University of Minnesota



M. Hiran Ekanayake c. Sri Lanka, Communication No. 1201/2003, U.N. Doc. CCPR/C/88/D/1201/2003 (2006).



GENERALE
CCPR/C/88/D/1201/2003
23 novembre 2006
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 1201/2003 : Sri Lanka. 23/11/2006.
CCPR/C/88/D/1201/2003. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme

Quatre-vingt-huitième session

16 octobre - 3 novembre 2006

 

Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif

se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

- Quatre-vingt-huitième session -

 

 

Communication No. 1201/2003

 

Présentée par: M. Hiran Ekanayake (non représenté par un conseil)
Au nom de: L'auteur
État partie: Sri Lanka
Date de la communication: 10 avril 2003 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

 

1. L'auteur de la communication est M. Hiran Ekanayake, ressortissant sri-lankais, né le 24 juillet 1965. Il prétend être victime de violations par l'État partie de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'auteur n'est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits présentés par l'auteur

2.1 Le 1er juillet 1998, l'auteur a intégré le corps de la magistrature. Le 1er janvier 1999, il a été nommé magistrat permanent et juge de district supplémentaire à Thambuttegama. Un an après sa nomination, il a été muté à Colombo en qualité de magistrat supplémentaire. Selon lui, sa mutation s'explique par son refus de faire exécuter un ordre de la Commission des services judiciaires (JSC) enjoignant à la police d'enlever les haut-parleurs destinés à assurer la sonorisation d'une réunion à laquelle participait le chef de l'opposition de l'époque. L'auteur soutient que les membres de la JSC appartenaient au même parti politique que le Président.

2.2 En avril 2000, le Président de la Cour suprême a demandé à l'auteur de classer sans suite une certaine affaire criminelle alors que, de l'avis de l'auteur, il existait suffisamment d'éléments de preuve pour que l'affaire soit jugée. L'auteur soutient que l'accusé était un ami du Président de la Cour suprême, et il a refusé d'obtempérer.

2.3 Lorsqu'il est arrivé à Colombo, l'auteur n'a reçu ni logement de fonction ni allocation-logement, alors que d'autres magistrats bénéficiaient de ces privilèges. Il soutient qu'en refusant de les lui accorder, l'objectif de la JSC était de le harceler. Faute de logement de fonction, l'auteur a dû louer un logement bon marché à Ratmalana, une ville située à 12 miles de Colombo. En raison de la distance, des contrôles de sécurité et des embouteillages, l'auteur devait quitter sa maison à 5 h 30 du matin pour se rendre au tribunal à Colombo, le trajet pouvant prendre jusqu'à trois heures trente.

2.4 Le 11 mai 2000, considérant que son bien-être physique et mental se ressentait du temps qu'il mettait pour se rendre au travail, l'auteur a demandé à être muté hors de Colombo. Le vendredi 2 juin 2000, il a été convoqué par la JSC et interrogé par le Président de la Cour suprême au sujet de sa demande. Il a été qualifié d'«épave mentale» et déclaré incapable de continuer à exercer dans la magistrature. Il a été prié de présenter sa démission le jour même, mais il a refusé.

2.5 Le lundi 5 juin 2000, se sentant mal en raison, selon lui, de la réunion avec la JSC, l'auteur a décidé de ne pas se rendre au travail. Il s'est entendu avec le juge surnuméraire afin que celui-ci le remplace. Le même jour, il a vu un médecin qui a diagnostiqué des «troubles nerveux», et lui a accordé deux semaines d'arrêt maladie, du 5 au 19 juin 2000. L'auteur a repris le travail le 17 juin 2000.

2.6 Le 28 juin 2000, la JSC a mis fin à l'engagement de l'auteur pour les raisons suivantes: à partir du 5 juin 2000, il ne s'était pas présenté au travail sans avoir obtenu d'autorisation préalable; il souffrait de «troubles nerveux inattendus»; il avait fait l'objet de plaintes antérieures; et il était inapte à l'exercice de la magistrature. Après qu'il eut été mis fin à ses fonctions, ce dont la presse se fit l'écho, l'auteur reçut des menaces de mort, et un groupe de personnes non identifiées sont venues à deux reprises «à sa recherche», la nuit, dans sa résidence. Par crainte, il a dû vivre caché pendant près d'un an et demi. Il n'a pas porté plainte auprès de la police considérant que «cela aggraverait la situation»: l'administration d'alors «n'aurait pas hésité à le réduire au silence».

2.7 Le 10 juillet 2000, l'auteur a saisi la JSC, mais il n'a reçu aucune réponse. Il s'est également adressé à la Commission des droits de l'homme de Sri Lanka (1) et au Président de Sri Lanka. Il n'a pas reçu de réponse du Cabinet du Président.

Teneur de la plainte

3.1 L'auteur soutient qu'il n'a pas bénéficié d'une égale protection de la loi, et qu'il a été victime de discrimination, contrairement aux dispositions de l'article 26 du Pacte.

3.2 Il soutient que tous les recours internes utiles disponibles ont été épuisés. Il affirme que la magistrature sri-lankaise n'est pas indépendante, et que son inefficacité, tout comme celle des autres organismes d'application de la loi, gangrenés par l'influence politique et la crainte, l'empêche de porter plainte devant un tribunal sri-lankais de première instance.

3.3 L'auteur soutient que la JSC est hautement politisée; elle est présidée par le Président de la Cour suprême et par deux juges de cette juridiction. L'auteur affirme que le Président de la Commission des droits de l'homme est un fervent partisan du Président de la Cour suprême et du Président de Sri Lanka. Le Président de la Cour suprême exerce un contrôle absolu sur la cour d'appel, dans la mesure où les juges de la Cour sont nommés et promus par le Président de Sri Lanka sur sa recommandation. Selon l'auteur, aucun juge de la cour d'appel ne risquerait son avenir en s'opposant aux attentes du Président de la Cour suprême. Dans l'éventualité où l'auteur saisirait la cour d'appel, le Président de la Cour suprême et la JSC devraient figurer parmi les défendeurs, et toute ordonnance rendue en sa faveur aurait une incidence néfaste sur la carrière des juges. Même si la cour d'appel statuait en faveur de l'auteur, le Président de la Cour suprême pourrait influencer le parquet pour qu'il fasse appel de la décision devant la Cour suprême. Les juges de la Cour suprême étant également désignés par le Président de cette juridiction, ce recours ne saurait être considéré comme utile.

3.4 Selon l'auteur, l'avis de la JSC concernant son état de santé est inacceptable dans la mesure où son cas n'a pas été examiné par une commission médicale composée de trois spécialistes, comme l'exige le droit interne. Il affirme que les raisons avancées par la JSC pour justifier son licenciement ne sont pas fondées et qu'elles ont été fabriquées avec malveillance afin qu'il soit démis de ses fonctions. La véritable raison de son licenciement est son refus d'obtempérer aux directives de la JSC, comme mentionné aux paragraphes 2.1 et 2.2 ci-dessus.

Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Dans ses observations du 15 mars 2004, l'État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n'ont pas été épuisés. Il souligne que l'auteur n'a présenté aucune plainte devant les juridictions sri-lankaises. Il cite les articles 107 à 117 de la Constitution sri-lankaise, qui garantissent l'indépendance de la magistrature, et il conteste tout rôle de l'exécutif dans les questions de discipline touchant la magistrature ou au sein de la JSC. Un tel rôle pourrait être interprété comme une ingérence, au sens de l'article 115 de la Constitution, et pourrait entraîner une peine de prison assortie d'une amende s'il était établi.

4.2 Quant au fond, l'État partie conteste les allégations de l'auteur selon lesquelles le Président de la Commission des droits de l'homme était un allié politique du Président et le Président de la Cour suprême exerce un contrôle sur tous les juges de la cour d'appel. Ces allégations ne sont qu'un prétexte avancé par l'auteur pour ne pas épuiser les recours internes. En outre, il convient de noter que toutes les décisions attaquées dans la communication sont des décisions de la JSC et non une décision unique du Président de la Cour suprême.

4.3 L'État partie indique que l'auteur a intégré la magistrature le 1er juillet 1998 et qu'il était en période probatoire lorsqu'il a été licencié. Jusqu'à ce qu'il soit licencié, de nombreuses plaintes avaient été déposées contre lui, parmi lesquelles l'État partie rappelle les suivantes: abus de pouvoir dans le but de pouvoir construire sur un terrain lui appartenant, en violation des règlements; ouverture de poursuites pénales devant son propre for contre un individu avec lequel l'auteur avait des conflits personnels, ce qu'il a ultérieurement reconnu; et retard d'une année dans l'examen d'une affaire d'aliments dus à un enfant. L'État partie fait valoir que deux de ces incidents se sont produits avant la nomination de l'actuel Président de la Cour suprême.

4.4 Il précise également que l'auteur a demandé sa mutation quatre mois seulement après avoir pris son poste à Colombo, en raison des soi-disant difficultés liées à ses déplacements quotidiens à Colombo, difficultés qui, selon lui, aggravaient son état nerveux. L'État partie réfute l'affirmation selon laquelle il fallait trois heures et demie pour se rendre de Ratmalana à Colombo. Même aux heures de pointe, ce trajet ne prenait pas plus d'une heure. L'auteur a également indiqué qu'il avait dû louer une autre maison à Kandy pour y entreposer les meubles qu'il ne pouvait mettre dans la résidence qu'il occupait hors de Colombo. Selon l'État partie, la demande de mutation de l'auteur peu après que celui-ci eut pris ses nouvelles fonctions visait à rendre caduc l'objet du transfert, c'est-à-dire à contrecarrer le contrôle immédiat que la JSC devait exercer sur son comportement et son activité professionnelle; en outre, elle était en contradiction avec la déclaration que l'auteur avait faite lors de sa nomination, selon laquelle il acceptait d'être nommé n'importe où à Sri Lanka.

4.5 L'État partie considère que la décision de la JSC de mettre fin aux fonctions de l'auteur était juste, raisonnable et justifiée. Lors de l'entretien que l'auteur a eu avec les membres de la JSC, ceux-ci ont remarqué qu'il souffrait d'instabilité chronique et estimé par conséquent qu'il était incapable de s'acquitter de ses fonctions. Le 5 juin 2000, l'auteur ne s'est pas rendu au travail et il s'est contenté d'envoyer par télécopie un certificat médical à la JSC le lendemain, indiquant qu'il souffrait de «troubles nerveux». Compte tenu de cette situation, ainsi que du comportement antérieur de l'auteur, notamment de son absence du bureau sans autorisation préalable et aussi du fait qu'il se trouvait en période probatoire, la JSC a mis fin à ses fonctions judiciaires. À cet égard, l'État partie se réfère à l'article 13 du Règlement de la JSC, qui prévoit que «la Commission peut, à tout moment, mettre un terme aux fonctions d'un fonctionnaire qui est en période probatoire sans fournir de motif».

4.6 L'État partie confirme que l'auteur s'est vu refuser une allocation-logement en application des circulaires adoptées par la JSC, selon lesquelles, pour en bénéficier, un magistrat doit résider dans les limites urbaines de Colombo, ou dans le ressort de la Magistrates Court de Colombo. Cette condition n'étant pas remplie dans le cas de l'auteur, celui-ci ne pouvait prétendre à aucune allocation-logement.

Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie

5.1 Le 21 mai 2004, l'auteur a réitéré ses griefs antérieurs. Il soutient que l'existence de dispositions constitutionnelles sur l'indépendance de la magistrature ne signifie pas nécessairement que cette indépendance existe dans les faits. Selon lui, dans la pratique, les magistrats ne sont pas indépendants et ces dispositions constitutionnelles ne sont pas appliquées. Par ailleurs, il rejette l'allégation selon laquelle une plainte aurait été déposée contre lui pour abus de pouvoir dans une affaire de terrain.

5.2 L'auteur conteste que sa mutation à Colombo ait été décidée à des fins de contrôle, tout comme il conteste que le lieu où un juge exerce ait une quelconque importance à cet égard. S'agissant de la question de l'allocation-logement, il fait valoir que la JSC peut l'accorder à certaines personnes, en fonction de leur situation. Il prétend connaître des magistrats qui vivent hors des limites susmentionnées (par. 4.6) et qui reçoivent cette allocation. L'auteur fournit des informations sur le caractère illicite de son licenciement et la procédure qui aurait dû être suivie dans ce cas, compte tenu en particulier de son état mental. Il affirme qu'il craint pour sa vie, qu'il a vécu ces quatre dernières années dans un village reculé, loin de l'attention du public, et qu'il est menacé par téléphone d'être assassiné s'il ne retire pas la communication qu'il a transmise au Comité. Il a écrit au Ministre de l'intérieur, au Premier Ministre et à l'Inspecteur général de la police pour demander que sa sécurité soit assurée, mais il n'a jamais reçu de réponse.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 En ce qui concerne l'obligation d'épuiser les recours internes, le Comité note que l'auteur n'a saisi aucune des juridictions de l'État partie lorsqu'il a été licencié de la magistrature ce qui, selon lui, constitue une violation de l'article 26 du Pacte. L'auteur confirme qu'il aurait pu saisir la cour d'appel mais a choisi de ne pas le faire, affirmant que la magistrature n'est pas indépendante. Le Comité considère que l'auteur n'a pas étayé l'affirmation généralisatrice selon laquelle aucun des juges de la cour d'appel ou de la Cour suprême ne pouvait examiner son cas de façon impartiale, étant donné qu'ils sont tous influencés par le Président de la Cour suprême. Le Comité conclut que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes ni établi qu'ils auraient été inefficaces dans les circonstances de l'espèce. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.

6.3 De même, le Comité considère que le grief formulé par l'auteur au titre de l'article 26, selon lequel il aurait subi un traitement inéquitable en ce qui concerne l'allocation-logement, est insuffisamment étayé aux fins de la recevabilité, en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

7. Le Comité des droits de l'homme décide par conséquent:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 et de l'article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif;

b) Que sa décision sera communiquée à l'auteur et à l'État partie.

_________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Hipólito Solari-Yrigoyen et M. Roman Wieruszewski.

Notes

1. Il n'indique pas quel a été le résultat de sa plainte.

 



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