University of Minnesota



Tamara Chikunova c. Uzbekistan, Communication No. 1043/2002, U.N. Doc. CCPR/C/89/D/1043/2002 (2006).



GENERALE
CCPR/C/89/D/1043/2002
3 mai 2007
FRANCAIS
Original: ANGLAIS

Communication No. 1043/2002 : Uzbekistan. 03/05/2007.
CCPR/C/89/D/1043/2002. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-neuvième session

12 - 30 mars 2007

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4

de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international

relatif aux droits civils et politiques*

- Quatre-vingt-neuvième session -

 

Communication No. 1043/2002

 

Présentée par: Tamara Chikunova (non représentée par un conseil)
Au nom de: Dimitryi Chikunov, fils de l'auteur, décédé

État partie: Ouzbékistan

Date de la communication: 17 juillet 2000 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 mars 2007,

Ayant achevé l'examen de la communication no 1043/2002 présentée au nom de Dimitryi Chikunov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

 

 

1. L'auteur est Mme Tamara Chikunova, de nationalité russe, résidant en Ouzbékistan. Elle présente la communication au nom de son fils, Dimitryi Chikunov, né en 1971 et exécuté le 10 juillet 2000 en application d'une condamnation à mort prononcée par le tribunal régional de Tachkent le 11 novembre 1999. Elle fait valoir que son fils est victime de violations par l'Ouzbékistan des droits consacrés aux articles 6, 7, 9, 10, 14 et 16 du Pacte (1) . Elle n'est pas représentée par un conseil.

Exposé des faits

2.1 Le 17 avril 1999, le fils de l'auteur a été arrêté à la suite du double meurtre de ses partenaires commerciaux Em et Tsai, commis dans les environs de Tachkent le 16 avril 1999. Il était accusé de les avoir abattus avec un pistolet automatique parce qu'il ne pouvait rembourser les dettes qu'il avait contractées auprès d'eux. Il était aussi accusé de fraude et d'abus de confiance pour avoir, en 1996, avec un autre individu, S., établi un faux contrat pour un prêt de 2 millions de soms ouzbeks (répartis entre lui et S.), au nom d'un centre de jeunes «Em Matbuotchi», au détriment du fonds d'assurance sociale.

2.2 Dans les premiers jours qui ont suivi son arrestation, le fils de l'auteur aurait été passé à tabac et torturé par les enquêteurs et contraint de s'avouer coupable. L'auteur soumet une copie d'une lettre que son fils lui a adressée à une date non précisée et dans laquelle il décrit les traitements qu'il aurait subis. Il affirme qu'immédiatement après avoir été arrêté et alors qu'il montait dans le véhicule de police, les enquêteurs lui ont violemment pressé la tête contre le châssis de la voiture avec la portière. Dès son arrivée dans les locaux du Département des enquêtes criminelles, il a été frappé par plusieurs enquêteurs à l'aide de tous les objets que ceux-ci avaient pu trouver autour d'eux, notamment des bouteilles de soda. Ensuite, comme il refusait d'avouer, il a été traité de pédéraste et menacé de viol; on l'a jeté par terre, on lui a retiré son pantalon et on l'a sauvagement frappé sur les jambes avec une statuette en pierre représentant un phallus; il n'a pas été violé. Plus tard, il a été roué de coups au point de perdre connaissance. Quand il est revenu à lui, les enquêteurs lui avaient placé sur la tête un masque à oxygène dont ils bouchaient l'arrivée d'air pour le faire souffrir. Ils ont aussi menacé de faire venir sa mère et de la violer sous ses yeux. Dans la soirée, il a été conduit sur le lieu du crime et un enquêteur aurait donné au téléphone l'ordre à quelqu'un de «commencer» avec la mère de Chikunov. À ce moment-là il a avoué.

2.3 Le 19 avril 1999, les enquêteurs ont demandé à l'auteur d'apporter une tenue de rechange pour son fils. C'est ce qu'elle a fait, et un jeune enquêteur lui a rendu les anciens vêtements, apparemment par erreur. Elle affirme que ces vêtements étaient tachés de sang coagulé et portaient des marques de chaussures évoquant un passage à tabac (2) . Elle affirme que peu après avoir récupéré ces vêtements elle a été appelée par les enquêteurs, qui l'ont priée de les restituer. Un enquêteur s'est rendu à son appartement et les a cherchés mais n'a rien trouvé car l'auteur avait confié les habits à des proches.

2.4 Le 23 avril 1999, l'auteur s'est plainte de l'inculpation de son fils et des tortures qui lui avaient été infligées au Président, au Médiateur parlementaire, au Bureau du Procureur ainsi qu'au Centre national des droits de l'homme. Ses plaintes auraient été transmises à l'enquêteur en chef chargé de l'affaire, M., qui n'était autre que la personne mise en cause (3) . Elle affirme qu'elle a demandé à voir son fils mais qu'on lui a dit qu'elle devait d'abord restituer les vêtements. Elle a aussi demandé à s'entretenir avec M., sans succès.

2.5 Le fils de l'auteur a été interrogé en l'absence d'un avocat (4) les 17, 18, 19 et 28 avril ainsi que le 6 mai 1999, date à laquelle il a confirmé l'emplacement de l'arme du crime et a été conduit sur les lieux pour qu'il donne des détails sur le déroulement des événements. Les enquêteurs ont désigné un avocat d'office, Mme Rakhmanmerdieva (R.), le 19 avril 1999 seulement. L'avocate ne s'est entretenue qu'une fois avec son client, le 21 avril 1999, mais il est allégué que ce dernier n'avait pas eu la possibilité de s'entretenir avec elle en privé et était terrifié, l'entretien ayant eu lieu en présence des enquêteurs qui l'avaient torturé.

2.6 L'auteur a appris le 20 avril 1999 qu'un avocat avait été chargé de la défense de son fils, mais les enquêteurs ne lui ont révélé l'identité de l'avocate qu'en mai 1999. L'auteur a donc rencontré R. et lui a posé des questions sur le dossier, ce à quoi elle lui a répondu que son fils était un meurtrier. L'auteur a demandé en vertu de quels articles du Code pénal précisément il était accusé, mais l'avocate ne s'en souvenait pas. Lorsque l'auteur a dit qu'elle craignait que son fils n'ait été torturé, l'avocate a refusé de faire le moindre commentaire. Le 17 juin 1999, l'auteur a engagé un avocat privé, Mme S., mais on a empêché cette dernière d'agir jusqu'à la fin de l'enquête, le 13 août 1999. Elle était absente aux audiences préliminaires tenues les 10, 15, 16, 19 et 28 juillet.

2.7 Au tribunal, le fils de l'auteur est revenu sur ses aveux car ils avaient été arrachés sous la torture. Il a affirmé que la nuit du crime ses partenaires commerciaux devaient rencontrer un certain Salikhov, qui vivait en Russie et qui était censé leur remettre une quantité d'héroïne qu'ils avaient l'intention de vendre. Le fils de l'auteur les avait accompagnés et lorsqu'ils étaient arrivés sur le lieu du rendez-vous il avait été prié de quitter le véhicule et de les attendre. Peu après, il a entendu des coups de feu et a vu Salikhov quitter les lieux. Chikunov a expliqué qu'il avait pris le pistolet dans la voiture et l'avait caché, parce que c'était lui qui l'avait apporté à l'un de ses partenaires commerciaux le même jour. Il n'avait rien raconté à personne parce qu'il était terrifié.

2.8 Le tribunal a posé des questions au sujet des allégations de mauvais traitement: a) il a interrogé en qualité de témoin la première avocate de Chikunov, R., qui a affirmé qu'il était passé aux aveux librement et spontanément et qu'elle n'avait remarqué aucune marque de coups sur son corps; b) il a entendu plusieurs enquêteurs, dont G. (le chef du Département des enquêtes criminelles) et les enquêteurs I. et B., notamment. Tous ont confirmé que Chikunov était passé aux aveux de son plein gré, sans aucune coercition; il n'avait pas été frappé et avait «exprimé le désir de montrer l'endroit où il avait caché l'arme du crime» (5) . Le tribunal a conclu que les aveux initiaux avaient été spontanés et que l'intéressé donnait une nouvelle version uniquement pour que sa responsabilité pénale ne soit pas engagée.

2.9 L'auteur relève que la première avocate de son fils, R., a été conduite en voiture au tribunal par un des enquêteurs. À une date non précisée, l'auteur s'est plainte au Ministère de la justice des actes de R. Le 28 janvier 2000, le Ministère de la justice l'a informée qu'une enquête interne était en cours et que les allégations de l'auteur avaient été confirmées. En conséquence, le 17 janvier 2000, la Commission des qualifications en droit a examiné le dossier et a retiré l'agrément permettant à R. d'exercer, pour «violation des normes légales en vigueur et manquement à la déontologie».

2.10 Le 18 novembre 1999, l'avocate de Dimitryi Chirunov a formé un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, contestant le jugement du 11 novembre 1999 et affirmant que les aveux de son client avaient été arrachés sous la torture. Elle invoquait plusieurs violations de la procédure pénale et demandait que l'affaire soit renvoyée pour complément d'enquête. Le 24 janvier 2000, la Cour suprême a examiné l'affaire et a estimé que les protestations d'innocence de Chikunov n'étaient pas fondées, qu'elles étaient inventées et n'étaient pas étayées par le dossier. Elle a fait observer que le tribunal avait examiné toutes les allégations formulées par Chikunov et son avocate et y avait apporté des réponses motivées. La Cour a conclu que le tribunal avait correctement qualifié les actes de Chikunov. Elle a confirmé le jugement prononcé en première instance, par lequel Dimitryi Chirunov avait été condamné à mort.

2.11 Le 4 juillet 2000, l'auteur s'est plainte à la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle juridictionnel. Le 21 juillet 2000, elle a été informée du fait que la Cour, après avoir étudié sa plainte et réexaminé le dossier, avait conclu que rien ne justifiait d'infirmer les décisions précédentes.

2.12 L'auteur fait aussi valoir que son fils a été exécuté illégalement, le 10 juillet 2000, parce que la loi applicable interdisait toute exécution avant que le condamné n'ait reçu une réponse à sa demande de grâce. Dans le cas présent, au moment de l'exécution ni elle ni son fils n'avaient été informés de la suite donnée aux demandes de grâce adressées à la présidence de la République le 26 janvier, le 9 février, le 26 mai et le 30 juin 2000. Le fils de l'auteur avait également adressé une demande en grâce à la Cour suprême le 6 mars 2000.

Teneur de la plainte

3. L'auteur affirme que son fils est victime de violations par l'Ouzbékistan de droits consacrés aux articles 6, 7, 9, 10, 14 et 16 du Pacte.

Observations de l'État partie

4.1 L'État partie a fait part de ses observations le 1er juillet 2005. Il rappelle que le 11 novembre 1999 le tribunal régional de Tachkent a jugé Chikunov coupable d'infractions qualifiées aux articles du Code pénal 168 (par. 4 a)) (escroquerie d'un montant particulièrement important), 228 (par. 2 b)) (falsification de documents, timbres, sceaux, formulaires, vente ou usage délibéré de faux), 248 (par. 3) (falsification de documents, timbres, sceaux, formulaires, vente ou usage de faux), 164 (par. 4 a)) (vol qualifié d'un montant particulièrement important), et 97 (par. 2 a) i)) (meurtre avec préméditation de deux personnes ou plus et avec circonstances aggravantes, à des fins d'intérêt personnel). Pour l'ensemble de ces actes, il a été condamné à mort. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême le 24 janvier 2000.

4.2 Selon l'État partie, le fils de l'auteur et ses partenaires commerciaux se sont rendus en voiture à l'extérieur de Tachkent dans la soirée du 16 avril 1999. À un moment donné, les partenaires en question ont menacé Chikunov de demander à un individu de la région bien connu de «lui régler son compte». Chikunov leur a demandé d'arrêter le véhicule, en est sorti et a jeté une grenade à l'intérieur, dans l'intention de les tuer. La grenade n'a pas explosé. Chikunov est retourné dans la voiture, ses partenaires ont continué de le menacer, et ils ont repris la route. De l'arrière du véhicule, Chikunov a abattu les autres hommes d'une balle dans la tête. Il a ensuite fui les lieux et est retourné à Tachkent, où il a caché l'arme du crime.

4.3 L'État partie fait valoir que la culpabilité de Chikunov a été établie sur la base de différents témoignages et des conclusions des expertises scientifiques, notamment l'examen des balles extraites des corps des victimes et de l'habitacle de la voiture qui a permis de confirmer qu'elles avaient été tirées avec le pistolet de Chikunov. Chikunov a par ailleurs été reconnu mentalement responsable par un psychiatre.

4.4 L'État partie relève que les allégations de Chikunov quant au recours à des méthodes d'investigation illégales après son arrestation ont été examinées et réfutées pendant le procès lui-même, puisque le tribunal a interrogé les fonctionnaires du Ministère de l'intérieur et que tous ont assuré qu'au cours de l'enquête, notamment lors de la vérification de sa déposition faite sur les lieux du crime, le fils de l'auteur avait, de son plein gré et sans qu'aucune contrainte ne soit exercée sur lui, expliqué les circonstances des meurtres et révélé l'emplacement de l'arme du crime.

4.5 Selon l'État partie, la culpabilité de Chikunov a été établie à la lumière de la multitude d'éléments de preuve objectifs recueillis progressivement au cours de l'enquête. La peine qui lui a été infligée a été déterminée en fonction de la gravité des actes commis et de l'absence de circonstance atténuante.

Commentaires de l'auteur

5.1 Dans des commentaires datés du 13 avril 2006, l'auteur souligne que, même si le Président du tribunal a donné lecture de conclusions d'un expert selon lesquelles la grenade jetée dans la voiture n'était pas de type militaire et qu'on n'avait pas essayé de la modifier, cela n'avait pas été pris en compte pour déterminer la peine prononcée à l'encontre de son fils.

5.2 L'auteur fait valoir que le tribunal a manqué à son devoir d'objectivité. Bien que son fils ait été accusé d'avoir tiré plusieurs coups de feu, on n'avait procédé à aucun examen pour vérifier la présence de traces de poudre sur ses mains. De plus, la banquette arrière et le tapis de sol de la voiture dans laquelle le crime a été commis présentaient un certain nombre de tâches de sang. Selon elle, si son fils avait été le meurtrier, il aurait dû avoir des éclaboussures de sang sur le visage, les cheveux et les mains; or, aucun examen n'a été mené à cet égard. La banquette arrière de la voiture n'a pas non plus été expertisée, alors que cela aurait pu confirmer la position exacte du meurtrier (6) .

5.3 Mme Chikunova affirme de nouveau que les vêtements de son fils ne portaient aucune trace visible de sang lorsqu'ils ont été saisis et mis sous scellés par la police en présence de témoins. Ce n'est que deux semaines plus tard, au cours d'un examen en présence de différents témoins, qu'un expert a découvert une minuscule tâche et plusieurs éclaboussures de sang coagulé. Le groupe sanguin correspondait à celui de l'un des partenaires de son fils. L'auteur fait valoir qu'aucun test ADN n'a jamais été fait à cet égard.

5.4 L'auteur rappelle que lorsqu'elle a porté plainte à propos des tortures subies par son fils elle a uniquement été renvoyée vers l'enquêteur qu'elle mettait en cause. Enfin, l'auteur réitère ses allégations quant à la violation du droit à la défense de son fils.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d'examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note que la même question n'est pas en cours d'examen devant une autre procédure internationale comme l'exige le paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif et qu'il n'est par ailleurs pas contesté que les voies de recours internes ont été épuisées.

6.3 Le Comité prend note de l'allégation de l'auteur qui affirme que son fils a été victime d'une violation des articles 9 et 16 du Pacte mais constate que ces allégations n'ont en aucune manière été étayées. Cette partie de la communication est donc irrecevable faute d'avoir été suffisamment étayée aux fins de l'article 2 du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité note que l'auteur conteste la manière dont les juges et les enquêteurs ont traité l'affaire. Il fait toutefois observer que ces allégations se rapportent essentiellement à l'appréciation des faits et des preuves par les tribunaux. Il rappelle que c'est en général aux juridictions des États parties au Pacte qu'il appartient d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d'espèce, à moins qu'il ne puisse être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice (7) . En l'absence d'autres informations pertinentes qui montreraient que l'appréciation des éléments a effectivement souffert de tels dysfonctionnements et en l'absence de la moindre copie des minutes du procès, le Comité considère cette partie de la communication comme irrecevable aux fins de l'article 2 du Protocole facultatif.

6.5 Le Comité considère que les autres griefs de l'auteur, qui semblent soulever des questions au regard de l'article 6, de l'article 7, de l'article 10 et du paragraphe 3 b), d) et g) de l'article 14, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare recevables.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2 L'auteur affirme que c'est sous la torture que son fils a reconnu sa culpabilité. Elle s'en est plainte aux autorités au cours de l'enquête préliminaire, mais sans résultats. Lorsque son fils s'est rétracté au tribunal au motif que ses aveux avaient été extorqués sous la contrainte, le juge a interrogé plusieurs témoins et enquêteurs, qui ont nié avoir usé de coercition contre lui. L'État partie a seulement indiqué que les tribunaux avaient examiné ces allégations et les avait jugées sans fondement. Le Comité rappelle que lorsqu'une plainte pour mauvais traitements en violation de l'article 7 est déposée cette plainte doit faire l'objet d'une enquête rapide et impartiale de la part de l'État partie (8) . Dans cette affaire, l'auteur a présenté des documents décrivant en détail les tortures dont son fils aurait été victime. Le Comité estime que les documents dont il est saisi indiquent que les autorités de l'État partie n'ont pas réagi promptement ni comme il convient aux plaintes déposées au nom du fils de l'auteur. Aucune information n'a été communiquée par l'État partie pour préciser si un complément d'enquête ou un examen médical avait été réalisé pour vérifier les allégations de torture de Dimitryi Chikunov. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits qui lui sont présentés font apparaître une violation de l'article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte.

7.3 À la lumière de la conclusion ci-dessus, le Comité n'estime pas nécessaire d'examiner le grief tiré de l'article 10 du Pacte.

7.4 L'auteur fait valoir que, contrairement à ce que prévoit la législation nationale, son fils ne s'est vu désigner un avocat qu'en date du 19 avril 1999, soit deux jours après son arrestation. En outre, il n'a pu rencontrer cet avocat qu'une fois, et en présence des enquêteurs. Alors que le fils de l'auteur avait fait appel aux services d'un avocat privé le 17 juin 1999, cet avocat n'a été autorisé à agir qu'après le 13 août 1999, une fois l'enquête préliminaire terminée. L'État partie n'a pas répondu à ces allégations. Dans ces circonstances, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l'auteur. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante (9) selon laquelle, en particulier dans les affaires portant sur des crimes emportant la peine de mort, les accusés doivent bénéficier de manière effective de l'assistance d'un conseil à tous les stades de la procédure. Dans les circonstances de l'affaire à l'examen, le Comité conclut qu'il y a eu violation des droits garantis au fils de l'auteur par le paragraphe 3 b) et d) de l'article 14 du Pacte.

7.5 Le Comité rappelle sa jurisprudence (10) et réaffirme que la condamnation à la peine de mort au terme d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue une violation de l'article 6 du Pacte. En l'espèce, la peine de mort a été exécutée en violation des garanties relatives à un procès équitable énoncées au paragraphe 3 b), d) et g) de l'article 14 du Pacte, et donc aussi du paragraphe 2 de l'article 6.

7.6 L'auteur affirme aussi que l'exécution de son fils était illégale, puisqu'en droit ouzbek la peine capitale ne peut pas être exécutée avant que la demande de grâce du condamné ne soit examinée. Or, dans cette affaire, plusieurs demandes de grâce ont été adressées à la présidence de la République mais aucune réponse n'a été reçue. L'État partie n'a pas fait de commentaires sur cette allégation. Dans ces circonstances, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l'auteur. Par conséquent, le Comité considère que les informations dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 4 de l'article 6 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits consacrés au paragraphe 4 de l'article 6, à l'article 7 et au paragraphe 3 b), d) et g) de l'article 14, lus conjointement avec l'article 6 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'assurer un recours utile à Mme Chikunova, sous la forme d'une indemnisation. L'État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.

10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

 

____________________________

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Yuji Iwasawa, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, Mme Zonke Zanele Majodina, Mme Iulia Antoanella Motoc, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. José Luis Pérez Sanchez-Cerro, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer et Mme Ruth Wedgwood.

Notes

1. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'État partie le 28 décembre 1995.

2. L'auteur joint des photographies des vêtements.

3. L'auteur joint toutefois une réponse à «ses plaintes du 23 avril et des 12 et 13 mai 1999» émanant du Bureau du Procureur régional de Tachkent. Le Bureau du Procureur l'informait que l'inculpation de son fils était fondée et que, «comme elle en avait précédemment été informée», le dossier avait été soumis au contrôle du Bureau du Procureur, que l'enquête était menée en toute objectivité, dans le respect des garanties de la procédure pénale, et qu'au terme de l'enquête préliminaire le dossier serait renvoyé au tribunal. Le Bureau du Procureur informait aussi l'auteur que les allégations selon lesquelles son fils aurait été soumis à des méthodes d'enquête illicites (c'est-à-dire aurait été passé à tabac) n'avaient pas été confirmées.

4. À ce sujet, l'auteur affirme que le paragraphe 4 de l'article 51 du Code pénal prévoit la présence obligatoire d'un avocat dans le cas des personnes encourant la peine de mort.

5. Les allégations de torture sont évoquées en ces termes dans le jugement: «L'expert du Ministère de l'intérieur, Makhmatov, a expliqué au tribunal que, lors de l'enregistrement sur cassette vidéo de l'interrogatoire de Chikunov dans la soirée du 17 avril 1999, le début de l'entretien avait pu être filmé» mais qu'«au moment où Chikunov reconnaissait qu'il avait commis le double meurtre, la caméra, qui était vieille et se bloquait souvent, s'était arrêtée». Makhmatov a aussi affirmé que, pendant qu'il était présent, le 17 avril (dans la nuit) et le 18 avril 1999 (dans la journée), personne n'avait frappé le fils de l'auteur et que ce dernier était passé aux aveux spontanément. Le tribunal a aussi examiné la question des vêtements tachés de sang: «Confirmant le récit de son fils, la mère de Chikunov a apporté au tribunal une chemise portant des traces de sang et un pantalon appartenant selon elle à son fils, et a affirmé que ce dernier avait été passé à tabac pour qu'il avoue le meurtre.». Tout d'abord, rien ne prouve que les vêtements en question aient appartenu à Chikunov et on ne sait pas avec certitude à quelle date ils ont été tachés; ensuite, il ressort des témoignages de Chikunov, d'Ilin et des enquêteurs du Département des enquêtes criminelles que Chikunov et Ilin s'étaient battus dans le couloir, alors que Chikunov tentait de démontrer qu'Ilin était également présent sur les lieux au moment du meurtre. Le fait qu'ils se soient battus a été confirmé tant par Chikunov que par Ilin lors d'une confrontation. Le tribunal a aussi interrogé des témoins qui avaient pris part à la saisie de l'arme du crime; tous ont affirmé que Chikunov avait désigné l'endroit où le pistolet était caché et avait donné des détails sur les circonstances du crime sans qu'aucune contrainte ait été exercée sur lui.

6. Voir notamment la communication no 541/1993, Errol Simms c. Jamaïque, décision d'irrecevabilité adoptée le 3 avril 1995, par. 6.2.

7. Voir notamment la communication no 541/1993, Errol Simms c. Jamaïque, décision d'irrecevabilité adoptée le 3 avril 1995, par. 6.2.

8. Observation générale no 20 [44] relative à l'article 7, adoptée le 3 avril 1992, par. 14.

9. Voir par exemple Aliev c. Ukraine, communication no 781/1997, constatations adoptées le 7 août 2003, par. 7.2.

10. Voir Conroy Levy c. Jamaïque, communication no 719/1996, et Clarence Marshall c. Jamaïque, communication no 730/1996.

 

 



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