University of Minnesota



Patrick Coleman c. Australia, Communication No. 1157/2003, U.N. Doc. CCPR/C/87/D/1157/2003 (2006).




GENERALE
CCPR/C/87/D/1157/2003
10 août 2006
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 1157/2003 : Australia. 10/08/2006.
CCPR/C/87/D/1157/2003. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-septième session

10 - 28 juillet 2006

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4

de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international

relatif aux droits civils et politiques*

- Quatre-vingt-septième session -

 

 

Communication No 1157/2003

 

Présentée par: Patrick Coleman (non représenté par un conseil)
Au nom de: L'auteur
État partie: Australie
Date de la communication: 14 janvier 2003 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 juillet 2006,

Ayant achevé l'examen de la communication no 1157/2003, présentée par Patrick Coleman en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

 

 

1. L'auteur de la communication, datée du 14 janvier 2003, est Patrick John Coleman, de nationalité australienne, né le 22 novembre 1972. Il affirme être victime de violations par l'Australie des paragraphes 1 et 5 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 15 et des articles 19 et 21 du Pacte. Il n'est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1 Le 20 décembre 1998, l'auteur a prononcé un discours en public dans la galerie piétonne Flinders de Townsville (Queensland) sans avoir obtenu d'autorisation. Debout sur le bord d'une fontaine, avec à l'épaule un grand drapeau fixé à une hampe, il s'est déplacé jusqu'à une table en béton située non loin de là et a discouru à haute voix pendant 15 à 20 minutes sur divers sujets, dont les chartes des droits, la liberté d'expression, et les droits miniers et fonciers. Le 23 décembre 1998, il a été inculpé en vertu du paragraphe 2 e) de l'article 8 de l'arrêté no 39 du conseil municipal de Townsville («l'arrêté») pour avoir prononcé un discours en public dans une galerie piétonne sans l'autorisation écrite du conseil municipal (1). Le 3 mars 1999, l'auteur a été déclaré coupable par la Magistrates Court de Townsville d'avoir prononcé un discours de manière illégale et condamné à une amende de 300 dollars assortie de 10 jours d'emprisonnement, en cas de non-paiement, ainsi qu'aux dépens.

2.2 Le 7 juin 1999, la District Court du Queensland a débouté l'auteur de l'appel qu'il avait formé contre sa condamnation, rejetant son argument selon lequel, bien qu'ayant agi seul il était couvert par le paragraphe 1 de l'article 5 de la loi sur les rassemblements pacifiques de 1992 (Queensland) (2). Le 29 août 1999, l'auteur a prononcé un nouveau discours dans la même galerie. Il a été appréhendé en vertu d'un mandat décerné contre lui pour non-paiement, dans le délai imparti de trois mois, de l'amende qui lui avait été infligée, et placé en garde à vue dans les locaux de la police, où il a passé cinq jours. Inculpé d'obstruction au travail de la police en vertu du paragraphe 1 de l'article 120 de la loi de 1997 sur les pouvoirs et attributions de la police (Queensland) pour s'être assis par terre et avoir refusé d'accompagner les policiers de son plein gré, l'auteur a été transféré le 2 septembre 1999 au centre de détention de Townsville. Le directeur général de cet établissement, usant des pouvoirs que lui confère l'article 81 de la loi sur les services pénitentiaires de 1988, a autorisé sa remise en liberté cinq jours avant la date prévue, si bien qu'il a été élargi le jour même.

2.3 Le 6 décembre 1999, l'auteur a été condamné à une amende de 400 dollars, assortie d'une peine d'emprisonnement de 14 jours en cas de non-paiement, pour obstruction au travail de la police. Le 21 novembre 2000, la cour d'appel du Queensland a rejeté à la majorité de ses membres l'appel interjeté par l'auteur de sa première condamnation en vertu de l'arrêté, en annulant la condamnation aux dépens. Assisté par un avocat commis d'office, l'auteur avait fait valoir que l'interdiction prescrite par l'arrêté équivalait à une restriction inconstitutionnelle de l'exercice de la liberté d'expression sur des questions politiques. Les juges ont estimé à la majorité que l'arrêté avait pour objet légitime d'éviter aux usagers de la petite galerie piétonne de subir des discours publics et qu'il était raisonnablement approprié et adapté à cette fin étant donné qu'il s'appliquait à «un périmètre très restreint, ce qui laissait suffisamment d'autres espaces où tenir de tels discours». Le 26 juin 2002, la High Court a à son tour opposé un refus à la nouvelle demande d'autorisation spéciale de recours formulée par l'auteur.

Teneur de la plainte

3.1 L'auteur affirme que la déclaration de culpabilité et la condamnation dont il a fait l'objet pour infraction à l'arrêté constituent des violations des paragraphes 1 et 5 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 15, et des articles 19 et 21 du Pacte. À propos du paragraphe 1 de l'article 9, il évoque le caractère arbitraire des formalités d'obtention des autorisations, qui sont laissées à l'entière discrétion des autorités. Il n'existe pas de procédure établie et les décisions qui sont prises n'ont pas à être motivées. L'autorisation peut être refusée pour des motifs autres que ceux qui sont énoncés au paragraphe 3 de l'article 19. Une autorisation peut aussi être annulée à tout moment. Par ailleurs, l'absence de critères de décision implique que la procédure ne saurait être considérée comme étant prévue par la loi au sens du paragraphe 1 de l'article 9. L'auteur demande aussi réparation en vertu du paragraphe 5 de l'article 9 au motif qu'il aurait été détenu de façon illégale. S'agissant de la violation alléguée de l'article 15, il soutient qu'il a été déclaré coupable, alors que s'il avait eu un comportement identique en étant accompagné d'une autre personne, il aurait été couvert par le paragraphe 1 de l'article 5 de la loi sur les rassemblements pacifiques de 1992.

3.2 En ce qui concerne l'article 19, l'auteur affirme que dans le cadre de l'action pénale, le conseil municipal n'a fourni aucun élément démontrant que cette action était nécessaire pour l'une quelconque des raisons énoncées au paragraphe 3 de l'article 19. Il déclare qu'il avait le droit de répandre des informations oralement, qu'il s'est comporté de manière pacifique et convenable et qu'il n'a pas été interrompu par les policiers présents sur place, lesquels l'ont simplement filmé avec une caméra vidéo. Aucun des motifs cités au paragraphe 3 de l'article 19 comme autorisant certaines restrictions n'était donc applicable. L'obtention d'une autorisation ne saurait constituer une condition préalable à l'exercice du droit garanti par cet article. Pour ce qui est de l'article 21, l'auteur invoque le droit qu'il avait de se réunir dans un lieu public avec d'autres citoyens, auxquels il s'est adressé dans son discours. Il cite à l'appui de son argumentation les constatations adoptées par le Comité dans l'affaire Kivenmaa c. Finlande (3), dans laquelle le Comité a donné gain de cause à un groupe de personnes qui avaient arboré un calicot critiquant un chef d'État étranger en visite.

Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires de l'auteur

4.1 Dans une note datée du 21 mai 2004, l'État partie a contesté à la fois la recevabilité et le fond de la communication. Premièrement, il déclare que la communication est irrecevable ratione personae dans la mesure où elle est dirigée contre le sergent Nicolas Selleres, membre de la police du Queensland, le conseil municipal de Townsville et l'État du Queensland, soit des parties dont aucune n'a la qualité d'État partie au Pacte. Deuxièmement, pour ce qui est des griefs tirés du paragraphe 5 de l'article 9 et de l'article 15, l'État partie fait valoir que l'auteur n'est pas suffisamment touché à titre personnel pour prétendre à la qualité de victime aux fins de la recevabilité. S'agissant du paragraphe 5 de l'article 9, l'auteur ne fait état d'aucune action ou omission de la part de l'État partie et n'invoque pas l'absence d'un droit ou d'un recours exécutoire, se contentant de réclamer une indemnisation à titre de réparation. À propos de l'article 15, on ne peut retenir l'argument de l'auteur selon lequel il aurait été couvert par la loi sur les rassemblements pacifiques de 1992 s'il avait prononcé son discours avec une autre personne. L'infraction pénale dont l'auteur a été inculpé constituait bien une infraction au moment des faits et la question de la rétroactivité ne se pose pas.

4.2 Troisièmement, l'État partie affirme que les griefs formulés sont insuffisamment étayés aux fins de la recevabilité et/ou sont irrecevables ratione materiae car ce sont de simples assertions. Outre les arguments qu'il a déjà exposés, l'État partie fait valoir, à propos du paragraphe 1 de l'article 9, que l'auteur argumente uniquement au sujet de la procédure d'autorisation, sans rien dire quant à son arrestation et à son placement en détention. S'agissant du grief au titre de l'article 19, l'affirmation de l'auteur selon laquelle le conseil municipal n'a avancé au cours de l'action pénale aucune raison démontrant que celle-ci était nécessaire, au regard de l'article 19, ne concerne que la conduite du procès. Cette absence de raison ne suffit pas par elle-même à établir que l'arrêté ne satisfaisait pas aux prescriptions de cet article. Pour ce qui est du grief relatif à l'article 21, l'État partie fait valoir qu'il n'y a eu en l'espèce aucun rassemblement, la Magistrates Court ayant constaté dans ses conclusions, confirmées en appel, que personne n'était à l'arrêt en train d'écouter l'auteur, ce qui eût pu être considéré comme un rassemblement. La simple présence d'autres personnes circulant dans la galerie ne suffit pas à constituer un rassemblement.

4.3 Sur le fond, l'État partie fait observer que les éléments de preuve sur lesquels repose le grief formulé au titre de l'article 9 sont insuffisants pour qu'il soit possible d'examiner dûment la question au fond et qu'en tout état de cause cet article n'a pas été violé. L'assertion selon laquelle la procédure d'autorisation était arbitraire n'a rien à voir avec l'arrestation d'une personne en application de la peine qui lui a été infligée pour infraction à un arrêté. L'auteur n'a pas démontré que sa détention avait un caractère arbitraire, abusif et disproportionné, et qu'elle relevait dès lors du champ d'application de l'article 9. L'arrestation a été effectuée en vertu d'un mandat judiciaire, conformément à la procédure de police normalement applicable aux personnes qui refusent d'acquitter une amende. La peine d'amende ou d'emprisonnement en cas de défaut de paiement a été prononcée par la Magistrates Court après le refus exprès de l'auteur d'accomplir un travail d'intérêt général ou de signer un engagement de bonne conduite. La District Court, statuant en appel, a jugé que la peine était raisonnable. Par ailleurs, l'auteur a été remis en liberté après en avoir purgé la moitié.

4.4 En ce qui concerne le paragraphe 5 de l'article 9, l'auteur n'allègue pas de violation du droit de demander réparation auprès d'une autorité interne pour arrestation illégale. Pour ce qui est du grief de violation de l'article 15, l'État partie affirme de même que les éléments de preuve sur lesquels il se fonde sont insuffisants pour qu'il soit possible de l'examiner dûment au fond et qu'en tout état de cause il n'y a pas eu d'infraction à cet article. L'auteur prétend que si les circonstances avaient été différentes, il n'aurait pas été condamné en vertu de l'arrêté. Cette affirmation ne renvoie à aucune action ou omission de la part de l'État, pas plus qu'elle n'autorise à penser que le fait de prononcer un discours de manière illégale ne constituait pas une infraction au moment des faits.

4.5 Au sujet de l'article 19, l'État partie affirme également que l'allégation formulée n'est pas fondée sur des éléments de preuve suffisants pour qu'il soit possible de l'examiner dûment au fond et qu'en tout état de cause cet article n'a pas été violé. L'État partie fait valoir que la restriction imposée à la liberté d'expression est à l'évidence prévue par la loi sous la forme de l'arrêté. Le conseil municipal a adopté en avril 1983 une politique concernant la galerie en question, qui autorise à y tenir des rassemblements publics et vise à permettre une utilisation maximale de cet espace dans l'intérêt du public sans nuire à la jouissance publique de l'endroit. Le régime d'autorisation permet au conseil d'étudier si les projets qui lui sont soumis risquent de perturber le bien-être du petit nombre d'usagers de cet espace public (excès de bruit, encombrement, incidence sur l'activité commerciale ou risques pour la sécurité, par exemple). Les restrictions qui étaient en place visaient à garantir le bon usage de la galerie par le public dans son ensemble. En tout état de cause, l'État partie relève que le régime d'autorisation ne s'applique pas à la tenue de stands ou de réunions, selon l'exemption prévue au paragraphe 1 de l'article 8 de l'arrêté (voir la note de bas de page 1). On n'est donc pas ici en présence d'une restriction générale du droit à la liberté d'expression.

4.6 À propos de l'article 21, l'État partie fait valoir que le terme «réunion» implique nécessairement la présence de plus d'une personne. Il renvoie au commentaire d'un universitaire selon lequel «la protection du droit de réunion concerne uniquement les rassemblements temporaires et intentionnels de plusieurs personnes qui se rencontrent dans un but précis (4)». De l'avis de l'État partie, le discours de l'auteur ne satisfaisait pas à cette condition. La Magistrates Court a considéré qu'il n'y avait pas eu de «groupe de personnes rassemblées dans un même but» et a constaté que «de toute évidence», «il n'y avait nullement eu, à aucun moment, réunion ou rassemblement de personnes». La District Court, statuant en appel, a estimé elle aussi que l'auteur avait «agi seul». La cour d'appel a à son tour confirmé que les personnes écoutant passivement un discours ne pouvaient être considérées comme y prenant part.

Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie

5.1 Dans une lettre datée du 18 juin 2004, l'auteur a contesté les observations de l'État partie. En ce qui concerne la recevabilité ratione personae, il confirme qu'il considère l'Australie comme l'État partie responsable des actes des fonctionnaires et administrations relevant de son autorité, et renvoie également à l'article 50 du Pacte. Il note qu'à la suite des faits pour lesquels il a été condamné et après des interventions publiques, le conseil municipal a décidé d'installer dans la galerie une «tribune pour les orateurs» et que c'est chose faite. Il relève aussi que le conseil municipal et la police ont cherché à obtenir le remboursement des frais substantiels occasionnés par la procédure et qu'en cas de défaut de paiement une procédure en insolvabilité serait engagée contre lui. Il fait observer qu'une déclaration d'insolvabilité lui ferait aussi perdre le droit politique de se porter candidat à une charge élective, droit dont il jouit actuellement.

5.2 En ce qui concerne ses propres réclamations, l'auteur déclare, au sujet du paragraphe 5 de l'article 9, qu'il a vainement utilisé toutes les voies qui s'offraient à l'échelon interne pour former un recours contre sa condamnation et qu'il ne peut donc espérer obtenir une indemnisation en Australie, où on aurait plutôt tendance à le considérer comme un plaideur abusif. Il demande donc au Comité d'intervenir afin qu'il obtienne réparation des violations subies. À propos des articles 15 et 19, il déclare que le droit international l'autorisait à agir de manière pacifique comme il l'a fait et que sa condamnation n'est donc pas dûment fondée en droit, ainsi que le prescrit l'article 15.

5.3 Dans une lettre datée du 27 juillet 2004, l'auteur a transmis copie d'une ordonnance de saisie de ses biens rendue par le Tribunal fédéral comme suite à la déclaration d'insolvabilité dont il a fait l'objet.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 En ce qui concerne l'objection formulée par l'État partie quant à la recevabilité de la communication ratione personae, le Comité relève que tant les règles ordinaires relatives à la responsabilité de l'État que l'article 50 du Pacte disposent que les actes et omissions des organes politiques constitutifs et de leurs agents sont imputables à l'État. C'est donc à bon droit que les actes dénoncés sont imputés ratione personae à l'État partie, l'Australie.

6.3 En ce qui concerne le grief formulé au titre du paragraphe 5 de l'article 9, le Comité relève que l'auteur demande réparation pour les violations alléguées des articles 15, 19 et 21 du Pacte plutôt que parce qu'il n'a pas obtenu réparation des autorités nationales à raison de son arrestation pour défaut de paiement de l'amende initiale qu'un tribunal lui avait infligée. Ce grief distinct formulé au titre du paragraphe 5 de l'article 9 est par conséquent insuffisamment étayé aux fins de la recevabilité et donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

6.4 S'agissant du grief de l'auteur de l'article 15, le Comité note que l'acte pour lequel l'auteur a été condamné constituait bien une infraction pénale au moment où il a été commis, de sorte que ce grief est lui aussi irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif au motif qu'il est insuffisamment étayé. Pour ce qui est de l'allégation de violation de l'article 21, le Comité observe que, selon les constatations des juridictions internes, l'auteur a agi seul. De l'avis du Comité, l'auteur n'a pas fourni suffisamment d'éléments pour démontrer qu'il y a effectivement eu une «réunion» au sens de l'article 21 du Pacte. En conséquence, cette plainte est également irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole facultatif car insuffisamment étayée.

6.5 Le Comité estime que l'auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, le grief formulé au titre du paragraphe 1 de l'article 9 et de l'article 19 et procède donc à son examen sur le fond.

Examen au fond

7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité constate que l'arrestation, la déclaration de culpabilité et la condamnation de l'auteur constituent indéniablement une restriction à la liberté d'expression, telle que garantie au paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte. Cette restriction, énoncée dans l'arrêté, était prescrite par la loi, ce qui amène à se demander si elle était nécessaire à l'une des fins citées au paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte, notamment le respect des droits ou de la réputation d'autrui, ou la sauvegarde de l'ordre public.

7.3 Le Comité observe qu'il appartient à l'État partie de démontrer que la restriction apportée à la liberté d'expression de l'auteur était nécessaire en l'espèce. Un État partie peut adopter un régime d'autorisation destiné à instaurer un équilibre entre la liberté d'expression de chacun et le maintien de l'ordre public dans un espace donné dans l'intérêt de la collectivité, mais un tel régime ne doit pas être incompatible avec l'article 19 du Pacte. En l'espèce, l'auteur a fait une déclaration publique sur des questions d'intérêt public. D'après les éléments de preuve dont le Comité est saisi, rien n'indique que les propos tenus par l'auteur aient eu un caractère menaçant ou indûment perturbateur ou qu'ils aient été susceptibles de porter atteinte à l'ordre public dans la galerie de toute autre manière. De fait, les policiers qui étaient sur place n'ont pas tenté d'interrompre l'auteur mais l'ont filmé avec une caméra vidéo. Pour avoir prononcé son discours sans autorisation, l'auteur a été condamné à une amende et, lorsqu'il a refusé de la payer, il a été placé en détention pendant cinq jours. De l'avis du Comité, la réaction de l'État partie face au comportement de l'auteur a été disproportionné et a constitué une restriction à la liberté d'expression de celui-ci qui est incompatible avec le paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte. Il s'ensuit que le paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte a été violé.

7.4 Compte tenu de cette constatation au titre du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte, il est inutile que le Comité examine que le grief au titre du paragraphe 1 de l'article 9.

8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l'Australie du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'assurer à l'auteur un recours utile, consistant en l'annulation de sa déclaration de culpabilité, le remboursement de toute amende acquittée par l'auteur par suite de sa condamnation, ainsi que le remboursement des frais de justice qu'il a acquittés, et en une indemnisation pour la détention dont il a fait l'objet en violation de droits qui lui sont reconnus dans le Pacte.

10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

_____________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres ci-après du Comité ont participé à l'examen de la présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.

Conformément à l'article 90 du Règlement intérieur du Comité, M. Ivan Schearer n'a pas participé à l'adoption de la présente décision.

Le texte d'une opinion individuelle, signée par MM. Nisuke Ando, Michael O'Flaherty et Walter Kälin, membres du Comité, est joint au présent document.

 

APPENDICE
Opinion concordante de MM. Nisuke Ando, Michael O'Flaherty

et Walter Kälin, membres du Comité

 

 

Bien que nous soyons d'accord avec la conclusion du Comité en l'espèce, nous sommes parvenus à cette conclusion pour des raisons différentes de celles avancées par la majorité. Selon nous, il importe d'observer que, dans le cas d'espèce, il existe un régime d'autorisation, qui permet aux autorités de l'État partie d'établir un équilibre, compatible avec le Pacte, entre la liberté d'expression et des intérêts distincts. Toutefois, en s'abstenant de solliciter une autorisation, l'auteur n'a pas donné aux autorités de l'État partie la possibilité d'harmoniser les intérêts en jeu dans le cas d'espèce. Nous regrettons que le Comité n'ait pas pris en considération cet aspect de la communication dans son argumentation. Nous souhaitons en outre ajouter que la décision ne doit pas être interprétée comme un rejet des régimes d'autorisation en vigueur dans de nombreux États parties, régimes qui visent à instaurer un équilibre approprié non seulement en matière de liberté d'expression, mais aussi dans d'autres domaines tels que la liberté d'association et de réunion. Au contraire, la mise en place de tels régimes est, en principe, pleinement conforme au Pacte; ils offrent en outre l'avantage de renforcer la clarté, la sécurité et la cohérence, ainsi que de faciliter le contrôle, par les tribunaux locaux, puis par le Comité, d'une décision des pouvoirs publics de refuser l'exercice particulier d'un droit, ce qui lui évite ainsi d'être confronté, comme dans le cas d'espèce, à la seule évaluation brute des faits essentiels. Il est toutefois évident qu'un tel régime d'autorisation doit permettre la jouissance intégrale du droit en question, et être administré de manière cohérente, impartiale et suffisamment rapide.
Toutefois, compte tenu des éléments de l'affaire dont est saisi le Comité, nous souhaitons souligner les points suivants. L'arrestation de l'auteur, l'amende qui lui a été infligée et la peine d'emprisonnement à laquelle il a été condamné pour avoir refusé de la payer constituent, conjointement, la réponse de l'État partie au comportement de l'auteur − en somme, ces actions représentent une violation majeure du droit de l'auteur à la liberté d'expression, et elles doivent être justifiées au regard des dispositions de l'article 19 du Pacte. Par ailleurs, la disproportion qui existe entre l'action globale de l'État partie et le comportement initial de l'auteur qui en est la cause est telle que nous ne sommes pas convaincus que l'État partie ait démontré la nécessité de ces restrictions à la liberté d'expression de l'auteur. Les raisons avancées par l'État partie pour justifier ces restrictions, tout en étant parfaitement légitimes, ne sont pas suffisantes en elles-mêmes pour démontrer leur nécessité dans chaque cas. En définitive, c'est le fait que l'État partie n'ait pas démontré la nécessité, dans les circonstances de l'espèce, de sa réaction fondamentalement punitive face au comportement de l'auteur qui nous amène à partager la conclusion finale du Comité.

(Signé) Nisuke Ando

(Signé) Michael O'Flaherty

(Signé) Walter Kälin

 

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]

Notes

 

1. À l'époque des faits, l'article 8 de l'arrêté disposait ce qui suit:
«1) Le présent arrêté ne s'applique pas à l'installation ni à la tenue de stands à des fins religieuses, caritatives, éducatives ou politiques, ni d'un stand destiné à être utilisé à l'emplacement ou à proximité d'un bureau de vote établi pour une élection à l'une des chambres du Parlement du Commonwealth, à l'Assemblée législative ou à un organe local, ou pour une réunion liée à une telle élection.
2) Nul − e) ne prendra part à une manifestation publique ou à un discours public d'aucune sorte.

3) Toute personne souhaitant obtenir une autorisation aux fins du présent arrêté doit en faire la demande par écrit dans les formes prescrites. La demande est à adresser au conseil [qui peut accorder l'autorisation sollicitée, assortie ou non de conditions, ou la refuser]…».

2. Le paragraphe 1 de l'article 5 de ce texte dispose que «[t]oute personne a le droit de se réunir pacifiquement avec d'autres dans un lieu public».
3. Communication no 412/1990, constatations adoptées le 10 juin 1994.

4. Nowak M., CCPR Commentary (1re éd., NP Engel, Kehl), p. 374.

 

 

 

 



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