University of Minnesota



Walter Obodzinsky, décédé, et sa fille Anita Obodzinsky c. Canada, Communication No. 1124/2002, U.N. Doc. CCPR/C/89/D/1124/2002 (2007).




GENERALE
CCPR/C/89/D/1124/2002
14 mai 2007
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 1124/2002 : Canada. 14/05/2007.
CCPR/C/89/D/1124/2002. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-neuvième session

12 - 30 mars 2007

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4

de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international

relatif aux droits civils et politiques*

- Quatre-vingt-neuvième session -

 

Communication No 1124/2002

 

Présentée par: Walter Obodzinsky, décédé, et sa fille Anita Obodzinsky (non représentés)
Au nom de: Walter Obodzinsky

État partie: Canada

Date de la communication: 30 septembre 2002 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 mars 2007,

Ayant achevé l'examen de la communication no 1124/2002 présentée par Walter Obodzinsky (décédé) et sa fille Anita Obodzinsky au nom de Walter Obodzinsky, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

 

 

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

 

 

1.1 L'auteur de la communication, datée du 30 septembre 2002, est Walter Obodzinsky, de nationalité canadienne. Il est mort le 6 mars 2004. Sa fille, Anita Obodzinsky, a exprimé le souhait de maintenir la communication. Walter Obodzinsky affirmait être victime de violations par le Canada des articles 6, 7, 9, 14 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Sa fille et lui-même ne sont pas représentés. Le Pacte et le Protocole facultatif s'y rapportant sont entrés en vigueur pour le Canada le 19 août 1976.
1.2 Le 7 octobre 2002, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a rejeté la demande de mesures provisoires de l'auteur visant à ce que la procédure de révocation de sa nationalité soit suspendue.

Exposé des faits

2.1 L'auteur est né le 7 mai 1919 à Turez, un village polonais passé sous le contrôle de l'ex-URSS en 1939. Ce village fait aujourd'hui partie du territoire de la Biélorussie. D'après l'État partie, l'auteur a volontairement rejoint la force policière de la région de Mir en Biélorussie, avec laquelle il a servi de l'été 1941 jusqu'au printemps 1943. L'État partie affirme que cette unité a participé à la commission d'atrocités à l'endroit de la population juive et des personnes soupçonnées d'avoir des liens avec les partisans et que l'auteur est ensuite devenu le leader d'un peloton dans une unité spécialisée dans la lutte contre les partisans à Baranovichi. Durant l'été 1944, après le retrait des forces militaires allemandes de la Biélorussie, il a été intégré dans une division des Waffen SS et a été envoyé en France, où il a déserté. Il a alors rejoint le Second Corps polonais, à l'époque cantonné en Italie et commandé par les Britanniques.

2.2 L'auteur est arrivé au Canada le 24 novembre 1946 dans le cadre d'un décret du Gouvernement canadien proposant d'accueillir au Canada 4 000 ex-membres des Forces armées polonaises. Il a obtenu la résidence permanente en avril 1950 et est devenu citoyen canadien le 21 septembre 1955.

2.3 En janvier 1993, le Gouvernement canadien a été informé par la «British War Crimes Unit» du fait que divers témoignages entendus en Angleterre relient l'auteur aux forces nazies et à des actes criminels. L'auteur a été retrouvé au Canada en 1995. Le Programme canadien sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre mène alors une enquête. Au cours de cette enquête, l'auteur a été interrogé et a signalé ses problèmes cardiaques. L'enquête a conclu que l'auteur a obtenu son admission au Canada de façon frauduleuse.

2.4 Le processus de révocation de la citoyenneté de l'auteur a été entamé le 27 juillet 1999, lorsque le Ministre de la citoyenneté et de l'immigration a notifié celui-ci de son intention de faire rapport au Gouverneur en conseil en vertu des articles 10 et 18 de la loi sur la citoyenneté. Lorsque l'auteur a reçu cette notification le 30 juillet 1999, il a eu des malaises cardiaques. Le 19 août 1999, il a fait un infarctus qui a nécessité une hospitalisation de deux semaines. Il souffrait de troubles cardiaques depuis son premier infarctus en 1984. Étant donné la mise en péril de sa vie, l'auteur a fait connaître l'ensemble des informations médicales le concernant dans l'espoir que le Gouvernement canadien abandonnerait la procédure de révocation. Le 24 août 1999, l'auteur a demandé le renvoi de l'affaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale afin qu'elle détermine s'il avait acquis sa citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

2.5 Le 4 mai 2000, l'auteur a demandé à la Section de première instance de la Cour fédérale d'ordonner la suspension permanente des procédures de révocation de citoyenneté au motif qu'étant donné son âge avancé et son état de santé précaire, l'introduction et le maintien même de telles procédures contrevenaient à ses droits constitutionnels lui garantissant vie, liberté et sécurité de sa personne. Le 12 octobre 2000, la Cour fédérale a rejeté cette requête. Elle a cependant noté que l'état de santé précaire de l'auteur rendait difficile, voire impossible, pour lui de participer activement aux procédures en cours sans aggraver son état. Elle a également précisé que la suspension demandée aurait été justifiée en raison de l'état de santé de l'auteur s'il s'était agi d'une cause criminelle. Toutefois, l'article 7 de la Charte canadienne garantissant à l'accusé le respect des principes de justice fondamentale, y compris le droit à une défense pleine et entière, ne s'applique qu'aux procédures pénales.

2.6 L'auteur a fait appel de cette décision en ajoutant que la procédure constituait un traitement cruel et inusité. Le 17 mai 2001, à l'issue de l'audience devant la Cour d'appel fédérale, l'auteur a été à nouveau victime d'une défaillance cardiaque qui a nécessité son hospitalisation. Le 23 mai 2001, la Cour d'appel fédérale a rejeté son appel. Le 9 juillet 2001, la même Cour a ordonné la suspension temporaire de la procédure durant la demande d'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême et durant le pourvoi, le cas échéant. Cette décision a été rendue après la présentation de plusieurs attestations sous serment établies par des médecins qui avaient examiné l'auteur. La plupart de ces attestations concluaient que la poursuite de la procédure judiciaire aggraverait la tension nerveuse de l'auteur mais ne concluaient pas que la poursuite de la procédure mettrait sa vie en danger. Deux attestations concluaient que compte tenu de l'âge de l'auteur et des défaillances cardiaques dont il avait été victime auparavant, il n'aurait pas la «capacité cardiovasculaire» de supporter une procédure judiciaire prolongée. Le 14 février 2002, la Cour suprême a refusé d'entendre le pourvoi de l'auteur.

2.7 Le 3 avril 2002, l'auteur a présenté à la Section de première instance de la Cour fédérale une nouvelle requête lui demandant de statuer préalablement au déroulement des auditions sur une question préliminaire, à savoir si les articles 10 et 18 de la loi sur la citoyenneté étaient contraires au droit constitutionnel canadien. Le 13 juin 2002, la Section de première instance a rejeté cette requête. Le 8 septembre 2002, l'auteur a présenté de nouveau sa demande. Le 7 octobre 2002, la Section de première instance l'a de nouveau rejetée et a remis à plus tard sa décision quant à la constitutionnalité des dispositions législatives permettant une telle procédure.

2.8 Les auditions visant à déterminer si l'auteur a obtenu sa citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels ont débuté le 12 novembre 2002 devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Au cours de l'argumentation finale en mars 2003, l'auteur a de nouveau plaidé la question de la constitutionnalité des dispositions législatives relatives à la procédure de révocation de sa citoyenneté.

Teneur de la plainte

3.1 L'auteur estime être victime de violations par le Canada des articles 6, 7, 9, 14 et 17 du Pacte parce que la poursuite des procédures risque de mettre en péril sa santé et sa vie. Il fait valoir qu'il a produit de nombreuses preuves médicales non contestées par l'État partie démontrant que ses capacités sont atteintes ou diminuées au point de ne pas lui permettre de se défendre sans mettre sa vie et santé en danger, qu'il se trouve dans l'impossibilité de collaborer avec son conseil pour la préparation de sa défense, et qu'il ne peut assister à aucune audience ou enquête. Il rappelle que le droit à la vie, à la sécurité et à ne pas être soumis à des traitements cruels et inhumains sont des droits fondamentaux et qu'aucune dérogation aux articles 6, 7 et 9 du Pacte n'est permise. Il insiste que de lui faire subir un procès pourrait aboutir à la perte de tout statut au Canada, à son expulsion et à le faire mourir. En ce qui concerne l'article 17, l'auteur fait valoir que sa réputation peut être gravement atteinte et sa vie privée violée.

3.2 En ce qui concerne l'article 14, l'auteur répète qu'à cause de son état de santé, il est incapable de se défendre. Il précise que, malgré le fait que ce soit le Gouverneur en conseil qui puisse seul révoquer la citoyenneté à la fin de la procédure, la loi ne prévoit aucun droit d'être entendu devant lui. Aucun droit de participation n'est prévu (sauf pour le ministre). Le rapport du ministre n'est pas divulgué pour fins de réponse. L'auteur estime donc que l'État partie viole l'article 14 puisque les citoyens naturalisés qui sont visés par une procédure de révocation de citoyenneté ne peuvent être entendus par le décideur. Il considère que la procédure vise à punir les citoyens canadiens naturalisés tels que l'auteur parce qu'ils sont soupçonnés d'avoir été des collaborateurs durant la Seconde Guerre mondiale.

3.3 L'auteur fait valoir qu'il a épuisé les recours internes disponibles pour obtenir la suspension des procédures puisque la Cour suprême a refusé d'examiner son pourvoi. Il demande que l'État partie retire la procédure contre lui.

Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Par une note verbale du 23 juillet 2003, l'État partie conteste la recevabilité de la communication. Premièrement, il rappelle que l'auteur n'a pas de droit en tant que tel à la citoyenneté, et que puisque le Pacte ne prévoit pas un tel droit, la communication est irrecevable en vertu de l'article premier et de l'article 3 du Protocole facultatif. Il fait également valoir que la procédure en révocation de la citoyenneté ne constitue ni un procès pénal, ni une procédure comparable ou autrement punitive, puisqu'elle est de nature civile. La présence de l'auteur n'est pas requise lors des procédures et elle a de toute façon été assurée par ses conseillers juridiques. La révocation de la citoyenneté est une étape séparée du renvoi puisque des procédures distinctes devront être entamées en vertu de l'article 44 de la loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et puisque le ministre conserve néanmoins le pouvoir d'autoriser l'auteur à demeurer au Canada. Cette communication porte en réalité sur la question de savoir si le fait que le Gouvernement canadien introduise et maintienne une procédure judiciaire civile visant à révoquer son statut de citoyen porte atteinte au Pacte.

4.2 En second lieu, l'État partie fait valoir que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes disponibles. Si l'auteur a épuisé les recours internes en ce qui concerne ses allégations que l'existence même des procédures de révocation de citoyenneté menace sa vie, la décision sur le bien-fondé de la contestation constitutionnelle des dispositions législatives donnant lieu à ces procédures n'a toujours pas été rendue. Quant à l'allégation de l'auteur que l'existence même des procédures de révocation de citoyenneté constitue une atteinte arbitraire à sa vie privée et sa réputation, au regard de l'article 17 du Pacte, l'État partie soutient que l'auteur n'a aucunement tenté d'obtenir réparation au niveau interne. Aucune action civile en diffamation ou pour atteinte à la réputation n'a été engagée contre l'État partie.

4.3 En troisième lieu, l'État partie estime qu'il y a une absence de preuve de violations prima facie et que la communication est incompatible ratione materiae. En ce qui concerne l'article 6 du Pacte, il considère que la situation soulevée par l'auteur dans sa communication, c'est-à-dire le caractère fatal de la simple introduction de procédures civiles contre une personne âgée et malade, n'est aucunement visée par l'article 6, étant donné l'interprétation qu'en a adoptée le Comité (1) . C'est l'auteur qui a décidé, suite à la notification reçue du ministre, de plein droit, de renvoyer la question devant les tribunaux, et les procédures en question n'exigent ni sa présence, ni sa participation active. Par conséquent, la communication ne révèle aucune preuve que la simple introduction des procédures de révocation de citoyenneté s'élève au niveau d'une violation prima facie du droit à la vie de l'auteur. De même, il estime que la communication est irrecevable ratione materiae.

4.4 En ce qui concerne l'article 7, l'État partie note que l'auteur n'a pas étayé son argument selon lequel l'introduction d'une procédure de révocation de citoyenneté constitue un traitement cruel et inhumain. L'introduction d'une telle procédure ne constitue pas une «peine» au sens de l'article 7. À la lumière de la jurisprudence du Comité sur l'article 7 (2) , le stress et l'incertitude prétendument causés par l'existence même des procédures n'atteignent pas un niveau d'angoisse suffisant pour enfreindre cette disposition. En conséquence, la communication ne révèle aucune preuve prima facie d'un quelconque peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant et est de toute façon incompatible ratione materiae.

4.5 En ce qui concerne l'article 9, l'État partie fait valoir que l'auteur n'a pas étayé l'allégation selon laquelle l'introduction de procédures de révocation de citoyenneté viole cette disposition. L'article 9 est appliqué surtout, bien que pas exclusivement, à la justice pénale, et l'interprétation de cette disposition par le Comité est moins large que le sous-entend la plainte de l'auteur (3) . De toute façon, l'auteur n'a été ni détenu ni arrêté. Quant à la sécurité de sa personne, l'État partie considère qu'il n'interfère aucunement avec l'intégrité physique ou psychologique de l'auteur au sens de l'article 9. Par conséquent, l'État partie estime que la présente communication ne révèle aucune preuve d'une quelconque violation prima facie de l'article 9. Subsidiairement, l'auteur interprète erronément le contenu et la portée de l'article 9 et la communication devrait donc être jugée irrecevable ratione materiae.

4.6 En ce qui concerne l'article 14, l'État partie fait valoir que cette disposition ne s'applique que lorsqu'une procédure pénale est enclenchée ou lorsque des droits civils ou patrimoniaux sont en cause, ce qui n'est pas le cas en l'espèce (4) . Il invoque la jurisprudence du Comité qui n'a pas tranché la question de savoir si les procédures en immigration sont de telles «contestations sur des droits et obligations de caractère civil» (5) . Toutefois, il estime que l'article 14, paragraphe 1, ne devrait pas trouver application. Si le Comité est d'avis que cette disposition s'applique en l'espèce, l'État partie soutient que la procédure de révocation de citoyenneté satisfait toutes les garanties contenues dans l'article 14, paragraphe 1, puisque l'auteur a bénéficié d'audiences équitables devant des tribunaux impartiaux et indépendants. D'ailleurs, l'auteur ne prétend pas que les tribunaux canadiens qui ont entendu et rejeté ses arguments ne sont pas établis par la loi ou manquent à l'obligation de compétence, d'indépendance ou d'impartialité. En outre, bien que la loi ne prévoie pas expressément un droit d'être entendu par le Gouverneur en conseil, l'État partie rappelle qu'en pratique, la personne visée par les procédures de révocation de citoyenneté se voit offrir l'occasion de faire des représentations écrites et d'expliquer pourquoi sa citoyenneté ne devrait pas être révoquée. Par conséquent, il estime que la communication ne révèle aucune preuve de violation prima facie de l'article 14, paragraphe 1 et que la communication est irrecevable ratione materiae.

4.7 En ce qui concerne l'article 17, si le Comité rejette son argument que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes, l'État partie soutient que les allégations de l'auteur ne démontrent pas d'immixtion étatique de nature à violer cette disposition (6) . S'il y a interférence avec la vie privée de l'auteur, il maintient que cette interférence est autorisée par la loi sur la citoyenneté. L'auteur n'a pas non plus étayé en quoi l'introduction de procédures de révocation de citoyenneté a porté atteinte à sa réputation. De toute façon, l'article 17 ne garantit pas un droit absolu à l'honneur et à une bonne réputation. La communication ne révèle aucune preuve d'une violation prima facie de l'article 17 et est donc irrecevable ratione materiae.

4.8 L'État partie rappelle que le Comité a indiqué à plusieurs reprises qu'il ne constitue pas une «quatrième instance», compétente pour réévaluer les conclusions de faits ou les éléments de preuve ou encore pour réviser l'interprétation et l'application du droit domestique par les tribunaux nationaux (7) . Or, l'auteur cherche essentiellement à faire réviser par le Comité l'interprétation du droit national rendue par les instances canadiennes, puisqu'il lui demande de «corriger les erreurs» d'interprétation et d'application du droit prétendument commises par les tribunaux canadiens. Cependant, il n'a pas démontré que l'interprétation et l'application du droit interne a été manifestement déraisonnable ou empreinte de mauvaise foi.

4.9 Si le Comité estime que la communication est recevable, l'État partie soutient qu'elle est dénuée de fondement pour les raisons invoquées plus haut.

Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie

5.1 Dans ses commentaires du 17 novembre 2003, l'auteur rappelle que sa plainte ne fait aucune référence au droit à la citoyenneté. Quant aux conséquences potentielles d'un renvoi, s'il est vrai que la détermination judiciaire en cause est une étape techniquement distincte de la révocation de citoyenneté elle-même, qui peut être, elle aussi, distincte de la perte de résidence permanente et du renvoi, il est faux de prétendre qu'il serait prématuré de s'attarder aux conséquences potentielles de la détermination en cause. Cette détermination est le seul obstacle judiciaire à toutes les étapes suivantes. Par conséquent, le risque d'agissements contraires au Pacte en ce qui concerne les conséquences potentielles d'un renvoi est suffisamment réel et sérieux.

5.2 En ce qui concerne l'épuisement des voies de recours internes, l'auteur rappelle qu'il a demandé la suspension permanente de la procédure de révocation de citoyenneté jusqu'à la Cour suprême. Il indique également que le 19 septembre 2003, la Section de première instance de la Cour fédérale a refusé d'examiner la question de la constitutionnalité des dispositions de la loi sur la citoyenneté.

5.3 En réponse à l'argument de l'État partie que l'auteur n'a pas fourni la preuve que les procédures de révocation de citoyenneté ont pour conséquence de menacer sa vie, il rappelle qu'il a fourni plusieurs affidavits et rapports d'experts non contestés établissant que la poursuite des procédures menaçait sa vie et qu'il ne pouvait aucunement participer à sa défense. Il insiste que le maintien de la procédure viole notamment les articles 6 ou 9 du Pacte et précise que l'application de l'article 9 n'est pas limitée aux situations de détention (8) . Il précise que s'il a demandé le renvoi devant la Cour fédérale de l'avis de révocation de la citoyenneté qui lui avait été notifié le 30 juillet 1999, cette demande a été faite avant que, suite à son infarctus du 19 août 1999, les médecins établissent le danger que représentait une telle procédure pour son état de santé. En outre, contrairement à ce qu'avance l'État partie, la preuve révèle que la présence et la participation active de l'auteur sont nécessaires pour une défense pleine et entière. Pour l'auteur, le juge de première instance a ignoré l'effet de la continuation des procédures sur sa santé.

5.4 Sur l'article 7, l'auteur précise que c'est l'effet de la procédure dans le contexte particulier de cette affaire qui entraîne une violation de ses droits et pourrait entraîner sa mort. Il insiste que la procédure vise à le punir et soutient que ces procédures sont à certains égards pires qu'une peine d'emprisonnement car elles entraînent une stigmatisation similaire à celle encourue en matière criminelle sans les garanties ou les protections fondamentales en matière criminelle. En outre, il estime que le risque de bannissement du territoire pour motifs de crimes de guerre ou contre l'humanité, à l'issue d'un jugement civil, constitue un traitement cruel et inéquitable. L'État partie préfère donc offrir une justice civile aux citoyens canadiens naturalisés soupçonnés de crimes de guerre, ce qu'il ne fait pas pour les citoyens de naissance.

5.5 Sur l'article 9, l'auteur allègue que la sécurité de la personne couvre la protection tant contre les menaces à la vie et à la liberté de la personne qu'à son intégrité physique et morale. En ce sens, elle couvre aussi sa dignité et la réputation de la personne. L'auteur rappelle qu'il risque de perdre automatiquement tout droit de résidence au Canada par le seul effet du décret de révocation de sa citoyenneté.

5.6 Sur l'article 14, l'auteur estime que cette disposition est applicable à son affaire puisqu'il s'agit d'une contestation portant sur ses droits civils, soit sa qualité de citoyen canadien. Il allègue non seulement qu'il y a violation de l'équité par les circonstances spéciales dans lesquelles il se trouve, mais également que la procédure de révocation ne permet pas d'être entendu équitablement devant le décideur. Il rappelle que cette affaire ne concerne pas l'immigration, mais la citoyenneté, et qu'il s'agit d'un droit qui ne peut être enlevé par l'exercice de la simple prérogative confirmé par la nécessité d'une détermination judiciaire préalable. Le rôle du tribunal ne peut être restreint à l'examen de la fausse déclaration, il doit être beaucoup plus étendu pour assurer le droit fondamental de voir à ce qu'une décision relative aux droits de l'auteur soit prise par un tribunal impartial. L'auteur allègue que la procédure de la loi sur la citoyenneté ne permet pas d'être entendu devant le réel décideur sur la révocation de citoyenneté et que ce dernier n'est pas conforme au Pacte puisque ce n'est pas un tribunal impartial et indépendant.

5.7 Sur l'article 17, l'auteur précise qu'il a invoqué devant les tribunaux nationaux une violation de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui couvre la vie privée et la réputation. Il soutient que l'atteinte à sa dignité et sa réputation est arbitraire dans la mesure où ses circonstances l'empêchent de se défendre.

Observations supplémentaires des parties

6.1 Le 28 octobre 2004, l'État partie a informé le Comité que l'auteur est mort le 6 mars 2004. À la date de son décès, la citoyenneté canadienne ne lui avait pas encore été retirée. Il rappelle que le 19 septembre 2003, la Section de première instance de la Cour fédérale a décidé que l'auteur avait acquis sa citoyenneté canadienne par dissimulation intentionnelle de faits essentiels portant sur ses activités lors de la Seconde Guerre mondiale. Conformément à la procédure interne en révocation de citoyenneté qui est régie par la loi sur la citoyenneté, le processus est ensuite passé de la phase judiciaire à la phase exécutive. En décembre 2003, s'appuyant sur la conclusion de la Section de première instance de la Cour fédérale, le Ministre de la citoyenneté et de l'immigration a approuvé un rapport dans lequel il recommandait au Gouverneur en conseil de révoquer la citoyenneté canadienne de l'auteur. Avant que ce rapport ne soit transmis au Gouverneur en conseil pour sa décision, l'auteur a eu l'occasion de le commenter. À la mi-février 2004, l'épouse de l'auteur a fait parvenir au Ministère de la justice ses commentaires. La réplique du Ministère à ces commentaires a été envoyée à l'épouse de l'auteur à la mi-mars 2004, et cette dernière a été informée qu'elle pouvait fournir une réplique avant la fin du mois d'avril 2004. Cette invitation est demeurée sans réponse.

6.2 À cette époque, l'État partie ignorait que l'auteur était mort. Il ne l'a appris que le 27 septembre 2004. Le Gouverneur en conseil n'a jamais pris de décision quant au rapport recommandant la révocation de la citoyenneté canadienne de l'auteur. Après la mort de celui-ci, l'État partie a simplement abandonné toutes les procédures entamées à son égard. Étant donné ces circonstances, l'État partie estime que la communication est désormais sans objet et invite le Comité à la déclarer irrecevable.

7. Par courrier en date du 13 septembre 2006, la fille de l'auteur a expressément demandé à poursuivre la procédure en cours.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

8.3 Relativement à l'épuisement des voies de recours internes, le Comité a pris note des arguments de l'État partie soutenant que l'auteur n'a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne son grief de violation de l'article 17. L'auteur fait valoir qu'il a invoqué devant les tribunaux nationaux l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui dispose que «chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale». Toutefois, le Comité remarque que même si cette disposition couvrait la notion d'atteinte arbitraire à la vie privée et la réputation, ce n'est pas cette interprétation qui a été invoquée par l'auteur devant les tribunaux nationaux (voir par. 2.5). Il conclut que cette partie de la communication concernant l'article 17 doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.

8.4 En ce qui concerne le grief de violation de l'article 6, le Comité prend note des certificats médicaux fournis par l'auteur. Celui-ci fait valoir que ces preuves montrent que ses capacités sont atteintes au point de ne pas lui permettre de se défendre sans mettre sa vie et santé en danger. Toutefois, le Comité constate que ni la procédure de suspension du processus de révocation de la citoyenneté ni la procédure de révocation en elle-même n'exigeaient sa présence. En outre, l'auteur s'est vu offrir l'occasion de faire des représentations écrites. Le Comité considère que l'auteur n'a pas démontré en quoi l'introduction et le maintien de la procédure de révocation de sa citoyenneté constituaient une menace directe à sa vie, étant donné que les attestations médicales qu'il a obtenues présentaient des conclusions divergentes quant à l'effet de la poursuite de la procédure judiciaire sur sa santé. Par conséquent, il considère que l'auteur a insuffisamment étayé son allégation de violation de l'article 6, aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

8.5 En ce qui concerne le grief de violation de l'article 9, le Comité prend note de l'argument de l'auteur selon lequel l'application de cette disposition n'est pas limitée aux situations de détention. Toutefois, il estime que l'auteur n'a pas démontré comment la procédure entamée par l'État partie contre lui constitue une atteinte à la sécurité de sa personne en violation de l'article 9; la simple introduction de procédures judiciaires à l'encontre d'un individu n'affecte pas directement la sécurité de la personne concernée, et les incidences indirectes sur la santé de cette personne ne peuvent être considérées comme relevant de la notion de «sécurité de la personne». Par conséquent, le Comité considère que l'auteur a insuffisamment étayé ses allégations, aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

8.6 En ce qui concerne le grief de violation de l'article 14, le Comité prend note de l'argument de l'auteur selon lequel il ne pouvait pas se défendre parce que la loi sur la citoyenneté prévoit seulement le droit d'être entendu dans la procédure devant un tribunal déterminant s'il a acquis la citoyenneté canadienne par fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. L'auteur semble avoir participé à ces audiences ou tout au moins y avoir été représenté, et ne présente aucune demande à cet égard au titre de l'article 14. Il n'est prévu aucun droit d'être entendu par le décideur en dernier ressort pour la révocation de la citoyenneté, c'est-à-dire le Gouverneur en conseil, qui agit avant tout sur la base des recommandations du Ministre de la citoyenneté et de la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale. Le Comité rappelle que toute personne qui se prétend victime d'une violation d'un droit protégé par le Pacte doit démontrer, soit qu'un État partie a, par action ou par omission, déjà porté atteinte à l'exercice de son droit, soit qu'une telle atteinte est imminente, en se fondant par exemple sur le droit en vigueur ou sur une décision ou une pratique judiciaire ou administrative (9) . Dans le cas présent, il constate que le Gouverneur n'a jamais pris aucune décision concernant l'auteur et qu'après la mort de ce dernier, l'État partie a simplement abandonné les procédures entamées contre lui. Par conséquent, le Comité conclut que dans ces circonstances, l'auteur ne peut pas prétendre être victime d'une violation de l'article 14. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article premier du Protocole facultatif.

8.7 Pour ce qui est du grief de violation de l'article 7, le Comité estime que l'auteur a suffisamment étayé ses allégations, aux fins de la recevabilité, et que cette partie de la communication est donc recevable.

Examen au fond

9.1 Conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

9.2 En ce qui concerne le grief de violation de l'article 7, l'auteur fait valoir qu'il avait des problèmes cardiaques graves et que le lancement et la poursuite de la procédure de révocation de la citoyenneté lui avaient causé une tension considérable, équivalant à un traitement cruel et inhumain. Le Comité reconnaît que dans des circonstances exceptionnelles le fait de traduire en justice une personne en mauvaise santé peut constituer un traitement incompatible avec l'article 7, par exemple, dans le cas où l'on fait passer des questions de justice relativement mineures ou une commodité de procédure avant des risques pour la santé relativement sérieux. Le cas d'espèce ne présente pas de telles circonstances exceptionnelles car dans cette affaire la procédure de révocation de la citoyenneté a été engagée à la suite d'allégations sérieuses selon lesquelles l'auteur avait pris part à des crimes particulièrement graves. De plus, en ce qui concerne les faits spécifiques de la cause, le Comité note que la procédure de révocation de la citoyenneté s'est déroulée essentiellement par écrit et que la présence de l'auteur n'était pas requise. En outre l'auteur n'a pas montré en quoi l'ouverture et la poursuite de la procédure constituaient un traitement incompatible avec l'article 7 étant donné que, comme il a déjà été signalé, les conclusions des attestations médicales que l'auteur avait obtenues différaient au sujet des incidences de la procédure sur sa santé. En conséquence l'auteur n'a pas établi que l'État partie était responsable d'une violation de l'article 7 du Pacte.

10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l'article 7 du Pacte.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Yuji Iwasawa, M. Edwin Johnson, M. Ahmed Tawfik Khalil, Mme Zonke Zanele Majodina, Mme Iulia Antoanella Motoc, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. José Luis Pérez Sanchez-Cerro, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley et Mme Ruth Wedgwood.

Notes

1. Voir par exemple Van Oord c. Pays-Bas, communication no 658/1995, décision d'irrecevabilité adoptée le 23 juillet 1997, par. 8.2.

2. Voir C. c. Australie, communication no 900/1999, constatations adoptées le 28 octobre 2002, par. 4.6.

3. Voir Celepli c. Suède, communication no 456/1991, constatations adoptées le 18 juillet 1994, par. 6.1.

4. Voir Y. L. c. Canada, communication no 112/1981, décision d'irrecevabilité adoptée le 8 avril 1986.

5. Voir V. M. R. B. c. Canada, communication no 236/1987, décision d'irrecevabilité adoptée le 18 juillet 1988, par. 6.3.

6. Voir Van Oord c. Pays-Bas, communication no 658/1995, décision d'irrecevabilité adoptée le 23 juillet 1997.

7. Voir J. K. c. Canada, communication no 174/1984, décision d'irrecevabilité adoptée le 26 octobre 1984, par. 7.2; et V. B. c. Trinité-et-Tobago, communication no 485/1991, décision d'irrecevabilité adoptée le 26 juillet 1993, par. 5.2.

8. Voir Delgado Páez c. Colombie, communication no 195/1985, constatations adoptées le 12 juillet 1990, par. 5.5; et Chongwe c. Zambie, communication no 821/1998, constatations adoptées le 25 octobre 2000, par. 5.3.

9. Voir E. W. et consorts c. Pays-Bas, communication no 429/1990, décision d'irrecevabilité adoptée le 8 avril 1993, par. 6.4; et Aalbersberg et consorts c. Pays-Bas, communication no 1440/2005, décision d'irrecevabilité adoptée le 12 juillet 2006, par. 6.3.

 

 



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