les auteurs soulignent que le fait que l'Audiencia Nacional n'ait pas respecté le caractère de document officiel des deux copies certifiées conformes, en considérant qu'il s'agissait de simples documents privés, constitue un arbitraire flagrant, un déni de justice contraire au paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Le pouvoir d'appréciation des documents par le juge a également des limites qui, dans la présente affaire, ont été dépassées.

5.5 D'après les auteurs, en ne conférant pas de valeur probante aux deux copies certifiées conformes, l'Audiencia Nacional a violé le droit de chacun d'être jugé par un tribunal compétent et impartial car elle aurait dû savoir qu'elle n'était pas compétente pour connaître de la falsification supposée de documents officiels, affaire qui relève de la compétence des juridictions pénales.

5.6 Les auteurs indiquent qu'ils n'ont appris l'identité de trois membres de la Chambre du Tribunal constitutionnel qui s'est prononcée sur le recours en amparo qu'une fois qu'ils ont été notifiés de la décision de ne pas faire droit au recours. Ces trois magistrats avaient fait l'objet d'une action pénale engagée par l'avocat des auteurs pour calomnie parce qu'ils avaient proféré des accusations qualifiées de diffamatoires contre lui dans une décision liée à un recours en amparo formé dans une affaire différente de celle des auteurs. La plainte pour calomnie avait été traitée selon la procédure applicable. Les parties avaient été invitées à une audience de conciliation, et les magistrats avaient comparu à cette audience, représentés par un avocat de l'État. Ces magistrats avaient adressé une plainte contre l'avocat des auteurs du barreau, mais celui-ci avait refusé d'engager contre lui une action disciplinaire. Même s'il n'y avait pas eu de procès contre les magistrats, ceux-ci avaient fait l'objet d'une action pénale et ils avaient malgré tout pris part à la décision du Tribunal constitutionnel qui avait rejeté le recours en amparo formé par les auteurs. Ces derniers soulignent que le Tribunal constitutionnel a statué, dans une affaire précédente, qu'en cas d'inimitié entre un avocat et le juge la solution ne réside pas dans le dessaisissement du juge, mais dans la décision de la partie représentée par l'avocat de conserver ou non cet avocat pour assurer sa défense. Les auteurs affirment que le Tribunal constitutionnel ne les a jamais avisés de l'identité des membres du Tribunal qui allaient se prononcer sur le recours en amparo. De plus, certaines expressions utilisées dans la décision sur l'amparo, par exemple la qualification de «confuses» appliquée aux prétentions, révéleraient que les magistrats avaient une prévention. Comme preuve supplémentaire de la partialité du Tribunal constitutionnel, les auteurs ajoutent que dans une certaine affaire le Tribunal suprême a fait droit à une action en responsabilité civile contre 11 des 12 magistrats du Tribunal constitutionnel pour avoir rendu une décision manifestement contraire au droit et que les magistrats concernés avaient formé contre cette décision un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, c'est-à-dire auprès d'eux-mêmes. Ils affirment que le Tribunal constitutionnel rejette près de 97 % des recours en amparo sans examiner le fond des affaires et qu'il ne tient pas compte des décisions du Comité concernant les communications mettant en cause l'État partie relativement au paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'avait pas été soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

6.3 En ce qui concerne le grief tiré du défaut d'accorder une valeur probante à deux photocopies certifiées conformes, le Comité considère que cette allégation porte principalement sur l'appréciation des faits et des preuves menée par les tribunaux espagnols. Il rappelle sa jurisprudence et affirme qu'il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d'apprécier ou de réexaminer les faits et les éléments de preuve dans une affaire déterminée, sauf s'il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Le Comité relève que, quand l'Audiencia Nacional a rejeté l'incident de nullité présenté par les auteurs, elle a indiqué expressément qu'elle avait évalué la valeur probante de la photocopie certifiée conforme du 19 janvier 1994 et avait considéré qu'elle n'en avait pas, et que le Tribunal constitutionnel a rejeté la demande d'extension d'un recours en amparo relatif à la nullité. Il relève également que le Tribunal constitutionnel a estimé que l'Audiencia Nacional avait bien apprécié le document produit par les auteurs et n'avait pas considéré qu'il y avait eu une irrégularité dans l'appréciation de la preuve faite par l'Audiencia ni déni de justice. Le Comité estime donc que les auteurs n'ont pas suffisamment étayé leurs griefs pour qu'il puisse être affirmé qu'en l'espèce la procédure a été entachée d'arbitraire ou a représenté un déni de justice et conclut que la partie de la communication concernant une violation du principe de l'égalité des moyens et l'arbitraire de la décision de l'Audiencia Nacional est irrecevable conformément à l'article 2 du Protocole facultatif.

6.4 En ce qui concerne le manque d'impartialité du Tribunal constitutionnel, le Comité relève que la deuxième Chambre du Tribunal constitutionnel a rejeté en avril 2000 un recours formé par l'avocat des auteurs concernant une autre affaire dans laquelle un recours en amparo introduit par le même avocat avait été rejeté parce que celui-ci n'avait pas respecté l'obligation faite par la loi de désigner un avoué devant les tribunaux. La Chambre a relevé que par son comportement l'avocat avait consciemment compromis les droits de la personne qui lui avait confié sa défense et a ordonné qu'une copie des actes soit adressée au barreau de Murcie pour qu'il soit pris note du comportement professionnel de l'avocat des auteurs. Le Comité note aussi que les auteurs ont dit que, si leur avocat avait effectivement déposé une plainte pénale contre les magistrats de la deuxième Chambre pour leurs déclarations prétendument diffamatoires, cette plainte a été retirée. Le Comité considère que les auteurs n'ont pas suffisamment montré, aux fins de la recevabilité de la communication, en quoi la décision adoptée par les magistrats de la deuxième Chambre et les circonstances ultérieures qui ont donné lieu à une plainte pénale retirée ont pu compromettre l'impartialité du tribunal qui s'est prononcé sur le recours en amparo et la demande d'extension du recours introduits par les auteurs. Le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable conformément à l'article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur de la communication.

 

____________________________

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer et M. Hipólito Solari-Yrigoyen.

 

 



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