University of Minnesota



Katsuno, Masaharu et consorts c. Australia, Communication No. 1154/2003, U.N. Doc. CCPR/C/88/D/1154/2003 (2006).



GENERALE
CCPR/C/88/D/1154/2003
15 novembre 2006
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 1154/2003 : Australia. 15/11/2006.
CCPR/C/88/D/1154/2003. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme

Quatre-vingt-huitième session

16 octobre - 3 novembre 2006

 

Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif

se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

- Quatre-vingt-huitième session -

 

 

Communication No. 1154/2003

 

Présentée par: Katsuno, Masaharu et consorts (représentés par un conseil, M. Tobin)
Au nom de: Les auteurs
État partie: Australie
Date de la communication: 21 janvier 2002 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

 

Décision concernant la recevabilité

 

1. Les auteurs de la communication sont Masaharu Katsuno, Mitsuo Katsuno, Yoshio Katsuno, Chika Honda et Kiichiro Asami, tous ressortissants japonais, qui au moment de la présentation de la communication étaient détenus dans divers établissements pénitentiaires en Australie. Tous ont depuis été libérés. Ils affirment tous avoir été victimes de violations de l'article 2; du paragraphe 2 de l'article 9; des paragraphes 1, 2 et 3 a), b), d), e), f) et g) de l'article 14; et de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil, M. James Tobin.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Le 17 juin 1992, les auteurs ont été arrêtés à l'aéroport de Melbourne, à leur arrivée de Kuala Lumpur, et inculpés d'importation d'héroïne à des fins commerciales. Au cours de l'interrogatoire conduit par un agent des douanes à l'aéroport, puis de l'interrogatoire mené par un agent de la police fédérale, les services d'interprétation fournis auraient laissé à désirer. C'est pour cette raison que les auteurs ne se sont pas rendus compte qu'ils étaient en état d'arrestation et que leurs déclarations pourraient être ultérieurement utilisées contre eux. Chika Honda et Mitso Katsuno déclarent qu'ils n'étaient pas assistés d'un conseil lors des interrogatoires car la prestation de l'interprète ne leur a pas permis de comprendre qu'ils y avaient droit.

2.2 Entre le 9 novembre et le 7 décembre 1992, la Magistrates Court de Melbourne a mis les auteurs en accusation. De mars à mai 1994, les auteurs ont été jugés ensemble par un jury à la County Court à Melbourne. Le 28 mai 1994, ils ont été reconnus coupables des charges retenues contre eux. Yoshio Katsuno a été condamné à 25 ans d'emprisonnement et les autres auteurs à 15 ans d'emprisonnement chacun.

2.3 Lors du procès, seul le ministère public a pu examiner une liste de «jurés à écarter» c'est-à-dire des jurés qui répondent aux conditions de sélection, mais qui ont des antécédents judiciaires ou sont réputés «hostiles à la police». Le procès a fait l'objet d'une couverture médiatique nationale, et chacun des auteurs a été désigné du terme méprisant de «yakuza», normalement utilisé pour parler des membres de groupes mafieux japonais.

2.4 Deux femmes japonaises, qui avaient été arrêtées avec les auteurs à l'aéroport, ont été autorisées à retourner au Japon. La police aurait menacé de les arrêter et d'engager des poursuites contre elles si elles revenaient en Australie, ce qui a eu pour conséquence qu'elles n'ont pu témoigner au procès des auteurs.

2.5 Les auteurs ont formé un recours devant la cour d'appel de la Cour suprême de Victoria. Le 15 décembre 1995, seul le recours formé par Yoshio Katsuno a été autorisé. Sa condamnation a été annulée et un nouveau procès a été ordonné. Le 12 novembre 1996, ce nouveau procès a eu lieu devant la County Court de Melbourne, qui a rendu un verdict de culpabilité. Le 23 décembre 1997, une demande d'autorisation de faire appel auprès de la cour d'appel de la Cour suprême de Victoria a été rejetée. En septembre 1999, une demande d'autorisation d'introduire un recours devant la Haute Cour d'Australie a été rejetée.

2.6 Les auteurs allèguent que, tout au long de la procédure judiciaire, les interprètes qui les ont assistés étaient incompétents et non qualifiés. Ils présentent des informations sur les prétendues insuffisances de l'interprétation au cours de la procédure, et notamment un rapport, établi par des experts en matière d'interprétation, qui met en évidence les défauts suivants: interprétation erronée ou largement inexacte des questions de l'enquêteur et des réponses de l'auteur; absence d'interprétation des questions posées par l'enquêteur; questions adressées arbitrairement aux auteurs directement par l'interprète; formulation de réponses jamais données par les auteurs; présentation à l'enquêteur d'explications erronées à propos de la signification sociale de termes japonais; traduction de réponses dans un anglais grammaticalement et syntaxiquement très mauvais, et dans certains cas incompréhensible; longs échanges en japonais avec les auteurs, sans la participation de l'enquêteur, suivis d'un simple résumé, souvent inexact, de ce qui avait été dit; incapacité à traduire les termes juridiques essentiels. Selon les auteurs, toutes ces fautes contreviennent aux principes largement reconnus de la déontologie des interprètes.

2.7 Les auteurs n'ont été assistés que d'un seul interprète au cours du procès et ils soutiennent qu'il n'y a pas eu de coordination entre l'interprète principal et les deux interprètes qui l'ont secondé. Il y a donc eu un manque de cohérence dans la traduction des termes difficiles. Les auteurs et leurs avocats ont eu du mal à se consulter avant et après le procès parce que les interprètes quittaient la salle du tribunal chaque jour dès la fin des audiences, et que l'aide juridictionnelle était insuffisante pour couvrir de telles réunions.

2.8 Les auteurs allèguent que rien ne permettait de résoudre les problèmes de nature culturelle. Les différences culturelles faisaient qu'il ne leur était pas facile de se plaindre du caractère inéquitable de la procédure avant et pendant le procès, et expliquent peut-être qu'ils n'aient pas clamé avec force leur innocence, ce qui ne se fait pas au Japon, mais qui est considéré comme un signe de culpabilité dans l'État partie.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs déclarent qu'ils ont épuisé les recours internes. S'agissant de la mauvaise qualité de l'interprétation, ils admettent que c'est à tort que le conseil a déclaré au procès que l'interprétation était correcte et n'a pas soulevé cette question en appel, mais soutiennent que «cela tient au fait que le Gouvernement australien n'a pas mis en place un système adéquat permettant d'assurer un bon service d'interprétation». Ils ne se sont pas rendus compte des lacunes de l'interprétation avant l'année 2001, date à laquelle des experts ont examiné les comptes rendus. À leur avis, les problèmes liés à l'interprétation ne sont pas aisément perceptibles par des avocats, étant donné qu'il faut avoir une connaissance spécialisée des langues en cause pour les déceler et les évaluer. Même si le conseil avait été en mesure de percevoir la gravité du problème, les auteurs n'auraient pas eu les moyens d'engager des professionnels compétents.

3.2 Les auteurs soutiennent que la mauvaise qualité des services d'interprétation fournis lors des interrogatoires pendant l'instruction et l'utilisation des comptes rendus de ces interrogatoires comme éléments de preuve au procès ont injustement nui à leur crédibilité, ce qui a constitué une atteinte à l'égalité devant les tribunaux et au droit à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement, en vertu du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.

3.3 Les auteurs affirment que, étant donné qu'ils ne savaient pas qu'ils étaient en état d'arrestation et que leurs déclarations pouvaient être utilisées ultérieurement contre eux, ils ont été privés du droit d'être informés de la nature et des motifs de l'accusation portée contre eux, énoncé au paragraphe 2 de l'article 9 et au paragraphe 3 a) de l'article 14.

3.4 Chika Honda et Mitsuo Katsuno affirment que leurs droits au titre du paragraphe 3 d) et du paragraphe 1 de l'article 14 ont été violés, parce qu'ils n'ont pas été assistés d'un conseil lorsqu'ils ont été interrogés par la police. Ils ajoutent que l'absence d'un conseil pouvant amener un suspect à témoigner contre lui-même, le fait qu'ils n'aient pas été informés de leur droit à se faire assister d'un avocat pendant l'interrogatoire constitue également une violation du droit à ne pas être forcé de témoigner contre soi-même, énoncé au paragraphe 3 g) de l'article 14.

3.5 Selon les auteurs, la mauvaise qualité du service d'interprétation fourni pour le procès, découlant d'une pénurie de personnel, d'une mauvaise gestion et d'un manque de professionnalisme, a constitué une négation de leur droit à se faire assister gratuitement d'un interprète au sens du paragraphe 3 f) de l'article 14. Ils indiquent que, parce qu'il n'y avait qu'un seul interprète pour eux tous pendant le procès, ils ne pouvaient pas s'entretenir avec leur conseil en violation du paragraphe 3 b) de l'article 14.

3.6 Les auteurs soutiennent que leurs droits découlant du paragraphe 3 d) de l'article 14 ont été violés car la simple présence physique dans la salle d'audience ne peut être assimilée à la «présence linguistique». Cette dernière, soutiennent-ils, implique la possibilité de confronter les témoins, de s'entretenir avec un conseil et de l'assister dans leur défense.

3.7 Les auteurs affirment que les deux témoins japonais potentiels auraient eu trop peur de revenir dans l'État partie compte tenu des menaces proférées à leur encontre. Cet état de choses constituerait une violation du droit des auteurs découlant du paragraphe 3 e) de l'article 14 de faire comparaître des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.

3.8 Ils prétendent que, étant donné que rien n'existait pour résoudre les problèmes liés aux différences culturelles, ils ont été victimes de discrimination fondée sur la langue, en violation des articles 2 et 26.

3.9 Ils soutiennent que le faible montant de l'aide juridictionnelle allouée par l'État partie les a empêchés d'avoir accès à de bons services d'interprétation et de s'entretenir avec leur avocat, en violation de leur droit à l'égalité devant les tribunaux et de leur droit à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement, en vertu du paragraphe 1 de l'article 14, et de leur droit à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi en vertu de l'article 26.

3.10 Étant donné qu'ils ont été jugés ensemble, les auteurs n'ont pas pu véritablement défendre leurs intérêts personnels au procès, en violation du paragraphe 1 de l'article 14. Ils affirment que, alors que les problèmes d'interprétation se sont constamment posés mais étaient mal compris, la tenue d'un procès unique pour tous les auteurs a compliqué la capacité de chacun de s'entretenir avec son conseil et de comprendre ce qui se passait à l'audience.

3.11 Selon les auteurs, la procédure de sélection du jury a contribué à rendre le procès inéquitable dans la mesure où seul le ministère public a eu la possibilité d'examiner la liste des «jurés à écarter», violant ainsi le principe de l'égalité des armes, prévu au paragraphe 1 de l'article 14.

3.12 Enfin, les auteurs affirment que la forte couverture médiatique de leur affaire a contribué au caractère inéquitable de leur procès, violant ainsi le paragraphe 1 de l'article 14.

Observations de l'État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1 Le 15 avril 2003, l'État partie a informé le Comité que Masaharu Katsuno, Mitsuo Katsuno et Kiichiro Asami avaient bénéficié d'une libération conditionnelle le 6 novembre 2002 et Chika Honda d'une mesure analogue le 17 novembre 2002. Yoshio Katsuno a également été libéré. Leur libération a été autorisée par l'Attorney général et ils ont été immédiatement renvoyés au Japon.

4.2 Le 28 juillet 2004, l'État partie a contesté la recevabilité et le fond de la communication. Il soutient que la communication est irrecevable du fait du non-épuisement des recours internes et note que les auteurs n'ont soulevé les questions de la soi-disant inexactitude des comptes rendus d'interrogatoires et de la mauvaise qualité des services d'interprétation ni pendant le procès ni en appel. Réfutant l'argument selon lequel il ne disposerait pas d'un système efficace permettant d'assurer des services d'interprétation de qualité, il note qu'il existe une instance de réglementation qui assure la disponibilité d'interprètes et la compétence de ces derniers, la National Accreditation Authority for Translators and Interpreters Ltd (NAATI). Pour être agréés par cet organisme, les traducteurs ou interprètes doivent satisfaire certains critères en matière de pratique professionnelle. Les interprètes recrutés pour les procès des auteurs avaient le niveau voulu en traduction et interprétation, à savoir le «niveau 3».

4.3 L'État partie soutient que le droit de l'accusé dans un procès pénal à bénéficier des services d'un interprète est un principe profondément ancré dans son système judiciaire. Les tribunaux peuvent suspendre l'instance s'il apparaît qu'un abus de procédure nuirait à l'équité du procès. De même, quiconque estime que ses droits sont bafoués peut faire appel de sa condamnation pour ces motifs. Cette voie de recours était offerte aux auteurs. Bien qu'ils aient fait appel de leur condamnation en invoquant plusieurs autres motifs, mis à part Yoshio Katsuno, aucun d'entre eux n'a fait valoir l'inexactitude des comptes rendus d'interrogatoires ou la mauvaise qualité des services d'interprétation dans l'appel interjeté en 1995. Le conseil des auteurs aurait pu envisager la possibilité de soulever ces moyens en appel puisque ceux-ci ont été invoqués par Yoshio Katsuno.

4.4 L'État partie déclare que les auteurs et leur conseil semblent avoir eu conscience des questions soulevées dans la communication pendant le procès, car l'exactitude des comptes rendus d'interrogatoires initiaux a été mise en cause lors de l'audience de renvoi en jugement tenue à la Magistrate's Court de Melbourne. Pour cette raison, plusieurs comptes rendus qui avaient été présentés comme éléments de preuve lors du procès ont été corrigés par des interprètes indépendants et compétents. Des services d'interprétation ont été mis à la disposition des auteurs pendant la durée du procès. Le point de savoir si Mitsuo Katsuno et Kiichiro Asami avaient été dûment informés de leurs droits découlant de la partie 1C du Crimes Act de 1914 (Cth), analogues à ceux énoncés au paragraphe 3 d) de l'article 14, a également été soulevé lors de l'audience de renvoi en jugement.

4.5 Au procès, le conseil des auteurs aurait pu contester l'admissibilité des procès-verbaux d'interrogatoires établis par la Police fédérale australienne (AFP). Cela n'ayant pas été fait, les enregistrements vidéo de chacun des interrogatoires ont été intégralement montrés au jury pendant le procès et les comptes rendus d'interrogatoires ont été donnés aux jurés pour les aider. Le fait que le conseil des auteurs n'ait pas contesté l'admissibilité de ces comptes rendus laisse à penser qu'il tenait à ce qu'ils soient admis en preuve. Vu que les auteurs n'ont pas témoigné au procès, le jury n'a eu connaissance de leur propre version des faits qu'à travers les comptes rendus d'interrogatoires.

4.6 S'agissant de la prétendue mauvaise qualité des services d'interprétation, l'État partie soutient que les auteurs étaient libres à tout moment d'indiquer au juge ou à leur conseil qu'ils ne comprenaient pas le déroulement de la procédure; or ils ne l'ont fait à aucun moment. À cet égard, les auteurs auraient pu également déposer une plainte auprès du Commonwealth Ombudsman (médiateur) à propos du comportement des policiers de l'AFP chargés de l'enquête. En vertu de l'article 31 du Complaints (AFP) Act de 1981 (Cth), l'Ombudsman peut instruire une plainte relative aux actes d'un membre de l'AFP déposée par un particulier. L'Ombudsman aurait pu ordonner des mesures pour régler le problème rencontré par les auteurs s'il était apparu que le comportement des policiers de l'AFP était «déraisonnable, injuste, abusif ou indûment discriminatoire».

4.7 Si le Comité considère que la communication n'est pas irrecevable dans son ensemble, l'État partie prie le Comité de déclarer irrecevables les griefs relatifs à l'impartialité du tribunal et au caractère insuffisant de l'aide juridictionnelle, au titre du paragraphe 1 de l'article 14, ainsi que ceux au titre de l'article 2, du paragraphe 2 de l'article 9, des paragraphes 3 a), b), e) et g) de l'article 14, et de l'article 26, au motif que les auteurs n'ont pas étayé leurs allégations. Il ajoute que les allégations au titre des paragraphes 3 a), b), e) et g) de l'article 14 n'entrent pas dans le champ d'application du Pacte et sont donc irrecevables ratione materiae.

4.8 Sur le fond, s'agissant du grief selon lequel les services d'interprétation fournis durant l'enquête préliminaire n'étaient pas satisfaisants, l'État partie affirme que tous les interrogatoires des auteurs se sont déroulés avec la participation d'interprètes compétents. Lorsque la traduction de ces interrogatoires a été critiquée pendant l'audience de renvoi en jugement, des erreurs ont été corrigées, et l'exactitude des comptes rendus modifiés a été constatée par le conseil des auteurs. Selon l'État partie, la qualité de l'interprétation exigée par les auteurs est irréaliste lorsque l'on sait les variations de sens qui surviennent inévitablement dans la traduction d'une langue à l'autre. Le service d'interprétation assuré aux auteurs satisfaisait aux critères énoncés par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Kamasinski c. Autriche (1). Les policiers de l'AFP, le ministère public, le juge et le jury n'ignoraient pas que la version anglaise des comptes rendus ne reflétait pas exactement les déclarations des auteurs. Dès lors, les erreurs de grammaire contenues dans le texte anglais n'ont pu influencer le jury comme le prétendent les auteurs.

4.9 L'État partie indique que le système utilisé pour le procès des auteurs a consisté à ce qu'un seul interprète traduise simultanément les interventions en parlant dans un micro. Chaque accusé était équipé d'un casque qui lui permettait d'entendre la traduction des débats par l'interprète. Par conséquent, étant donné que l'interprétation au procès était assurée par un interprète unique, chaque accusé a pu suivre tout ce qui se disait dans la salle d'audience. Ce système a été utilisé après que le conseil d'un des auteurs eut indiqué au ministère public qu'il préférait qu'un seul interprète, et toujours le même, intervienne lors de l'audience de renvoi en jugement et au procès. Le ministère public s'est également conformé à la demande des auteurs visant à faire appel aux services d'un interprète particulier pour le nouveau procès d'Yoshio Katsuno. Au cours du procès, les auteurs et leur conseil ont dit qu'ils étaient satisfaits du système d'interprétation et que la prestation de l'interprète au tribunal était acceptable. L'interprète est resté sur place chaque jour à la fin de l'audience et aucune critique n'a été formulée par l'auteur ou le conseil. En fait, les auteurs et leur conseil ont félicité l'interprète de sa prestation.

4.10 L'État partie conteste les griefs selon lesquels la couverture médiatique du procès et les dispositions du droit interne relatives à la constitution du jury ont conduit à violer l'obligation d'impartialité. Aucune preuve concernant l'effet de la publicité donnée à l'affaire n'a été présentée au procès.

4.11 Pour l'État partie, la procédure de constitution du jury est un mécanisme équitable visant à assurer l'impartialité du tribunal dans un procès pénal. L'Australie rappelle la jurisprudence du Comité, selon laquelle il appartient à l'État partie d'examiner la façon dont est appliqué le droit interne, à moins qu'il ne soit clair que cette application était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice (2). Le Comité a également déclaré que c'est aux juridictions d'appel des États parties au Pacte qu'il appartient d'apprécier les faits et les preuves dans une affaire particulière, sauf s'il peut être établi que les instructions données au jury étaient incontestablement tendancieuses ou équivalaient à un déni de justice, ou encore que le juge a manifestement violé son obligation d'impartialité (3) . En tout état de cause, la pratique dont se plaignent les auteurs n'a pas eu d'effet sur leur procès étant donné que la liste des jurés récusables communiquée à l'accusation n'a pas dans les faits été utilisée par le ministère public au procès (4) . L'État partie note que, conformément à l'article 39 du Juries Act de 1967 (Vic), chacun des auteurs avait le droit de récuser librement quatre jurés potentiels.

4.12 S'agissant de l'allégation au titre des articles 26 et 2, selon laquelle les différences culturelles n'auraient pas été prises en considération lors du procès et l'assistance juridictionnelle accordée aurait été insuffisante, l'État partie déclare que les auteurs ont été soumis aux mêmes lois et traités de la même manière que tout autre accusé dans des circonstances similaires. Il a assuré la présence d'interprètes à tous les stades de la procédure et la représentation individuelle pendant le procès de manière à compenser les différences culturelles et linguistiques des accusés et leur offrir des possibilités égales de se défendre. Ceux-ci n'ont pas démontré en quoi l'insuffisance de l'aide juridictionnelle allouée pour couvrir les frais d'interprétation a contribué à constituer une discrimination à cet égard.

4.13 L'État partie soutient que Kiichiro Asami a été dûment informé des raisons de son arrestation conformément au paragraphe 2 de l'article 9 du Pacte. Cette allégation ne relève pas du paragraphe 3 a) de l'article 14, et aucune preuve n'a été fournie pour appuyer une allégation au titre de cette disposition. L'État partie rejette l'allégation selon laquelle ni Chika Honda ni Mitsuo Katsuno n'ont été informés de leur droit à être assistés d'un défenseur. La traduction de ce droit par l'interprète leur permettait de comprendre la signification de ce droit. Les deux auteurs ont été représentés par un conseil en première instance et en appel, ce qui donne à penser qu'ils connaissaient leur droit à être représentés par un avocat, et en étaient donc informés. L'État partie conteste que les mêmes auteurs ont été privés de leurs droits au titre du paragraphe 3 g) de l'article 14. Outre que cette allégation repose sur une pure hypothèse, vu que les auteurs n'ont dans les faits jamais avoué, la jurisprudence relative à cet article suggère qu'une certaine forme de contrainte est nécessaire pour qu'une violation soit constituée.

4.14 S'agissant de l'allégation selon laquelle les auteurs auraient été privés de leur droit d'interroger les témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge, l'État partie considère que cette allégation est irrecevable car elle porte uniquement sur la possibilité que les droits des auteurs aient été violés, non sur une violation effective. En tout état de cause, le paragraphe 3 e) de l'article 14 n'a pas été violé puisque les auteurs avaient la même possibilité que la défense de citer à comparaître les témoins en question, mais ont choisi de ne pas le faire. La cour d'appel a examiné ce point et constaté qu'il n'y avait pas de déni de justice.

Commentaires des auteurs sur les observations de l'État partie

5.1 Le 24 décembre 2005, les auteurs ont réitéré leurs plaintes antérieures et ajouté les éléments suivants concernant la recevabilité. D'après eux, le point essentiel est que les erreurs d'interprétation ont gravement dénaturé les interrogatoires préliminaires effectués par la police, ce qui a injustement porté atteinte à leur crédibilité. Leur conseil n'a pas contesté les procès-verbaux des interrogatoires parce que, à ce moment-là, ils ne mesuraient pas la gravité des problèmes d'interprétation. Alors que le conseil s'était rendu compte que la communication entre les auteurs et la police n'était pas facile, il n'avait aucun moyen de savoir que cette difficulté était due à la mauvaise qualité de l'interprétation.

5.2 Les auteurs contestent que Yoshio Katsuno ait formellement invoqué la médiocrité de l'interprétation comme motif d'appel, mais affirment que cette question a été soulevée pendant la procédure d'appel en relation avec une réclamation concernant le caractère volontaire des déclarations qu'il avait faites lorsqu'il était interrogé par l'AFP. S'agissant de la possibilité de saisir l'Ombudsman, les auteurs soutiennent qu'une telle procédure ne peut être considérée comme un recours utile. Les auteurs n'ont pas pu dire au juge ou à leur conseil qu'ils ne comprenaient pas ce qui se passait pendant le procès à cause des barrières culturelles et linguistiques, de la mauvaise qualité de l'interprétation et d'une mauvaise connaissance du système juridique.

5.3 En ce qui concerne les arguments de l'État partie sur le fond, ils expliquent en détail en quoi le cas d'espèce diffère de l'affaire Kamasinski c. Autriche (par. 4.8), et soulignent notamment qu'en l'espèce il était possible de constater que les accusés ne comprenaient pas les questions qui leur étaient adressées. Pendant l'audience de renvoi en jugement, l'un des policiers a reconnu qu'à certains moments M. Asami ne semblait pas comprendre ce qu'on lui disait.

5.4 Les auteurs déclarent que, pendant le procès, ils ont prié l'un des interprètes suppléants de demander que l'interprète principale soit remplacée, au motif qu'elle avait l'habitude de résumer au lieu de traduire ce qui était dit, qu'elle refusait de rester à l'issue de l'audience, et que son amitié avec le procureur aurait fait naître un conflit d'intérêts. Les auteurs réfutent l'argument de l'État partie selon lequel les erreurs d'interprétation étaient seulement mineures et renvoient à l'analyse détaillée présentée par eux dans trois rapports. Ils contestent que de telles erreurs auraient pu être «corrigées» après l'audience de renvoi en jugement. Tout en reconnaissant que le conseil avait effectivement dit qu'il préférait que l'interprétation soit assurée par un seul interprète pendant le procès, d'après les auteurs, les meilleures pratiques internationales recommandent la participation de plus d'un interprète dans les procès où plusieurs accusés sont jugés en même temps. S'agissant du fait que les deux témoins se trouvant au Japon n'ont pas été cités à comparaître, les auteurs réaffirment que, lors de l'audience préliminaire, le procureur avait indiqué que si ces personnes revenaient dans l'État partie, il les ferait arrêter, ce qui les aurait empêchées de témoigner.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 En ce qui concerne l'obligation relative à l'épuisement des recours internes, le Comité note que la plupart des griefs reposent sur l'allégation selon laquelle, de l'arrestation des auteurs jusqu'à leur condamnation, les services d'interprétation assurés par l'État partie laissaient tellement à désirer qu'ils ont été à l'origine de nombreuses violations des droits des auteurs au titre des articles 9 et 14. Le Comité observe que, mis à part les griefs liés à la convocation des témoins (par. 3 e) de l'article 14) et à la constitution du jury (par. 1 de l'article 14), aucun de ces griefs n'a été soulevé en appel. Il prend note de l'argument selon lequel ni les auteurs ni leur conseil n'auraient pu se rendre compte des graves lacunes de l'interprétation à ce moment-là, et que ce n'est qu'en 2001 (soit sept ans après la condamnation) qu'ils ont pris conscience de la gravité du problème. Le Comité observe toutefois, et cela n'a pas été contesté, que les auteurs avaient déjà exprimé des craintes sur la qualité de l'interprétation au cours de l'audience de renvoi en jugement (par. 5.3) ainsi que pendant le procès (par. 5.4). Il s'ensuit que l'argument des auteurs selon lequel ils n'ont pas eu conscience du problème avant 2001 n'est pas corroboré. En tout état de cause, s'agissant de la question de l'épuisement des recours internes, le Comité considère qu'il incombait aux auteurs et à leurs représentants de veiller à disposer de tous les faits et arguments pertinents aux fins de la procédure d'appel. Le fait qu'ils n'aient pas obtenu l'avis d'experts avant leur appel, mais seulement sept ans après le procès, n'exonère pas les auteurs de l'obligation d'épuiser les recours internes disponibles. Le Comité estime par conséquent que ce grief est irrecevable, au titre du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.

6.3 En ce qui concerne le grief lié à la constitution du jury, laquelle serait contraire au paragraphe 1 de l'article 14, le Comité note que ce point a été soulevé en appel et que la cour d'appel l'a examiné en détail. Il note également que, comme l'a soutenu l'État partie et comme il ressort de la procédure d'appel, la liste des jurés susceptibles d'être récusés qui avait été communiquée au parquet n'a en fait pas été utilisée par le ministère public lors du procès des auteurs. Le Comité estime par conséquent que les auteurs n'ont pas étayé cette plainte aux fins de la recevabilité au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité note enfin le grief des auteurs au titre du paragraphe 3 e) de l'article 14 selon lequel, si certains témoins avaient été priés de revenir en Australie pour témoigner au procès, ils auraient refusé par peur d'être arrêtés vu que la police australienne les avait menacés d'arrestation avant qu'ils retournent au Japon. Toutefois, ayant examiné la procédure, le Comité note que la question de ces témoins a été examinée de manière approfondie par la cour d'appel, à laquelle il avait été demandé, au nom des défendeurs et des requérants, de partir de l'hypothèse que les témoins avaient bel et bien le désir de se présenter. Il note également que l'argument soulevé en appel alléguait un déni de justice découlant de la non-convocation de ces témoins par le ministère public, et non le fait que ces témoins n'étaient pas revenus pour témoigner à l'audience par crainte des menaces de la police. La cour avait estimé que, étant donné que l'accusation avait légitimement conclu que les témoins en cause étaient liés à la même association de malfaiteurs que les accusés, la décision de l'accusation de laisser à la défense le soin de convoquer les témoins (en payant les frais de leur retour), mais de ne pas les convoquer elle-même, ne constituait pas un déni de justice. D'ailleurs, les auteurs n'ont pas contesté qu'ils auraient pu eux-mêmes citer à comparaître les témoins en cause. Pour ces motifs, le Comité considère que les auteurs n'ont pas étayé leur grief aux fins de la recevabilité. Il estime donc que ce grief est irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.

6.5 S'agissant des griefs au titre de l'article 26, selon lesquels les auteurs auraient été victimes de discrimination parce qu'il n'existait aucun dispositif permettant de régler les problèmes liés aux différences culturelles, et selon lesquels leur droit à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi aurait été violé en raison de l'insuffisance de l'aide juridictionnelle qui leur a été accordée, le Comité observe que les auteurs n'ont pas étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. Il estime donc que ces griefs sont irrecevables au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide que:

a) La communication est irrecevable en vertu de l'article 2 et du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;

b) La présente décision sera communiquée aux auteurs et à l'État partie.

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[Adoptée en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Edwin Johson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Hipólito Solari-Yrigoyen et M. Roman Wieruszewski.

Conformément à l'article 90 du Règlement intérieur du Comité, M. Ivan Shearer n'a pas participé à l'adoption de la présente décision.

Notes

1. Requête no 1783/82, [76], [11]-[12].

2. Dole Chadee et consorts c. Trinité-et-Tobago, communication no 813/1998, recommandation adoptée le 29 juillet 1998.

3. Kelly c. Jamaïque, communication no 253/1987, recommandation adoptée le 8 avril 1991.

4. L'État partie renvoie à ce qu'a déclaré le juge Byrne à ce sujet, à savoir que la pratique consistant à fournir une liste de jurés récusables avait été instaurée en Australie afin de permettre à la Couronne de constituer un jury impartial et indifférent à l'affaire jugée. Le juge Byrne a estimé que la Couronne ne saurait exercer son droit à poursuivre cet objectif [constituer un jury impartial et indifférent] sans posséder les informations nécessaires à l'exercice de ce droit. C'est à cet effet qu'a été instaurée la pratique consistant à fournir au ministère public des renseignements sur les «condamnations non disqualifiantes», R. v. Su & Ors, supra n 53, 32.

 

 

 



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