University of Minnesota



Frans Verlinden c. Netherlands, Communication No. 1187/2003, U.N. Doc. CCPR/C/88/D/1187/2003 (2006).




GENERALE
CCPR/C/88/D/1187/2003
3 novembre 2006
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 1187/2003 : Netherlands. 03/11/2006.
CCPR/C/88/D/1187/2003. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme

Quatre-vingt-huitième session

16 octobre - 3 novembre 2006

 

Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif

se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

- Quatre-vingt-huitième session -

 

 

Communication No. 1187/2003

Présentée par: Frans Verlinden (représenté par un conseil, M. B. W. M. Zegers)
Au nom de: L'auteur

État partie: Pays-Bas

Date de la communication: 12 juin 2002 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

 

1.1 L'auteur de la communication est Frans Verlinden, de nationalité néerlandaise. Il affirme être victime d'une violation par les Pays-Bas* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, et M. Roman Wieruszewski.
Le Pacte et le Protocole facultatif sont l'un et l'autre entrés en vigueur pour les Pays-Bas le 11 mars 1979. (1) des droits garantis à l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. B. W. M. Zegers.

1.2 À la suite d'une demande formulée par l'État partie dans ses observations concernant la recevabilité, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité de la communication devrait être examinée séparément du fond.

Exposé des faits

2.1 L'auteur est propriétaire d'une société immobilière. En juin 1990, il a déposé une plainte auprès du Tribunal régional de La Haye contre une société du bâtiment, la NBM Amsteland N.V (NBM), et contre le Président de son Conseil d'administration, V. d. B., concernant le contrat de vente d'un bien immobilier. Le 1er juillet 1992, le Tribunal régional de La Haye a prononcé un jugement interlocutoire sur une question de procédure en faveur de l'auteur.

2.2 L'autre partie a formé un recours contre cette décision devant la Cour d'appel de La Haye qui, le 9 septembre 1993, a annulé le jugement et renvoyé l'affaire au Tribunal régional de La Haye. L'auteur a interjeté appel contre cette décision devant la Cour suprême qui, en date du 6 janvier 1995, l'a débouté en se fondant sur l'article 101a de la loi sur l'organisation du pouvoir judiciaire L'article 101a (actuellement l'article 81) de la loi sur l'organisation du pouvoir judiciaire dispose ce qui suit: «Si la Cour suprême est d'avis qu'une requête ne peut pas aboutir à la cassation de l'arrêt initial ou qu'elle n'appelle pas de réponse sur des points de droit dans l'intérêt de l'uniformité ou du développement du droit, elle peut se contenter d'exposer son avis dans la partie de l'arrêt dans laquelle sont énoncés les motifs sur lesquels il est fondé.»..

2.3 Après avoir réexaminé l'affaire, le Tribunal régional de La Haye a rejeté la plainte de l'auteur le 29 novembre 1995. Le 4 décembre 1997, la Cour d'appel de La Haye a débouté l'auteur de son appel et, le 5 novembre 1999, la Cour suprême a rejeté l'appel interjeté par l'auteur contre cette décision.

2.4 Tout au long de la procédure, NBM et V. d. B. étaient représentés par R. M. S., avocat du cabinet De Brauw Blackstone Westbroek Linklaters & Alliance (DBB) de La Haye. Plusieurs collègues de R. M. S. au cabinet d'avocats DBB sont aussi juges suppléants au Tribunal régional de La Haye ou à la Cour d'appel de La Haye. Un autre avocat du cabinet DBB est professeur à l'Université libre d'Amsterdam; trois autres professeurs de l'Université sont aussi des juges suppléants à la Cour régionale de La Haye. Un ancien avocat du cabinet DBB est devenu juge de carrière à la Cour d'appel de La Haye; un autre ancien avocat du cabinet DBB est actuellement juge à la Cour suprême et a des liens de parenté avec le Président coordonnateur de la Cour d'appel de La Haye.

2.5 Les tribunaux de La Haye qui ont examiné l'affaire étaient composés de juges à plein temps. Aucun juge suppléant n'a entendu la cause de l'auteur.

Teneur de la plainte

3.1 L'auteur affirme que le système néerlandais de juges suppléants est incompatible avec l'article 14 du Pacte dans la mesure où il ne garantit pas l'impartialité des juges. Les liens étroits existant entre le cabinet d'avocats DBB, en particulier les collègues de R. M. S travaillant dans ce cabinet et exerçant également les fonctions de juge suppléant au Tribunal régional et à la Cour d'appel de La Haye, d'une part, et les juges de carrière siégeant dans ces tribunaux, d'autre part, portent atteinte à l'indépendance et à l'impartialité de ces tribunaux, ce qui constitue une violation du droit de l'auteur à un procès équitable garanti à l'article 14 du Pacte.

3.2 L'auteur note que les articles 3 et 4 de la loi sur la composition des tribunaux civils autorisent les juges qui siègent dans un tribunal régional d'exercer également les fonctions de juge suppléant dans un autre tribunal régional. Le fait que la Cour d'appel de La Haye n'a pas renvoyé l'affaire devant un autre tribunal régional ou n'a pas nommé en tant que juges suppléants dans les tribunaux de La Haye des juges siégeant dans d'autres tribunaux montre ou tout au moins donne à penser que la Cour avait un intérêt à prononcer un jugement dans cette affaire.

3.3 L'auteur affirme que, contrairement aux juges professionnels exerçant à plein temps qui ne sont pas autorisés à assumer les fonctions d'avocat ou de notaire ou à donner des conseils juridiques professionnels et qui sont tenus, conformément à l'article 44 de la loi sur le statut juridique des fonctionnaires judiciaires, de déclarer dans un registre public toute fonction additionnelle qu'ils viendraient à exercer, les juges suppléants n'ont pas la même obligation. En outre, selon un rapport publié en 2000 par le Centre de recherche scientifique et de documentation du Ministère de la justice, de nombreux juges à plein temps refusaient de déclarer leurs autres fonctions. Ce manque de transparence a empêché le requérant de savoir si les juges avaient des liens avec l'autre partie et a altéré la confiance dans l'intégrité de l'appareil judiciaire.

3.4 Bien que l'article 34 du Code de conduite des hommes de loi (1992) interdise aux avocats de plaider dans les procédures devant une juridiction au sein de laquelle siègent une ou plusieurs personnes appartenant au cabinet d'avocats où ils travaillent, il n'est pas exclu, selon l'auteur, que des affaires dans lesquelles une des parties est représentée par un avocat qui travaille dans un même cabinet qu'un juge suppléant fasse l'objet de discussions entre les juges siégeant dans un tribunal.

3.5 Se référant à l'article 12 de la loi sur l'organisation judiciaire qui interdit tout contact en dehors de la salle d'audience entre un juge et les parties ou leurs avocats au sujet d'affaires en instance ou futures, l'auteur affirme que les juges des tribunaux de La Haye ne peuvent être considérés comme impartiaux en l'espèce, eu égard aux liens qui les unissent à des personnes qui travaillent dans le même cabinet que l'avocat de l'autre partie.

3.6 L'auteur signale que le juge H. de la Cour d'appel de La Haye est également un conseiller juridique du Ministère de la justice, ce qu'il considère comme incompatible avec le principe de la séparation des pouvoirs. Il conclut qu'il y a des raisons légitimes de craindre que les juges du Tribunal régional et de la Cour d'appel de La Haye n'aient pas été impartiaux dans son cas, ce qui est en soi suffisant pour entacher l'image d'indépendance ou d'impartialité de ces tribunaux.

3.7 En outre, l'auteur affirme que son droit à un jugement motivé, garanti par l'article 14 du Pacte, a été violé dans la mesure où la Cour suprême a rejeté son appel en 1995 en application de l'article 101a (l'actuel article 81) de la loi sur l'organisation judiciaire en mentionnant uniquement que la requête ne pouvait pas déboucher sur la cassation de l'arrêt initial et n'appelait pas de réponse sur des points de droit dans l'intérêt de l'uniformité ou du développement du droit.

3.8 L'auteur déclare avoir épuisé les recours internes disponibles. Il fait valoir qu'il n'était pas au courant au moment de la procédure des liens existant entre les juges des tribunaux de La Haye et des personnes travaillant dans le même cabinet d'avocats que R. M. S., en l'occurrence l'avocat de la NBM et V. d. B. Même s'il avait demandé que les juges chargés de son affaire soient récusés, ces derniers auraient été simplement remplacés par d'autres magistrats du même tribunal, qui auraient eu des liens similaires avec les avocats du cabinet DBB exerçant les fonctions de juge suppléant.

Observations de l'État partie sur la recevabilité

4.1 Dans une réponse du 18 août 2003, l'État partie a contesté la recevabilité de la communication faisant valoir que l'auteur ne remplit pas les conditions requises à l'article premier du Protocole facultatif pour être considéré comme une victime, que la même affaire est en cours d'examen devant la Cour européenne des droits de l'homme (par. 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif); et que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes disponibles (par. 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif).

4.2 L'État partie fait observer qu'aucun des juges chargés de l'affaire n'était lié au cabinet d'avocats DBB à La Haye. Le juge H., qui a entendu la cause de l'auteur en 1993 et en 1997 à la Cour d'appel de La Haye, est un juge à plein temps à la Cour d'appel depuis 1984, date à laquelle il avait cessé de travailler pour le Ministère de la justice. L'État partie rappelle la jurisprudence du Comité (3) selon laquelle le Protocole facultatif n'autorise pas les particuliers à contester dans l'abstrait le droit ou la pratique juridique d'un État partie au moyen d'une actio popularis, et conclut que l'auteur n'a pas qualité pour agir au titre de l'article premier du Protocole facultatif.

4.3 L'État partie affirme que le Greffe de la Cour européenne des droits de l'homme l'a informé que l'auteur avait aussi porté la question devant la Cour, et que sa requête (no 66496/01) était encore en instance devant cette juridiction. En conséquence, le Comité devrait déclarer la présente communication irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif.

4.4 L'État partie fait valoir que l'auteur aurait pu contester l'impartialité de l'un quelconque des juges qui ont entendu sa cause conformément à l'article 29 (l'actuel article 36) du Code de procédure pénale dès qu'il aurait eu connaissance des faits ou des circonstances qui auraient pu entacher son impartialité comme l'exige le paragraphe 1 de l'article 30 (l'actuel article 37). Ces objections auraient alors été examinées par la Cour siégeant en formation plénière en l'absence du juge contesté (conformément au paragraphe 1 de l'ancien article 32 du Code de procédure pénale (l'actuel article 39)). Au cas où il aurait eu gain de cause, l'affaire aurait été examinée par un tribunal dans lequel le juge contesté n'aurait pas siégé.

4.5 Pour l'État partie, l'argument de l'auteur qui affirme qu'il n'était pas à l'époque au courant des «liens étroits» existant entre la profession juridique et l'appareil judiciaire n'est guère convaincant. Dans la mesure où l'exercice en parallèle de fonctions de juge était souvent déclaré depuis 1989, conformément à une recommandation de l'Association néerlandaise pour l'administration de la justice et, depuis 1997, en application de l'article 44 de la loi sur le statut juridique des fonctionnaires judiciaires, et où la question des juges suppléants avait reçu une attention considérable dans les écrits de la profession, il était «extrêmement improbable» que l'auteur n'ait pas su avant la fin de son procès que la justice néerlandaise employait parfois en tant que juges suppléants des personnes appartenant à la profession juridique.

4.6 Toute demande de récusation d'un juge doit être fondée sur des éléments concrets mettant en cause son impartialité de juge ou faisant douter de celle-ci. L'État partie rejette l'argument de l'auteur selon lequel il aurait été vain de mettre en cause l'impartialité des juges. Se référant à la jurisprudence du Comité dans l'affaire Perera c. Australie (4), l'État partie conclut qu'afin d'épuiser tous les recours internes disponibles, l'auteur aurait dû demander que soient récusés les juges qui selon lui n'étaient pas impartiaux et que, ne l'ayant pas fait, sa communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.

Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie

5.1 Par une note du 5 décembre 2003, l'auteur a formulé ses commentaires, faisant valoir que les liens existant entre, d'une part, le Tribunal régional et la Cour d'appel de La Haye et, d'autre part, le cabinet d'avocats DBB sont assez étroits pour jeter un doute sur l'indépendance et l'impartialité de ces juridictions, que sa requête n'était plus à l'examen à la Cour européenne des droits de l'homme qui l'avait déclarée irrecevable le 7 novembre 2003, et que même s'il avait été au courant des liens existant entre les tribunaux de La Haye et le cabinet d'avocats DBB au cours du procès, il ne lui aurait servi à rien de demander que les juges soient récusés.

5.2 L'auteur affirme qu'il y a confusion entre les pouvoirs judiciaire et exécutif dans la mesure où les observations de l'État partie concernant la recevabilité de sa communication ont été signées (pour R. B., agent du Gouvernement des Pays-Bas) par H. I. J., qui est à la fois fonctionnaire au Ministère des affaires étrangères et juge suppléant au Tribunal régional de La Haye. Il réaffirme qu'il a personnellement souffert du manque d'indépendance et d'impartialité des tribunaux de La Haye et qu'il est par conséquent «victime» d'une violation de l'article 14.

5.3 L'auteur joint une lettre dans laquelle le Greffe de la Cour européenne des droits de l'homme l'informe que sa requête (no 66496/01) a été déclarée irrecevable, le 7 novembre 2003, en application des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l'homme, au motif qu'elle était «pratiquement la même que celle soumise par le même requérant à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement et qu'elle ne contenait aucune nouvelle information». Il affirme que l'argument d'irrecevabilité de l'État partie tiré du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif est donc désormais sans objet.

5.4 Pour ce qui est de l'épuisement des recours internes, l'auteur rappelle que pendant la procédure qui s'est déroulée devant les tribunaux nationaux de 1990 à 1999, il n'était pas au courant des liens étroits existant entre les tribunaux de La Haye et le cabinet DBB; c'est seulement à l'issue de la procédure interne que ce grief a été soumis au Comité par son nouvel avocat, M. Zegers. L'institution des juges suppléants est encore dans une large mesure méconnue du public. On ne peut donc pas affirmer qu'il est «extrêmement improbable» qu'il n'ait appris que récemment que la justice néerlandaise employait parfois des membres de la profession juridique en tant que juges suppléants. Même si un requérant avait été au courant de ce fait, il lui aurait été difficile de savoir si des personnes étaient à la fois avocats ou fonctionnaires et juges suppléants en l'absence de toute règle faisant obligation aux juges suppléants de déclarer leurs fonctions additionnelles.

5.5 L'auteur réaffirme qu'il aurait été vain de demander que les juges des tribunaux de La Haye soient récusés dans la mesure où la décision de les remplacer par des magistrats appartenant à un autre tribunal ne pouvait être prise que par lesdits juges eux-mêmes. Le dilemme auquel font face les requérants, dont l'affaire est confiée à d'autres juges d'un même tribunal auxquels s'appliquent les mêmes objections que celles soulevées à l'égard des juges remplacés, a été reconnu par le Procureur général dans un avis consultatif donné le 22 avril 2000 dans une affaire similaire (Verlinden c. Caisse des pensions). Le Procureur général était arrivé à la conclusion que lorsque le droit national ne prévoyait pas la possibilité de faire entendre sa cause par un autre tribunal, une demande pouvait être faite à cet effet sur la base de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ainsi, dans l'affaire Solleveld c. Pays-Bas, le Tribunal régional de La Haye s'est dessaisi au profit du Tribunal régional d'Utrecht après que les juges eurent été récusés en raison de liens présumés existant entre le Tribunal et le cabinet d'avocats DBB. La demande de renvoi à une autre juridiction a été acceptée en application de l'article 6 de la Convention européenne.

5.6 En outre, l'auteur fait valoir que dans l'affaire Verlinden c. Caisse des pensions, M. Zegers, qui était devenu l'avocat du requérant en fin de procédure, avait dénoncé les liens existant entre le cabinet d'avocats DBB et la Cour d'appel de La Haye devant cette même juridiction et devant la Cour suprême. Le 30 juin 2000, la Cour suprême avait rejeté sa plainte et statué qu'il y avait des garanties suffisantes quant à l'indépendance et l'impartialité des avocats siégeant au tribunal en tant que juges suppléants et que les liens existant entre les tribunaux de La Haye et le cabinet d'avocats DBB n'étaient pas un motif suffisant pour avoir des doutes objectifs au sujet de l'indépendance et l'impartialité de ces tribunaux. Le même jour, la Cour suprême est arrivée à la même conclusion dans l'affaire Sanders c. ANWB. L'auteur estime donc que, dans la mesure où sa requête aurait eu peu de chances d'aboutir, il n'était pas tenu d'épuiser les recours internes en demandant que soient récusés les juges du Tribunal régional de La Haye et de la Cour d'appel de La Haye qui devaient entendre sa cause.

Observations supplémentaires de l'auteur

6.1 Le 28 mai 2004, l'auteur a présenté une lettre datée du 8 octobre 1990, adressée par son ancien avocat au Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Haarlem, dans laquelle le conseil se plaignait du comportement de R. M. S. qui s'était apparemment targué des bonnes relations que le cabinet d'avocats DBB avait avec le Président du Tribunal régional d'Almelo quelques jours avant la tenue d'une audience devant ce tribunal où chacun des avocats représentait une partie. À cette audience, le Président s'était immédiatement déclaré incompétent, ce qui était, selon l'auteur, révélateur des relations sur lesquelles s'appuyait le cabinet d'avocats DBB pour obtenir «gain de cause».

6.2 L'auteur signale que le juge H., qui a siégé à la Cour d'appel de La Haye, lors de l'examen de son recours devant cette juridiction, était un collègue de R. M. S au cabinet d'avocats DBB et un collègue de la femme de R. M. S au Ministère de la justice. Tout au long de la procédure devant les tribunaux, dans laquelle R. M. S était le conseil de la partie adverse, H. faisait partie des juges. Le fait que le juge T. K. de la Cour d'appel d'Amsterdam était membre du Conseil des commissaires de NBM a aussi créé un conflit d'intérêts.

Délibérations du Comité

7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette plainte est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité note que la même affaire a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l'homme, qui l'a déclarée irrecevable le 7 novembre 2003. Il rappelle toutefois sa jurisprudence (5) selon laquelle c'est seulement lorsque la même question est en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête et de règlement que le Comité n'est pas compétent pour examiner une communication en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif. En outre l'État partie n'a pas émis de réserve au sujet du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, les dispositions de ce paragraphe n'empêchent pas le Comité d'examiner la présente communication.

7.3 Le Comité prend note de l'argument de l'État partie qui objecte que l'auteur aurait pu soulever la question de l'impartialité de l'un des juges qui ont entendu sa cause, mais il prend note également du grief de l'auteur, qui n'a pas été contesté, selon lequel la Cour suprême avait rejeté une demande dans le même sens faite par lui-même dans une autre affaire, au motif que les liens existant entre les tribunaux de La Haye et le cabinet d'avocats DBB n'étaient pas une raison suffisante pour avoir des doutes objectifs au sujet de l'indépendance et de l'impartialité du tribunal. Il rappelle que les dispositions du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif n'obligent pas les auteurs de communications à épuiser des recours qui n'ont objectivement aucune chance d'aboutir (6) et estime que l'auteur a suffisamment montré qu'il aurait été vain de demander la récusation des juges ayant entendu sa cause.

7.4 Pour ce qui est de la plainte de l'auteur selon laquelle le système néerlandais des juges suppléants est généralement incompatible avec l'article 14 du Pacte dans la mesure où il ne garantit pas l'impartialité des juges, le Comité note que cette plainte constitue une actio popularis et n'est donc pas recevable en vertu de l'article premier du Protocole facultatif.

7.5 Le Comité a pris note du grief de l'auteur qui affirme qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable en raison des liens étroits existant entre le Tribunal régional de La Haye et la Cour d'appel de La Haye, d'une part, et le cabinet d'avocats DBB, de l'autre, et que l'article 14 du Pacte a par conséquent été violé. Le Comité note que les tribunaux de La Haye qui ont entendu la cause de l'auteur étaient composés de juges professionnels exerçant à plein temps qui n'avaient aucun lien avec le cabinet d'avocats en question et que l'auteur n'a invoqué aucune circonstance particulière permettant de mettre en cause l'impartialité et l'indépendance de ces juges. En conséquence, le Comité considère que ce grief n'est pas fondé. Pour ce qui est de l'affirmation selon laquelle le fait que la Cour d'appel de La Haye n'a pas renvoyé l'affaire devant un autre tribunal régional ou ne l'a pas confiée à des juges appartenant à un autre tribunal montre qu'elle avait en l'espèce des intérêts particuliers, le Comité considère que l'auteur ne lui a fourni aucune précision à l'appui de son allégation. Enfin, le Comité note l'affirmation de l'auteur selon laquelle plusieurs liens spéciaux unissent les tribunaux de La Haye et le cabinet d'avocats DBB (voir par. 2.4, 3.6, 5.7 et 5.8 ci-dessus), d'où l'existence de conflits d'intérêts. Il estime toutefois que l'auteur n'a pas étayé, aux fins de la recevabilité, que ces liens ont eu, de par leur nature ou leur durée, une incidence telle sur son procès qu'ils soulèvent des questions au titre de l'article 14.

7.6 Le Comité conclut par conséquent que l'allégation de l'auteur selon laquelle les juges qui ont entendu sa cause au Tribunal régional de La Haye et à la Cour d'appel de La Haye n'étaient pas indépendants et impartiaux est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

7.7 Pour ce qui est du grief de l'auteur qui affirme qu'en se contentant de mentionner l'article 101a de la loi sur l'organisation judiciaire dans son appel du 6 janvier 1995 portant rejet de son appel, la Cour suprême a violé le droit à un jugement motivé, le Comité note que si le paragraphe 1 de l'article 14 peut être interprété comme faisant obligation aux tribunaux d'exposer les motifs à la base de leurs décisions (7), il ne peut être interprété comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument avancé par un plaignant (8). Ainsi, le besoin d'assurer un fonctionnement efficace de la justice peut amener les tribunaux, en particulier les plus hautes juridictions des États parties, à se contenter, en rejetant un appel, de faire leurs les motifs à la base de la décision de la juridiction inférieure, de façon à pouvoir faire face à leur charge de travail (9) . Le Comité rappelle que la Cour suprême a rejeté l'appel de l'auteur, estimant qu'il n'avait présenté aucun argument pour que la décision de la Cour d'appel de La Haye du 9 septembre 1993 puisse être cassée. Elle a donc approuvé, au moins implicitement, le raisonnement de la Cour d'appel. En outre, la Cour suprême a estimé que l'appel de l'auteur ne soulevait aucune question fondamentale de droit, contrairement à ce qu'exige l'article 101a de la loi sur l'organisation judiciaire. Dans ces circonstances, le Comité considère que l'auteur n'a pas étayé, aux fins de la recevabilité, son affirmation selon laquelle la décision de la Cour suprême n'était pas suffisamment motivée. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

8. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1er et 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.

_______________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

*Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, et M. Roman Wieruszewski.

Notes

1. Le Pacte et le Protocole facultatif sont l'un et l'autre entrés en vigueur pour les Pays-Bas le 11 mars 1979.
2. L'article 101a (actuellement l'article 81) de la loi sur l'organisation du pouvoir judiciaire dispose ce qui suit: «Si la Cour suprême est d'avis qu'une requête ne peut pas aboutir à la cassation de l'arrêt initial ou qu'elle n'appelle pas de réponse sur des points de droit dans l'intérêt de l'uniformité ou du développement du droit, elle peut se contenter d'exposer son avis dans la partie de l'arrêt dans laquelle sont énoncés les motifs sur lesquels il est fondé.».

3. Communication no 35/1978, Affaire des femmes mauriciennes, constatations adoptées le 9 avril 1981, par. 9.2.

4. Communication no 536/1993, Perera c. Australie, décision concernant la recevabilité adoptée le 28 mars 1995, par. 6.5.
5. Communications nos 824/1998, Nicolov c. Bulgarie, décision concernant la recevabilité adoptée le 24 mars 2000, par. 8.2, 1185/2003, Van den Hemel c. Pays-Bas, décision concernant la recevabilité adoptée le 25 juillet 2005, par. 6.2, et 1193/2003, Sanders c. Pays-Bas, décision concernant la recevabilité adoptée le 25 juillet 2005, par. 6.2.

6. Voir par exemple la communication no 1095/2002, Gomaríz Valera c. Espagne, constatations adoptées le 22 juillet 2005, par. 6.4.

7. Le droit à un jugement écrit dûment raisonné en première instance et tout au moins devant la juridiction de premier appel a été reconnu par le Comité dans le contexte du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. Voir Van Hulst c. Pays-Bas, communication no 903/1999, décision concernant la recevabilité adoptée le 1er novembre 2004, par. 6.4.

8. En ce qui concerne le paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, voir Cour européenne des droits de l'homme, Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, séries A-288, par. 61; et García Ruiz c. Espagne (Requête no 30544/96), arrêt du 21 janvier 1999, par. 26.

9. Voir Cour européenne des droits de l'homme, García Ruiz c. Espagne (Requête no 30544/96), arrêt du 21 janvier 1999, par. 26.

 

 



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