University of Minnesota



Fongum Gorji-Dinka c. Cameroon, Communication No. 1134/2002, U.N. Doc. CCPR/C/83/D/1134/2002 (2005).


 

 


Convention Abbreviation: CCPR






Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif





1. L'auteur de la communication est M. Fongum Gorji-Dinka, de nationalité camerounaise, né le 22 juin 1930, résidant actuellement au Royaume-Uni. Il se déclare victime de violations par le Cameroun (1) du paragraphe 1 de l'article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l'article 7, des paragraphes 1 et 5 de l'article 9, des paragraphes 1 et 2 a) de l'article 10, des articles 12 et 19, du paragraphe 3 de l'article 24 et de l'article 25 b). Il est représenté par un conseil. (2)


Rappel des faits exposés par l'auteur

2.1 L'auteur est un ancien Président du barreau camerounais (1976-1981) et le Fon, c'est-à-dire le chef traditionnel, de Widikum dans la province du nord-ouest du Cameroun; il dit être le dirigeant du gouvernement en exil de la République d'Ambazonie. Sa plainte porte pour beaucoup sur les événements qui se sont produits dans le Cameroun du Sud britannique dans le contexte de la décolonisation.

2.2 Après la Première Guerre mondiale, la Société des Nations a placé toutes les anciennes colonies allemandes sous administration internationale. En vertu d'un mandat de la Société des Nations, le Cameroun a été partagé entre le Royaume-Uni et la France. Après la Seconde Guerre mondiale, le Cameroun britannique et le Cameroun français sont devenus des territoires sous tutelle des Nations Unies, la partie sous administration britannique étant divisée en deux territoires sous tutelle, le Southern Cameroon («Ambazonie») et le Northern Cameroon. Les «Ambas» étaient une fédération d'ethnocraties souveraines mais interdépendantes avec chacune à sa tête un chef traditionnel appelé «Fon». En 1954, elles ont été unifiées en une démocratie parlementaire moderne, composée d'une chambre des chefs désignés parmi les chefs traditionnels, d'une assemblée élue au suffrage universel et d'un gouvernement ayant à sa tête un Premier Ministre nommé et révoqué par la Reine d'Angleterre.

2.3 Devenu indépendant, le Cameroun français a pris en 1960 le nom de République du Cameroun. Lors d'un plébiscite organisé par les Nations Unies le 11 février 1961, la population du Northern Cameroon britannique, majoritairement musulmane, a voté en faveur d'un rattachement au Nigéria tandis que celle du Southern Cameroon, majoritairement chrétienne, s'est déclarée favorable à une union avec la République du Cameroun, dans laquelle l'Ambazonie resterait une nation et conserverait une marge considérable de souveraineté. D'après l'auteur, le Royaume-Uni a refusé de mettre en œuvre les résultats du plébiscite craignant que le Premier Ministre de l'Ambazonie ne subisse des influences communistes et ne nationalise la Cameroon Development Cooperation (CDC), société dans laquelle l'Autorité administrante avait investi 2 millions de livres. En échange d'une licence permettant de continuer à exploiter la CDC, le Royaume-Uni aurait «vendu» l'Ambazonie à la République du Cameroun qui a alors pris le nom de République fédérale du Cameroun.

2.4 Le 8 octobre 1981, on a demandé à l'auteur de réunir la caution nécessaire pour faire libérer cinq missionnaires nigérians accusés de diffuser les enseignements d'une secte sans autorisation du Gouvernement. Au commissariat, l'auteur a été arrêté et est resté détenu avec les missionnaires. Quelques mois plus tard, il était inculpé du chef d'avoir fabriqué un faux permis pour permettre à la secte d'opérer au Cameroun. Le juge de jugement a constaté, sur les faits, que l'auteur ne se trouvait pas au Cameroun quand l'infraction avait été commise mais ne l'en a pas moins condamné à un emprisonnement de 12 mois. L'audience en appel n'a eu lieu que quand l'auteur avait déjà exécuté l'intégralité de sa peine. Juste avant l'audience en appel, le Parlement a adopté la loi d'amnistie 82/21 éteignant donc la condamnation de l'auteur. Celui-ci a alors renoncé à faire appel et a déposé une demande d'indemnisation pour détention illégale mais n'a jamais reçu de réponse des autorités.

2.5 À la suite de la «soumission» des Ambazoniens, dont les droits fondamentaux auraient été gravement bafoués par les membres des forces armées franco-camerounaises ainsi que par des groupes de miliciens, des émeutes ont éclaté en 1983, obligeant le Parlement à adopter une loi dite de restauration (loi 84/01) par laquelle l'union des deux pays était dissoute. L'auteur a alors pris la tête du Conseil de restauration ambazonien et a publié plusieurs articles engageant Paul Biya, le Président de la République du Cameroun, à appliquer la loi de restauration et à se retirer de l'Ambazonie.

2.6 Le 31 mai 1985, l'auteur a été arrêté à Bamenda (Ambazonie) et conduit à Yaoundé où il est resté détenu dans une cellule humide et sale, qui ne contenait ni lit, ni table, ni sanitaires. Il est tombé malade et il a été hospitalisé. Ayant appris qu'il était prévu de le transférer dans un hôpital psychiatrique, il a pris la fuite et s'est réfugié à la résidence de l'Ambassadeur de Grande-Bretagne, qui a rejeté sa demande d'asile et l'a livré à la police. Le 9 juin 1985, l'auteur a été de nouveau placé en détention au quartier général de la Brigade mixte mobile (BMM) − un corps de police paramilitaire − où il partageait une cellule avec 20 prisonniers condamnés pour meurtre.

2.7 L'auteur a eu une crise cardiaque qui lui a laissé le côté gauche paralysé et dont il affirme qu'elle résulte des tortures physiques et psychiques qu'il a subies pendant sa détention.

2.8 D'après l'auteur, c'est son placement en détention qui a provoqué les incidents appelés «les émeutes de Dinka», à la suite desquels les établissements scolaires sont restés fermés pendant plusieurs semaines. Le 11 novembre 1985, le Parlement a adopté une résolution en faveur de l'organisation d'une conférence nationale consacrée à la question de l'Ambazonie. Le Président Biya a répondu en accusant le Président du Parlement de mener une révolte parlementaire «pro-Dinka» dirigée contre lui; il a fait traduire l'auteur devant une juridiction militaire pour haute trahison, et aurait demandé la peine de mort. L'accusation s'est effondrée faute de dispositions pénales criminalisant le fait pour l'auteur d'avoir demandé au Président Biya d'appliquer la loi de restauration en se retirant de l'Ambazonie. Le 3 février 1986, l'auteur a été acquitté de toutes les charges et remis en liberté.

2.9 Après avoir donné l'ordre d'arrêter de nouveau l'auteur, le Président Biya avait l'intention de faire appel du jugement, mais n'a pu le faire parce que la loi portant création de la juridiction militaire ne prévoyait pas la possibilité de faire appel dans les affaires de haute trahison. L'auteur a ensuite été placé en résidence surveillée et y est resté du 7 février 1986 au 28 mars 1988. Dans une lettre datée du 15 mai 1987, le Département des affaires politiques du Ministère de l'administration territoriale a fait savoir à l'auteur que son comportement en résidence surveillée était incompatible avec la «remise en liberté avec mise à l'épreuve» ordonnée par le tribunal militaire, étant donné qu'il continuait à tenir des réunions dans son palais, à assister aux séances du conseil des notables, à invoquer ses prérogatives de chef (Fon), à mépriser et ignorer les forces de l'ordre et d'autres autorités et à pratiquer la religion illégale Olumba Olumba. Le 25 mars 1988, le bureau de la Division de Batibo Momo a informé l'auteur qu'en raison de ses «antécédents judiciaires» son nom avait été radié des listes électorales et ne serait réinscrit que quand il pourrait produire un «certificat de réhabilitation».

2.10 Le 28 mars 1988, l'auteur s'est exilé au Nigéria. En 1995, il est parti pour la Grande-Bretagne où le statut de réfugié lui a été reconnu et il est devenu avocat.


Teneur de la plainte

3.1 L'auteur fait valoir que l'«annexion illégale» de l'Ambazonie par la République du Cameroun s'est faite contre la volonté des Ambazoniens de demeurer une nation et de conserver leurs prérogatives souveraines, volonté qu'ils avaient exprimée lors du plébiscite de 1961 et qui avait été confirmée par la Cour de Bamenda dans un arrêt de 1992, ce qui constitue une violation du droit de son peuple à l'autodétermination garanti au paragraphe 1 de l'article premier du Pacte. Se référant au paragraphe 3 de l'article 24 du Pacte, il invoque également une violation du droit d'avoir sa propre nationalité.

3.2 L'auteur fait valoir que sa détention du 8 octobre 1981 au 7 octobre 1982 et du 31 mai 1985 au 3 février 1986 puis son placement en résidence surveillée du 7 février 1986 au 28 mars 1988 ont été arbitraires et ont constitué une violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte. Les conditions de détention et les mauvais traitements subis pendant la seconde période de détention représentent des violations de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 et le fait qu'il a été gardé dans les locaux de la Brigade mixte mobile dans la même cellule qu'un groupe de condamnés pour meurtre, après avoir été de nouveau arrêté le 9 juin 1985, a représenté une violation du paragraphe 2 a) de l'article 10. L'auteur ajoute que les restrictions imposées à ses déplacements quand il était en résidence surveillée et l'interdiction de fait qui lui est actuellement imposée de quitter le pays où il se trouve et d'entrer dans son pays représentent une violation de l'article 12 du Pacte.

3.3 L'auteur fait valoir que le droit de voter et d'être élu lui a été retiré, en violation de l'article 25 b) du Pacte.

3.4 Invoquant l'article 19 du Pacte, l'auteur fait valoir que l'arrestation du 31 mai 1985 puis son placement en détention étaient des mesures répressives visant à le punir pour ses publications critiques à l'égard du régime.

3.5 L'auteur fait valoir de plus que le droit à une indemnisation pour détention illégale prévu au paragraphe 5 de l'article 9 a été violé puisque les autorités n'ont jamais répondu à sa demande d'indemnisation pour la période de détention du 8 octobre 1981 au 7 octobre 1982.

3.6 L'auteur affirme que toutes les tentatives qu'il a faites pour obtenir réparation auprès des autorités judiciaires dans son pays ont été vaines car les autorités n'ont jamais répondu à sa demande d'indemnisation et n'ont pas respecté la législation nationale ni les jugements du Tribunal militaire camerounais et de la Cour de Bamenda. Après s'être enfui alors qu'il était en résidence surveillée, en 1988, il ne disposait plus d'aucun recours interne précisément parce qu'il était en fuite. Il affirme que le seul moyen de faire valoir ses droits serait une décision du Comité car les autorités camerounaises ne respectent jamais les jugements de leurs propres tribunaux dans des affaires de droits de l'homme.

3.7 L'auteur affirme que la même question n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.


Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

4.1 En date des 12 novembre 2002, 26 mai 2003 et 30 juillet 2003, le Comité a demandé à l'État partie de lui fournir des informations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il note que ces informations n'ont toujours pas été reçues. Il regrette que l'État partie n'ait donné aucune information quant à la recevabilité ou au fond des allégations de l'auteur. Le Comité rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement au paragraphe 2 de l'article 4 que les États parties examinent de bonne foi les allégations dont ils font l'objet et qu'ils communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l'absence de réponse de l'État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations de l'auteur, dans la mesure où elles sont étayées. (3)

4.2 Le Comité a relevé que plusieurs années s'étaient écoulées entre les faits allégués par l'auteur dans sa communication, ses tentatives pour exercer les recours internes et la date à laquelle il a présenté sa communication. Si un tel délai pourrait, dans d'autres circonstances, être considéré comme constituant un abus du droit de plainte au sens de l'article 3 du Protocole facultatif, en l'absence d'explication convaincante pour justifier ce délai, (4) le Comité tient également compte de l'absence de coopération de l'État partie qui n'a pas soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Par conséquent, il n'estime pas nécessaire de poursuivre l'examen de cette question.

4.3 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.4 Pour ce qui est du grief de l'auteur qui affirme que son droit et le droit de son peuple à l'autodétermination ont été violés par l'État partie qui n'a pas donné effet aux résultats du plébiscite de 1961, n'a pas appliqué la loi de restauration 84/01 et n'a pas exécuté le jugement rendu en 1992 par la Haute-Cour de Bamenda ainsi que par la «soumission» des Ambazoniens, le Comité rappelle que le Protocole facultatif ne lui donne pas compétence pour examiner des griefs de violation du droit à l'autodétermination garanti par l'article premier du Pacte. (5) La procédure mise en place par le Protocole facultatif permet aux particuliers de dénoncer une violation de leurs droits individuels. Ces droits sont ceux qui sont énoncés dans la partie III du Pacte (art. 6 à 27). (6) Par conséquent cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l'article premier du Protocole facultatif.

4.5 En ce qui concerne le grief de l'auteur qui affirme que son incarcération entre le 8 octobre 1981 et le 7 octobre 1982 a été arbitraire, en violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte, du fait que sa condamnation avait été annulée par la loi d'amnistie 82/21, le Comité rappelle qu'il ne peut pas examiner des violations du Pacte qui se seraient produites avant l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État partie, à moins que les violations n'aient persisté après cette date ou aient continué d'avoir des effets qui en soi constituent une violation du Pacte. (7) Il relève que l'auteur a été incarcéré en 1981-1982, c'est-à-dire avant la date de l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État partie, qui est le 27 septembre 1984. De l'avis du Comité, si une peine imposée à la suite d'une condamnation pénale qui a ensuite été annulée peut continuer à produire des effets aussi longtemps que la personne condamnée à cette peine n'a pas été indemnisée conformément à la loi, c'est là une question qui relève du paragraphe 6 de l'article 14 et non pas du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte. Il estime donc que la détention arbitraire dénoncée par l'auteur n'a pas continué à avoir des effets au-delà du 27 septembre 1984, qui auraient en eux-mêmes constitué une violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte. Le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable ratione temporis [en vertu de l'article premier du Protocole facultatif].

4.6 Pour ce qui est du grief tenant au fait qu'il n'a pas été indemnisé pour la détention illégale qu'il a subie en 1981-1982, le Comité estime que l'auteur n'a pas apporté assez d'éléments pour étayer sa plainte aux fins de la recevabilité. Par exemple, il n'a pas joint des copies de lettres qu'il aurait adressées aux autorités compétentes pour demander une indemnisation et n'a pas indiqué la date ni le destinataire. En conséquence cette plainte est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

4.7 En ce qui concerne le grief de violation de l'article 7 du Pacte, l'auteur déclarant avoir subi des tortures physiques et psychiques en détention après sa nouvelle arrestation, le 9 juin 1985 (qui auraient été à l'origine d'une crise cardiaque l'ayant laissé paralysé du côté gauche), le Comité relève qu'il n'a pas donné de détails sur les mauvais traitements qu'il aurait subis et qu'il n'a pas joint de certificats médicaux qui pourraient corroborer cette allégation. Le Comité conclut donc que l'auteur n'a pas étayé cette plainte aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

4.8 En ce qui concerne le grief de l'auteur qui affirme que son arrestation le 31 mai 1985 puis la détention étaient des mesures visant à le punir d'avoir publié des articles critiques à l'égard du régime, en violation de l'article 19 du Pacte, le Comité considère que l'auteur n'a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi cette détention était une conséquence directe de la parution des publications. Par conséquent cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

4.9 En ce qui concerne le grief de l'auteur au titre de l'article 25 b) du Pacte, le Comité estime que le droit de voter et d'être élu est subordonné à l'inscription du nom de la personne concernée sur les listes électorales. Si le nom de l'auteur ne figure pas sur ces listes ou en est radié, celui-ci ne peut exercer son droit de voter, ni celui d'être élu. En l'absence d'explication de l'État partie, le Comité note que le nom de l'auteur a été radié des listes électorales de façon arbitraire, cette décision n'ayant pas été motivée et ne résultant pas d'une décision de justice. Le fait même de radier l'auteur des listes électorales peut donc constituer un déni de son droit de voter et d'être élu consacré à l'article 25 b) du Pacte. Le Comité estime donc que l'auteur a suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité.

4.10 En ce qui concerne le grief de l'auteur qui dit être privé de sa nationalité ambazonienne, en violation du paragraphe 3 de l'article 24 du Pacte, le Comité rappelle que cette disposition protège le droit de tout enfant d'acquérir une nationalité. Elle a pour but d'éviter qu'un enfant ne soit moins protégé par la société et par l'État s'il est apatride, (8) et non de donner un droit à avoir la nationalité de son choix. Il s'ensuit que cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.

4.11 Concernant l'épuisement des recours internes, le Comité prend note de l'argument de l'auteur qui fait valoir que, s'étant enfui alors qu'il était en résidence surveillée (en 1988), il n'était pas en mesure de demander réparation par les voies de recours internes vu qu'il était recherché au Cameroun. Compte tenu de sa jurisprudence, (9) qui veut que le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif n'exige pas d'avoir épuisé des recours qui n'ont objectivement aucune chance d'aboutir, et en l'absence de toute indication de l'État partie selon laquelle l'auteur aurait pu se prévaloir de recours utiles, le Comité estime que l'auteur a apporté suffisamment d'éléments pour montrer l'inutilité et l'inefficacité des recours internes dans son cas.

4.12 Le Comité conclut que la communication est recevable en ce qu'elle soulève des questions au regard de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 9, des paragraphes 1 et 2 a) de l'article 10 et de l'article 25 b) du Pacte, et dans la mesure où ces griefs portent sur la légalité et les conditions de détention après l'arrestation de l'auteur, le 31 mai 1985, sur son incarcération initiale avec un groupe de condamnés pour meurtre dans le quartier général de la Brigade mixte mobile, sur la légalité de la mesure de mise en résidence surveillée, du 7 février 1986 au 28 mars 1988 et les restrictions à sa liberté de mouvement pendant cette période et sur la radiation de son nom des listes électorales.


Examen au fond

5.1 Le Comité doit déterminer tout d'abord si la détention de l'auteur entre le 31 mai 1985 et le 3 février 1986 était arbitraire. Conformément à la jurisprudence constante du Comité, (10) l'adjectif «arbitraire» n'est pas synonyme de «contraire à la loi» mais doit être interprété de façon plus large, incorporant le caractère inapproprié, l'injustice, l'absence de prévisibilité et les garanties judiciaires. Cela signifie qu'un placement en détention doit non seulement être conforme à la loi mais doit aussi être raisonnable et nécessaire en toutes circonstances, par exemple pour empêcher que l'intéressé ne prenne la fuite, ne soustraie ou ne modifie des preuves ou ne continue ses actes délictueux. (11) L'État partie n'a invoqué aucun de ces facteurs dans l'affaire à l'examen. Le Comité rappelle aussi le grief non contesté de l'auteur, qui affirme que ce n'est qu'après son arrestation, le 31 mai 1985, et sa nouvelle arrestation, le 9 juin 1985, que le Président Biya a engagé des poursuites contre lui, sans s'appuyer sur la moindre base légale et dans l'intention d'infléchir l'issue du procès qui se déroulait devant le Tribunal militaire. Dans ce contexte, le Comité estime que la détention qui a duré du 31 mai 1985 au 3 février 1986 n'était ni raisonnable ni nécessaire dans les circonstances de l'affaire et a donc constitué une violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte.

5.2 Pour ce qui est des conditions de détention, le Comité prend note de l'allégation non contestée de l'auteur, qui affirme avoir été détenu dans une cellule humide et sale, sans lit, table ni sanitaires. Il réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privation ou de contrainte autre que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et doivent être traitées dans le respect de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (1957) notamment. (12) En l'absence de renseignements de la part de l'État partie sur les conditions de détention de l'auteur, le Comité conclut que les droits consacrés au paragraphe 1 de l'article 10 ont été violés pendant la détention de l'auteur du 31 mai 1985 jusqu'à la date de son hospitalisation.

5.3 Le Comité note que le grief de l'auteur qui affirme qu'il a été maintenu dans une cellule de garde à vue avec 20 condamnés pour meurtre au quartier général de la Brigade mixte mobile n'a pas été contesté par l'État partie, lequel n'a apporté aucun élément faisant état de circonstances exceptionnelles qui aurait justifié de déroger à la règle exigeant la séparation de l'auteur, en tant que prévenu, de ces condamnés. Le Comité conclut donc que les droits consacrés au paragraphe 2 a) de l'article 10 du Pacte ont été violés pendant la détention de l'auteur au quartier général de la Brigade mixte mobile.

5.4 En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte, tenant au caractère arbitraire de la mise en résidence surveillée entre le 7 février 1986 et le 28 mars 1988, le Comité prend note de la lettre datée du 15 mai 1987 émanant du Département des affaires politiques du Ministère de l'administration territoriale, qui critiquait le comportement de l'auteur quand il était en résidence surveillée, ce qui confirme que l'intéressé était bien assigné à domicile. Le Comité note de plus que cette mesure a été imposée alors que l'auteur avait été acquitté et remis en liberté par un jugement exécutoire du Tribunal militaire. Le Comité rappelle que le paragraphe 1 de l'article 9 est applicable à toutes les formes de privation de liberté (13) et relève que le placement en résidence surveillée a été une mesure illégale et était donc arbitraire dans les circonstances de l'affaire; il y a donc violation du paragraphe 1 de l'article 9.

5.5 En l'absence de circonstances exceptionnelles invoquées par l'État partie pour justifier toute restriction à la liberté de déplacement de l'auteur, le Comité conclut que les droits garantis au paragraphe 1 de l'article 12 du Pacte ont été violés pendant que l'auteur était en résidence surveillée, placement qui était en soi illégal et arbitraire.

5.6 En ce qui concerne le grief de l'auteur qui affirme que sa radiation des listes électorales a constitué une violation des droits consacrés à l'article 25 b) du Pacte, le Comité relève que l'exercice du droit de vote et du droit d'être élu ne peut être suspendu ou supprimé que pour des motifs consacrés par la loi, et qui soient objectifs et raisonnables. (14) Bien que la lettre datée du 25 mars 1998 informant l'auteur de sa radiation des listes électorales mentionne la «loi électorale en vigueur», la décision est justifiée par les «antécédents judiciaires» de l'auteur. À ce sujet, le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté qui n'ont pas été condamnées ne doivent pas être déchues du droit de vote (15) et rappelle que l'auteur a été acquitté par le Tribunal militaire en 1986 et que sa condamnation par un autre tribunal en 1981 a été éteinte par le jeu de la loi d'amnistie no 82/21. Il rappelle aussi que les personnes qui à tous autres égards seraient éligibles ne devraient pas être privées de la possibilité d'être élues du fait de leur affiliation politique. (16) En l'absence de motifs objectifs et raisonnables pour justifier le retrait du droit de vote et d'être élu, le Comité conclut, à la lumière des éléments dont il dispose, que la radiation de l'auteur des listes électorales représente une violation des droits consacrés à l'article 25 b) du Pacte.

6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations du paragraphe 1 de l'article 9, des paragraphes 1 et 2 a) de l'article 10, du paragraphe 1 de l'article 12 et de l'article 25 b) du Pacte.

7. Conformément au paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'auteur a droit à un recours utile, sous la forme d'une indemnisation et de l'assurance d'exercer ses droits civils et politiques. L'État partie est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l'avenir.

8. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.


__________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.


Notes

1. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l'État partie le 27 septembre 1984.

2. La communication a été présentée par l'auteur lui-même. Toutefois, par une lettre datée du 4 août 2004, Mme Irene Schäfer a présenté un document de l'auteur lui donnant la qualité de conseil chargé de sa représentation.

3. Voir communication no 912/2000, Deolall c. Guyana, constatations adoptées le 1er novembre 2004, par. 4.1.

4. Voir communication no 788/1997, Gobin c. Maurice, décision d'irrecevabilité adoptée le 16 juillet 2001, par. 6.3.

5. Voir communication no 932/2000, Gillot c. France, constatations adoptées le 15 juillet 2002, par. 13.4.

6. Voir communication no 167/1984, Bernard Ominayak et consorts c. Canada, constatations adoptées le 26 mars 1990, par. 32.1.

7. Voir communication no 520/1992, Könye et Könye c. Hongrie, décision concernant la recevabilité adoptée le 7 avril 1994, par. 6.4; communication no 24/1977, Sandra Lovelace c. Canada, constatations adoptées le 30 juillet 1981, par. 7.3.

8. Observation générale no 17 [35] sur l'article 24, par. 8.

9. Voir par exemple les communications nos 210/1986 et 225/1987, Earl Pratt et Ivan Morgan c. Jamaïque, constatations adoptées le 6 avril 1989, par. 12.3.

10. Voir communication no 305/1988, Ivan Alphen c. Pays-Bas, constatations adoptées le 23 juillet 1990, par. 5.8; communication no 458/1991, Mukong c. Cameroun, constatations adoptées le 21 juillet 1994, par. 9.8.

11. Ibid.

12. Observation générale no 21 [44] sur l'article 10, par. 3 et 5.

13. Observation générale no 8 [16] sur l'article 9, par. 1.

14. Observation générale no 25 [57] sur l'article 25, par. 4.

15. Ibid., par. 14.

16. Ibid., par. 15.



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