University of Minnesota



M. Alexandros Kouidis c. Greece, Communication No. 1070/2002, U.N. Doc. CCPR/C/86/D/1070/2002 (2006).




GENERALE
CCPR/C/86/D/1070/2002
26 avril 2006
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 1070/2002 : Greece. 26/04/2006.
CCPR/C/86/D/1070/2002. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-sixième session

13 - 31 mars 2006

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4

de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international

relatif aux droits civils et politiques*

- Quatre-vingt-sixième session -

 

Communication No. 1070/2002

 

 

Présentée par: M. Alexandros Kouidis (représenté par un conseil)
Au nom de: L'auteur

État partie: Grèce

Date de la communication: 26 novembre 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2006,

Ayant achevé l'examen de la communication no 1070/2002 présentée au nom d'Alexandros Kouidis en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

 

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

 

 

1.1 L'auteur de la communication est Alexandros Kouidis, ressortissant grec né le 21 mai 1950, qui purge actuellement une peine perpétuelle à la prison de Kerkyra (Corfou). Il affirme être victime de violations par la Grèce de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 10 et des paragraphes 3 g) et l de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques («le Pacte»). L'auteur est représenté par un conseil.
1.2 Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l'État partie le 5 août 1997.

Exposé des faits présentés par l'auteur

2.1 Le 17 mai 1991, l'auteur a été arrêté et interrogé et par la suite inculpé de possession, d'achat, d'importation en Grèce et de vente de stupéfiants, de possession d'armes à feu, de création de groupe criminel et de falsification de documents.

2.2 Le 12 octobre 1992, il a été reconnu coupable des charges pesant contre lui et condamné à 18 ans d'emprisonnement par un collège de trois juges du tribunal pénal. En appel, les cinq membres de la Cour d'appel d'Athènes («la Cour d'appel»), par un jugement du 4 novembre 1996, ont condamné l'auteur à la peine perpétuelle, concurremment à une peine de quatre ans d'emprisonnement et à une amende. Le 3 avril 1998, la Cour suprême a confirmé le jugement de la Cour d'appel.

2.3 D'après l'auteur, la Cour d'appel et la Cour suprême ont fondé leur jugement, entre autres éléments, sur le fait que, lors de son interrogatoire par la police après son arrestation, il aurait partiellement avoué les délits de trafic et de possession de stupéfiants. Or, selon l'auteur, ces aveux n'auraient pas été faits librement, mais sous l'effet des violences physiques et corporelles graves que les policiers lui auraient infligées au cours des interrogatoires. Du 17 mai au 27 juin 1991, alors qu'il était détenu à la Direction générale de la police d'Athènes (GADA), l'auteur aurait été battu violemment et frappé systématiquement à coups de poing au visage, et a été soumis au supplice de la falaqa (1). Ces mauvais traitements auraient conduit l'auteur à avouer que l'appartement de la rue Magnisias, à Athènes, dans lequel la police avait trouvé de la cocaïne, de l'héroïne et du cannabis, était sa résidence secondaire et était utilisé pour entreposer des produits stupéfiants qui, selon l'acte d'accusation, étaient ensuite livrés à des toxicomanes.

2.4 Or, l'auteur affirme qu'en réalité il vivait à une adresse différente à Athènes et que l'appartement susmentionné était loué par l'un de ses amis, qui y vivait et permettait occasionnellement à l'auteur d'y séjourner dans une pièce.

2.5 Pour étayer ces allégations, le conseil communique une photographie de l'auteur parue dans un quotidien grec cinq jours après son arrestation. L'auteur signale également qu'après son arrestation il est resté à l'hôpital Aghios Pavlos d'Athènes pendant 14 mois pour se rétablir de la torture et des mauvais traitements graves qu'il avait subis. Il souligne enfin que les propriétaires de l'appartement de la rue Magnisias n'ont jamais été interrogés ni convoqués par la police, et que l'auteur n'a pas été identifié par eux comme étant le locataire.

2.6 L'auteur renvoie aux comptes rendus d'audience et aux jugements de la Cour d'appel et de la Cour suprême, et affirme que, bien qu'il eût indiqué à la Cour d'appel qu'il avait été soumis à la torture et à des mauvais traitements qui l'avaient contraint à passer aux aveux, ses allégations n'ont pas fait l'objet d'enquêtes ou été prises en compte. Il cite le procès-verbal de son jugement par la Cour d'appel, à laquelle il aurait déclaré: «J'ai dit à la police que c'est de là que j'avais pris la cocaïne (2) parce que j'ai été battu sans pitié.». Le jugement de la Cour suprême mentionne que «le prévenu Kouidis a en partie avoué le délit qui lui était imputé, pour ce qui est du trafic de stupéfiants. En particulier, il a limité ses aveux au fait qu'il était en possession des quantités qui ont été saisies.». La Cour suprême ne fait toutefois pas mention des déclarations de l'auteur sur le fait qu'il ait été soumis à la torture et à un traitement cruel, inhumain et dégradant.

2.7 L'auteur affirme avoir épuisé les recours internes et indique que la même question n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1 L'auteur fait valoir une violation des droits consacrés dans le Pacte du fait qu'il a été soumis à la torture et à un traitement cruel, inhumain et dégradant par la police au cours de son interrogatoire, ce qui a abouti à ses aveux et à un procès inéquitable.

3.2 L'auteur s'estime victime d'une violation de l'article 7 du Pacte pour avoir été soumis à la torture (falaqa) et à un traitement cruel, inhumain et dégradant (brutalités et coups violents et systématiques) pendant son interrogatoire par la police.

3.3 L'auteur invoque également une violation du paragraphe 1 de l'article 10 parce qu'il n'a pas été traité avec humanité ni avec le respect dû à la dignité de la personne humaine pendant sa détention par la police.

3.4 L'auteur affirme que l'État partie a violé le paragraphe 3 g) de l'article 14, en ce qu'il a été forcé d'avouer sa culpabilité, à la suite des tortures et des mauvais traitements qui lui ont été infligés lors de son interrogatoire par la police et de sa détention avant jugement.

3.5 Enfin, l'auteur fait valoir une violation du paragraphe 1 de l'article 14 parce qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable devant la Cour d'appel et la Cour suprême, qui ont fondé leur jugement, entre autres éléments, sur son témoignage contre lui-même, obtenu de force.

Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Par une note verbale datée du 27 janvier 2003, l'État partie a fait des observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il rejette les allégations de torture et de traitement cruel, inhumain et dégradant de l'auteur. Il objecte que les aveux de l'auteur n'ont pas été pris en compte lors du procès et que le procès a été équitable.

4.2 Sur les points de fait, l'État partie indique que l'auteur a résisté lors de son arrestation le 17 mai 1991, et il y a eu une bagarre avec les policiers; l'auteur a ensuite été emmené à l'hôpital et soigné pour des lésions corporelles (contusions). Il n'a pas été hospitalisé, cela n'ayant pas été jugé nécessaire.

4.3 L'État partie indique qu'en fouillant le véhicule de l'auteur la police a découvert trois millions de drachmes et de la drogue placée dans plusieurs sacs, qui a été saisie. En outre, son domicile a été perquisitionné et d'importantes quantités d'héroïne, de cannabis et de cocaïne ont été trouvées. La perquisition a été étendue à sa deuxième résidence dans un autre quartier d'Athènes (Patissia), où d'autres quantités de drogue importantes ont été trouvées. De faux documents, fausses cartes d'identité et faux passeports ainsi que des armes à feu sans permis ont également été découverts. Après son premier interrogatoire par la police, l'auteur a été présenté le 18 mai au procureur, qui a engagé des poursuites pénales pour les chefs mentionnés plus haut (par. 2.1). Le lendemain, il a été présenté au juge d'instruction pour être interrogé.

4.4 L'État partie fait valoir que l'auteur ne s'est pas plaint au procureur, le 18 mai 1991, de traitements inhumains et dégradants que les policiers qui l'avaient arrêté et interrogé auraient commis, et n'a pas demandé à être examiné par un médecin. De même, lorsqu'il a été présenté au juge d'instruction pour interrogatoire le 19 mai 1991, il ne s'est pas plaint de mauvais traitements de la part des policiers et n'a pas non plus demandé à être examiné par un médecin. L'auteur n'a pas dit que les policiers avaient fait usage de force physique ou psychologique pour lui faire avouer les crimes dont il était accusé.

4.5 L'État partie affirme que, le 22 mai 1991, l'auteur a dit à un juge d'instruction que la déposition qu'il avait faite au siège de la police n'était pas valable parce qu'elle résultait de violences policières. Il a indiqué à ce juge qu'il avait été battu et ligoté, avait reçu des coups sur les yeux et dans les côtes et avait été contraint de passer aux aveux. À la fin de la déposition, il a demandé à être examiné par un médecin mais uniquement pour prouver qu'il était toxicomane et échapper ainsi à la peine plus sévère visant les trafiquants. Il n'a jamais demandé à être examiné pour des mauvais traitements ou des actes de torture. Le rapport de l'examen médical n'a indiqué aucun résultat significatif. S'il y avait eu des signes de mauvais traitements ou de torture, cela aurait figuré dans le rapport médical, même si l'examen avait pour objet de déterminer si l'auteur était toxicomane.

4.6 Le 27 juin 1991, l'auteur a été admis à l'hôpital pénitentiaire Saint-Paul pour une hématurie (présence de sang dans les urines) et, le 30 août, il est retourné en prison de son propre gré. Le 11 octobre, il a été admis de nouveau à l'hôpital pour la même cause et, le 5 novembre, il a été transféré dans un hôpital public mieux équipé pour subir des examens portant sur l'hématurie et un cancer éventuel. L'État partie souligne qu'à aucun moment à l'hôpital pénitentiaire l'auteur n'a été traité comme une victime de traitements inhumains ou d'actes de torture. L'auteur a demandé à maintes reprises l'interruption de sa détention en raison de dommages irréversibles à sa santé, mais toutes les demandes ont été rejetées. Qui plus est, il n'est jamais resté à l'hôpital plus de 14 mois de suite, comme il l'affirme dans sa communication, pour des blessures graves aux pieds ou à la tête ou à d'autres parties du corps.

4.7 Le 10 juillet 1992, l'auteur a été admis à l'hôpital général d'Athènes, d'où il a tenté de s'évader trois jours plus tard. D'après l'État partie, des médecins de l'hôpital pénitentiaire étaient également impliqués dans la tentative d'évasion et lui avaient délivré des certificats médicaux pour qu'il soit transféré dans un hôpital public. Or, ces certificats ne mentionnaient aucun symptôme de sévices ou de torture qu'aurait subis l'auteur.

4.8 Sur la question de la recevabilité, l'État partie note que les faits présentés dans la communication se sont produits en 1991, avant l'entrée en vigueur pour la Grèce du Pacte et du Protocole facultatif, et fait valoir qu'il ne peut pas être tenu pour responsable de violations survenues avant son adhésion au Pacte.

4.9 L'État partie objecte également que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes étant donné qu'il n'a pas intenté d'action en réparation devant les tribunaux nationaux au motif de brutalités policières illicites. D'après le droit administratif grec, en cas d'actes ou de négligences imputables à des agents de l'État dans l'exercice de leurs fonctions, l'État est tenu de verser des dommages-intérêts, de même que le fonctionnaire auteur de l'acte ou de la négligence. En outre, l'auteur n'a pas déposé de plainte auprès du procureur ou des tribunaux nationaux contre l'État, ni contre aucun policier en particulier pour traitement inhumain et dégradant pendant l'interrogatoire préliminaire. L'État partie fait valoir que, s'il l'avait fait, une enquête aurait été ouverte et les policiers accusés d'avoir pris part à de tels actes auraient été poursuivis.

4.10 En ce qui concerne le fond et le grief de procès inéquitable, l'État partie fait valoir que les aveux faits par l'auteur pendant l'interrogatoire préliminaire n'ont pas eu d'incidence sur l'issue du procès. Il souligne que le tribunal de première instance qui a prononcé la première condamnation, en 1992, n'a pas pris en considération les aveux de l'auteur datés du 20 mai 1991.

4.11 Il en a été de même en appel. Dans son jugement du 4 novembre 1996, la Cour d'appel a indiqué que l'accusé avait plaidé coupable de détention de quantités importantes de stupéfiants. Elle a également considéré que l'auteur n'avait pas donné d'explications plausibles concernant la possession d'une balance de précision (du type utilisé pour peser de la drogue), sur les importantes sommes d'argent trouvées dans un autre lieu de résidence ni sur les grandes quantités de cocaïne et d'héroïne trouvées dans son véhicule, et elle a en conséquence déclaré l'auteur coupable de tous les chefs d'accusation. L'État partie fait valoir que la Cour d'appel n'a pas fondé ses conclusions sur les aveux de l'auteur – parce que les aveux n'ont jamais été présentés comme preuves. L'État partie note: «Comme il ressort du procès-verbal et du jugement en question, parmi les éléments utilisés comme preuves pour fonder la décision, il n'est pas fait mention d'aveux faits par l'accusé aux policiers chargés de l'enquête préliminaire.». Sa culpabilité et la peine d'emprisonnement à vie qui a été prononcée étaient fondées sur la somme d'éléments de preuve irréfutables, son incapacité à les réfuter et les incohérences dans ses déclarations.

4.12 L'État partie fait observer que si les aveux avaient été pris en considération par la Cour d'appel l'auteur aurait pu demander que le jugement soit invalidé sur le fondement de l'article 171, paragraphe 1, section d), du Code de procédure civile grec qui dispose que l'ensemble du jugement doit être invalidé si la Cour admet à titre de preuve pour l'établissement de la culpabilité le contenu de documents ou de déclarations qui n'ont pas été lus à l'audience ou qui n'ont pas été étayés par d'autres preuves. Or, l'auteur n'a pas présenté une telle requête.

4.13 En outre, l'État partie note que l'auteur n'a jamais affirmé devant les juridictions nationales – dont la Cour suprême – que la Cour d'appel avait fondé sa déclaration de culpabilité sur des documents qui n'avaient pas été présentés à l'audience. Quoi qu'il en soit, de telles preuves auraient été illégales et la Cour n'en aurait pas tenu compte pour délibérer et fonder sa décision.

4.14 Selon l'État partie, la Cour suprême ne pouvait pas prendre en considération les violences que l'auteur aurait subies au cours de l'enquête préliminaire, ces allégations portant sur des questions de fait et non de droit, et ne relevant donc pas de sa compétence.

4.15 De façon générale, l'État partie renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, d'après laquelle l'appréciation des éléments de preuve au cours des procès en matière criminelle est une question relevant essentiellement du droit national, le rôle de la Cour européenne consistant à apprécier l'équité de la procédure dans son ensemble. Elle déclare qu'en règle générale, le tribunal national est compétent pour statuer sur les éléments de preuve qui lui sont présentés.

4.16 Concernant les allégations de violation de l'article 7 du Pacte, l'État partie estime que cette affaire ne soulève pas de question de torture ou de traitements ou peines cruels, inhumains et dégradants. Il renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne, d'après laquelle il convient d'évaluer si le traitement a atteint un certain degré minimum de brutalité, et, de plus, si le traitement visait à être dégradant ou humiliant pour la victime.

Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie

5.1 Le 23 avril 2003, l'auteur a répondu aux observations de l'État partie. Sur l'argument de la recevabilité ratione temporis, il fait valoir que les torture dont il a été victime ont eu des effets persistants après l'entrée en vigueur du Pacte. Selon l'auteur, en effet, ses aveux − obtenus sous la torture − ont bien été pris en considération: ils sont expressément mentionnés dans les arrêts de la Cour d'appel (1996) et de la Cour suprême (1998), et ont entraîné sa condamnation. En outre, les mauvais traitements subis continuent d'avoir un effet traumatisant sur son psychisme et sa personnalité.

5.2 Sur l'argument du non-épuisement des recours internes pour les griefs relatifs aux paragraphes 1 et 3 g) de l'article 14, l'auteur souligne que sa cause a été examinée par la Cour suprême et qu'il n'y a plus de recours possible. Pour ce qui est des griefs de violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10, l'auteur affirme qu'il n'a pas engagé d'action en réparation parce que ce qu'il veut obtenir c'est un procès équitable et non un dédommagement financier. À cet égard, il affirme n'avoir cessé de se plaindre du fait qu'il avait été soumis à la torture et à des mauvais traitements graves devant le juge d'instruction et la Cour d'appel; cette plainte a du reste été consignée dans le procès-verbal du jugement de la Cour d'appel de 1996. Or il n'a été fait aucun cas de ces déclarations et le Procureur général n'a pas ouvert d'office une enquête et une procédure, comme il aurait dû le faire en vertu des articles 137A et 137B du Code pénal, qui répriment les crimes de torture et de mauvais traitements commis par des organes de l'État. Au demeurant, selon l'auteur, il n'était guère plausible qu'une telle plainte aboutisse étant donné que les mauvais traitements et les actes de torture commis par des policiers sont fréquents en Grèce, et les plaintes des victimes n'ont jamais abouti à une condamnation par les tribunaux.

5.3 Sur le fond, l'auteur rejette l'affirmation de l'État partie selon laquelle le seul mal dont il souffrait après son arrestation par la police le 17 mai 1991 consistait en des «lésions corporelles légères (contusions)». Il réaffirme qu'il a été violemment battu et torturé par la police (coups systématiques au visage et dans les côtes et torture de la falaqa) pendant sa détention avant jugement et son interrogatoire. Ces mauvais traitements se sont poursuivis pendant sa détention avant jugement dans les locaux de la Direction générale de la police à Athènes (GADA), du 17 mai au 27 juin 1991, cela même après qu'il eut été présenté au Procureur, le 18 mai, et au juge d'instruction le 19 mai.

5.4 L'auteur affirme que l'hématurie dont il souffre est un symptôme courant de la torture et de mauvais traitements graves, et a été la conséquence directe et incontestable des actes de torture et des mauvais traitements sévères auxquels il a été soumis.

5.5 Il affirme qu'il a été hospitalité du 27 juin au 30 août 1991 pour traitement de l'hématurie, puis du 11 octobre 1991 au 4 août 1992, en raison d'un diagnostic d'arthropathie (douleur) aux genoux, au dos et à la colonne vertébrale, parce qu'il avait été torturé et soumis à des mauvais traitements pendant sa détention avant jugement. Il rejette l'argument de l'État partie qui dit qu'il aurait été hospitalisé et examiné pour un dépistage du cancer, n'ayant jamais présenté de symptôme d'un cancer.

5.6 Sur le fait que l'auteur ne se serait jamais plaint de mauvais traitements aux autorités judiciaires avant son procès, comme l'affirme l'État partie, l'auteur réaffirme qu'en réalité il s'en est plaint à toutes les autorités judiciaires auxquelles il a eu affaire, avant et pendant son procès. Il se souvient également qu'il avait déposé une plainte pour mauvais traitements auprès de la Cour d'appel, comme il est confirmé dans le compte rendu d'audience, où il est indiqué que l'auteur a déclaré qu'il était passé aux aveux devant les policiers parce qu'ils l'avaient battu «sans pitié». Mais que les autorités grecques n'ont fait aucun cas de ces plaintes.

5.7 L'auteur affirme que les autorités grecques poursuivent rarement les policiers accusés de mauvais traitements, et renvoie à un rapport d'Amnesty International et de la Fédération internationale d'Helsinki pour les droits de l'homme faisant état de nombreux cas présumés de mauvais traitements, assimilables pour certains d'entre eux à de la torture, sur des détenus, généralement pendant l'arrestation ou dans les postes de police, où il est aussi question de la réticence du ministère public et des autorités judiciaires à engager des poursuites contre des policiers. Il invoque des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), publiés après des visites en Grèce en 1993, 1997 et 2001. D'après ces rapports, «le mauvais traitement de détenus par des policiers reste assez répandu, au moins pour les personnes suspectées de certaines infractions pénales (3)».

5.8 Enfin, l'auteur réaffirme que ses aveux, obtenus sous la torture, ont constitué un élément déterminant de la décision rendue dans les jugements de la Cour d'appel et de la Cour suprême. Dans son jugement, la Cour d'appel note que l'auteur «a fait des aveux partiels, en limitant exclusivement ses aveux à la possession des quantités saisies». Or il n'a pas été donné lecture d'aveux à l'audience. La déposition de l'auteur (par. 2.6), dans laquelle il a évoqué des mauvais traitements, est le seul moment où des aveux ont été mentionnés lors de l'audience. Dans son arrêt, la Cour suprême indique que l'auteur «a partiellement reconnu les faits dont il était accusé pour ce qui est du trafic de stupéfiants. Plus précisément, il a limité ses aveux au seul fait qu'il était en possession des quantités saisies de stupéfiants». L'auteur en conclut que ses aveux ont bien été pris en considération par l'une et l'autre cour au moment de statuer et de le condamner.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité prend note de l'objection de l'État partie selon laquelle la communication est irrecevable ratione temporis, pace qu'elle porte sur des faits qui se sont produits avant l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la Grèce, le 5 août 1997. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu'il ne peut pas examiner des violations présumées du Pacte qui se sont produites avant l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État partie, à moins que ces violations se poursuivent après cette date ou continuent de produire des effets qui en eux-mêmes constituent une violation du Pacte (4). Le Comité a conclu qu'il y avait des violations persistantes lorsque les États, par des actes ou de manière implicite, ont prolongé des violations commises antérieurement, après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif (5) . Le Comité relève que la plainte de l'auteur au titre du paragraphe 1 de l'article 10 concerne son arrestation et sa détention avant jugement en 1991, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État partie, et estime que cette partie de la communication est irrecevable ratione temporis, conformément à l'article premier du Protocole facultatif.

6.4 Dans ses griefs de violation de l'article 7, l'auteur se réfère également à la période de détention précitée et aux effets persistants du mauvais traitement qu'il a subi et des aveux qu'il a faits. L'auteur n'a pas montré que les effets persistants du traitement subi constituaient en eux-mêmes une violation du Pacte et répondaient aux critères énoncés au paragraphe 6.3. Le Comité conclut que la plainte au titre de l'article 7 pris isolément est irrecevable ratione temporis en vertu de l'article premier du Protocole facultatif.

6.5 Néanmoins, le Comité note que, bien que l'auteur ait été condamné en appel le 4 novembre 1996, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État partie, le jugement de la Cour suprême confirmant le jugement de la Cour d'appel a été rendu le 3 avril 1998, après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu'un jugement en deuxième ou dernier ressort confirmant une condamnation constitue une validation de la conduite du procès (6). Les griefs au titre des paragraphes 3 g) et 1 de l'article 14 portent également sur la conduite du procès, qui a continué après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État partie. Le Comité conclut qu'il n'est pas empêché d'examiner la communication ratione temporis dans la mesure où elle soulève des questions qui concernent le procès de l'auteur.

6.6 En ce qui concerne l'argument de l'État partie qui objecte que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes pour dénoncer les tortures dont il se plaint, et considérant que ces plaintes découlent de l'interprétation de l'article 7 lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l'article 14, le Comité note que le jugement de la Cour d'appel mentionne expressément les propos de l'auteur indiquant qu'il a été «battu sans pitié» par la police. Il en conclut que l'État partie n'ignorait pas les plaintes de mauvais traitements au moment de son procès, et estime que l'auteur a épuisé les recours internes à cet égard.

6.7 Le Comité conclut que la communication est recevable dans la mesure où elle soulève des questions au titre de l'article 7 lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l'article 14 et du seul paragraphe 1 de l'article 14, et procède donc à l'examen quant au fond.

Examen au fond

7.1 Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité note que l'État partie et l'auteur ont présenté des versions foncièrement divergentes des faits concernant l'existence de mauvais traitements pendant la détention de l'auteur avant son jugement, les raisons de son hospitalisation et l'utilisation de ses aveux par les tribunaux au procès.

7.3 Le Comité relève que les éléments de preuve fournis par l'auteur à l'appui de ses allégations de mauvais traitements sont une photographie de mauvaise qualité tirée d'un quotidien, le fait qu'il aurait passé 14 mois à l'hôpital pour traitement médical en rapport avec les sévices, le fait que l'accusation n'ait pas interrogé les propriétaires de l'appartement cités dans ses aveux, et des rapports d'ONG et du CPT. De son côté, l'État partie indique que l'auteur n'a pas demandé à être examiné par un médecin afin d'établir l'existence de mauvais traitements, ce qui n'a pas été contesté par l'auteur. Le Comité note aussi que, bien que l'auteur soit resté pendant aussi longtemps à l'hôpital si peu de temps après les mauvais traitements allégués (7), et qu'il soit en possession de certificats médicaux concernant les traitements reçus à l'hôpital pour une hématurie et une arthropathie aux genoux, au dos et à la colonne vertébrale, ces certificats n'indiquent pas que des mauvais traitements soient effectivement à l'origine de ses problèmes. Aucun des certificats ne mentionne non plus d'éventuelles marques ou séquelles de coups sur la tête ou le corps de l'auteur. Le Comité considère que l'auteur, qui a eu accès à des soins médicaux, avait la possibilité de demander un examen médical, ce qu'il a fait d'ailleurs pour établir qu'il était toxicomane (8). Il n'a pas en revanche demandé d'examen médical afin d'établir la preuve de mauvais traitements.

7.4 En outre, comme le note l'État partie, c'est aux autorités nationales chargées de l'enquête qu'il appartient de décider de la manière d'enquêter sur une affaire, dans la mesure où la conduite de l'enquête n'est pas manifestement arbitraire. Le Comité considère que l'auteur n'a pas apporté la preuve que les fonctionnaires chargés de l'enquête avaient agi arbitrairement en négligeant d'interroger les propriétaires de l'appartement de la rue Magnisias. Enfin, les rapports d'ONG soumis par l'auteur ont un caractère général et ne peuvent pas établir que des mauvais traitements ont été infligés à l'auteur. Dans ces circonstances, le Comité ne peut pas conclure que les aveux de l'auteur sont le résultat d'un traitement contraire à l'article 7, et estime que les faits ne font pas apparaître de violation de l'article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l'article 14.

7.5 Pour ce qui est du grief au regard du paragraphe 3 g) de l'article 14 considéré isolément, le Comité note que la Cour suprême avait connaissance des allégations de mauvais traitements. Le Comité estime que les obligations énoncées au paragraphe 3 g) de l'article 14 entraînent pour l'État partie celle de prendre en considération toute plainte selon laquelle des déclarations faites par des personnes accusées dans une affaire pénale ont été formulées sous la contrainte. À cet égard, que l'on se fonde ou non sur des aveux est sans importance, car cette obligation s'applique à tous les aspects de la procédure judiciaire visant à établir les faits. En l'espèce, le fait que l'État partie au niveau de la Cour suprême n'ait pas tenu compte des plaintes de l'auteur, qui affirmait avoir avoué sous la contrainte, constitue une violation du paragraphe 3 g) de l'article 14.

7.6 Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 1 de l'article 14, du fait que le procès et la condamnation ont été fondés, entre autres éléments, sur les aveux de l'auteur, le Comité note l'argument de l'État partie qui affirme que les tribunaux n'ont pas fondé leur jugement sur les aveux de l'auteur. Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle c'est aux tribunaux des États parties qu'il appartient au premier chef d'examiner les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. C'est aux juridictions d'appel des États parties et non au Comité qu'il appartient d'examiner la conduite du procès, sauf s'il peut être établi que l'appréciation des éléments de preuve a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, ou que le juge a manifestement violé l'obligation d'impartialité à laquelle il est tenu (9). Il apparaît que le procès de l'auteur n'est pas entaché de telles irrégularités. En conséquence, cette partie de la communication ne fait pas apparaître de violation du paragraphe 1 de l'article 14.

8. Le Comité des droits de l'homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'assurer à l'auteur un recours utile et approprié, et notamment d'enquêter sur ses allégations de mauvais traitements, ainsi qu'une réparation.

10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

 

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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer et M. Hipólito Solari-Yrigoyen.

Notes

1. Coups assénés sous la plante des pieds.

2. L'auteur fait référence à l'appartement de la rue Magnisias, où la drogue a été trouvée.

3. Document CPT/Inf (94) 20, 29 novembre 1994, par. 18.

4. Voir communication no 520/1992, Könye et Könye c. Hongrie, décision sur la recevabilité du 7 avril 1994, par. 6.4; communication no 24/1977, Sandra Lovelace c. Canada, constatations adoptées le 30 juillet 1981, par. 7.3.

5. Voir communication no 1033/2001, Nallaratnam Singarasa c. Sri Lanka, constatations adoptées le 21 juillet 2004, par. 6.3; communication no 520/1992, E. et A. K. c. Hongrie, décision sur la recevabilité du 7 avril 1994, par. 6.4; communication no 593/1994, Patrick Holland c. Irlande, décision sur la recevabilité du 26 octobre 1996, par. 9.2.

6. Voir communication no 1033/2001, Nallaratnam Singarasa c. Sri Lanka, constatations adoptées le 21 juillet 2004, par. 6.3.

7. L'auteur dit avoir été soumis à la torture et à des traitements cruels, inhumains et dégradants du 17 mai au 27 juin 1991, et a été hospitalisé le 27 juin.

8. Voir supra, par. 4.17.

9. Voir communication no 838/1998, Ola Hendricks c. Guyana, constatations adoptées le 28 octobre 2002, par. 6.2.

 

 



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