University of Minnesota



Antonino Vargas Más c. Peru, Communication No. 1058/2002, U.N. Doc. CCPR/C/85/D/1058/2002 (2005).




GENERALE
CCPR/C/85/D/1058/2002
16 novembre 2005
FRANCAIS
Original: ESPAGNOL

Communication No. 1058/2002 : Peru. 16/11/2005.
CCPR/C/85/D/1058/2002. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-cinquième session

17 octobre - 3 novembre 2005

ANNEXE*

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole

facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

- Quatre-vingt-cinquième session -

 

Communication No. 1058/2002

 

Présentée par: Antonino Vargas Más (non représenté par un conseil)
Au nom de: L'auteur

État partie: Pérou

Date de la communication: 14 janvier 2002 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 octobre 2005,

Ayant achevé l'examen de la communication no 1058/2002 présentée au nom de M. Antonino Vargas Más en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

 

1.1 L'auteur de la communication, datée du 14 janvier 2002, est M. Antonino Vargas Más, de nationalité péruvienne, actuellement incarcéré dans l'établissement pénitentiaire «Miguel Castro Castro» à Lima. Il se déclare victime de violation par le Pérou de l'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du paragraphe 1 de l'article 9, et des paragraphes 1 et 2 de l'article 14. L'auteur n'est pas représenté par un conseil.
1.2 Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Pérou le 3 janvier 1981.

Exposé des faits

2.1 L'auteur était le directeur de l'Académie préuniversitaire «César Vallejo» et professeur de mathématiques. Le 20 juin 1992, il a été arrêté à son domicile de Lima par des policiers de la Direction nationale contre le terrorisme (DINCOTE) qui n'étaient pas munis d'un mandat judiciaire. Il avait été conduit dans les locaux de cette unité de police et torturé. En particulier, comme d'autres détenus, il avait été torturé à l'électricité et suspendu avec les bras liés derrière le dos. On l'avait emmené au bord de la mer où il avait subi des simulacres de noyade.

2.2 Comme il ressort de l'arrêt de la Cour suprême en date du 5 septembre 1996, l'arrestation s'inscrivait dans le cadre d'une opération lancée en vue de démanteler l'appareil central de logistique ou d'économie du groupe terroriste du «Sentier lumineux». La police avait inspecté les locaux qui abritaient l'Académie dirigée par l'auteur parce qu'elle pensait que l'appareil central de logistique était lié à cet établissement qui, d'après la police, servait de centre de recrutement de membres pour le Sentier lumineux. Dans le cadre de cette opération, la police avait saisi en plusieurs endroits des documents à caractère subversif et des explosifs et avait arrêté plusieurs personnes au nombre desquelles se trouvait l'auteur, parce qu'elle considérait qu'elles collaboraient, en accomplissant leurs différentes charges et fonctions, avec l'appareil central de logistique. L'auteur quant à lui était concrètement soupçonné d'avoir donné de l'argent pour financer des activités terroristes. Dans le quartier général du Sentier lumineux, la police avait en outre saisi une machine à écrire sur le rouleau de laquelle était apposé le logo de l'Académie. L'auteur dément toutes ces charges.

2.3 L'auteur a été reconnu coupable de «délit contre la tranquillité publique − terrorisme − au préjudice de l'État» et condamné à 20 ans d'emprisonnement par la chambre spécialisée dans les affaires de terrorisme de la Cour supérieure de Lima (composée de «juges sans visage») par un jugement rendu à l'issue d'un procès collectif le 30 novembre 1994. D'après l'auteur, dans le jugement, les faits constitutifs du délit ne sont pas énoncés un à un et il n'y figure que des mentions vagues et imprécises; le procès-verbal de la police a été l'unique preuve apportée pour fonder les réquisitions et le verdict.

2.4 L'auteur a formé un recours en nullité auprès de la chambre pénale spéciale de la Cour suprême de la République, composée de «juges sans visage», laquelle a confirmé en date du 5 septembre 1996 la décision attaquée.

2.5 La Cour suprême de justice a rejeté en date du 16 août 2001 le recours en révision dont elle avait été saisie. L'auteur fait valoir que la Cour n'a pas motivé sa décision.

2.6 Le 22 février 1999, l'auteur et d'autres coïnculpés ont formé un recours en habeas corpus auprès de la chambre de droit public de la Cour supérieure de justice de Lima. Ils faisaient valoir que les règles d'une procédure équitable consacrées dans la Constitution et dans le Code de procédure pénale n'avaient pas été respectées, notamment le droit à la présomption d'innocence et le droit de ne pas être jugé par des juridictions d'exception ou des commissions spéciales. Ils ajoutaient que les preuves à décharge n'avaient pas été prises en considération. En outre, le jugement du 30 novembre 1994 se limitait à reprendre à titre de considérants, en fait, l'interprétation de la police dans l'analyse et l'appréciation des faits consignés au procès-verbal, et la loi applicable n'était pas indiquée. Le recours a été rejeté en date du 1er mars 1999 et l'auteur s'est pourvu devant le Tribunal des garanties constitutionnelles, qui a confirmé la décision en date du 22 juin 1999.

2.7 En date du 27 septembre 2001, l'auteur a saisi la Commission des remises de peine, du droit de grâce et des commutations de peine pour les affaires de terrorisme et de trahison à la patrie. La réponse a été négative. En mai 2005, l'auteur a fait savoir au Comité que, suite à l'entrée en vigueur de la nouvelle législation proclamant la nullité des procès menés par des «juges sans visage», un nouveau procès avait été ouvert en novembre 2004, qui n'était pas encore terminé.

2.8 L'auteur affirme avoir épuisé tous les recours possibles ouverts par les juridictions internes et ne pas avoir soumis l'affaire à une autre procédure internationale d'enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1 L'auteur dit qu'il a subi des tortures physiques et psychiques quand il était détenu dans les locaux de la DINCOTE. Il ne cite pas expressément de dispositions du Pacte mais ses griefs relèvent de l'article 7.

3.2 L'auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte parce qu'il a été arrêté sans mandat judiciaire et hors flagrant délit.

3.3 L'auteur se plaint également du régime pénitentiaire auquel il était soumis: sortie dans la cour pendant trois heures par jour seulement, le reste de la journée se passant dans une cellule obscure et humide, sans avoir accès à des livres et des journaux. L'auteur ne cite pas expressément de dispositions du Pacte mais ses griefs relèvent de l'article 10.

3.4 L'auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte parce qu'il a été jugé par des «juges sans visage» et que le jugement du 30 novembre 1994 repose sur des affirmations générales et imprécises qui n'ont pas été individualisées pour établir la responsabilité directe ou indirecte dans les faits reprochés.

3.5 L'auteur dit qu'il y a eu violation du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte, consacrant le droit à la présomption d'innocence, parce que le tribunal composé de «juges sans visage» a considéré que le fait de nier sa participation dans les faits reprochés était une présomption de responsabilité délictueuse, ce qui l'a laissé sans possibilité de se défendre.

3.6 L'auteur fait valoir qu'il a eu un procès dans lequel il n'a pas eu la possibilité d'exercer le droit à une critique de la preuve, les droits de la défense ont été violés et les avocats ont été menacés de rejoindre les coïnculpés. L'auteur ne cite pas expressément de dispositions du Pacte mais ses griefs relèvent du paragraphe 3 de l'article 14.

Absence de coopération de l'État partie

4. En date du 6 mars 2002, l'État partie a été prié de faire parvenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication dans un délai de six mois. Comme il ne répondait pas, des rappels lui ont été adressés le 15 septembre 2004 et le 18 novembre 2004. Le Comité relève que les observations demandées ne lui sont toujours pas parvenues. Il regrette l'absence de coopération de l'État partie et rappelle qu'il ressort du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif que l'État partie doit examiner de bonne foi toutes les accusations qui sont portées contre lui et apporter au Comité tous les renseignements à sa disposition. Comme l'État partie n'a pas coopéré avec le Comité au sujet des questions qui font grief, il faut accorder le crédit voulu aux affirmations de l'auteur dans la mesure où elles ont été étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'avait pas été soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

5.3 En ce qui concerne l'obligation d'épuiser les recours internes, le Comité relève que l'auteur a été arrêté en 1992, puis jugé et condamné en application de la législation en vigueur à l'époque au Pérou. Avant d'envoyer sa communication au Comité, l'auteur avait exercé contre sa condamnation les recours qui lui étaient ouverts par la loi. En l'absence d'information de la part de l'État partie sur ce point, le Comité considère que l'auteur a rempli la condition prévue au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif relativement à ses griefs de violation du paragraphe 1 de l'article 9, et des paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 14 du Pacte. L'auteur n'indique pas expressément avoir introduit un recours relatif à ses griefs de violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10. Cependant, le Comité fait observer que ces allégations sont cohérentes avec la pratique qui, à sa connaissance, était la règle à l'égard des détenus soupçonnés d'être liés au Sentier lumineux, et contre laquelle il n'existait pas de recours effectif. Étant donné ce qui précède et l'absence de réponse de l'État partie, le Comité considère que cette partie de la communication est recevable.

5.4 Le Comité déclare la communication recevable relativement aux griefs de violation de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 10, et des paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 14 et procède à son examen quant au fond à la lumière des renseignements donnés par l'auteur, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.

Examen au fond

6.1 L'auteur affirme que, immédiatement après avoir été arrêté, il a été conduit à la DINCOTE où il a été torturé, et il explique en quoi consistaient les tortures. L'État partie n'ayant pas contesté ces éléments puisqu'il n'a pas adressé de réponse, il faut accorder le crédit voulu aux allégations de l'auteur et considérer que les faits se sont déroulés comme l'auteur l'a décrit. En conséquence, le Comité conclut qu'il y a eu violation de l'article 7 du Pacte.

6.2 En ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte, du fait que l'auteur a été arrêté sans mandat judiciaire et hors flagrant délit, le Comité estime que, ces allégations n'ayant pas été contestées par l'État partie, il doit leur accorder le crédit voulu et considérer que les faits se sont déroulés comme l'auteur l'a décrit. En conséquence, le Comité conclut qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte.

6.3 En ce qui concerne les griefs de l'auteur relatifs à la dureté du régime de détention qui lui a été appliqué, le Comité considère également que, l'État partie n'ayant pas contesté ces allégations, il doit leur accorder le crédit voulu et considérer que les faits se sont déroulés comme l'auteur l'a décrit. En conséquence, le Comité conclut qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.

6.4 En ce qui concerne les griefs au regard de l'article 14 du Pacte, le Comité note que l'auteur indique que son procès a été mené par un tribunal composé de «juges sans visage», qu'il n'a pas eu la possibilité d'interroger les témoins, et que son avocat avait reçu des menaces. Dans ces circonstances, le Comité, rappelant sa jurisprudence dans des affaires similaires, considère qu'il y a eu violation de l'article 14 du Pacte, qui consacre le droit d'être jugé dans le respect des garanties judiciaires.

7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 10, et de l'article 14 du Pacte.

8. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'assurer à l'auteur un recours utile et une indemnisation appropriée. Étant donné que l'auteur est emprisonné depuis de longues années, l'État partie devrait étudier sérieusement la possibilité de mettre fin à sa détention, dans l'attente de l'issue du nouveau procès qui est en cours. Ce procès doit être conduit dans le respect de toutes les garanties prévues dans le Pacte.

9. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.

 

________________________

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer et M. Hipólito Solari-Yrigoyen.

 

 

 



Page Principale || Traités || Recherche || Liens