University of Minnesota



M. Zdeněk Kříž c. Czech Republic, Communication No. 1054/2002, U.N. Doc. CCPR/C/85/D/1054/2002 (2005).




GENERALE
CCPR/C/85/D/1054/2002
18 novembre 2005
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 1054/2002 : Czech Republic. 18/11/2005.
CCPR/C/85/D/1054/2002. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-cinquième session

17 octobre - 3 novembre 2005

ANNEXE*

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole

facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

- Quatre-vingt-cinquième session -

 

Communication No 1054/2002

 

Présentée par: M. Zdeněk Kříž (non représenté par un conseil)
Au nom de: L'auteur

État partie: République tchèque

Date de la communication: 28 septembre 2001 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er novembre 2005,

Ayant achevé l'examen de la communication no 1054/2002 présentée par M. Zdeněk Kříž en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

 

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

 

1. L'auteur de la communication est M. Zdeněk Kříž, de nationalité américaine et tchèque, né en 1916 à Vysoké Mýto (République tchèque) et vivant actuellement aux États-Unis. Il affirme être victime d'une violation par la République tchèque (1) de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il n'est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1 Avant 1948, l'auteur vivait à Prague où il possédait 1/6e d'un immeuble d'habitation et une entreprise. En 1958, il a reçu l'ordre de fermer son entreprise et de rejoindre une coopérative qui s'est adjugé son matériel, sans qu'aucune indemnité ne lui soit versée. Au début des années 60, l'auteur, sous la pression, a «fait don» à l'État du 1/6e de l'immeuble d'habitation qu'il possédait. En 1968, accompagné de sa femme et de ses deux fils, il est parti pour l'Autriche, d'où il a émigré aux États-Unis. En 1974, un tribunal tchécoslovaque a condamné l'auteur, sa femme et l'aîné de ses fils, par contumace, à 18 mois d'emprisonnement pour avoir quitté le pays. Le 16 avril 1974, l'auteur est devenu citoyen américain. En vertu du Traité de naturalisation conclu entre les États-Unis d'Amérique et la Tchécoslovaquie en 1928, il a perdu sa nationalité tchécoslovaque.

2.2 Le 1er février 1991, le Gouvernement tchèque a adopté la loi no 87/1991 relative à la réparation extrajudiciaire énonçant les conditions de restitution de leurs biens aux personnes auxquelles ils avaient été confisqués sous le régime communiste. En vertu de cette loi, pour pouvoir prétendre à la restitution de ses biens, il fallait notamment a) être de nationalité tchèque-slovaque et b) résider à titre permanent en République tchèque. Ces conditions devaient être satisfaites pendant la période fixée pour la présentation des demandes de restitution, à savoir du 1er avril au 1er octobre 1991. Par son arrêt du 12 juillet 1994 (no 164/1994), la Cour constitutionnelle tchèque a toutefois annulé la condition de résidence permanente et fixé de nouveaux délais − du 1er novembre 1994 au 1er mai 1995 − pour la présentation des demandes de restitution par les personnes qui remplissaient les conditions ainsi modifiées. En 1995, l'auteur a demandé la nationalité tchèque, qu'il a obtenue le 28 juillet 1995, c'est-à-dire après l'expiration de la date limite de présentation des demandes de restitution.

2.3 Le 14 avril 1995, l'auteur a présenté une demande de restitution de ses biens au propriétaire de l'immeuble d'habitation, la Société nationale du logement, située dans le 4e arrondissement de Prague, qui n'y a pas fait droit, au motif qu'il ne remplissait pas les conditions de nationalité dans le délai fixé pour la présentation des demandes. L'auteur a porté l'affaire devant le tribunal de district du 4e arrondissement de Prague qui a rejeté sa demande de restitution le 27 avril 1998, arguant qu'il ne remplissait pas la condition de nationalité pendant la période fixée pour le dépôt de nouvelles demandes de restitution (qui s'est achevée le 1er mai 1995). Le tribunal n'a pas examiné s'il remplissait les autres conditions pour pouvoir prétendre à la restitution de ses biens. Le 3 décembre 1998, le tribunal municipal de Prague a confirmé la décision du tribunal de district, statuant que l'auteur aurait dû remplir les conditions de nationalité au plus tard à la fin de la période initiale de dépôt des demandes, à savoir le 1er octobre 1991, pour être considéré comme étant «habilité» à le faire. Le 25 juillet 2000, la Cour constitutionnelle a confirmé cette décision pour les mêmes raisons. En conséquence, l'auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3. L'auteur se dit victime d'une violation de l'article 26 du Pacte, la condition de nationalité fixée par la loi no 87/1991 constituant une discrimination illégale.

Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la communication et commentaires de l'auteur

4.1 Le 9 janvier 2003, l'État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il reconnaît que l'auteur a épuisé tous les recours internes possibles et ne remet pas en cause la recevabilité de la communication. Sur les faits, il indique que l'auteur n'a obtenu la nationalité tchèque que le 25 septembre 1997.

4.2 En ce qui concerne le fond, l'État partie invoque ses observations précédentes sur des affaires analogues et indique que les lois de restitution, y compris la loi no 87/1991, étaient destinées à atténuer les conséquences des injustices commises pendant le régime communiste, tout en gardant à l'esprit qu'elles ne pourraient jamais être totalement réparées.

4.3 L'État partie adopte la position prise dans l'arrêt no 185/1997 de la Cour constitutionnelle, selon laquelle:

«Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques énonce le principe de l'égalité au paragraphe 1 de son article 2 et dans son article 26. Le droit à l'égalité énoncé à l'article 2 est de nature accessoire, c'est-à-dire qu'il ne s'applique qu'en corrélation avec un autre droit inscrit dans le Pacte. Le droit à la propriété ne figure pas dans le Pacte. L'article 26 consacre l'égalité devant la loi et l'interdiction de la discrimination. La nationalité ne fait pas partie de l'énumération des motifs au titre desquels la discrimination est interdite. Le Comité des droits de l'homme a régulièrement admis les différenciations fondées sur des critères raisonnables et objectifs. La Cour constitutionnelle estime que les conséquences du paragraphe 2 de l'article 11 de la Charte des droits et libertés fondamentaux,(2) les objectifs des lois de restitution, de même que les lois sur la nationalité constituent des critères raisonnables et objectifs.».
L'État partie réaffirme qu'il n'entend pas changer de position sur la condition de nationalité figurant dans la loi: modifier les conditions fixées dans les lois de restitution à ce stade aurait des conséquences sur la stabilité économique et politique de la République tchèque et pourrait fragiliser son cadre juridique.
5.1 Le 6 mai 2004, l'auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l'État partie. Il réitère ses demandes initiales et déclare que son affaire ressemble à des affaires déjà traitées par le Comité, en particulier les affaires Simunek, Adam et Blazek, (3) dans lesquelles le Comité a reconnu la violation de l'article 26 par l'État partie.

5.2 L'auteur se réfère également à des lois ayant annulé tous les jugements de confiscation prononcés sous le régime communiste (loi no 119/1990) et aux arrêts de la Cour constitutionnelle concernant d'autres affaires dans lesquelles elle avait statué que les jugements de confiscation étaient nuls et non avenus et que les droits de propriété initiaux n'avaient jamais cessé.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note que l'État partie admet la recevabilité de la plainte et considère que la communication est recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au titre de l'article 26 du Pacte.

Examen quant au fond

7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité doit déterminer si l'application à l'auteur de la loi no 87/1991 constitue une discrimination, en violation de l'article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que toutes les différences de traitement ne constituent pas une discrimination au titre de l'article 26. Une différenciation compatible avec les dispositions du Pacte et fondée sur des critères objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l'article 26 (4). Même si le critère de nationalité est objectif, le Comité doit déterminer si son application à l'auteur était raisonnable dans le cas d'espèce.

7.3 Le Comité rappelle ses constatations dans les affaires Adam, Blazek et Marik, (5) dans lesquelles il a conclu qu'il y avait violation de l'article 26 du Pacte. Étant donné que l'État partie lui-même est responsable du départ de l'auteur accompagné de sa famille de Tchécoslovaquie en quête d'un refuge dans un autre pays où il avait fini par s'établir et obtenir la nationalité, le Comité est d'avis qu'il serait incompatible avec le Pacte d'exiger de l'auteur de la présente communication de satisfaire à la condition de citoyenneté tchèque pour la restitution de ses biens ou pour une indemnisation.

7.4 Le Comité considère que le précédent créé dans les affaires susmentionnées s'applique également à l'auteur de la présente communication et que l'application par les tribunaux nationaux des conditions de citoyenneté constitue une violation des droits de l'auteur au titre de l'article 26 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l'article 26 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu de fournir à l'auteur un recours utile, qui peut être le versement d'une indemnisation si le bien ne peut être restitué. Le Comité rappelle que l'État partie devrait revoir sa législation pour garantir à tous l'égalité devant la loi et l'égale protection de la loi.

10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

__________________________

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen et M. Roman Wieruszewski. En application de l'article 90 du Règlement intérieur, Mme Ruth Wedgwood n'a pas participé à l'adoption des présentes constatations.

 

Notes

 

1. La Tchécoslovaquie a ratifié le Pacte en décembre 1975 et le Protocole facultatif en mars 1991. La République fédérative tchèque et slovaque a cessé d'exister le 31 décembre 1992. Le 22 février 1993, la République tchèque a notifié sa succession au Pacte et au Protocole facultatif.
2. Il est prescrit au paragraphe 2 de l'article 11 de la Charte des droits et libertés fondamentaux que «la loi peut déterminer que seuls des citoyens ou des personnes morales ayant leur siège dans la République tchèque peuvent posséder certains biens».

3. Voir les communications no 516/1992, Simunek c. République tchèque, constatations adoptées le 19 juillet 1995, no 586/1994, Adam c. République tchèque, constatations adoptées le 23 juillet 1996, et no 857/1999, Blazek c. République tchèque, constatations adoptées le 12 juillet 2001.

4. Voir communication no 182/1984, Zwaan-de Vries c. Pays-Bas, constatations adoptées le 9 avril 1987, par. 13.

5. Voir les communications no 586/1994, Adam c. République tchèque, constatations adoptées le 23 juillet 1996, par 12.6, no 857/1999, Blazek c. République tchèque, constatations adoptées le 12 juillet 2001, par. 5.8, et no 945/2000, Marik c. République tchèque, constatations adoptées le 26 juillet 2005, par. 6.4.

 

 



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