University of Minnesota



M. Rubén Santiago Hinostroza Solís c. Peru, Communication No. 1016/2001, U.N. Doc. CCPR/C/86/D/1016/2001 (2006).




GENERALE
CCPR/C/86/D/1016/2001
16 mai 2006
FRANCAIS
Original: ESPAGNOL

Communication No. 1016/2001 : Peru. 16/05/2006.
CCPR/C/86/D/1016/2001. (Jurisprudence)

Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-sixième session

13 - 31 mars 2006

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4

de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international

relatif aux droits civils et politiques*

- Quatre-vingt-sixième session -

 

Communication No. 1016/2001

 

 

Présentée par: M. Rubén Santiago Hinostroza Solís (non représenté par un conseil)
Au nom de: L'auteur
État partie: Pérou
Date de la communication: 19 juillet 1999 (date de la lettre initiale)

 

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, agissant par l'intermédiaire de son Groupe de travail des communications,

Réuni le 27 mars 2006,

Ayant achevé l'examen de la communication no 1016/2001 présentée au nom de M. Rubén Santiago Hinostroza Solís en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

 

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif

 

1.1 L'auteur de la communication, datée du 19 juillet 1999, est Rubén Santiago Hinostroza Solís, de nationalité péruvienne, qui se dit victime d'une violation par le Pérou de l'alinéa c de l'article 25 du Pacte. Il n'est pas représenté par un conseil.
1.2 Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Pérou le 3 janvier 1981.

Exposé des faits

2.1 L'auteur était fonctionnaire de la Direction nationale des douanes (SUNAD). En vertu du décret suprême no 043-91-EF pris par le pouvoir exécutif, cet organisme a subi une restructuration impliquant, entre autres, une réorganisation du personnel. Dans ce contexte, la SUNAD a adopté la décision no 6338 en date du 5 septembre 1991, dans laquelle elle déclarait que certains agents étaient en surnombre et ordonnait le licenciement de ceux qui répondaient à l'un des deux critères suivants: avoir accompli un certain nombre d'années de service − 25 ans ou plus pour les femmes et 30 ans pour les hommes − ou avoir dépassé la limite d'âge, fixée à 55 ans pour les femmes et à 60 ans pour les hommes. Parmi les agents concernés figurait l'auteur, âgé de 61 ans et comptant 11 ans de service.

2.2 Le 5 décembre 1991, l'auteur a fait appel de cette décision auprès du Tribunal national du service public, arguant qu'il avait été licencié sans notification préalable au motif qu'il avait 61 ans, alors que l'âge légal du départ à la retraite des agents de la SUNAD était fixé à 70 ans par la loi sur la fonction publique. Le 19 février 1992, le Tribunal a rejeté sa requête.

2.3 Le 5 décembre 1991, l'auteur a déposé une plainte au sujet de la décision auprès du Tribunal national du service public et a demandé sa réintégration dans les fonctions qu'il occupait précédemment. Le 19 février 1992, le Tribunal a déclaré cette plainte non fondée.

2.4 Le 26 mars 1992, l'auteur a introduit un recours administratif auprès de la Chambre prud'homale de la Cour supérieure de justice de Lima. Dans son jugement du 28 décembre 1994, la Chambre a fait droit au recours, estimant que le licenciement de l'auteur était illégal car il n'avait pas l'âge légal du départ à la retraite et qu'il devait donc être réintégré dans ses fonctions.

2.5 Le 11 décembre 1995, le Procureur a fait appel devant la Cour suprême. Le 21 août 1996, la Cour a annulé le jugement rendu en première instance pour des questions de forme et a ordonné un nouveau jugement.

2.6 Le 13 octobre 1997, la Cour supérieure de justice de Lima a de nouveau fait droit à la requête et ordonné la réintégration de l'auteur. L'État s'est de nouveau pourvu devant la Cour suprême qui, dans son arrêt du 7 octobre 1998, a jugé le recours recevable, estimant que la SUNAD avait un motif légitime de licencier l'auteur, à savoir la réduction des effectifs de l'administration publique, qui étaient excessifs.

2.7 L'affaire n'a pas été examinée par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3. L'auteur fait valoir qu'il a été victime d'une violation de l'alinéa c de l'article 25 du Pacte, parce qu'il a été licencié sans motif légitime en vertu de la décision de la SUNAD. Il fait valoir que cette décision est contraire au principe de la hiérarchie des normes, car elle va à l'encontre des dispositions de l'article 35 du décret loi no 276 (loi sur la fonction publique), qui fixe à 70 ans l'âge de la cessation d'activité des agents de la fonction publique. En outre, l'article 48 de la Constitution de 1979, en vigueur au moment des faits, reconnaît le droit à la stabilité de l'emploi. L'auteur fait état également de la durée excessive de la procédure et mentionne qu'une commission spéciale de réorganisation du gouvernement du Président Fujimori s'était ingérée dans l'exercice du pouvoir judiciaire, ce qui a forcément contribué à la paralysie de la Cour suprême de justice.

Observations de l'État partie

4.1 Dans ses observations en date du 22 avril 2002, l'État partie n'a soulevé aucune objection à la recevabilité de la communication. En ce qui concerne le fond, il signale que le décret suprême du 8 janvier 1991, par lequel le pouvoir exécutif a décidé la restructuration de tous les organismes publics relevant du gouvernement central, des autorités locales, des institutions publiques décentralisées, des organismes de développement et des projets spéciaux, trouve son fondement juridique dans l'article 211 de la Constitution de 1979 et a été adopté parce que les fonctionnaires étaient en surnombre et afin d'obtenir la stabilité économique et l'équilibre budgétaire du pays. Dans ce contexte, le décret suprême du 14 mars 1991 a porté réorganisation de la Direction nationale des douanes, afin d'améliorer la qualité des services douaniers dans le cadre du processus de libéralisation du commerce extérieur. La réorganisation prévoyait, entre autres mesures, la rationalisation des ressources humaines, établissant que les fonctionnaires qui n'étaient pas visés par le programme de départ volontaire seraient déclarés en surnombre et licenciés pour cause de restructuration. Dans la décision no 2412 qu'il a prise le 4 avril 1991, le service des douanes a fixé les critères à appliquer pour déclarer en surnombre les fonctionnaires qui n'étaient pas visés par le programme de départ volontaire, l'un des critères étant d'avoir atteint la limite d'âge fixée dans les décrets-lois no 20530 et no 19990, soit 55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes.

4.2 La décision no 6338, en vertu de laquelle l'auteur a été licencié à compter du 6 septembre 1991, s'inscrit dans le cadre normatif régissant le processus de restructuration des douanes et respecte la hiérarchie des normes, c'est-à-dire l'article 211 de la Constitution; le décret suprême no 043-91-EF du 14 mars 1991 relatif à la restructuration de la SUNAD; la décision no 002412 de la SUNAD en date du 4 avril 1991 fixant les critères à prendre en compte pour le licenciement des fonctionnaires en surnombre.

4.3 L'article 48 de la Constitution, invoqué par l'auteur, garantit le droit à la stabilité de l'emploi, mais précise également que le travailleur peut être licencié pour un motif légitime prévu par la loi et dûment vérifié. Dans le cas d'espèce, le licenciement de l'auteur était bien justifié par un motif légitime, puisqu'il s'agissait d'une restructuration générale.

4.4 L'État partie affirme n'avoir pas commis de violation de l'alinéa c de l'article 25 du Pacte, l'auteur ne s'étant pas vu refuser le droit d'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays, comme le prouvent les 11 années de service qu'il a accomplies dans la fonction publique. Son licenciement s'explique par des raisons objectives, fondées sur la restructuration des organismes publics.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

5.3 Le Comité relève que l'État partie n'émet aucune objection à la recevabilité de la communication. En l'absence d'élément qui s'y opposerait, le Comité considère que la communication est recevable et que la question soulevée par l'auteur doit être examinée quant au fond.

Examen au fond

6.1 Conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

6.2 La question telle que l'auteur la pose dans sa communication est de savoir si son licenciement de la fonction publique, découlant de la réorganisation des organismes publics, constitue une violation de l'alinéa c de l'article 25 du Pacte. Cette disposition reconnaît à tout citoyen le droit d'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays, ce qui exclut toute différence de traitement fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. Pour assurer l'accès dans des conditions générales d'égalité, les critères et procédures régissant la nomination, l'avancement, la suspension et le licenciement doivent être objectifs et raisonnables.

6.3 Le Comité rappelle sa jurisprudence concernant l'application de l'article 26 (1) selon laquelle toute différence de traitement ne constitue pas une discrimination mais que la différence doit être justifiée par des motifs raisonnables et objectifs. Bien que l'âge ne figure pas en tant que tel dans les motifs de discrimination interdits à l'article 26, le Comité est d'avis qu'une différence de traitement fondée sur l'âge qui ne reposerait pas sur des critères raisonnables et objectifs peut constituer une discrimination fondée sur «toute autre situation» au sens de l'article 26, ou une violation du droit à l'égalité devant la loi, énoncé dans la première phrase de cet article. Le même raisonnement s'applique à l'alinéa c de l'article 25, rapproché du premier paragraphe de l'article 2 du Pacte.

6.4 Dans la présente affaire, le Comité relève que l'auteur n'a pas été le seul fonctionnaire à perdre son poste, mais que d'autres employés de la SUNAD ont subi le même sort du fait de la restructuration de l'organisme employeur. L'État partie signale que la restructuration est le résultat des mesures décidées par le décret suprême du 8 janvier 1991, déclarant la réorganisation de tous les organismes publics. Les critères à appliquer pour sélectionner les employés visés par la restructuration ont été arrêtés conformément à un plan d'application générale. Le Comité estime qu'une limite d'âge, telle que celle retenue en l'espèce, pour l'occupation d'un poste est un critère objectif de distinction, dont l'application dans le cadre d'un plan général de restructuration de l'administration publique n'est pas déraisonnable. Par conséquent, le Comité considère que l'auteur n'a pas été l'objet d'une discrimination au sens de l'alinéa c de l'article 25 du Pacte.

7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l'alinéa c de l'article 25 du Pacte.

 

_______________________

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Michael O'Flaherty, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.

Le texte de deux opinions individuelles signées l'une de M. Walter Kälin, M. Edwin Johnson, M. Michael O'Flaherty et M. Hipólito Solari-Yrigoyen, et l'autre de Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer et Mme Ruth Wedgwood, est joint aux présentes constatations.

APPENDICE

Opinion individuelle de MM. Michael O'Flaherty, Walter Kälin,

Edwin Johnson, et Hipólito Solari-Yrigoyen (dissidente)

 

1. En l'espèce, la majorité du Comité a conclu que l'âge en tant que tel «[était] un critère objectif de distinction» dont «l'application dans le cadre d'un plan général de restructuration de l'administration publique n'[était] pas déraisonnable» (par. 6.4). À notre avis, cela équivaut à dire que l'âge en tant que tel est un critère objectif et raisonnable pour désigner ceux qui devraient quitter la fonction publique. Ce raisonnement ne concorde pas avec le mode d'approche retenu par le Comité dans l'affaire Love c. Australie. Dans cette affaire, le Comité avait établi que, bien que l'âge ne soit pas mentionné en tant que tel comme l'un des motifs de discrimination énumérés dans la deuxième phrase de l'article 26, une distinction relative à l'âge qui ne reposait pas sur des critères raisonnables et objectifs pouvait constituer une discrimination fondée sur «une autre situation» au titre de la disposition en question. Il avait souligné que, même si l'obligation de partir à la retraite à un certain âge ne constituait généralement pas une discrimination par l'âge, il lui faudrait s'interroger, à la lumière de l'article 26 du Pacte, sur le caractère éventuellement discriminatoire de tel ou tel arrangement particulier prescrivant le départ obligatoire à la retraite à un âge donné différent de l'âge habituel dans un pays donné. Comme il l'a fait dans l'affaire Love c. Australie, le Comité aurait dû examiner en l'espèce s'il y avait des motifs raisonnables et objectifs justifiant l'utilisation de l'âge comme critère distinctif. Il ne l'a pas fait et s'est ainsi écarté du mode d'approche retenu dans l'affaire Love c. Australie, d'une manière qui, à notre avis, ne peut être justifiée.
2. En l'espèce, l'État partie n'a pas démontré que les buts du plan de restructuration de la Direction nationale des douanes étaient légitimes. Dans ce contexte, nous notons qu'en particulier le Comité n'a pas répondu aux griefs de l'auteur, qui affirmait que la Constitution comme les lois adoptées par le Parlement lui garantissaient la stabilité de l'emploi et que ces garanties n'avaient pas été levées à l'issue d'un processus démocratique de modification des dispositions pertinentes, mais par un décret promulgué par le président de l'époque. En outre, l'utilisation du critère de l'âge tel qu'il a été appliqué à l'auteur n'est pas objective et raisonnable, ce pour plusieurs raisons. Premièrement, l'affaire porte sur une question de licenciement et non de retraite. Deuxièmement, si l'âge peut justifier un licenciement lorsqu'il amoindrit l'aptitude de l'intéressé à s'acquitter de ses fonctions ou lorsque celui-ci a travaillé suffisamment longtemps pour percevoir une retraite à taux plein ou, du moins, à un taux élevé, l'État partie n'a démontré l'existence d'aucune de ces raisons dans le cas de l'auteur qui, en dépit de son âge, n'avait été employé que pendant onze ans. En conséquence, nous estimons que l'auteur a été victime d'une violation de l'alinéa c de l'article 25 du Pacte.

(Signé) Michael O'Flaherty

(Signé) Walter Kälin

(Signé) Edwin Johnson

(Signé) Hipólito Solari-Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

 

 

Opinion individuelle de Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer
et Mme Ruth Wedgwood

 

 

Le Comité a conclu que le Pérou n'avait pas violé les droits de l'auteur au sens de l'alinéa c de l'article 25 du Pacte, même si la Direction nationale des douanes l'avait licencié dans le cadre d'une réduction des effectifs pour des motifs liés en partie à son âge. Il va de soi qu'une telle décision était difficile pour le Comité étant donné que l'État n'avait fourni aucune raison expliquant l'utilisation discriminatoire du critère de l'âge dans les licenciements.
Cependant, une chose reste claire: la décision du Comité en l'espèce ne doit pas être comprise comme appuyant la discrimination fondée sur le sexe pratiquée par le Pérou dans les licenciements et les réductions d'effectifs. La Direction nationale des douanes demande en particulier aux femmes de quitter la fonction publique cinq années avant les hommes, compte tenu de l'âge et du nombre d'années de service.

Il n'existe pas de raison évidente pour laquelle les femmes devraient être obligées de prendre leur retraite plus tôt que les hommes, et il est difficile de voir comment, si cette question avait fait partie du litige entre les parties, une telle pratique aurait pu être considérée comme conforme aux articles 25 et 26 du Pacte.

(Signé) Nigel Rodley

(Signé) Ivan Shearer

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]

Notes

1. Voir la communication no 983/2001, Love c. Australie, constatations adoptées le 25 mars 2003, par. 8.2.

 



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